Préface du Président de la République à l'occasion de la présentation de la Salle des Sessions du Louvre

Préface de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, parue dans le catalogue de présentation de la Salle des Sessions du Louvre

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Avril 2000

" ...nous venons de toutes rives de la terre. Notre race est antique, notre face est sans nom. Et le temps en sait long sur tous les hommes que nous fûmes. " Saint-John Perse - Chronique - 1960

Voilà bien un siècle que les grands musées sont devenus les " amers remarquables " de notre géographie culturelle ; lieux de confrontation des métamorphoses, miroirs d'une humanité en quête de langage, terreau où fleurissent les tropismes les plus universels comme les plus singuliers. Facteurs ambitieux de la formation du goût et de la personnalité, ils participent aussi à une société des loisirs qui prend son essor. Alors qu'ils s'interrogent avec lucidité - et souvent une vraie capacité d'anticipation - sur l'évolution de leur fonction sociale et pédagogique face au déferlement des images, aux mutations des modes d'information et de transmission du savoir, ils sont plus que jamais des symboles. Par ce qu'ils montrent ou ignorent, par ce qu'ils sacralisent ou démythifient, les musées sont devenus des acteurs à part entière au coeur de la Cité. C'est au nom de cette dimension politique qui sera celle des musées dans la société du XXIe siècle, que j'ai voulu que les "arts premiers", ces " arts lointains " - pour reprendre la poétique expression de Félix Fénéon qui désignait, en 1920, les arts d'Afrique, d'Asie, d'Océanie, d'Arctique et des Amériques - trouvent leur juste place dans les institutions muséales de la France. Grâce au soutien sans faille des gouvernements de MM. Alain Juppé et Lionel Jospin, ce musée ouvrira ses portes en 2004, quai Branly à Paris. Dès 2000, il disposera d'un ensemble de salles permanentes, situées dans le Pavillon des Sessions du Palais du Louvre, où seront exposés plus d'une centaine de chefs-d'oeuvre. Ce musée, qui s'organisera ainsi sur deux sites, aura pour vocation de redonner toute leur place à des arts et des civilisations trop longtemps méconnus. C'est donc au coeur du Palais du Louvre, le plus grand musée du monde, qu'un ensemble de salles de 1400 m² présentera de manière permanente, à partir d'avril 2000, une sélection d'oeuvres de qualité exceptionnelle. Leur choix, éclairé par Jacques Kerchache dont la connaissance du corpus mondial des collections des arts dits primitifs est sans doute unique, ne prétend pas être un condensé de l'histoire culturelle de quatre continents, ni même un " musée idéal ". Pas plus d'ailleurs que la préfiguration, la maquette du musée du quai Branly dont le rôle sera tout autre et le nombre, comme la variété, des oeuvres exposées sans commune mesure. Le parcours a été conçu pour les visiteurs du Louvre : littéralement "surexposés" aux chefs d'oeuvre, confrontés dans les autres départements aux styles et aux matériaux les plus variés, ils découvriront, j'en suis certain, en pénétrant dans cette très belle installation, des oeuvres capables de se mesurer aux plus purs trésors du Louvre. Si l'architecture de Jean-Michel Wilmotte adhère parfaitement à l'esprit du lieu et respecte la continuité indispensable du parcours, depuis ou vers les collections du Louvre, si la sélection rigoureuse de ces oeuvres exceptionnelles les met d'emblée épaule contre épaule avec les chefs d'oeuvre voisins de l'art occidental, deux particularités du pavillon des Sessions annoncent déjà le futur bâtiment du quai Branly. D'abord la présence, parmi les sculptures entrées de longue date dans les collections françaises, augmentées pour l'occasion de plusieurs dons très généreux et de quelques judicieuses acquisitions, de plusieurs oeuvres prêtées par des musées territoriaux ainsi que par plusieurs musées étrangers. Je tiens à remercier les Etats amis, les collectivités publiques étrangères et les collectivités locales françaises qui ont participé à la dimension régionale et internationale de ce projet. La création, ensuite, à proximité immédiate des objets exposés, d'un espace d'interprétation multimédia. Ainsi, les visiteurs accèderont à un ensemble complet d'informations et de données historiques, iconographiques, sonores relatives aux sociétés ayant créé les oeuvres présentées. La querelle entre l'approche dite " esthétique " et " ethnographique ", n'a plus lieu d'être. Le musée du quai Branly, avec ses deux sites, en fera la démonstration. La réunion que permettra le nouveau bâtiment, dans des conditions matérielles et technologiques dignes d'elles, des collections du laboratoire d'ethnologie du Muséum national d'histoire naturelle et de celles du musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie, va permettre une approche nouvelle de cet ensemble exceptionnel. Les oeuvres, grandes ou modestes, admirables selon les critères les plus exigeants ou simples témoins d'un autre mode de vivre et de créer, ne seront plus monopolisées par un discours magistral, inévitablement européocentré et réducteur, qu'il soit celui de l'émotion esthétique ou celui de la démonstration scientifique. Qu'on le veuille ou non, derrière leur vitrine, sous de savants éclairages, protégées, en partie du moins, des outrages du temps, les oeuvres muséographiques ont quitté la " vraie vie ". Le regard que leur portent les spécialistes qui les commentent et les présentent au public est nécessairement partial et partiel. C'est pourquoi, je souhaite que la future institution soit largement ouverte aux expositions temporaires et que sa muséographie soit capable d'évoluer assez vite pour échapper à un inévitable empoussièrement. Depuis longtemps déjà, les hautes créations des sociétés occidentales se sont vues reconnaître cette autonomie. Le discours historique, esthétique, sociologique, technique, se construit autour d'elles, en respectant leur mystère et en acceptant que, toujours, une part de vérité échappe au commentateur, au visiteur, voire au créateur lui-même. Je souhaite qu'à travers le musée du quai Branly le même respect soit accordé aux autres sociétés du monde non européen. Que leur soit restituée une perspective historique. Que leurs rites, leurs mystères, leurs contradictions aussi soient considérés. Qu'elles soient proposées au public sans souligner leur étrangeté mais sans minimiser l'abîme qui parfois nous en sépare encore. Voilà la mission du futur musée : rendre enfin accessible une collection exceptionnelle, imaginer une muséographie moderne, présenter des expositions temporaires savantes et - s'il le faut - impertinentes, restituer à tous les publics, grâce aux technologies les plus modernes, un vaste ensemble documentaire. La culture est le génie d'un peuple, sa singularité, le message qu'il apporte au monde. Ce musée , lieu d'hommage et de partage, montrera qu'il n'y a pas plus de hiérarchie entre les arts qu'il n'y a de hiérarchie entre les peuples. Seul compte le génie de l'homme, de tous les hommes.

Jacques CHIRAC





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