Entretien accordé au magazine "Choix" du PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement)

Entretien accordé au magazine "Choix" du PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement)

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Palais de l'Élysée, le jeudi 22 juin 2000

Monsieur le Président, merci d'avoir bien voulu nous faire l'honneur de cette entrevue.

LE PRÉSIDENT - Je vous remercie. Je suis heureux de cette occasion d'évoquer avec vous un sujet qui me tient particulièrement à coeur : celui du développement durable, auquel se consacre le PNUD. Et je tiens à vous dire d'emblée que la France est fière d'avoir été choisie pour la présentation officielle du Rapport pour l'an 2000, consacré aux droits de l'homme et à leurs liens avec le développement.

QUESTION - A votre avis, quels seront les défis majeurs du XXIème siècle ?

LE PRÉSIDENT - Paix, développement, éradication de la pauvreté, protection de notre environnement, maîtrise des grandes pandémies, du progrès scientifique et technologique, de la mondialisation : voilà les défis immenses que le monde doit relever. Il doit le faire solidairement, tant ils dépassent le cadre national, et même régional. Pour réussir, nous devons élaborer une éthique planétaire, capable d'inspirer notre action, de lui donner son sens le plus élevé. Elle fera prévaloir l'esprit de solidarité et l'esprit de responsabilité. Elle donnera leur fondement aux nouvelles disciplines collectives qui s'imposeront. Elle sera l'idéal et l'armature morale de cette gouvernance mondiale que nous devons mettre au point.

QUESTION - Il y a quelques années, vous aviez dénoncé la fracture sociale en France. Aujourd'hui, à l'heure où l'ouverture des frontières contribue à créer une communauté de destin entre les peuples, la fracture sociale planétaire ne cesse de s'élargir malgré une progression continue de la richesse par habitant.N'est-il pas paradoxal que le total de l'aide publique au développement apportée par les pays de l'OCDE ait chuté ces dernières années en volume aussi bien qu'en proportion du PIB ?

LE PRÉSIDENT - C'est vrai et c'est injuste ! Globalement, le monde n'a jamais été plus riche, et pourtant la faim et la pauvreté sont loin d'être éradiquées. Nous pouvons changer cela, mais il y faut une volonté politique et un esprit de solidarité qui ont trop souvent fait défaut. Certains pays développés ont cru que la croissance économique et le commerce suffiraient à résoudre les problèmes du sous-développement ou de la grande pauvreté. "Trade, not aid" : c'est ce qu'on répétait ici et là, alors que l'exclusion continuait à s'étendre. Résultat : des dizaines de pays sont tout simplement marginalisés, sans recours : l'aide se dérobe, les plus démunis voient se creuser l'écart et n'ont pas les moyens de rattraper leur retard. Pour la France, c'est un constat d'évidence : pour sortir de l'exclusion, les plus défavorisés doivent être aidés à surmonter leur handicap de départ. C'est le rôle de l'aide publique au développement, qui demeure indispensable, pour tous les pays encore privés d'accès aux financements internationaux. C'est la raison pour laquelle je ne cesse d'oeuvrer pour la reprise des flux d'aide publique au développement, particulièrement aujourd'hui, à l'heure où tant de pays du Nord ont renoué avec la croissance. Je voudrais ici insister sur le lien entre cette question et les droits de l'homme. La grande pauvreté, la misère et la faim sont autant d'entraves au respect des libertés fondamentales, car elles affectent la dignité de chaque être humain et son aptitude à se réaliser. La France, qui agit pour le respect universel des droits de l'homme, plaide aussi pour que les pays les plus démunis reçoivent l'assistance nécessaire au démarrage économique sans lequel les droits restent virtuels. La communauté internationale attache de plus en plus d'importance, et je m'en réjouis, au respect de nos valeurs universelles. Mais elle ne doit pas se borner à dénoncer, à condamner. Elle doit aller au bout de sa logique et aider les pays pauvres à réunir les conditions minimales du plein exercice de ces droits.

QUESTION - Le courant d'opinion en faveur de l'annulation de la dette des pays pauvres va croissant. Quelle est la position de la France à ce sujet ?

