Interview télévisée du Président de la République sur la durée du mandat présidentiel

Interview télévisée accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à M. Patrick POIVRE D'ARVOR et M. Claude SERILLON à propos de la réforme de la durée du mandat présidentiel

Imprimer

Palais de l'Élysée, le lundi 5 juin 2000

C. SÉRILLON - Bonsoir à tous, Monsieur le Président, bonsoir.

LE PRÉSIDENT - Bonsoir,

C. SÉRILLON - Nous sommes en direct de l'Élysée pour parler d'une révision possible de la Constitution. Il y a un peu moins d'un an, nous étions avec Patrick POIVRE d'ARVOR et Élise LUCET dans ce jardin de l'Élysée. Vous aviez dit, à propos du quinquennat, que c'était une erreur. Alors, avez-vous changé d'avis ?

LE PRÉSIDENT - La durée du mandat présidentiel, pour des raisons historiques et très anciennes, puisque sa durée a été fixée en 1873...

C. SÉRILLON - par MAC-MAHON.

LE PRÉSIDENT - C'est cela. La durée du mandat présidentiel est de sept ans. Il est certain que c'est un délai long, et probablement trop long, compte tenu des exigences modernes de la démocratie. Et donc, le problème est de savoir si l'on peut réduire la durée du mandat présidentiel, ce en quoi je n'ai, naturellement, jamais été hostile, car c'est une décision qui s'impose, aujourd'hui, sans mettre en cause nos institutions. Cela, c'est le vrai débat. Sans changer la nature de notre Constitution qui a fait ses preuves et qui est une bonne Constitution. Alors, j'ai beaucoup réfléchi. J'ai écouté les uns et les autres. J'ai surtout observé la position prise par le Gouvernement et j'en ai conclu qu'on pouvait, aujourd'hui, raccourcir le délai du mandat présidentiel, passé de sept ans à cinq ans, sans arrière pensées et sans changer nos institutions...

P. POIVRE D'ARVOR - ...Mais la position du...

LE PRÉSIDENT - ...Et à partir de là, je deviens, naturellement, favorable.

P. POIVRE D'ARVOR - La position du chef du Gouvernement, Lionel JOSPIN, n'a pas changé. Il a toujours été pour. Pourquoi, changez-vous aujourd'hui et estimez-vous que c'est le bon moment ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, la Ve République nous a apporté la stabilité. Elle nous a donné des institutions. C'est le général de GAULLE qui les a arrêtées, fixées avec Michel DEBRE, avec ses collaborateurs de l'époque. Elles ont eu, ces institutions, pour grand mérite de rendre à notre pays la stabilité politique. Naturellement, la plupart des Français sont, aujourd'hui, trop jeunes pour se souvenir de la IVe République et, a fortiori, de la IIIe. Mais, il faut savoir qu'elles étaient marquées, ces Républiques, par une instabilité qui était, je dirais, ridicule. C'est-à-dire que nous changions de Gouvernement tous les ans. C'était au détriment, naturellement, de la dignité et de l'efficacité de la France. Le général de GAULLE nous a apporté des institutions qui nous ont donné la stabilité. Donc, ayant fait leurs preuves, il convient de ne pas les mettre en cause. Il est vrai qu'il y a une espèce de tentation permanente, chez les hommes politiques français, qui consiste à vouloir attacher leur nom à une grande réforme constitutionnelle...

P. POIVRE D'ARVOR - ...En général, ils le disent avant et puis, ils changent...

LE PRÉSIDENT - ...Heureusement, d'ailleurs. Heureusement. Chaque fois qu'ils en parlent, ils n'exécutent pas. Moi, je crois que, aujourd'hui, notre problème, c'est d'avoir des institutions qui assurent la stabilité. En tant que Président de la République, je suis, en quelque sorte, le gardien, le garant de ces institutions et du bon fonctionnement des pouvoirs publics. Donc, je ne veux rien faire, et je n'ai jamais rien voulu faire qui puisse les mettre en cause. Il se trouve, qu'aujourd'hui, il y a une situation, compte tenu de la position prise par le Gouvernement et la mienne, après toutes les consultations auxquelles je me suis livré depuis deux mois, qui permet d'envisager une modification constitutionnelle qui ne porte que sur la durée, et sur rien d'autre, du mandat présidentiel...

C. SÉRILLON - ...C'est ce que l'on appelle un quinquennat sec.

LE PRÉSIDENT - Si vous voulez. C'est-à-dire que l'on passe de sept ans à cinq ans. Ce qui est une durée normale, conforme à ce que l'on trouve un peu partout dans tous les pays démocratiques et qui, à partir du moment où il n'y a pas d'autres mesures d'amendements qui pourraient nous tirer vers un régime d'assemblée ou, au contraire, vers un régime présidentiel, alors, il n'y a plus d'inconvénient...

