M. Jacques CHIRAC, Président de la République, invité du 19/20 sur France 3

M. Jacques CHIRAC, Président de la République, invité du 19/20 sur France 3, présenté par Mme Élise LUCET

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Angoulême, Charente, le jeudi 21 septembre 2000

E. LUCET - Monsieur le Président, nous reviendrons dans un instant, si vous le voulez bien, sur le référendum sur le quinquennat qui est le but de votre visite, ici, à Angoulême. Mais, d'abord, dans son édition d'aujourd'hui, donc, Le Monde publie une interview posthume de Jean-Claude MÉRY que nous avons entendue, où vous êtes personnellement mis en cause. Il affirme avoir remis une valise de cinq millions de Francs à Michel ROUSSIN, en votre présence, et cela pour le financement occulte du RPR.

J'ai envie de vous demander quelle est votre réaction à la fois sur la forme et sur le fond ?

LE PRÉSIDENT- Ma réaction : je suis indigné. Indigné par le procédé. Indigné par le mensonge. Indigné par l'outrance. Mme LUCET, il doit y avoir des limites à la calomnie. Hier, on faisait circulait une rumeur fantaisiste sur une grave maladie qui m'aurait atteinte -sous-entendu je ne serais plus capable d'assumer mes fonctions-. Aujourd'hui, on rapporte une histoire abracadabrantesque. On fait parler un homme mort il y a plus d'un an. On disserte sur des faits invraisemblables qui auraient eu lieu il y a plus de quatorze ans. On exhume un enregistrement fait il y a plus de quatre ans et dont le journal lui-même, qui publie ces propos, les qualifie " d'invérifiables " et de " sans valeur juridique ".

Tout cela, comme par hasard, trois jours avant un référendum visant à améliorer le fonctionnement de notre démocratie.

Alors, je vous le dis, ces allégations sont indignes et mensongères. Voilà, pourquoi, je demande que ces éléments soient transmis à la justice afin que la vérité balaie la calomnie.

E. LUCET - Monsieur le Président, sur le fond, sur le système de financement occulte des partis et donc du RPR décrit par Jean-Claude MÉRY, ce système extrêmement organisé, extrêmement précis, je veux dire, quelle est votre réaction ? Est-ce que vous avez eu des contacts avec Jean-Claude MÉRY ? Est-ce que vous le connaissiez ? Comment réagissez-vous sur le fond ?

LE PRÉSIDENT- Je vous dis que : " tout ce qui est dans ce pseudo-message, est pour moi sans fondement, mensonge, calomnie. Et pour tout dire, manipulation ". Et je n'ai pas d'autre chose à dire.

E. LUCET - Avez-vous le sentiment que la campagne électorale pour l'élection présidentielle est lancée ?

LE PRÉSIDENT- J'espère que ce n'est pas le moyen choisi par certains pour la lancer.

E. LUCET - Revenons, Monsieur le Président, sur l'objet premier de votre visite, ici, à Angoulême. Pourquoi, avez-vous décidé d'intervenir à trois jours, justement, du référendum ? Est-ce que vous craignez une abstention record ?

LE PRÉSIDENT- J'avais décidé de venir en Charente notamment pour voir quelles étaient les initiatives locales prises à partir des territoires dans le domaine social, de l'emploi et de l'insertion. Naturellement, m'adressant à tous les maires de la Charente, j'en ai profité pour faire une réflexion sur la démocratie, son adaptation au monde d'aujourd'hui et notamment par la voie du référendum qui aura lieu dimanche.

E. LUCET - Ce n'est pas anodin, pour un Président, de s'engager dans une campagne à trois jours d'un scrutin. Est-ce que c'est une manière pour vous de répondre à Charles PASQUA qui affirme que vous vous moquez de ce référendum ou encore à François HOLLANDE qui déclare que le PS est le seul parti à être clair sur ce référendum pour le quinquennat ?

LE PRÉSIDENT- Je ne réponds à personne. Et surtout, dans la fonction qui est la mienne, je ne polémique avec personne. Je parle aux Français. Je leur dis simplement : nous avions un système que l'on essayait de changer depuis bien longtemps, et que les circonstances n'avaient pas permis de changer, et qui était, à l'évidence, inadapté. Il faut avoir un Président de la République élu pour une durée qui permette, par ailleurs, aux Français de dire plus régulièrement, tous les cinq ans et non pas tous les sept ans ce qu'il pense des grandes options qu'on propose pour la France, de la vision que l'on a pour l'avenir de notre pays.