LE PRÉSIDENT - Un endettement trop lourd est un obstacle insurmontable au développement. Et pour beaucoup de pays, cet endettement résulte au moins autant des circonstances extérieures que d'une gestion insuffisante. Les effets économiques et sociaux du surendettement doivent être compensés. C'est pourquoi depuis le début de la crise de la dette, dans les années quatre-vingt, la France défend une politique généreuse et propose à ses partenaires des mesures d'annulation massive au profit des pays les plus pauvres, en contrepartie de programmes de rétablissement économique et d'un meilleur respect des principes de la bonne gouvernance. Aujourd'hui, nous devons d'urgence mettre en oeuvre le nouveau régime proposé par le G8 à Cologne, amélioration de celui que nous avions conçu à Lyon en 1996. Il a été accepté par les assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale. Il faut maintenant que les discussions s'accélèrent, que l'on débouche sur des décisions effectives, pays par pays. Cette priorité doit encore être réaffirmée à Okinawa lors du prochain sommet du G8. J'ai rappelé pour ma part que la France était prête à aller plus loin encore et à annuler la totalité de ses créances publiques à l'égard des pays pauvres très endettés, dans le cadre d'un accord global. L'enjeu est de taille. Si les pays les plus pauvres et les plus endettés constatent qu'un bon projet économique s'accompagne d'un véritable soulagement financier, ils sauront opérer les réformes nécessaires pour rompre le cercle vicieux du non développement.

QUESTION - La France a eu souvent recours à l'ONU pour faire progresser le droit international et la résolution des conflits. Le gros des ressources du système des Nations Unies sert le développement économique et social. Face à la nécessité d'assurer un cadre mondial favorisant la croissance économique, la stabilité des marchés financiers, la protection et la régénération des ressources naturelles, la santé publique, la lutte contre la criminalité et les drogues, quelle importance faut-il accorder à l'ONU et à ses agences par rapport aux autres grandes institutions internationales et aux politiques bilatérales ?

LE PRÉSIDENT - Je souhaite que la place de l'ONU, et des institutions qui la composent, s'affirme plus encore à l'avenir, au rythme du développement des échanges internationaux. L'Assemblée des Nations Unies est, par son caractère universel et sa compétence générale, un peu comme un Parlement des Etats, la pièce maîtresse de cette société mondiale en voie de formation. Et c'est au Conseil de sécurité que la communauté des Nations a confié la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale. La question qui se pose aujourd'hui est non seulement celle du rapport entre l'ONU et les autres institutions internationales, mais aussi, surtout, celle de l'aptitude de l'ONU à se moderniser pour s'adapter aux transformations du monde. De ce point de vue, j'attache une importance particulière au thème de la cohérence. Pour que les institutions spécialisées développent entre elles et avec les autres organisations internationales des relations qui évitent les doubles emplois et assurent l'unité d'action de l'ensemble multilatéral. Pour que se mettent en place des mécanismes régulateurs qui assureront l'harmonisation des différentes branches du droit international, actuellement juxtaposées. Pour qu'en matière de coopération et d'aide au développement, le meilleur parti soit tiré de ressources forcément limitées. Oui, l'ONU est l'une des plus belles réalisations XXème siècle. L'idéal qui conduisit à sa création trouve de nouvelles raisons d'être avec la mondialisation. Il est de notre devoir, et du devoir de tous ceux qui servent le système des Nations Unies, de ne jamais le laisser se figer ; de lutter contre la force de l'habitude ; de refuser le confort du dogmatisme et de la langue de bois ; de démontrer en permanence l'aptitude de l'ONU à se saisir des vrais problèmes du monde et à y répondre au bénéfice de tous.

QUESTION - Récemment, l'Administrateur du PNUD, M. Mark Malloch Brown, a souligné en diverses occasions la nécessité d'un investissement massif de la communauté internationale en faveur de l'Afrique. Pourtant, en raison de la baisse des contributions aux ressources de base du PNUD, l'aide qu'il apporte à ce continent a chuté de moitié en cinq ans. Comment dans ces conditions renforcer le dispositif onusien d'aide au développement ?