C. SÉRILLON - ...Pas de limitation à deux mandats...Comme le propose M. GISCARD d'ESTAING...

LE PRÉSIDENT - Je ne vois pas, au nom de quoi, on pourrait dire aux Français, à qui on a confié le soin, par le suffrage universel direct d'élire leur Président de la République, que brider leur choix en leur disant : " vous avez le droit de le réélire une fois, mais pas deux ". Au nom de quel principe démocratique, peut-on obliger les Français à limiter leur capacité de choix.

C. SÉRILLON - Mais, Monsieur le Président, je crois que le Président POMPIDOU avait dit : " quatorze ans, c'est long ",le Président MITTERRAND avait dit : " quatorze ans, c'est long ". Là, si cela fait trois mandats, cela fera quinze ans. Cela fera encore plus long.

LE PRÉSIDENT - ...Trois ou quatre, vingt ans. ...Avec le septennat, si l'on en fait trois, cela fait vingt et un ans.

P. POIVRE D'ARVOR - Donc, vous vous en référez à la sagacité des Français...

LE PRÉSIDENT - Oui. Je crois que les Français, et je vous remercie de m'interroger parce que cela me permet, au-delà même de vos personnes, de leur parler. Je crois que les Français doivent comprendre que dans la démocratie moderne, c'est à eux d'assumer les décisions essentielles. Là, il s'agit d'une décision importante qui ne touche pas, je le répète, à une Constitution qui a fait ses preuves. Rien n'est parfait dans la vie, naturellement, mais enfin, elle a fait ses preuves. Il leur appartient de dire si oui ou non ils préfèrent un mandat qui dure cinq ans seulement.

P. POIVRE D'ARVOR - Cela veut dire que vous voulez leur demander, une fois que les assemblées auront été saisies du projet de loi, de se prononcer par voie référendaire.

LE PRÉSIDENT - Les Français doivent connaître la procédure. Je sais bien que la durée du mandat présidentiel n'est pas un sujet qui, quotidiennement, les harcèle et qu'ils ont d'autres soucis, qu'ils sont plus préoccupés des problèmes liés à la sécurité, à l'emploi, à la formation de leurs enfants, etc. Il n'en reste pas moins que ces problèmes peuvent être bien ou mal traités selon que les institutions donnent à la France le moyen d'être bien gouvernée ou non. Donc, je pense que s'agissant d'un problème important, qui touche au Président de la République, élu au suffrage universel direct, par les Françaises et les Français et donc au lien qui existe entre eux, il me semble qu'il est légitime de demander aux Français de se prononcer. Et de plus, je suis favorable dans le cadre de l'évolution de notre démocratie -nous en reparlerons peut-être ultérieurement-, mais je crois qu'il faut promouvoir les moyens d'une démocratie qui s'adapte à notre temps et qui soit, par conséquent, plus moderne, moins politisée, qui demande davantage aux Français leur sentiment sur les choses et qui, bien entendu, accepte le sentiment des Français comme une sorte d'obligation.

C. SÉRILLON - Est-ce que l'on peut dire que cela sera un choix CHIRAC-JOSPIN commun par le fait d'un projet de loi ?

LE PRÉSIDENT - Sur ce sujet particulier. Ce n'est pas le cas sur tout, naturellement -nous sommes en période de cohabitation- mais sur ce sujet particulier, le Premier ministre et moi-même partageons le même sentiment.

P. POIVRE D'ARVOR - Vous en avez souvent parlé ?

LE PRÉSIDENT - Nous en avons parlé, naturellement, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, c'est même la raison essentielle pour laquelle j'ai accepté cette réforme. Je le répète, j'avais, naturellement, été favorable à la proposition de Monsieur POMPIDOU, il y a...

C. SÉRILLON - P. POIVRE D'ARVOR- Il y a vingt sept ans.

LE PRÉSIDENT - N'est-ce pas, il y a vingt sept ans, en 1973. Parce que j'étais sûr que lui ne voulait pas changer les institutions. Par la suite, j'ai toujours un peu craint les arrière-pensées.

C. SÉRILLON - Vous avez évolué, vous avez changé d'avis ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas changé d'avis, il ne faut pas que l'on puisse dire cela. J'ai suspecté ceux qui voulaient réduire le septennat à cinq ans.

