" Pour un monde solidaire, le pari de Monterrey : devenir partenaires pour le développement durable par l'aide et la bonne gouvernance" : tribune du Président de la République parue dans "Libération"

" Pour un monde solidaire, le pari de Monterrey : devenir partenaires pour le développement durable par l'aide et la bonne gouvernance" : tribune de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, parue dans "Libération"

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Samedi 23 mars 2002

Comment arracher à la misère ce tiers de l'humanité qui vit avec deux euros par jour ou moins ? Comment mobiliser les ressources nécessaires à une croissance rapide et durable des pays pauvres ? C'est une question essentielle pour le monde. Elle ne supporte pas l'indifférence. Il est temps de prendre conscience que la mondialisation de l'économie exige la mondialisation de la solidarité.

C'est le message de la France à Monterrey, un message de solidarité et de volonté, conforme aux valeurs de l'humanisme que nous défendons dans le monde.

La solidarité, pour vaincre la pauvreté, l'exclusion et l'instabilité.

La mondialisation nous apporte beaucoup : elle encourage la créativité, l'ouverture, le progrès, la liberté. Mais elle aggrave les inégalités, et elle est porteuse d'exclusion. La France ne s'y résigne pas. C'est pourquoi elle agit pour une mondialisation mieux maîtrisée et plus juste. C'est moralement et politiquement nécessaire. Et c'est possible.

L'enjeu de Monterrey est là : préparer, tous ensemble, un contrat mondial pour un développement durable. Un contrat assurant les ressources nécessaires aux pays en développement. Un contrat qui les encourage sur le chemin de la bonne gouvernance, c'est-à-dire de la transparence, de la démocratie, de l'initiative privée et de l'Etat de droit.

Pour les pays développés, les décisions à prendre sont clairement identifiées. Les mettre en oeuvre est affaire de volonté. Faisons-le.

L'ouverture commerciale bien sûr. L'Union européenne est l'ensemble économique le plus ouvert du monde. Que les autres suivent son exemple !

L'aide publique surtout. Elle est irremplaçable. Pour éradiquer la misère, vaincre le sida, assurer à tous les conditions d'une alimentation saine et d'une éducation de base, la Banque Mondiale estime nécessaire de mobiliser cinquante milliards de dollars de plus chaque année, c'est-à-dire le double du montant actuel. Comment y parvenir ?

Les pays du Nord doivent tous accroître leur aide, à commencer par ceux dont l'effort est le plus faible. C'est l'esprit de la décision du Conseil européen de Barcelone. Pour la France, dont l'aide a trop baissé, un plan pluriannuel approuvé par le Parlement nous permettrait de viser en dix ans l'objectif international des 0,7% du PNB. Une aide dont l'efficacité devra être encore améliorée, notamment en associant mieux nos ONG.

Au-delà, bien des propositions ont été faites : nouvelle émission de droits de tirage spéciaux au profit des pays du Sud, accroissement raisonnable de la part des dons dans les interventions de la Banque Mondiale, annulation plus généreuse et plus imaginative de la dette, amélioration du système de garantie internationale des investissements privés, étude des possibilités de taxation internationale : sur tous ces sujets, le débat est engagé. Monterrey doit nous permettre de progresser.

Les pays en développement qui s'exposent sur les marchés mondiaux sont plus vulnérables que d'autres à leurs turbulences. Depuis 1996 je milite, lors des sommets du G8, pour un renforcement des régulations. Des progrès ont été accomplis dans la transparence des échanges financiers, la stratégie de la dette et la lutte contre le blanchiment, avec le GAFI. Tirant les leçons de la crise argentine, il nous faut maintenant mettre en place un mécanisme permettant de traiter à temps les risques de faillites d'Etat, afin de les prévenir. Depuis longtemps, j'ai proposé que ces sujets majeurs soient évoqués par un organe ministériel de décision au sein du FMI. Je crois aussi nécessaire de créer un "Conseil de Sécurité" économique et social du monde. Je le dirai une nouvelle fois à Monterrey.

L'écologie, pour parvenir à un développement équilibré et durable.

