Interview du Président de la République à la chaîne CNN

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la chaîne américaine CNN

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Cologne, Allemagne, le dimanche 20 juin 1999

QUESTION - Il semble qu'il y ait un désaccord sur la définition de l'aide humanitaire à la Yougoslavie. Chacun reconnaît que la nourriture et les médicaments sont de l'aide humanitaire. Est-ce que la reconstruction des centrales électriques à l'intérieur de la Serbie constitue de l'aide humanitaire, par opposition à l'aide au développement ?

LE PRÉSIDENT - Nous sommes prêts bien sûr à accorder aux Serbes de l'aide humanitaire, mais nous ne sommes pas prêts à leur donner de l'aide économique. A partir de là, qu'est-ce qui appartient à l'une et à l'autre ? C'est le problème. Les centrales électriques relèvent-elles de l'humanitaire ? Peut-être - pas toutes - compte tenu de la production de chauffage pour les logements avant l'hiver. Il nous faut discuter ensemble la position à prendre sur ce qui est humanitaire et ce qui ne l'est pas.

QUESTION - La reconstruction des ponts sur la rivière, est-ce de l'humanitaire ?

LE PRÉSIDENT - Je ne dirais pas cela.

QUESTION - Parce que les gens doivent bien se rendre à leur travail. Ils doivent...

LE PRÉSIDENT - C'est vrai. Mais vous savez, la plupart des ponts de Belgrade n'ont pas été détruits. Ils sont toujours en place. Ce n'est donc pas un point très important. Les centrales électriques, c'est un problème. Il faudra donc que nous examinions quelle est la situation et ce qu'il convient de faire en ce qui concerne l'aide. Mais nous ne pouvons pas aider un pays, ce n'est pas l'usage pour des démocraties, à se reconstruire - sur un plan économique j'entends - s'il n'est pas lui-même une démocratie.

QUESTION - Est-ce que les rapports sur les atrocités commises au Kosovo dans le cadre du nettoyage ethnique vous ont conduit à durcir votre position sur ce sujet ?

LE PRÉSIDENT - J'ai toujours été largement convaincu que les hommes de Milosevic se sont livrés à des massacres et je ne suis pas étonné par les rapports dont vous parlez. Et bien sûr, cela conduit à durcir notre position s'agissant de l'aide.

QUESTION - Ces rapports sont-ils pires que ce que vous imaginiez ?

LE PRÉSIDENT - Je ne dirais pas cela. J'ai toujours pensé que les massacres s'étaient produits.

QUESTION - La date-limite est aujourd'hui pour le retrait du Kosovo des forces militaires et de police serbes ?

LE PRÉSIDENT - Je pense qu'elles vont y procéder. Elles doivent en quitter aujourd'hui la quatrième et dernière partie, qui est d'ailleurs la partie française, et nous pensons que tout le monde sera parti aujourd'hui à minuit.

QUESTION - De nombreux membres du Congrès américain disent que les Etats-Unis ont payé et accompli la plus grande part s'agissant des bombardements, et que c'est à présent au tour de l'Europe de payer et d'assumer la plus grande part du fardeau de la reconstruction des Balkans et de prendre à sa charge l'aide économique et le maintien de la paix. Acceptez-vous cet argument ?

LE PRÉSIDENT - Nous avons la même volonté d'assurer la paix dans les Balkans, ce qui signifie que nous partageons tous, Russes et alliés, cette même volonté ; c'est-à-dire que nous devons permettre le retour chez eux des réfugiés - ce qui va coûter cher - et assurer la paix pour les Serbes du Kosovo. Ils doivent y rester. Et nous devons les protéger. Nous devons reconstruire le Kosovo. Et nous devons faire un grand effort pour permettre le retour de la démocratie au Kosovo et dans la région, car c'est par la démocratie que nous pourrons assurer la paix dans l'avenir. Et nous devons aider l'ensemble des Balkans. Bien sûr c'est en Europe et nous paierons, c'est vrai. Mais je ne peux imaginer que les Américains se contentent de regarder cela et ne participent pas. Il faut en discuter ensemble. Nous voulons la paix. C'est l'intérêt des Etats-Unis et l'intérêt de l'Europe. Parce qu'il s'agit d'une question de principe : la démocratie.

QUESTION - Quelle est l'importance, pour les alliés de l'OTAN, d'essayer de manière agressive d'arrêter le Président Slobodan Milosevic ?

LE PRÉSIDENT - Il y a deux jours, à Paris, le Président Bill Clinton a donné son sentiment sur ce point et je suis bien sûr d'accord avec lui. Le tribunal pénal international a demandé que Milosevic soit jugé, et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour y parvenir. Mais nous n'allons pas aller à Belgrade pour l'appréhender. C'est ce que Bill Clinton a dit. Et je suis bien sûr d'accord. Nous n'allons pas engager une guerre. Mais nous devons faire tout ce que nous pouvons pour l'appréhender.

QUESTION - Une dernière question. Si l'on revient sur les soixante-dix-huit jours de la campagne aérienne de l'OTAN, sachant ce que l'on connaît aujourd'hui, est-ce que cela aurait pu être évité ?

LE PRÉSIDENT - Je ne pense pas. La conclusion de cela pour moi est que nous avons vaincu. J'ai toujours été certain que nous vaincrions, que la stratégie des frappes était la bonne et la seule possible. Toute autre stratégie aurait été très dangereuse pour tout le monde et pour la paix. Nous avons à présent la réconciliation entre les Russes et les alliés, qui est un grand succès pour tout le monde. La Russie est devenue un véritable partenaire, un partenaire politique des alliés, ce qui est très important pour la paix et la sécurité en Europe à l'avenir. Et nous allons à présent aider les Russes à améliorer leur économie et à accomplir les réformes nécessaires qu'ils ont à faire. Tout cela est un succès pour le monde. Et pour l'équilibre de l'Europe également, c'est aussi un grand succès pour la démocratie, qui n'a pas été faible - ce qu'elle a été à de nombreuses reprises par le passé -, pour la démocratie contre la barbarie et contre le racisme. Pour la première fois, les démocraties ont dit non. Nous avons d'abord essayé la diplomatie, à Rambouillet. Cela n'a pas abouti. Alors nous devions nous engager. C'est ce que nous avons fait, et nous avons vaincu. C'est une grande page de l'histoire.





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