C. SÉRILLON - Y compris chez vos prédécesseurs ?

LE PRÉSIDENT - Y compris chez mes prédécesseurs, d'être tenté par une modification de la Constitution, et notamment, pour un certain nombre d'entre eux, tentés par un régime présidentiel de type américain et qui, à mon avis, ne peut pas convenir à la France, un régime qui serait très dangereux. Et c'est parce que j'ai acquis la conviction aujourd'hui, que nous étions dans un moment privilégié où le Premier ministre et moi-même avions la même vision des choses et étions d'accord pour limiter la modification de nos institutions au raccourcissement de sept ans à cinq ans du mandat présidentiel et rien d'autre. Je me suis dit, alors, l'occasion ne doit pas être manquée. Il faut le faire maintenant.

C. SÉRILLON - Parce qu'on aurait pu penser que vous agissez un peu, vous décidez un peu sous la contrainte, c'est-à-dire sous une sorte de pression médiatique, un engouement subi, comme l'a dit Raymond BARRE. Et puis que la proposition de loi de Valéry GISCARD D'ESTAING vous a un peu piqué au vif ?

LE PRÉSIDENT - Monsieur SÉRILLON, je ne crois pas qu'on puisse dire cela. Cela fait un certain temps que je réfléchis à ce problème. Cela fait un certain temps, vous le savez, que j'ai engagé -depuis deux mois déjà- toute une série de consultations, d'abord, avec les principaux constitutionnalistes, ensuite avec les principaux responsables politiques de tous horizons, naturellement, de toutes appartenances, pour m'assurer qu'il y avait un créneau privilégié où tout le monde pouvait accepter qu'on ne touche pas à notre Constitution et qu'on se contente de l'adapter sur ce point précis, la réduction à cinq ans du mandat présidentiel par ailleurs souhaitable. Et c'est quelque chose qui peut ne pas se représenter. D'où la décision que j'ai prise de profiter de cette occasion. C'est un moment privilégié.

P. POIVRE D'ARVOR - Et puis, peut-être, que vous vouliez attendre les cinq ans qui empêchaient certains de dire : " qu'il se l'applique à lui-même et qu'il démissionne " et qu'immédiatement le quinquennat soit instauré ?

LE PRÉSIDENT - Oui, vous savez ceux qui auraient pu penser ou dire cela, et qui l'ont fait d'ailleurs...

P. POIVRE D'ARVOR - Oui, y compris Valéry GISCARD D'ESTAING.

LE PRÉSIDENT - Oui, cela c'était un peu polémique. Parce qu'en France, il n'y a pas de rétroactivité de la loi. Ayant été élu pour sept ans, personne ne pouvait sérieusement me contester ce mandat que m'avait donné le peuple français.

C. SÉRILLON - Pardon, Monsieur le Président, mais il me semble que vous aviez fait cette remarque à propos de François MITTERRAND ? Vous aviez dit, je crois, chez nos confrères de TF1, que cela serait bien que moralement il se l'appliqua à lui-même.

LE PRÉSIDENT - Comment, je n'ai pas le souvenir de cela, et je n'ai jamais pensé que M. MITTERRAND ferait cette réforme. Et je ne crois pas qu'il voulait, en réalité engager un processus qui aurait conduit à une remise en cause forte des institutions. Et, d'ailleurs, finalement, la commission d'experts, vous vous en souvenez, qui a fait quelques proposition, n'a pas eu de suite. M. MITTERRAND avait d'ailleurs lui, songé à un mandat de six ans.

C. SÉRILLON - Vous n'y avez jamais songé vous ?

LE PRÉSIDENT - Non, Je ne dis pas que ce n'était pas une solution.

C. SÉRILLON - Il y a le septennat non renouvelable aussi.

P. POIVRE D'ARVOR - C'est une deuxième proposition.

LE PRÉSIDENT - Oui, mais le fait de dire aux Français, vous avez le droit et le devoir d'élire votre Président de la République, mais quels que soient les services qu'il a pu rendre, vous n'avez pas le droit de le réélire. Je comprends que ce système s'applique dans certains pays d'Amérique du sud qui ont été obligés de passer des régimes militaires à des régimes démocratiques et qui ont du prendre des précautions. Mais enfin, nous ne sommes pas dans cette situation. Au nom de quoi, je le répète, au nom de quel principe démocratique dire aux Français : " vous avez le droit d'élire votre Président mais pas de le réélire ". C'est une espèce de méfiance à l'égard des Français. Les Français sont souverains. La classe politique doit bien savoir qu'elle n'est que déléguée, les Français sont souverains.

