Interview du Président de la République au quotidien "Lietuvos Rytas"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au quotidien "Lietuvos Rytas"

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Palais de l'Élysée, publiée le jeudi 26 juillet 2001

QUESTION - C'est votre première visite en Lituanie. Quels en sont les grands enjeux ?

LE PRÉSIDENT - Les grands enjeux de cette visite ont trait à l'élargissement de l'Union européenne, aux questions de sécurité et de défense et au renforcement de nos relations bilatérales. La France apporte tout son appui à la candidature de la Lituanie à l'Union européenne et je me réjouis que le sommet de Göteborg ait confirmé l'irréversibilité du processus d'élargissement. Je soutiens l'aspiration légitime de la Lituanie à intégrer les structures de sécurité euro-atlantiques, mais je souhaite aussi rappeler l'attachement français à la mise en place de la politique européenne de sécurité et de défense. La France entretient avec la Lituanie de bonnes relations politiques, des relations économiques en progression, et cette visite a pour objectif de conforter cette tendance.

QUESTION - La France soutiendra-t-elle l'entrée de la Lituanie dans l'OTAN, en 2002 ?

LE PRÉSIDENT - Au Sommet de Prague de l'OTAN, à l'automne 2002, de nouvelles invitations à ouvrir la négociation de protocoles d'adhésion à l'OTAN seront lancées, dans le droit fil de la politique dite de la "porte ouverte" qui avait été réaffirmée lors du précédent Sommet, en 1999 à Washington. Ceci répond à un objectif légitime de réunification du continent européen. La Lituanie, comme les deux autres États baltes, fait partie des neuf pays qui ont choisi librement de vouloir intégrer l'OTAN. Cette aspiration à rejoindre l'OTAN est légitime, d'autant plus que cette alliance de nature défensive a pour objet de défendre la liberté et la sécurité de ses membres et de renforcer la stabilité en Europe. Ma conviction est qu'il importe avant tout de ne pas créer une nouvelle ligne de division sur notre continent.

QUESTION - Selon vous, les progrès accomplis par la Lituanie dans le cadre des négociations avec l'Union européenne lui permettront-elle d'entrer dans l'Europe en 2004 ?

LE PRÉSIDENT - La Lituanie a déjà accompli des progrès très importants, depuis l'ouverture des négociations au début de l'an 2000, puisque dix-huit chapitres ont été provisoirement clos. Votre pays est ainsi parvenu à rattraper des candidats avec lesquels les négociations avaient démarré dès 1998.

Le Conseil européen de Göteborg a précisé le calendrier de l'élargissement en estimant que les négociations pourraient s'achever d'ici la fin de 2002 avec les candidats qui seront prêts, l'objectif étant que ces pays participent aux élections du Parlement européen de 2004 en tant que membres. Si les progrès accomplis pour respecter les critères d'adhésion se poursuivent au même rythme, je crois que la Lituanie aura alors toutes ses chances d'entrer dans l'Union en 2004. Mais il y a d'ici là encore du travail à effectuer et nous espérons tous que les négociations avanceront de façon décisive sous les présidences belge et espagnole.

QUESTION - Quels sont pour vous les progrès les plus sensibles accomplis par la Lituanie, en vue d'une intégration dans l'Union européenne ? Quels sont, en revanche, les points qui laissent à désirer ?

LE PRÉSIDENT - La clôture provisoire de dix-huit chapitres prouve que des progrès incontestables ont été effectués par la Lituanie au cours des derniers mois. Mais il ne faut pas se limiter à ce critère quantitatif: la reprise effective de l'acquis communautaire et la capacité administrative à le mettre en oeuvre sont tout aussi importants que la fermeture de tel ou tel chapitre. Je pense à des domaines très sensibles pour l'opinion publique, comme par exemple la sécurité alimentaire, la sécurité des frontières extérieures ou la sûreté nucléaire.

Nous nous félicitons de la qualité du dialogue établi avec la Lituanie dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense qui a pour ambition de donner à l'Union européenne les moyens de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale et d'assumer ses responsabilités face aux crises. Cette capacité de gestion de crise a vocation à renforcer la contribution de l'Union européenne à la paix et à la sécurité internationale, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. L'Union européenne exercera ce nouveau rôle en transparence et coopération avec l'OTAN, dans le respect de l'autonomie de chacune des organisations, ainsi que des prérogatives du Conseil de sécurité et de l'OSCE.

Une participation effective de la Lituanie au développement de la politique européenne de sécurité et de défense et au dialogue qui est instauré sur ces sujets est un des éléments de son intégration future à l'Union européenne.

QUESTION - En matière d'élargissement européen, souhaitez-vous une intégration des candidats à l'Union européenne d'un bloc, ou un élargissement progressif par groupes de pays successifs ?

