Interview du Président de la République au quotidien mexicain "REFORMA"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au quotidien mexicain "REFORMA"

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Palais de l'Élysée, le jeudi 21 mars 2002

QUESTION - Quel "paquet" de coopération pour le financement du développement la France apporte-t-elle à Monterrey ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais vous dire pour commencer que je suis très heureux de me rendre ici, au Mexique, à Monterrey, pour une visite malheureusement trop brève, à l'invitation de mon ami le Président FOX. Car le Mexique est grand pays ami de la France et cette conférence est cruciale pour le monde.

Vous savez, la mondialisation de l'économie exige la mondialisation de la solidarité. Tel est le message de la France.

Et de ce point de vue, le défi de Monterrey est simple : comment arracher à la misère ce tiers de l'humanité qui vit avec moins de deux dollars par jour ? Comment mobiliser les ressources nécessaires à une croissance rapide et durable des pays pauvres ?

Ma conviction est la suivante. La mondialisation nous apporte beaucoup : créativité, ouverture, progrès. Mais elle aggrave les inégalités. Elle est porteuse d'exclusion et de risques nouveaux. Le devoir de solidarité s'impose à l'échelle mondiale. C'est moralement nécessaire. C'est politiquement possible.

Car il n'y a pas de fatalité du sous-développement. Le Mexique en témoigne d'ailleurs. Et depuis un demi-siècle, de nombreux autre pays ont vaincu la misère. Avec les bonnes stratégies, tout pays peut construire une économie moderne.

Mais aucun pays ne peut y parvenir seul. Tous ont besoin d'une assistance internationale pour décoller. Les pays les plus pauvres, surtout doivent être aidés à compenser les handicaps initiaux qu'il leur faut surmonter sur le chemin de la croissance.

Notre but, à Monterrey, c'est de conclure un partenariat par lequel les pays du Sud qui conduisent de bonnes politiques seront assurés de recevoir un appui fort et continu des pays du Nord.

Les besoins d'aide sont immenses, si nous voulons éradiquer la pauvreté. La Banque mondiale estime qu'il faudrait doubler les ressources, passer de 50 à 100 milliards de dollars par an, pour y parvenir d'ici 2015. Comment faire ?

De nombreuses propositions sont sur la table. On parle d'une allocation exceptionnelle de droits de tirage spéciaux, d'un recours raisonnable, et financé, à des dons dans les interventions de la Banque mondiale, d'un fonds de garantie des investissements privés, d'une taxation internationale. Ces idées, la France les appuie ou veut les discuter sans a priori, parce qu'elle aborde ces questions avec la volonté de progresser.

Il y a aussi la question de la dette. J'ai proposé à Lyon, en 1996, un traitement exceptionnel de la dette des pays très pauvres et très endettés.

Il faut aussi aborder avec plus d'imagination le surendettement des pays à revenu intermédiaire, recourir bien davantage à des formules comme les conversions. Et la France propose l'idée d'un mécanisme conjoint permettant de mieux apprécier le risque du surendettement.

J'observe par ailleurs que les pays émergents sont souvent victimes de l'instabilité de l'économie mondiale. Pour maîtriser ce phénomène, j'ai proposé depuis la crise asiatique que le FMI soit doté d'un organe ministériel de contrôle. Nous devrions aussi créer, avec la Banque mondiale, des " filets de sécurité sociale " pour atténuer les conséquences des récessions sur les plus démunis.

QUESTION - Que fera la France pour s'engager et accroître son aide et celle des pays développés ?

LE PRÉSIDENT - Un objectif mondial a été fixé : que chaque pays développé consacre 0,7 % de son produit national brut à l'APD. Plus du triple de la moyenne mondiale actuelle et le double de ce que fait la France aujourd'hui.

Je suis convaincu que les Français sont d'accord, parce qu'ils veulent une France généreuse. Ils comprennent bien que l'APD n'est pas la charité. C'est un devoir moral et une contribution à l'édification d'un monde plus sûr et plus prospère.

Nous n'y parviendrons pas en un jour. C'est pourquoi cet effort devra être celui de tous. Je continuerai à agir au sein de l'Union et du G8 pour que nos partenaires intensifient avec nous leurs efforts. C'est le sens de l'objectif que les Européens se sont assignés lors de leur dernier Conseil, à Barcelone : pour atteindre les 0,7%, se fixer une étape à 0,39% de moyenne communautaire en 2006.

QUESTION - Quels sont les pays exclus de cette aide et pourquoi ? Le refus de donner l'aide à ces pays n'est-il pas plus nuisible aux citoyens qu'a leurs gouvernements ?