P. POIVRE D'ARVOR - Alors justement, les Français ont envie de savoir, puisque la classe politique va d'abord s'occuper de votre politique. Projet qui va être, je l'imagine, examiné au prochain conseil des ministres, qui va ensuite passer à l'Assemblée, puis au Sénat, et donc après, peut-être consultation des Français. Vous avez choisi de votre point de vue, plutôt cette voie là, plutôt que celle du Congrès. A quel moment cela pourrait se passer, à peu près. Est-ce qu'il faut que cela soit bouclé très rapidement, avant la fin de l'automne ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais faire d'abord une réflexion. Il faut toujours respecter nos institutions. La procédure, quelle est-elle ? La proposition que le Premier ministre m'a faite, et que j'ai acceptée, va maintenant être approuvée par le conseil des ministres, et débattue à l'Assemblée et au Sénat. Il faut que ces deux Assemblées votent un texte unique.

C. SÉRILLON - Pas d'amendements ?

LE PRÉSIDENT - Alors, moi je souhaite qu'il n'y ait pas d'amendements.

P. POIVRE D'ARVOR - Le Premier ministre non plus, à votre connaissance ?

LE PRÉSIDENT - Je le pense. Il faut savoir que s'il devait y avoir des amendements, il y aura probablement des amendements mais qui seront probablement rejetés. S'il devait y avoir un texte qui soit amendé en fin de procédure parlementaire...

P. POIVRE D'ARVOR - Là vous dites non ?

LE PRÉSIDENT - Je serais...

C. SÉRILLON - Là, vous arrêtez tout.

LE PRÉSIDENT - J'arrêterai les choses, oui. Parce que, je le répète, je ne veux pas d'initiatives qui soient susceptibles de changer nos institutions et de mettre en cause ce qu'elles nous ont donné de plus précieux. C'est-à-dire la stabilité.

P. POIVRE D'ARVOR - Mais ce texte existe déjà puisqu'il a été voté dans les mêmes termes par les deux Assemblées en 1973 ?

LE PRÉSIDENT - Lorsque ce texte aura été voté dans les mêmes termes, la procédure prévoit qu'il va directement au référendum, mais que le Président de la République peut interrompre cette procédure et passer au Congrès, c'est-à-dire les deux Assemblées réunies à Versailles, et qui alors doivent voter à la majorité des 3/5. Un certain nombre d'hommes politiques disent, il vaudrait mieux, cela irait plus vite, d'aller directement au Congrès. Je ne veux pas me prononcer aujourd'hui, définitivement. Je ne veux pas préjuger de ma position par égard pour le Parlement, par respect du Parlement. Je dirai ce que je veux et ce que je décide après le débat. Mais je ne veux pas non plus, avoir une sorte de " langue de bois ". Ma préférence va naturellement, au référendum. Je pense qu'il s'agit là d'un problème qui touche au lien entre le Président de la République et les Français. Donc, c'est aux Français de décider. Ils décideront ce qu'ils voudront, ce qu'ils décideront sera bien décidé, mais, c'est à eux de se prononcer.

C. SÉRILLON - Par le passé, les référendums, il y en a eu une douzaine, je crois depuis la deuxième guerre, ont eu des fortunes diverses, y compris de participation, donc, si ce référendum a lieu en septembre ou en octobre, et qu'il était ric-rac, quelles conséquences tireriez-vous ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, il y a en France là encore, une contradiction dans notre démocratie.

C. SÉRILLON - Il y en a beaucoup...

LE PRÉSIDENT - Oui, mais les Français adorent la politique et le droit, peut-être un peu trop, et chacun a conscience du fait que le référendum est une bonne manière de gouverner, quand il s'agit de quelque chose d'important. L'idée d'interroger les Français est une idée tout à fait démocratique et raisonnable, et il faudrait pouvoir le faire le plus souvent possible. Pas sur n'importe quoi, mais dès que cela touche à quelque chose d'important. Il serait légitime que les Français puissent dire : " nous voulons ceci ou nous voulons cela ".

P. POIVRE D'ARVOR - Cela fait longtemps que cela n'a pas eu lieu d'ailleurs ?

LE PRÉSIDENT - J'y ai toujours été pour ma part très favorable. Mais nous avons une habitude qui est de considérer que le référendum s'inscrit dans un contexte politique d'affrontements, et que par conséquent, en réalité, ce n'est pas ce que vont répondre les Français qui est important, mais c'est ce qu'ils peuvent imaginer. Alors, ils sont contre le Gouvernement ou contre le Président, peu importe le résultat ... En déformant ainsi le référendum, les hommes politiques s'en méfient et on ne fait pas de référendum. Et moi, ce que je voudrais c'est qu'on prenne l'habitude de considérer qu'un référendum, sauf dans des cas particuliers, et il peut y en avoir et il y a eu dans le passé des situations où le Président de la République considérant que les intérêts fondamentaux du pays étaient en cause, a mis en cause sa propre responsabilité en interrogeant les Français...

