"Les leçons du 11 septembre" : article du Président de la République paru dans l'hebdomadaire Paris-Match

"Les leçons du 11 septembre" : article de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, paru dans l'hebdomadaire Paris-Match

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Paru le jeudi 27 décembre 2001

La tragédie du 11 septembre fut un choc immense, une blessure collective. Dès les premières informations, les premières images, nous savions qu'elle compterait parmi ces événements majeurs à partir desquels les choses suivent un cours différent. Je devais me rendre à Washington et à New York, à l'occasion du Sommet de l'enfance. Le Sommet a été annulé, mais le président Bush m'a demandé de maintenir ce voyage, en sorte que moins d'une semaine après le drame j'ai pu en mesurer toute l'horreur, toute la portée.

J'ai vu ces ruines encore fumantes, l'attente des familles, leur souffrance digne, l'héroïsme des sauveteurs à la recherche de survivants de plus en plus rares. Au nom de la France, j'ai partagé le deuil de toute une ville, de tout un pays.

Ce fut, bien sûr, le temps de l'action et des décisions. La France, plusieurs fois touchée par le terrorisme au cours de ces deux dernières décennies, ne pouvait qu'être entièrement et profondément solidaire du peuple américain. Nous avons répondu à toutes les demandes qui nous ont été faites, et nous nous sommes engagés sur le terrain. Nous avons oeuvré, et c'était le sens de mon entretien avec Kofi Annan, que j'ai également rencontré à New York, pour que les Nations unies jouent tout leur rôle dans cette crise et que le combat allait être mené par une coalition internationale contre le terrorisme soit le combat du droit. Un combat qui refuse le " choc des civilisations " et qui exclut tout amalgame entre le terrorisme et l'Islam, piège tendu par Ben Laden.

Au sein de l'Europe, et avec ses partenaires, la France a contribué à définir les axes majeurs de la stratégie antiterroriste, ce qui a permis, notamment, la création d'un mandat d'arrêt européen. Enfin, nous avons conduit une intense action diplomatique, tant avec les pays de la région, tels que l'Inde et le Pakistan, qu'avec les pays du Moyen-Orient et du Maghreb, où je me suis rendu, et avec les principaux dirigeants du monde, comme les présidents Poutine et Jiang Zemin. Nous vivions ces moments de l'Histoire où les lignes bougent, où des alliances encore balbutiantes se renforcent, où certaines priorités changent, où il faut tout à la fois conjuguer l'efficacité du combat, la solidarité avec les peuples éprouvés, la recherche opiniâtre des solutions politiques et la préparation de la paix. Ce fut le sens de l'action de la France.

Plus de trois mois après la tragédie, la phase militaire de ce combat est quasi achevée. Les principaux réseaux d'Al-Qaïda ont été démantelés et le régime des talibans qui les soutenait, régime ennemi de toutes les libertés et terrible pour les femmes, s'est effondré. Lentement, avec mille inquiétudes, une certaine joie de revivre s'installe à Kaboul, où les soldats français sont présents dans la force internationale de sécurité. C'est une première victoire dans un combat qui sera long et difficile. Le temps de l'action et des décisions est aussi, bien sûr, le temps de la réflexion. Ensuite vient le temps du questionnement et des leçons à tirer des événements.

La première de ces leçons, c'est la force de l'union et de la fraternité nationale. Quand viennent les épreuves, et nous l'avons vu encore récemment dans la Somme et à Toulouse, ce qui compte, c'est le sentiment d'être soutenus, d'appartenir à une même communauté qui comprend et qui partage. Se sentir partie prenante d'une même histoire, se reconnaître dans les mêmes valeurs, la même culture, les mêmes idéaux, aimer sa patrie et souffrir de la voir blessée : autant de sentiments forts qui permettent de mieux vivre le présent et de mieux construire un avenir commun.

La deuxième de ces leçons, c'est la nécessité d'une réelle solidarité internationale et d'un dialogue de cultures intense et vivant. Il y a trop d'injustices dans le monde, trop de contrastes entre les pays riches, et de plus en plus riches, et les pays qui ne peuvent s'arracher à la grande pauvreté. Trop d'enfants, de femmes et d'hommes privés de tout, des biens matériels les plus élémentaires, mais aussi d'éducation et d'accès aux soins. Même si certains Etats sont les premiers artisans de leur malheur, au détriment de leurs peuples, il est sûr que nous devons inventer de nouveaux outils au service de la solidarité internationale, parce que la misère, l'ignorance, les frustrations, le sentiment d'humiliation sont moralement inacceptables et que, de plus, ils sont accueillants aux discours extrémistes, à tous les fanatismes, notamment religieux, où beaucoup croient retrouver identité et dignité.

Mais tendre la main, c'est aussi savoir comprendre, écouter, se remettre en question. Quelle image le modèle occidental a-t-il offert de lui-même ? A-t-il toujours été digne des valeurs humanistes et démocratiques qui la fondent ? A-t-il eu suffisamment la volonté de partager ? Pour éteindre peu à peu les foyers de haine et d'incompréhension, si nombreux aujourd'hui, il faut que les peuples s'écoutent, se parlent, se respectent. Nul ne peut se dérober à cette rencontre ouverte et généreuse avec l'autre. Nul ne peut échapper à un examen de soi pour comprendre l'autre.

Sur ces voies, celles du combat contre l'injustice et la misère, celles du dialogue entre les cultures d'égale dignité, la France, par son histoire, a un rôle singulier à jouer. Je ferai tout pour que notre nation porte ce message.





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