LE PRÉSIDENT - La France, comme tous ses partenaires de l'Union, considère que les négociations doivent être menées selon le principe de différenciation, c'est à dire selon les seuls mérites de chaque candidat. Nous ne souhaitons donc pas entrer dans un débat sur les scénarios d'adhésion, pour savoir si les candidats entreront par vagues successives ou par l'effet d'un "big bang". Notre position est très claire: le processus d'élargissement est irréversible ; les pays qui remplissent les conditions et critères d'adhésion pourront rejoindre l'Union dès que possible; un calendrier, à la fois ambitieux et réaliste, a été fixé à Göteborg et la France espère de tout coeur qu'il pourra être tenu.

QUESTION - Certains membres de l'Union européenne souhaitent imposer aux futurs nouveaux membres une longue période transitoire, avant qu'ils puissent bénéficier des règles de libre circulation du travail. Les pays candidats craignent donc de devenir, pour longtemps, des "membres de seconde zone". Comment pouvez-vous dissiper ces craintes ?

LE PRÉSIDENT - La France est tout à fait opposée à cette idée selon laquelle les nouveaux États membres pourraient être des "membres de seconde zone". Au sein de l'Union, le principe de base est que chaque État dispose des mêmes droits et doit respecter les mêmes obligations.

Pour certaines politiques communes, les candidats ont demandé des périodes transitoires et c'est tout à fait légitime compte tenu des investissements souvent considérables à effectuer pour reprendre l'acquis communautaire. En ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, c'est l'Union qui a demandé un régime transitoire afin de tenir compte des préoccupations exprimées par certains de ses États membres. Là aussi, c'est une préoccupation que l'on peut comprendre et qui repose sur des précédents, comme celui par exemple de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal. Le dispositif arrêté par l'Union est, j'en suis convaincu, suffisamment flexible pour permettre une ouverture progressive des marchés nationaux de l'emploi au sein de l'Union et s'avérer donc en définitive bénéfique pour la Lituanie.

QUESTION - La Lituanie avait une ambassade à Paris, avant-guerre. Elle est aujourd'hui occupée par les services diplomatiques russes. Pensez-vous que ce bâtiment pourra bientôt être restitué à la Lituanie ? Avez-vous abordé le problème avec M. POUTINE, lors de votre dernière visite en Russie ?

LE PRÉSIDENT - Dans ce dossier vieux de 50 ans, la France a pris récemment l'initiative d'un réglement politique du différend. Les négociations vont bon train et si toutes les parties font preuve de bonne volonté et adoptent une attitude conciliante, une issue sera trouvée très prochainement. J'ai abordé bien sûr cette question avec le Président de la Fédération de Russie, M. POUTINE : il a qualifié la proposition française de constructive. J'ai donc bon espoir de voir cette question réglée rapidement.

QUESTION - Les investissements français en Lituanie sont encore extrêmement faibles. Selon vous, comment peut-on expliquer cette timidité ?

LE PRÉSIDENT - Il est vrai que les investissements français sont encore négligeables en Lituanie. Nous sommes loin derrière la Suède, la Finlande ou les États-Unis, et cette situation s'explique en effet par la timidité de nos entreprises, qui ont mis du temps à découvrir la Lituanie. Pourtant, je constate qu'un rattrapage est en cours grâce au retour de la croissance, mais aussi grâce à l'accélération des processus de privatisations car nos grandes entreprises ont fermement manifesté leur intérêt pour les principales privatisations.

QUESTION - La Lituanie entretient des rapports étroits avec les États-Unis, et souhaite vivement entrer dans l'OTAN. Est-ce contradictoire avec une entrée dans l'Union européenne ? Cela peut-il freiner le soutien politique que la France apporte à la Lituanie ?

LE PRÉSIDENT - Non, ce n'est pas du tout contradictoire et n'aurait pas de conséquence sur le soutien que la France peut apporter à la Lituanie. Certains mal informés, craignent que le choix de la Lituanie en faveur de l'OTAN soit incompatible avec la démarche européenne en matière de défense. Ce n'est pas le cas. On peut, on doit, être fidèle à l'alliance atlantique et favorable en même temps au développement des capacités européennes en matière de défense.

QUESTION - Les Lituaniens ont une vision assez claire de la France, même si elle est parfois caricaturale (la mode, la cuisine, etc.). En revanche, les Français ont une image extrêmement floue de la Lituanie. C'est votre première visite : comment imaginez-vous ce pays ? D'où viennent ces images personnelles ?

LE PRÉSIDENT - Un pays aux riches traditions, à la culture fascinante, point de rencontre de l'Europe des forêts, des steppes et de la Baltique. Les images, d'origine littéraire surtout, sont un peu floues c'est vrai, à cause de l'isolement dans lequel a vécu votre pays, mais je suis sûr qu'elles vont bientôt se préciser.

QUESTION - Vous connaissez la Russie, vous avez étudié le russe. Quelle différence voyez-vous entre ce pays et le nôtre ?

LE PRÉSIDENT - Je ne connais pas encore assez votre pays pour répondre à une telle question. Mais je sais que la Lituanie a une très forte identité culturelle, historique et linguistique. Et il est clair qu'il y a une différence géopolitique : la Lituanie est européenne, la Russie est euroasiatique.





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