Interview du Président de la République à la radio portugaise "Radio Alpha"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la radio portugaise "Radio Alpha"

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Palais de l'Élysée, le mardi 2 février 1999

QUESTION - Merci, au nom de la rédaction de Radio Alfa, de nous accorder cette interview. Et merci aussi pour le dixième de la population portugaise qui vit en France. Une histoire ancienne, puisque le père du premier Roi du Portugal était un Duc de Bourgogne. C'est dommage que vous n'alliez pas à Guimares, parce que c'est le berceau de la nation, mais je pense que votre voyage, indépendamment du plaisir, je crois, que vous avez d'aller visiter le Portugal, aura des points bien concrets. Quels sont les principaux objectifs de ce voyage, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT - Je suis très heureux de partir au Portugal, pays que je connais, mais surtout pays que j'aime et que je respecte non pas seulement pour sa longue et belle histoire, non pas seulement pour sa force culturelle et ce qu'il a apporté au monde, mais tout simplement en raison des liens qui ont toujours existé entre nos deux pays. Pourquoi vais-je au Portugal ? C'est à l'invitation du Président, naturellement. C'est pour clairement affirmer que, pour la France, le Portugal est un partenaire essentiel et privilégié. Non seulement dans le cadre de la politique européenne mais, plus généralement, pour notre vision des affaires du monde. Deuxièmement parce que dans le cadre de ce partenariat entre nos deux pays, il y a l'an 2000 qui va avoir une caractéristique particulière, puisque c'est une année où la gestion des affaires européennes sera partagée entre le Portugal et la France puisque la présidence de l'Union sera exercée d'abord par le Portugal, ensuite par la France à un moment particulièrement important de l'histoire de l'Europe. Donc nous avons intérêt à faire les choses en commun.

QUESTION - Malgré ces liens privilégiés, c'est vrai que sur le sujet Europe et surtout l'agenda 2000, il y a des points communs et des points de divergence. Quelle est la position de la France à ce sujet car le Portugal a, comme vous le savez, toujours voulu continuer avec les fonds structurels et de cohésion malgré l'élargissement de l'Europe ?

LE PRÉSIDENT - Ce que je comprends parfaitement. Vous savez, l'Europe, j'ai une longue expérience, cela consiste régulièrement à franchir les obstacles et pour le faire chacun doit accepter quelque chose. La France est très attachée à la politique agricole commune, le Portugal, à juste titre, et je le comprends parfaitement, est très attaché aux fonds structurels et aux fonds de cohésion. L'Angleterre est très attachée à ce que l'on appelle son chèque, l'Allemagne est très attachée à améliorer sa situation financière au sein de l'Europe. Elle trouve qu'elle paie trop, ce qui n'est pas tout à fait faux. Bref, chacun a son souci. Ce qu'il faut c'est que nous puissions parler ensemble et voir comment on peut articuler les choses pour qu'elles soient cohérentes et que chacun y trouve son intérêt. Et moi je vais au Portugal avec un esprit très ouvert, une oreille attentive à tout ce qui me sera dit sur les affaires européennes, prêt à comprendre les Portugais, mais aussi à leur expliquer quels sont les soucis de la France. Et je ne doute que nous puissions trouver beaucoup de points communs.

QUESTION - Je pense qu'il y a des points communs aussi entre le Portugal et la France parce qu'on pourrait dire que ce sont les deux pays européens les plus africains. Justement, la France a tout un projet de coopération, une nouvelle vision de la coopération. Est-ce que ces thème-là vont être abordés aussi avec le gouvernement du Portugal ?

LE PRÉSIDENT - Oui, certainement. Le Portugal et la France sont deux pays qui ont une vision mondiale des choses. Pas seulement européenne. C'est vrai pour les problèmes asiatiques qui concernent directement le Portugal, c'est vrai pour les problèmes latino-américains, et nous préparons ensemble la grande Conférence entre les pays européens et les pays d'Amérique latine et de la Caraïbe qui aura lieu au mois de juin. C'est vrai pour l'Afrique, parce que nous avons une tradition historique, des intérêts, je dirais une certaine vision que l'Europe doit avoir avec l'Afrique. Alors nous aurons certainement à parler de ces choses ensemble aussi, naturellement. Mais nous n'avons pas de divergences de vue.