LE PRÉSIDENT - Depuis des années, je me suis engagé pour que l'on n'oublie pas l'Afrique. Beaucoup de pays africains consentent des efforts d'ajustement considérables et commencent à en tirer les bénéfices. Nous devons les soutenir. Je me réjouis de la mobilisation de l'opinion publique internationale au profit de l'Afrique, de plus en plus forte. Je souhaite que les gouvernements des pays développés en tirent les conséquences, en se montrant plus généreux à son égard. Le PNUD a engagé, face à la réduction de ses ressources, une réforme profonde de ses méthodes. Il en est sorti transformé, plus efficace. Le moment est venu pour lui de retrouver un niveau de financement plus élevé, notamment pour pouvoir respecter cette priorité africaine que vous évoquez justement. Lorsque l'Administrateur est venu à Paris, en décembre dernier, tous ses interlocuteurs lui ont confirmé la détermination de la France à lui apporter plus de ressources et à appuyer ses efforts.

QUESTION - De plus en plus, les pays en développement demandent au PNUD de les aider à redéfinir leur architecture institutionnelle, leurs cadres législatifs, les pratiques administratives et les grandes politiques sectorielles afin de favoriser une dynamique de développement dans le nouveau contexte international. Quelle importance accordez-vous à ces réformes parmi l'ensemble des actions nécessaires ?

LE PRÉSIDENT - Le développement passe par le respect du droit, par la qualité de la justice, par la sécurité juridique des investissements, par la stabilité et l'effectivité du cadre légal. Pour que les sociétés se mobilisent au service d'une stratégie nationale de développement, il faut qu'elles se sentent en confiance, que chacun puisse profiter du juste fruit de ses efforts. Dans trop de pays encore, la loi, protection des faibles et des plus vulnérables et socle de la sécurité des échanges économiques, est mal respectée, voire inexistante. Il est donc légitime que le PNUD consacre une part croissante de ses ressources à aider les pays qui le souhaitent à consolider leurs institutions.

QUESTION - La pandémie du VIH/SIDA se répand en de nombreux pays d'Afrique et d'Asie, et est en passe d'annuler les dividendes du développement. Que pourrait envisager la communauté internationale pour freiner cette progression ?

LE PRÉSIDENT - C'est une vraie tragédie, qui frappe spécialement l'Afrique et l'Asie. Depuis plusieurs années, la communauté internationale se mobilise. La stratégie initiale s'est concentrée sur les actions de prévention. Force est de constater que ces efforts sont restés insuffisants : le mal frappe, toujours plus durement. C'est pourquoi je me bats depuis trois ans pour que les nouvelles thérapies soient rendues accessibles aux pays pauvres, en attendant la mise au point et la diffusion d'un vaccin. Pour que cesse le scandale d'un mal dont les victimes les plus nombreuses sont au Sud et les médicaments au Nord. La France a fait deux propositions concrètes. La première, c'est la création d'un Fonds de solidarité, pour mobiliser les financements nécessaires. La seconde, c'est l'organisation d'une conférence tripartite réunissant les bailleurs de fonds, bilatéraux et multilatéraux, les industries pharmaceutiques et les pays du Sud, pour examiner ensemble les conditions de mise à disposition des traitements en faveur des pays pauvres. Il est urgent d'agir, car chaque année qui passe se traduit par des centaines de milliers de décès et de contaminations. A Okinawa, lors du sommet du G8, puis à New York, pour l'Assemblée du Millénaire, je renouvellerai mes propositions sur ces sujets.

QUESTION - Au cours des dernières années, l'aide d'urgence n'a cessé de croître aux dépens des investissements en matière de développement. Est-ce à dire qu'il vaut mieux guérir que prévenir ?