P. POIVRE D'ARVOR - Le général de GAULLE en 69, par exemple ?

LE PRÉSIDENT - ...que je ne conteste pas, qui peut parfaitement s'expliquer et qui est rarissime. Mais il ne faut pas faire de tous les référendums, ni des plébiscites, ni des actes politiques qui n'ont rien à voir avec la question qui est lancée.

P. POIVRE D'ARVOR - Si les Français vous disent non, vous ne prendrez pas ça pour vous-même ?

LE PRÉSIDENT - Ni, pour le Gouvernement, ni pour personne. Soyons simples, nous sommes dans une démocratie qui doit être moderne et qui ne doit pas assumer tout le passé. Nous posons une question aux Français, qu'ils y répondent. Ils répondent oui, c'est très bien, ils répondent non, c'est très bien. En partant du principe que le peuple est souverain.

P. POIVRE D'ARVOR - Alors, même s'ils ne vont pas aux urnes et s'ils vous donnent l'impression de se désintéresser...

LE PRÉSIDENT - Mais regarder la démocratie suisse, qui est une démocratie qui marche bien...

C. SÉRILLON - avec les votations.

LE PRÉSIDENT - Ils appellent ça des votations, ce sont des référendums. Certains référendums ont un taux de participation très important, très souvent ils en ont un très faible. Mais c'est une méthode très démocratique de Gouvernement qui est appliquée normalement. Prenons cette habitude.

C. SÉRILLON - Alors, Monsieur le Président, vous évoquez la modernisation de notre société, donc est-ce que vous envisagez d'autres modifications, je pense à la durée des mandats. Est-ce que tous les mandats, y compris ceux des sénateurs doivent être ramenés à cinq ans ? Est-ce que vous envisagez la suppression du droit de dissolution ? Est-ce qu'il y a d'autres modifications dans la Constitution et dans l'organisation politique que vous proposez ?

P. POIVRE D'ARVOR - il y a des gens qui proposent même qu'on supprime le poste de Premier ministre ?

LE PRÉSIDENT - Oui, oui...

P. POIVRE D'ARVOR - Et qu'on rentre dans la VIe République.

LE PRÉSIDENT - Voilà, je vous ai dit, Monsieur SÉRILLON que si je n'avais pas voulu pendant longtemps qu'on touche au septennat, au mandat de sept ans, ce n'était pas parce que je ne voulais pas qu'on raccourcisse le mandat. Ça j'y ai toujours été favorable. Depuis 1973 et je l'ai dit très clairement à l'époque. Mais parce que je ne voulais pas qu'on change la Constitution, et donc je le répète, je suis hostile à toutes mesures, par exemple celles que vous avez évoquées concernant le droit de dissolution, l'existence d'un Premier ministre ou à la suppression de l'article 49-3 qui pourraient nous conduire, soit à un régime d'Assemblée, nous avons connu ça sous la IIIe République et la IVe avec tous les dégâts que cela a faits, je pense à l'instabilité, soit à un régime de type présidentiel, genre américain qui à mes yeux conduirait automatiquement au blocage de nos institutions et probablement...

C. SÉRILLON - Pour les mandats ?

LE PRÉSIDENT - C'est un autre problème.

C. SÉRILLON - Vous êtes favorable à la réduction de tous les mandats ?

LE PRÉSIDENT - Écoutez, une chose à la fois. Pour le moment on parle de la réduction qui me paraît conforme aux exigences de la démocratie moderne, du mandat du Président de la République. Pour le reste, nous verrons. Nous ferons des débats là aussi. Mais essayons de les dédramatiser, de les dépolitiser et interrogeons les Français chaque fois que la chose est possible.

P. POIVRE D'ARVOR - Alors normalement on devrait aboutir à une coïncidence des différents mandats ? En tous cas des deux mandats principaux, celui du Président de la République, celui des députés. Est-ce que cela vous paraît une bonne chose qu'au fond il y ait moins de chance ou moins de risque de cohabitation ?

LE PRÉSIDENT - Oui, la cohabitation n'est pas un système normal, ni même probablement souhaitable pour la gestion des affaires publiques, encore que...

C. SÉRILLON - Mais après trois ans, vous et le Premier ministre êtes plutôt en haut des sondages.

LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas qu'on puisse se référer à des sondages.

C. SÉRILLON - Oui, mais c'est une indication quand même.

LE PRÉSIDENT - Oui, oui...