QUESTION - Sur la communauté portugaise en France, je sais que vous êtes très attaché à la présence de cette communauté, vous aurez aussi le temps d'en parler au Portugal ?

LE PRÉSIDENT - Oui. Il n'y a pas grand chose à dire si ce n'est exprimer un sentiment de reconnaissance et d'affection pour la communauté portugaise. La communauté portugaise est l'une des plus importantes communautés étrangères de France. Tout à l'heure vous disiez 10% de la population du Portugal, Paris est une grande ville portugaise.

QUESTION - Vous avez été le maire de la troisième ville portugaise...

LE PRÉSIDENT - C'est vrai et cette communauté portugaise est totalement intégrée tout en n'ayant rien renié de son identité et de ses origines. Elle a su faire la synthèse entre sa vie en France et ce qu'elle apporte à notre pays en termes de travail, matériel ou intellectuel, et le maintien de son identité, généralement de sa langue. Nous avons beaucoup de chance d'avoir cette communauté et je serai heureux de porter ce témoignage au Portugal, de dire aux Portugais, vous pouvez être fiers de vos compatriotes -dont d'ailleurs un certain nombre sont devenus français- et nous, nous sommes fiers de la communauté portugaise de France.

QUESTION - Mais, Monsieur le Président, la langue française perd du terrain au Portugal et en France, pour certains, la langue portugaise est considérée comme une langue rare. Qu'est-ce que le Président de la République française pense de cela ?

LE PRÉSIDENT - Pour ce qui concerne le français au Portugal, il reste encore bien présent et les pouvoirs publics portugais font tout pour faciliter les choses aux Français. Il n'y a donc pas de contentieux sur ce point entre nous. C'est vrai que le portugais n'est pas suffisamment appris en France. J'ai eu l'occasion d'en parler tout récemment avec le ministre de l'Éducation nationale. Ce ne sont pas tellement les moyens qui manquent. Nous devons inciter davantage les jeunes Français, qui souvent ignorent que le portugais est parlé par 200 ou 250 millions de personnes dans le monde, et que donc c'est une langue très importante, je dirais culturellement mais aussi matériellement et politiquement parlant. Nous devons inciter les jeunes Français à bien comprendre que leur intérêt c'est d'apprendre le portugais. Et donc faciliter cette appréciation. Et je souhaite que nous puissions prendre des mesures qui donnent une impulsion nouvelle à l'enseignement du portugais.

QUESTION - Monsieur le Président, si vous le permettez, la France est montrée comme exemple en ce qui concerne l'intégration, le modèle français, c'est le modèle qui est présenté partout. Or, les discours de haine, de xénophobie, de racisme, sont de plus en plus nombreux. L'intégration est une chose qui vous tient à coeur, et d'ailleurs vous avez critiqué durement ces gens-là qui en excluent d'autres parce qu'ils n'ont pas la même couleur de peau, parce que peut-être ils parlent une autre langue que la nôtre.

LE PRÉSIDENT - Je suis favorable à l'intégration et je condamne tout ce qui de près ou de loin peut conduire à des réactions xénophobes de quelque nature, et a fortiori racistes, qu'elles soient. Mais ce n'est pas aujourd'hui, heureusement, je l'espère en tous les cas, une tentation forte en Europe et je souhaite que toutes les forces d'humanisme s'associent en Europe pour refuser ces tentations.

QUESTION - Monsieur le Président, les relations bilatérales sont plutôt bonnes en ce moment, je reviens sur les relations internationales. C'est sûr, vous irez parler de l'Afrique et là par exemple, en Guinée, il y a un conflit qui est toujours présent et la France parfois est citée comme intervenante dans ce conflit.

LE PRÉSIDENT - Je trouve qu'elle est citée en général à tort et à travers. La France ne fait pas d'ingérence dans les affaires de la Guinée Bissau.

QUESTION - Merci.

LE PRÉSIDENT - Permettez-moi de vous dire pour terminer en tous les cas, que je suis aujourd'hui un Président heureux d'aller au Portugal. Je m'en réjouis particulièrement, c'est pour moi un événement qui compte.





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