LE PRÉSIDENT - De façon générale, notre politique est de veiller à ce que l'aide vienne en appui des efforts nationaux, soit souhaitée par les pays bénéficiaires et soit en phase avec leur propre politique de développement. Nous nous situons dans une logique de partenariat et non pas une logique d'assistance.

Votre question est aussi celle, délicate, des sanctions à l'égard des pays qui bafouent les droits de l'homme ou se livrent à des actes de guerre.

Il faut alors distinguer.

Il y a d'abord l'aide humanitaire, celle qui va directement aux populations les plus pauvres ou les plus vulnérables. Elle doit être préservée autant qu'il est possible, car sa suppression pour des raisons politiques fait toujours souffrir les plus pauvres et aboutit paradoxalement à aider les régimes qu'elle est supposée sanctionner.

En revanche, il est légitime d'attendre du gouvernement d'un pays aidé qu'il se comporte bien, qu'il fasse des efforts de bonne gouvernance, qu'il recherche la paix. Il ne s'agit certes pas de s'ériger en donneurs de leçons ou d'exercer des pressions qui humilient. Il s'agit en revanche d'appliquer la règle simple selon laquelle l'aide est un contrat destinée à aider au développement du pays bénéficiaire et qu'il faut respecter. Quand le contrat est rompu par une partie, l'autre doit en tirer les conséquences.

QUESTION - La pauvreté et l'inégalité sociale entraînent souvent une radicalisation des positions politiques. Elles mènent parfois à la lutte armée. Quelle est votre position s'agissant de la lutte anti-terroriste et du financement du développement ?

LE PRÉSIDENT - Le terrorisme est inexcusable et rien ne le justifie. C'est pourquoi la France s'est portée immédiatement et unanimement aux côtés des Etats-Unis, effroyablement touchés par les attentats du 11 septembre. C'est pourquoi elle est au premier rang de la coalition contre le terrorisme international.

Mais au-delà de cet événement tragique, il faut s'attaquer aux inégalités croissantes entre nos sociétés.

De même, l'affirmation de l'égale dignité des cultures et du respect qu'elles se doivent permettra de dépasser la logique de l'affrontement pour affirmer celle de la coopération.

C'est pourquoi je plaide pour une meilleure prise en compte de la diversité du monde, un effort des pays privilégiés pour comprendre qu'ils ont apprendre des autres cultures, un effort de tous pour respecter l'autre dans sa différence, pour rejeter la tentation du fanatisme et de la violence. C'est l'exigence du dialogue des cultures, nécessité de notre temps. Je pense que le Mexique, grand pays dont la culture qui plonge ses racines au plus profond de l'histoire humaine et témoigne chaque jour de sa vitalité, doit être sensible à ce message.

QUESTION - Dans quelle mesure l'aide au développement peut encourager la démocratisation ?

LE PRÉSIDENT - Le lien entre le développement et le respect des règles démocratiques et des droits de l'homme a été admirablement mis en évidence par un grand économiste indien, M. le Professeur Amartiya SEN, qui a d'ailleurs été récemment honoré du Prix Nobel. Il a scientifiquement démontré deux réalités dont mon expérience m'avait déjà intuitivement convaincu.

Tout d'abord, l'établissement de l'état de droit et le respect des libertés encourage le développement. Tout simplement parce que l'économie a besoin de sécurité juridique et de liberté d'entreprise. Démocratiser, c'est donc bien aider au développement.

Et à l'inverse, plus un pays se développe, plus ses habitants aspirent à la liberté, à la démocratie. Alors, sous réserve que l'on s'assure de son bon usage, dans l'esprit de partenariat que nous évoquions, il est certain que l'aide contribue, à plus ou moins long terme, à la démocratie.

QUESTION - Le soutien et le financement pour le développement peuvent-ils, à un moment donné, devenir une version des politiques interventionnistes ?

LE PRÉSIDENT - En ce qui concerne la France, la question ne se pose pas.

QUESTION - L'élargissement de l'Union européenne ne signifie-t-il pas la réduction de l'aide donnée à l'Amérique Latine et à d'autres régions comme l'Afrique ?

LE PRÉSIDENT - En aucun cas. Depuis la chute du mur de Berlin, l'Union européenne et ses membres se sont attachés à aider les autres pays européens à surmonter les traumatismes de l'époque communiste. Et ils vont intensifier cet effort, dans la perspective de l'adhésion à l'Union de ces pays qui font partie intégrante de la famille européenne. Pour que les frontières institutionnelles de l'Union rejoignent progressivement les frontières de l'Europe.

Mais n'oubliez pas que l'Europe voit plus loin. Vers la Méditerranée, espace naturel de solidarité. Vers l'Amérique Latine ou l'Afrique, avec lesquelles elle entretient des liens si denses et si anciens. Vers ces nouveaux pôles du monde multipolaires avec lesquels elle veut construire un dialogue nourri par une relation de coopération dense et multiforme.

QUESTION - Avant de répondre à vos questions sur la relation franco-mexicaine, je souhaiterais ajouter quelques remarques

LE PRÉSIDENT - Au-delà de l'aide, se pose la question de l'organisation du monde la plus propice au développement.

Voici longtemps que je porte l'idée d'un " Conseil de sécurité économique du monde ". Il donnerait plus de force aux efforts de maîtrise de la mondialisation, plus de cohérence à l'action des organisations internationales. Ce serait également une façon de contribuer à démocratiser la mondialisation, c'est à dire en particulier de mieux associer le Sud aux décisions qui engagent l'avenir.

Il faut humaniser la mondialisation, c'est à dire faire prévaloir une exigence de solidarité et se souvenir que l'homme est la finalité de tout projet social. La mondialisation doit être au service des hommes et non pas l'inverse.

Humaniser la mondialisation, c'est aussi dépasser la logique du court terme et nous interroger sur le monde que nous laisserons à nos enfants, si nous continuons à détruire l'environnement au rythme actuel.

Tout cela suppose que nous nous entendions sur une éthique commune, qui fonde notre action. La mondialisation a besoin d'une armature morale. J'ai à l'esprit ces règles dont toute société doit se doter pour pouvoir se perpétuer.

J'ai aussi à l'esprit l'affirmation de ces valeurs universelles qui nous rassemblent par-delà nos heureuses différences. Il faut au monde des idéaux partagés grâce auxquels la mondialisation, nouvelle étape de l'aventure humaine, sera perçue comme un nouvel espoir. L'occasion d'un nouveau progrès de la civilisation.

QUESTION - Le Mexique et la France sont des partenaires par le biais du traité de libre échange signé avec l'Union européenne. Quelles sont les problèmes et les difficultés que les hommes d'affaires français doivent affronter au Mexique ? Se plaignent-ils de l'insécurité, de la corruption, des barrières administratives ?

Les hommes d'affaires français voient dans le Mexique un grand marché de quelque 100 millions d'habitants ouvert sur l'Amérique du nord. Pour les entreprises françaises, la conjonction du TLC et de l'accord Union européenne-Mexique donne un attrait tout particulier au Mexique. Naturellement, nos entrepreneurs et investisseurs peuvent être parfois confrontés à certains problèmes, tels que les limitations frappant actuellement l'importation de produits laitiers, mais ces problèmes seront, j'en suis convaincu, vite réglés et ne feront pas obstacle au développement du commerce entre nos deux pays. Quant à l'insécurité, qui est une véritable difficulté, le Président Fox et son gouvernement ont une politique déterminée qui produit déjà des résultats significatifs. Nous apportons notre appui à cet effort, en particulier à travers notre coopération en matière de police.

QUESTION - Le traité signé entre l'Union européenne et le Mexique comprend une clause démocratique et de respect des droits de l'homme. Comment le gouvernement français évalue-t-il le respect de cette clause (cas de Digne Hocha, harcèlement des coopérants des ONG, exécutions extrajudiciaires)?

LE PRÉSIDENT - La référence à la démocratie n'est pas propre à l'accord entre l'Union européenne et le Mexique qui est lui-même une grande démocratie.

S'agissant des droits de l'homme, le Président Fox et son gouvernement sont des interlocuteurs ouverts et attentifs. Ce constat vaut aussi bien sur les questions multilatérales qui sont à l'ordre du jour des enceintes compétentes des Nations-Unies, que sur les cas individuels qui peuvent parfois se présenter au Mexique.

QUESTION - La révolte des indiens du Chiapas a été une source de préoccupation de la société française. Huit ans après, le conflit n'est pas encore résolu. Qu'est-ce que la France fait et a fait pour arriver à la paix au sud du Mexique ?

LE PRÉSIDENT - Il y a, c'est vrai, dans l'opinion française une sensibilité pour la question du Chiapas. Mais il s'agit d'un problème intérieur mexicain dans lequel les autorités françaises n'ont pas à s'ingérer. La position traditionnelle de la France est de soutenir le règlement des conflits par la voie pacifique et par le dialogue politique.

QUESTION - Avec qui s'entend le mieux le gouvernement français : avec le gouvernement de Vicente Fox ou avec celui des administrations passées ?

LE PRÉSIDENT - Dans mes fonctions, j'ai eu les meilleures relations avec tous mes interlocuteurs mexicains.





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