P. POIVRE D'ARVOR - Les Français ont l'air de bien aimer ça.

LE PRÉSIDENT - C'est mon expérience, qui m'a toujours rendu un peu sceptique à l'égard des sondages, surtout ceux qui sont faits très longtemps avant les échéances politiques. Je crois que ce que l'on peut dire c'est que les Français ne rejettent pas la cohabitation. Ce n'est pas le meilleur des systèmes. Mais à partir du moment où les Français l'ont voulu. C'est bien ce qui s'est passé. Il y a eu dissolution. J'ai pris la décision d'interroger les Français parce que j'avais le sentiment qu'il y avait un problème et qu'il y avait une espèce de déconnexion entre les Français et les pouvoirs publics. J'ai donc décidé de les interroger et ils ont répondu. Ils ont répondu en quelque sorte non. Et par conséquent, ils ont voulu la cohabitation. Donc, elle doit être assumée. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai voulu une cohabitation qui soit constructive, c'est à dire une cohabitation qui ne soit pas conflictuelle.

C. SÉRILLON - Là c'est le cas, d'ailleurs. C'est le cas ce soir.

LE PRÉSIDENT - Oui.

C. SÉRILLON - Les deux mandats de cinq ans dont parlait Patrick, ça veut dire qu'il y aura moins de risque ou moins de chance, en clair. Et vous pensez que l'élection se fera le même jour ? Il y aurait une coïncidence de date aussi ?

LE PRÉSIDENT - Non je ne crois pas. Il y a des dates qui sont prévues et le débat d'aujourd'hui ne porte pas sur le calendrier. Le débat d'aujourd'hui porte sur la durée du mandat. Ne mélangeons pas tout. En revanche, il est vrai que le quinquennat, comme on dit, c'est à dire le mandat de cinq ans, tend à limiter les risques de cohabitation. A les limiter mais pas à empêcher la cohabitation. A limiter les chances ou les risques de cohabitation. Et de mon point de vue cela n'est pas mauvais.

P. POIVRE D'ARVOR - Les Américains, par exemple, votent le même jour et pour le Président et pour leurs parlementaires ?

LE PRÉSIDENT - Les Américains sont les Américains, nous, nous sommes les Français. Avec notre culture, ancienne, beaucoup plus ancienne que la leur, nos habitudes politiques. Et ma foi, je ne vois pas, aujourd'hui, de raisons, je le répète, de modifier nos habitudes et nos institutions.

P. POIVRE D'ARVOR - Donc, on va se retrouver, en 2002, dans une situation un peu particulière où en mars, il va y avoir des élections législatives, et ensuite présidentielles, ça ne vous paraît pas utile de les regrouper ?

LE PRÉSIDENT - C'est comme ça...

P. POIVRE D'ARVOR - ...ou de les changer ?

LE PRÉSIDENT - On peut ouvrir ce débat si on veut l'ouvrir. On peut ouvrir tous les débats que l'on veut et on trouvera des arguments pour, des arguments contre. Ce que je ne veux pas c'est que l'on prenne des décisions hâtives. Je me suis toujours efforcé sur ce sujet, de prendre le temps de la réflexion et de ne pas céder aux pulsions politiques ou politiciennes.

C. SÉRILLON - Et sur ce problème là votre réflexion est engagée ?

LE PRÉSIDENT - Eh bien si la réflexion veut se développer, elle se développera. Je dis simplement que ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui, il n'est pas d'actualité. Je voudrais dire aussi, qu'il faut faire attention quand on change les dates, parce que l'on est rapidement suspecté de manipulations.

P. POIVRE D'ARVOR - ...de truquages ?

LE PRÉSIDENT - Parfois, ce n'est pas faux. Enfin, cela peut arriver.

P. POIVRE D'ARVOR - Est-ce qu'il y a eu un facteur personnel ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais dire un mot de plus, vous disiez, Monsieur SÉRILLON, tout à l'heure : est-ce qu'il y a d'autres choses qui doivent changer ? Alors vous aviez évoqué les mandats ou les institutions. Sur les institutions, je vous ai dit non. Sur les mandats, je vous ai dit c'est un débat qui n'est pas celui d'aujourd'hui mais qui peut être engagé. Je souhaite que ce soit le plus possible, les Français qui décident. Mais il y a d'autres choses qui peuvent changer. Nous sommes dans un État démocratique, c'est indiscutable. Mais je crois que nous devrions progresser plus rapidement, vers une démocratie des citoyens. Notre pays n'est pas assez démocratique ou plus exactement, ses méthodes démocratiques ne sont pas assez adaptées aux problèmes d'aujourd'hui.

C. SÉRILLON - Cela veut dire quoi concrètement ?

LE PRÉSIDENT - Concrètement. J'ai donné un exemple avec le référendum, en disant que l'on serait bien inspiré...