Cela passe par le quinquennat. Et, bien entendu, pour le faire voter, j'ai proposé, j'ai demandé que l'on fasse cela par référendum. D'abord, parce que c'est la voie normale. La Constitution dit que : " c'est le référendum qui conclut la réforme constitutionnelle, sauf si le Président considère qu'il y a des raisons particulières ". J'estimais que les Français qui élisaient leur Président au suffrage universel devaient, le cas échéant, modifier la durée du mandat par le suffrage universel. Par conséquent, j'ai proposé ce référendum.

Je demande aux Français de comprendre qu'il s'agit là, au-delà même du quinquennat, de la mise en place d'un nouveau système de consultation, de lien, de rapport entre ceux qui dirigent et les citoyens. Il faut que l'on puisse interroger régulièrement les Français et qu'ils répondent simplement et sans dramatiser.

Nous avions eu là une occasion de le faire. C'est une culture à adopter. Je souhaite que tous les Français prennent les dix minutes nécessaires, dimanche, pour aller voter.

E. LUCET - Alors, justement on parle beaucoup du taux d'abstention au record possible. En tout cas, c'est ce que disent les sondages. Est-ce que l'on peut vraiment reprocher aux Français de ne pas se mobiliser pour ce référendum, alors qu'on a le sentiment que tous les partis politiques, ou presque, ont un peu fait le service minimum pour cette campagne ?

LE PRÉSIDENT- Attendez. Moi, je ne reproche rien aux Français. Si les Français, aujourd'hui, ont l'impression de vivre dans une démocratie un peu essoufflée -en témoigne l'abstention croissante et le vote protestataire croissant depuis déjà quelques années-, c'est probablement pas parce que, eux-mêmes ne seraient pas des citoyens ou que les hommes politiques ne seraient pas de qualité, c'est simplement parce que le système est usé. Il faut, aujourd'hui, dans une démocratie de notre temps, avoir la capacité d'interroger davantage les Français, de leur permettre de participer davantage à la prise des décisions qui les concernent. Et le référendum est un de ces moyens. La décentralisation, dont on parlait tout à l'heure, en est un autre, la déconcentration. Tout ce qui rapproche le pouvoir, la décision des Français va dans le bon sens. Et ce que je demande aux Français de dire, dimanche, c'est non seulement qu'ils estiment qu'il est légitime de réduire le septennat à un quinquennat ; mais deuxièmement qu'ils entendent être consultés lorsque quelque chose d'intéressant ou d'important les concerne. C'est cela que je leur demande de dire, qu'ils veulent être consultés.

E. LUCET - Monsieur le Président, a priori, ce référendum, en tout cas le quinquennat, devrait amoindrir les risques de cohabitation, est-ce que c'est une bonne chose pour vous ?

LE PRÉSIDENT- Oui, la cohabitation n'est pas un système idéal. Et par conséquent, le quinquennat qui a pour résultat automatique de réduire ces risques, est une bonne chose en soi, mais ce n'est pas la seule raison, je les ai évoquées tout à l'heure.

E. LUCET - On va surveiller avec beaucoup d'attention les chiffres de l'abstention dimanche soir à 20 heures, quelle leçon allez-vous en tirer si l'abstention est très forte, une leçon personnelle, une leçon politique ou les deux ?

LE PRÉSIDENT- Une leçon politique, essentiellement politique. C'est-à-dire la confirmation qu'il y a quelque chose qui doit être changé et qu'il appartient aux hommes politiques responsables de diminuer cette incompréhension qui s'est développée entre le politique, la décision qui vient d'en haut et les citoyens qui, aujourd'hui, se rendent compte que c'est de plus en plus à leur niveau que se font l'initiative, la responsabilité, la création ; que sont assumés les difficultés, les problèmes. Ce matin, j'étais en Charente dans une réunion et qui avait pour objet de régler les problèmes d'insertion par une association que le faisait très bien, parce qu'elle avait compris que là aussi c'est à partir du territoire, à partir de la base, à partir des citoyens sur des problèmes concrets, connus que l'on pouvait, le mieux, progresser pour améliorer la situation de chacun.

E. LUCET - Cela veut dire que vous envisagez un système un petit peu comme celui que l'on voit en Suisse, celui des votations qui sont des référendums ?

LE PRÉSIDENT- Ne prenons pas d'exemple ailleurs. Il est normal et légitime, et c'était d'ailleurs l'un des grands aspects de la Constitution de la Ve République en 1958, qu'avait voulue le général de Gaulle, que l'on puisse interroger les Français par la voie du référendum. Malheureusement, les circonstances tragiques de la période 58-62 ont conduit les Français à considérer que le référendum était une sorte de plébiscite et cela a en quelque sorte dénaturé le référendum. Il faut aujourd'hui, le recrédibiliser et nous avons une occasion, dimanche, les Français ont une occasion, dimanche, de dire " nous voulons, nous ne voulons pas être des spectateurs, nous voulons être des acteurs et quand il y a quelque chose d'important, nous devons pouvoir nous prononcer ".

E. LUCET - Nous allons passer à un autre sujet. A propos de la Corse, nous avons vu ces dernières semaines, que le processus lancé par le Gouvernement suscitait une forte émotion chez certains politiques de droite comme de gauche, d'ailleurs le ministre de l'Intérieur a même démissionné, est-ce que vous comprenez cette émotion et toutes les interrogations qui se font jour à ce sujet ?

LE PRÉSIDENT- Oui, naturellement, je comprends cette émotion. La Corse connaît des difficultés depuis longtemps et la situation se dégrade à tous égards. Les Corses, dans leur immense majorité, veulent sans aucun doute mieux affirmer leur identité, leur épanouissement dans l'ensemble qui est le leur et qui est un ensemble national, méditerranéen et européen. Donc, j'ai eu l'occasion de le dire -je suis intervenu deux fois sur ce sujet corse- il faut faire des réformes, elles sont nécessaires, elles sont souhaitables, elles sont indispensables. Alors, à partir de là, je n'ai pas l'intention de me prononcer sur ce qui n'est encore aujourd'hui qu'un projet, que des déclarations des uns ou des autres, y compris du Gouvernement. J'attendrai d'avoir un texte, le projet de loi qui est prévu pour dire ce que j'en pense. Mais dès à présent, je peux vous dire qu'il y a des limites qui ne doivent pas et qui ne peuvent pas, selon moi, être franchies. Elles tiennent à l'unité de la République et elles tiennent à la condamnation de la violence.

E. LUCET - Justement, Monsieur le Président, Jean-Guy TALAMONI, l'un des nationalistes qui a participé au processus de dialogue lancé par Matignon, a affirmé ce week-end, qu'il souhaitait une amnistie pour tous les prisonniers politiques corses, sans exception, y compris d'après lui pour les assassins du Préfet ÉRIGNAC, comment réagissez-vous à ses déclarations ?

LE PRÉSIDENT- Je considère qu'il est inimaginable, pour moi, que l'on puisse amnistier des crimes de sang, ici ou ailleurs.

E. LUCET - Venons-en maintenant à la redistribution des fruits de la croissance. Hier, en Conseil des ministres, vous avez souhaité que des choix clairs soient faits pour assurer une croissance durable où, d'après vous, le Gouvernement manque-t-il de clarté ?

LE PRÉSIDENT- Là encore, je le répète, je ne suis pas en train de polémiquer avec quiconque. Je dis simplement que nous sommes dans une période de forte croissance où chacun sait que les recettes rentrent à flot dans les caisses de l'État, et que -je ne connais pas de précédent- malgré cela, le pouvoir d'achat du salaire mensuel n'augmente pas. Il reste stable. Ce qui, d'une certaine façon, est inacceptable pour des hommes, des femmes, des travailleurs qui, pendant plusieurs années, ont dû faire des sacrifices importants à cause de la faible croissance que nous avions, à cause des efforts que nous avons dû accepter pour rentrer dans l'Europe et dans l'euro. Par conséquent, aujourd'hui, ils ne comprennent pas pourquoi ils ne reçoivent pas leur juste part de cette croissance. Alors on sait très bien que c'est dû, notamment au blocage en quelque sorte des salaires provoqués par les lois sur les 35 heures. Je crois que le ministre des Finances, dans une ou deux interventions récentes, a eu raison de dire qu'il faudrait assouplir l'application des 35 heures ce qui prouvait effectivement qu'elles ne sont pas adaptées à la situation d'aujourd'hui. Mais on ne peut pas accepter que dans une situation qui est celle de la France, aujourd'hui, on ne réponde pas à deux objectifs, à deux nécessités.

La première, c'est de faire baisser nos dettes qui sont très excessives, ce qui suppose aussi que l'on fasse baisser naturellement les impôts et donc les dépenses de l'État, parce qu'il n'y a pas de baisse durable des impôts si parallèlement on ne fait pas les réformes nécessaires pour diminuer non pas la qualité ou la quantité des services publics naturellement mais leurs coûts, c'est à dire moderniser les choses.