LE PRÉSIDENT - La croissance de l'aide d'urgence est une tendance positive. Elle permet de soulager plus de souffrances, d'intervenir plus vite et plus souvent chaque fois qu'une catastrophe humanitaire se produit. Les récentes famines dans certains pays africains, les catastrophes naturelles en Amérique Latine ou encore en Asie, ont montré que cette forme d'aide reste nécessaire, et même indispensable, quoiqu'il arrive. Nous savons aussi que nous devons faire des progrès pour mieux la mobiliser et mieux la distribuer. Chaque catastrophe nous enseigne dans la peine les limites de nos systèmes d'urgence. Je ne crois pas qu'il faille mettre en parallèle l'évolution de ce type d'aide par rapport à celle destinée aux investissements. Chacune a sa vocation et les deux doivent croître. En théorie, on peut défendre la thèse selon laquelle les catastrophes naturelles seraient moins coûteuses si les pays qu'elles frappent étaient mieux équipés pour prévenir leurs effets et pour y résister. Mais chaque tragédie illustre la limite de cette approche. Quand les hommes souffrent et meurent, il est inutile de disserter sur les causes. Il faut agir, vite et efficacement. Puis prendre les mesures de long terme nécessaires pour que les drames ne se répètent pas.

QUESTION - Il revient à la France de présider l'Union européenne durant le second semestre de l'an 2000. Quelles seront vos priorités, et quelle impulsion est-il possible de donner, à partir de l'Europe, à la coopération internationale pour le développement ?

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord souligner le récent renouvellement des Accords de Lomé, qui n'était pas acquis. C'était pour la France, qui donnera à elle seule 25% des ressources des nouveaux Accords, une priorité et je me réjouis que nous ayons pu mener à bien cette négociation, qui illustre l'engagement de l'Europe à l'égard du monde en développement. Les six mois de présidence française seront marqués en particulier par le sommet du G8 d'Okinawa et l'Assemblée du Millénaire. A Okinawa, la France aura pour objectif de rappeler les pays les plus riches à leur devoir de solidarité. J'insisterai sur la lutte contre une forme moderne de l'exclusion, le fossé numérique. A New-York, nous devrons ensemble réaffirmer les valeurs de solidarité qui permettront de mieux maîtriser et humaniser la mondialisation, de la mettre au service de tous.

QUESTION - Cette année, l'Assemblée générale de l'ONU se réunit en session extraordinaire pour faire le point sur le chemin parcouru depuis le sommet social de Copenhague. Les grandes conférences internationales thématiques sous l'égide de l'ONU et les plans d'action qui en découlent ont-ils une véritable utilité ?

LE PRÉSIDENT - A Genève, en juin prochain, les Nations Unies feront le point sur les engagements de Copenhague. A l'heure d'une contestation des effets de la mondialisation par une proportion importante de nos concitoyens, ce rendez-vous me paraît particulièrement bienvenu. L'effet mécanique de l'accélération des échanges mondiaux, porteur d'instabilité autant que de progrès, doit être équilibré par notre action déterminée pour l'établissement de filets de sécurité et pour un meilleur partage des fruits de la croissance. De façon plus générale, les grandes conférences doivent prévoir les modalités d'un suivi efficace de leurs décisions. Certains thèmes appellent des rendez-vous rapprochés ; d'autres se satisfont de calendriers plus espacés. Le pragmatisme doit prévaloir. Dans tous les cas, il ne faut pas laisser les Etats tirer argument de la prétendue inutilité des grands rendez-vous de suivi pour s'exonérer de leurs propres engagements.

QUESTION - Dans quel sens l'ONU et les diverses agences qui y sont rattachées devront-elles évoluer dans la première moitié du XXIème siècle ?

LE PRÉSIDENT - A l'avenir, l'ONU et ses agences devraient se renforcer, pour rester des instruments de référence au moment où s'élaborent les règles de la mondialisation. Le système des Nations Unies est en effet le lieu de la légitimité internationale. A lui de donner l'impulsion à l'effort normatif international et aux actions de coopération. Pour réussir dans cette mission, l'ONU et ses agences devront poursuivre, je vous le disais tout à l'heure, leurs efforts d'adaptation et de mise en cohérence, en contrepartie desquels les Etats membres devront les assurer d'un financement suffisant, équitable et régulier. Mais surtout, l'ONU doit reprendre sa réflexion sur les fins et s'engager dans le combat pour l'éthique. J'en suis persuadé : le XXIème siècle sera le siècle de l'éthique et il appartient à l'ONU de se saisir de ce thème, pour que la légitimité que lui confèrent les traités soit encore renforcée par son aptitude à répondre aux besoins de notre temps.





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