C. SÉRILLON - Il faudrait élargir le champ du référendum ?

LE PRÉSIDENT - A mon initiative, il y a déjà eu, vous le savez, une réforme de la Constitution pour élargir le champ du référendum. Malheureusement je dois dire qu'il y a eu, de la part du Parlement, des réserves qui font que l'on n'a pas été aussi loin que je l'aurais espéré. Mais, peu importe. Il y a d'autres sujets qui sont plus importants. C'est d'abord la démocratie locale. Vous savez, maintenant, avec internet, avec les techniques modernes de communication, les choses sont différentes de ce qu'elles étaient, il y a dix, quinze ans ou vingt ans. On ne peut plus imaginer sérieusement que tout puisse être dirigé du sommet de l'État, et ensuite, appliqué de façon uniforme, à l'ensemble du pays.

P. POIVRE D'ARVOR - Donc, il faudrait encore plus de décentralisation ?

LE PRÉSIDENT - Donc, il faut plus de démocratie locale. Ce qui veut dire, oui, plus de décentralisation, le droit à l'expérimentation dont on voit bien que dans plusieurs régions il pourrait utilement être mis en oeuvre, et plus généralement, tout ce qui pourrait permettre aux énergies individuelles, locales, de s'exprimer, certes, à l'intérieur d'un cadre général. Celui garanti par l'État, cela va de soi, qui garantit les grands équilibres, qui garantit la cohésion sociale, la cohésion nationale. Mais une beaucoup plus grande liberté locale.

C. SÉRILLON - Est-ce que cela veut dire aussi la proportionnelle que vous élargiriez un peu partout ?

LE PRÉSIDENT - Peu importe. Ce sont toutes les méthodes, je ne vais pas ce soir les développer ici, j'ai d'ailleurs eu l'occasion de le faire depuis deux ans où j'ai beaucoup réfléchi à ces questions, et où je me suis exprimé notamment à Rennes, il y a un an. Ce sont toutes les méthodes qui permettent la libération des énergies locales et individuelles et qui supposent une plus grande liberté d'action donnée aux responsables, aux acteurs et aux citoyens sur le plan local.

C. SÉRILLON - Et vous avez le sentiment, par exemple, que les Assemblées régionales ou départementales ne sont pas assez réceptives, justement, à ces énergies ?

LE PRÉSIDENT - Elles n'ont pas assez de pouvoirs. Elles n'ont pas assez de capacités d'aider ou d'encourager ces énergies et leur libération de ces énergies.

C. SÉRILLON - Il faut accroître ce qu'avait fait M. DEFFERRE ?

LE PRÉSIDENT - Oui, il faut accroître, oui, sans aucun doute. M. DEFFERRE a fait une grande réforme que personne, aujourd'hui, ne conteste, et qui a été le premier pas vers une décentralisation qui a été importante et poursuivie, d'ailleurs, au fil du temps par tous les gouvernements, à la suite. Il faut, maintenant, aller plus loin dans la démocratie locale. Il y a un deuxième élément qui est celui de la démocratie sociale. Nous voyons bien, là encore, notamment quand on regarde ce qui se passe chez nos principaux voisins, ceux qui sont les plus proches de nous, sur le plan de la société, les Allemands, les Italiens, les Hollandais••• Nous voyons que les progrès sociaux, les réformes sociales sont faites pour l'essentiel par un accord entre les différentes organisations représentatives du patronat et des syndicats. Et l'on pourrait y ajouter, d'ailleurs, le mouvement associatif qui a un rôle croissant dans l'évolution de la société d'aujourd'hui. Il y a là un effort important à faire pour avoir une plus grande démocratie sociale. Là encore, on ne peut pas faire en sorte que ce soient les bureaux parisiens qui décident de tout. C'était très bien, il y a vingt ans.

C. SÉRILLON - Oui, Monsieur le Président , vous avez des pistes à nous indiquer. Est-ce que vous pensez qu'il faut que les ministères délocalisent des budgets ?

LE PRÉSIDENT - Il faut d'abord que les organisations patronales et syndicales qui ont commencé à s'orienter sur ce chemin, qui est celui de la modernité et aussi de l'intérêt, à la fois des travailleurs et des entreprises··· Mais il faut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. Il leur appartient, ensemble, de régler toutes sortes de problèmes. Je prends un exemple : on nous parle, à juste titre, de la situation défavorisée des femmes qui travaillent dans les entreprises et qui, à travail égal ne touchent pas le même salaire...

C. SÉRILLON - une vraie différence

LE PRÉSIDENT - ...tout le monde le sait. Voilà un champ d'application considérable pour des accords. On ne réglera pas cela par la loi.