Les prélèvements sur la nature dépassent ses capacités de reconstitution. Les pays du Nord sont, de loin, les principaux responsables d'une situation qui, du réchauffement climatique aux pollutions, dégrade notre planète. Peu à peu, depuis le sommet de Rio il y a dix ans, des traités ont été adoptés pour protéger le climat, la biodiversité, la santé de nos populations. Comment ne pas voir cependant que tout ceci demeure dramatiquement insuffisant et que ces textes sont peu ou mal appliqués ? Une révolution écologique d'ampleur comparable à la révolution industrielle s'impose. Elle commence par l'application universelle du protocole de Kyoto, y compris par les Etats-Unis.

Je souhaite que, dans le prolongement de Monterrey, le sommet de Johannesburg sur le développement durable, fin août, aide les pays du Sud à se doter de capacités de croissance respectueuses de l'environnement. D'ambitieux mécanismes de transferts de technologie sont nécessaires. Là encore, c'est affaire de volonté. Et d'abord de prise de conscience : ce n'est qu'en unissant nos efforts que nous pourrons gérer solidairement ces biens publics mondiaux que sont le climat, les forêts, l'eau, l'air, patrimoine commun de l'humanité. Il existe un intérêt général de la planète, comme il existe un intérêt général national. Six milliards d'hommes du Nord et du Sud doivent apprendre à répondre aux besoins des générations présentes sans pénaliser les générations futures. La création d'une Organisation Mondiale de l'Environnement y contribuerait.

L'humanisme, pour civiliser la mondialisation.

Une mondialisation qui n'aurait pour loi que celle du marché serait en réalité proche de la loi de la jungle. Le combat pour une certaine idée de l'Homme est plus que jamais actuel.

La France est attachée à quelques principes simples et forts. D'abord, on ne peut produire n'importe comment : le respect de normes sociales, la lutte contre l'exploitation des enfants ou le travail forcé doivent s'imposer partout. Ensuite, on ne peut tout produire ; le principe de précaution doit être respecté, notamment pour les OGM ; le clonage humain reproductif doit être totalement interdit. Enfin, tout n'est pas marchandise. La France a fait accepter ce principe pour la lutte contre le SIDA afin que les règles concernant les brevets et les prix cèdent le pas devant les exigences de la solidarité avec les plus pauvres. Elle l'a fait reconnaître aussi, non sans mal, pour les biens culturels.

Cette vision humaniste du progrès, que je n'ai cessé de défendre, doit être complétée par un véritable dialogue des cultures. Les réactions à la tragédie du 11 septembre ont fait apparaître sous un jour cru des incompréhensions, des antagonismes que la mondialisation a sans doute exacerbés.

La déclaration universelle des droits de l'Homme est notre loi commune. Elle exprime nos valeurs partagées et permet à chaque peuple de vivre ses cultures, ses religions, de trouver sa voie vers le développement. La diversité culturelle est nécessaire à l'homme. Elle mériterait d'être affirmée dans une convention mondiale. Ainsi, le dialogue des cultures viendrait démentir le prétendu choc des civilisations.

Une mondialisation maîtrisée, pour bâtir un XXIème siècle de liberté et d'équité.

La mondialisation est un nouveau visage de l'aventure humaine. Mais elle suscite aussi des réactions de rejet qu'il ne faut pas sous-estimer. Elles expriment une angoisse légitime, une aspiration à plus de solidarité. Il faut y répondre.

Nous devons assurer une meilleure maîtrise politique de la mondialisation. Pour cela, nous avons besoin de mieux associer les pays du Sud aux décisions qui engagent notre avenir commun. C'est pourquoi j'ai proposé que la France réunisse en 2003, année pendant laquelle elle présidera le G8, les responsables d'une vingtaine de pays développés, émergents et pauvres. Ensemble, nous donnerons, en partenaires, les impulsions nécessaires pour que l'action des organisations internationales soit plus cohérente et plus forte. Pour que la mondialisation apporte à tous plus de liberté et plus de croissance dans l'équité.

Au fil des siècles, la France s'est construite sur des idéaux de solidarité, de démocratie et de progrès. Les Français ont placé au fronton de la Nation ces trois principes qui ont mobilisé leurs énergies collectives : liberté, égalité, fraternité. Ces principes sont universels. La France a plus que jamais vocation à les porter et à les défendre à l'échelle du monde.





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