Deuxième objectif, il faut faire en sorte que ceux qui ont fait les efforts, il y a quelques années, et jusqu'à une époque récente, trouvent aujourd'hui la récompense de ces efforts dans une amélioration de leur pouvoir d'achat, le pouvoir d'achat de leurs salaires. C'est tout à fait essentiel.

E. LUCET - Est-ce que vous êtes inquiet de l'infléchissement possible de la croissance. On en parle beaucoup ces derniers jours ?

LE PRÉSIDENT- L'objectif d'un gouvernement, aujourd'hui, c'est d'assurer une croissance durable. J'observe dans le budget un infléchissement fort par rapport à tout ce qui c'est passé dans les dernières années. On est reparti dans le sens de la dépense. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure voie. Je sais, en revanche, qu'il peut y avoir des inquiétudes sur la croissance, je ne suis pas personnellement inquiet, je vous le dis, je crois que c'est un élément passager. En revanche, on voit bien aujourd'hui qu'il y a des blocages qui sont en train de se faire. Il y a de plus en plus d'entreprises qui ont des problèmes de recrutement, d'approvisionnement, des délais de plus en plus importants, que nous avons en réalité un chômage qui baisse, mais une exclusion qui, elle, ne diminue pas. Les bénéficiaires des minima sociaux restent stables, alors qu'ils devraient diminuer, on a donc un vrai problème aujourd'hui à assumer, nous devons faire les réformes qui s'imposent pour permettre d'éviter ce genre de blocage.

E. LUCET - Justement en parlant de carburant, on a senti une très forte attente de la part des Français sur ce dossier. Des mesures ont été annoncées hier. Comprenez-vous cette montée en puissance de la contestation contre la fiscalité d'ailleurs plus globalement ?

LE PRÉSIDENT- Ce n'est pas seulement en France, vous avez observé, c'est à peu près partout, notamment en Europe. Il faut d'abord comprendre que les Français souhaitent que tout le monde soit traité de la même façon. Pour la grande majorité d'entre eux, la voiture est un instrument de travail tout comme elle l'est pour certaines professions. Quand vous partez à votre bureau le matin, et que vous prenez votre voiture, c'est votre instrument de travail. Par conséquent, il y a là une grande irritation. J'ajoute qu'à partir du moment où, je le disais tout à l'heure, le pouvoir d'achat des salaires n'augmente pas, cette augmentation du prix de l'essence est ressentie comme une ponction supplémentaire sur leur pouvoir d'achat, d'où cette grande irritation. Il est normal que l'essence soit taxée, pour bien des raisons et notamment parce qu'elle comporte des risques de pollution importants. Il n'est pas normal, je l'ai dit depuis longtemps, que l'État profite de l'augmentation par une fiscalité inadaptée du prix du pétrole pour recevoir des recettes supplémentaires. Les mesures qui viennent d'être prises pour réduire cet effet, sont des mesures souhaitables.

E. LUCET - Monsieur le Président une dernière question. D'en haut, comment avez-vous ressenti la libération de Jean-Jacques LE GARREC et de Roland MADURA, nos deux confrères de France 2 ? Je sais que vous avez été très présent lors des négociations pendant ces longs mois.

LE PRÉSIDENT- J'ai, hélas !, été présent dans beaucoup de négociations pour les otages. Quand il y a un otage qui est pris quelque part, j'ai un peu le sentiment que c'est un membre de ma famille, mon fils ou ma fille, et je trouve cela tellement injuste, dramatique que je comprends ces sentiments de désespoir, d'angoisse que ressentent les parents et tout doit naturellement être fait. Mais il n'est pas facile d'agir dans ces cas là et de surcroît, il n'est pas facile de dire les choses exactement, pour une raison simple c'est que certaines peuvent être secrètes et d'autres sont si incertaines que l'on ne peut pas les dire, ce qui crée toujours une difficulté de contact. C'est pourquoi, j'ai essayé de garder le contact avec les familles, au moins sur le plan affectif. J'ai dit plusieurs fois aux uns, aux autres, si vous avez envie de parler, appelez- moi. Si vous avez quelque chose à me dire, dites-le moi. Evidemment, je suis très heureux que Jean-Jacques LE GARREC et Roland MADURA se soient évadés avec un courage et une détermination tout à fait remarquables. Les circonstances s'y sont prêtées, mais ils l'ont fait avec un grand courage. On peut être fier du comportement de nos deux otages. Fiers !

E. LUCET - Monsieur le Président, merci infiniment, d'avoir accepté l'invitation du 19/20.





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