C. SÉRILLON - Je crois entendre le Jacques CHIRAC de 1995, la fracture sociale ?

LE PRÉSIDENT - Oui, naturellement.

P. POIVRE D'ARVOR - Vous voulez dire que vous êtes rentré en campagne ?

LE PRÉSIDENT - Vous avez de la même façon, la nécessité aujourd'hui d'avoir une éducation tout au long de la vie, une formation tout au long de la vie, cela aussi ne se fera pas sans que ce soient les organisations syndicales, patronales qui le mettent au point. Bref, démocratie locale et démocratie sociale. Mais, je voudrais ajouter une dernière phrase sur un autre problème. Nous avons une exigence démocratique et cette exigence démocratique aujourd'hui ne pourra pas avoir toute sa valeur sans une exigence éthique. Pendant longtemps, les progrès notamment scientifiques, techniques ont été longs, et donc, on avait le temps de s'habituer, de dire si cela est bien, si cela n'est pas bien. Aujourd'hui, cela va terriblement vite, on a les OGM. On a le clonage, plus cela va, plus cela va vite et par conséquent, nous sommes entrés dans un siècle où il doit y avoir une règle morale, pas seulement pour éviter les dérives qu'on peut connaître ici ou là, mais pour savoir ce que l'on peut faire ou ne pas faire compte tenu de l'accélération considérable des progrès de la science et des technologies. Cela c'est capital.

P. POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Président, j'ai une dernière question à vous poser, qui va nous ramener au sujet de ce soir. Quand vous vous êtes dit : " bon finalement je choisis le quinquennat, est-ce que vous vous êtes dit...

LE PRÉSIDENT - Non, je ne me suis pas dit finalement je choisis le quinquennat.

P. POIVRE D'ARVOR - Mais si, pendant longtemps vous avez varié...

LE PRÉSIDENT - Monsieur POIVRE D'ARVOR, ne me caricaturez pas.

P. POIVRE D'ARVOR - Finalement je propose...

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas dit, finalement je propose le quinquennat. J'ai dit le quinquennat qui est, en soi, une bonne réforme prise seule, se trouve aujourd'hui...

P. POIVRE D'ARVOR - ...dans un bon moment de la vie...

LE PRÉSIDENT - ...dans un moment ou il peut être fait sans risque. Moi, mon problème et ma fonction m'obligent à éviter toute aventure institutionnelle.

P. POIVRE D'ARVOR - C'est-à-dire que vous vous êtes dit personnellement : " dans deux ans, je vais avoir soixante-neuf ans, ce sera plus facile de proposer aux gens de se faire réélire pour cinq ans ". Donc, cela a fait partie de votre cadre de réflexion pour cinq ans plutôt que pour sept ans ?

LE PRÉSIDENT - Je vais vous dire, j'ai lu cela, ici ou là.

C. SÉRILLON - Cela vous a fait sourire ?

LE PRÉSIDENT - Je me suis dit vraiment, ces réflexions sont curieuses, parce que j'ai tout de même une certaine expérience. Si tel avait été le cas, je m'en serais aperçu depuis longtemps. Mon âge n'est pas variable. Ma date de naissance, hélas, est ce qu'elle est. Elle ne change pas. Donc je trouve que cette réflexion, -que je répète j'ai lue- je peux la comprendre, mais elle ne m'a pas effleuré l'esprit. Pour une raison simple, si cela avait du être le cas, il y a longtemps que cela se serait fait et par conséquent j'aurais engagé le processus depuis longtemps. Là, je le répète, je pense qu'il y a une bonne occasion de faire une réforme moderne, utile, sans risque et rapide.

P. POIVRE D'ARVOR - Et donc en principe, avant la fin septembre, c'est possible ?

LE PRÉSIDENT - Je le souhaite. Je sais que c'est également le souhait du Premier ministre, et nous sommes tous les deux favorables à quelque chose qui soit rapide.

P. POIVRE D'ARVOR - Et cela vous donne davantage envie de vous représenter ? Vous pouvez nous le dire maintenant ? Peut-être que c'est la dernière question. C'est oui ou c'est non ?

LE PRÉSIDENT - Monsieur POIVRE D'ARVOR, je vais vous dire quelque chose, puisque vous le voulez absolument. Il y a dans la vie et notamment dans la vie politique, un temps pour tout. Il y a le temps de l'élection qui viendra sans aucun doute, cela c'est sûr, et il y a le temps de l'action. L'action naturellement pour un élu au service des Français. Dans l'état actuel des choses, je suis dans le temps de l'action et non pas dans le temps de l'élection.

Merci, Monsieur le Président.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-11-29 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité