Interview du Président de la République par Associated Press TV

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à Associated Press TV

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Palais de l'Élysée, le mercredi 17 février 1999

(Texte traduit de l'anglais)

QUESTION - Monsieur le Président, trois jours avant la date butoir des pourparlers de paix au Kosovo, le président yougoslave Milosevic ne montre aucun signe de compromis. Que peut-on faire pour l'obliger à signer ?

LE PRÉSIDENT - Ces peuples, les Kosovars et les Serbes, sont réunis à Rambouillet. Et vous savez ce que le groupe de contact veut : une autonomie substantielle pour le Kosovo et des forces terrestres au Kosovo pour s'assurer que l'accord soit appliqué. Pour cela, nous avons besoin d'une diplomatie forte, de fermeté et d'unité au sein du groupe de contact. Nous avons cela, et nous espérons qu'avant samedi midi les deux parties, les Serbes mais également les Kosovars, auront compris qu'ils doivent accepter un compromis pour la paix.

QUESTION - Que se passera-t-il samedi s'il n'y a pas de signature ?

LE PRÉSIDENT - Eh bien, je ne veux pas penser à cette éventualité : aucune solution. Mais en cas d'échec, la partie responsable de cet échec devra en supporter toutes les conséquences, je le répète, toute les conséquences.

QUESTION - Les États-Unis ont proposé d'envoyer 4 000 soldats américains. Quelle sera la contribution de la France ?

LE PRÉSIDENT - La France est prête à envoyer 4 000 à 5 000 soldats immédiatement.

QUESTION - Cette force sera-t-elle déployée dès que l'accord sera signé à Rambouillet ?

LE PRÉSIDENT - Bien sûr, seuls quelques jours sont nécessaires pour le déploiement.

QUESTION - Vous êtes l'un des premiers dirigeants à avoir manifesté votre soutien au Président CLINTON pendant ses difficultés. Ces ennuis ont-ils causé du tort à l'efficacité des États-Unis en tant que leader mondial ?

LE PRÉSIDENT - Non, je ne le pense pas, vous ne pouvez pas dire cela. Ce n'est pas vrai.

QUESTION - Quelle est votre opinion aujourd'hui sur la présidence de M. CLINTON et la manière dont il a dirigé les États-Unis ?

LE PRÉSIDENT - Eh bien, c'est un problème américain et les Américains ont pris leur décision. Permettez-moi de dire que je suis très heureux de cette décision. Personnellement parce que j'ai une estime et une amitié profonde pour le Président CLINTON, pour les États-Unis qui sont une grande démocratie, et pour le monde qui a besoin d'une Amérique forte. C'est le cas et j'en suis heureux.

QUESTION - Vous vous êtes prononcé et vous avez plaidé pour une nouvelle conférence de Bretton Woods. Qu'espérez-vous accomplir et pourquoi les États-Unis sont-ils hostiles ?

LE PRÉSIDENT - Je ne dirais pas une nouvelle conférence de Bretton Woods. Mais le système financier mondial a besoin d'être amélioré, sans aucun doute, parce que les choses ont changé, le monde a changé. Nous avons la globalisation et ses conséquences. Donc je ne pense pas que nous devrions avoir une meilleure organisation. Et les États-Unis ne sont pas hostiles, nous travaillons ensemble, en particulier au sein du G7 depuis plusieurs années et nous avons progressé. Le second point est celui des relations entre les devises, la nouvelle monnaie européenne, l'euro, le dollar et le yen. Et je pense que nous ne devrions pas accepter de trop grandes variations entre ces monnaies. Et sur ce point les autorités américaines disent : "alors, comment faire ?". Par conséquent, nous devons discuter. Je reconnais que nous n'avons pas exactement le même point de vue, mais nous devons dialoguer et préparer le prochain G7 qui aura lieu sous présidence allemande à Cologne. J'espère qu'à cette occasion, nous pourrons réaliser de nouveaux progrès.

QUESTION - La France s'est prononcée fermement contre les frappes américaines en Irak. Pourquoi existe-t-il un tel fossé entre les politiques américaine et française et que suggérerez-vous à Kofi ANNAN le prochain week-end ?

LE PRÉSIDENT - Je ne dirais pas que les politiques française et américaine ont été si différentes. Nous sommes tous les deux d'accord sur la responsabilité de Saddam HUSSEIN. Le fait est que la France a demandé : "qu'allons-nous faire après les bombardements ?". Et maintenant nous proposons une sorte de nouvel accord parce que nous ne pouvons pas laisser l'Irak sans contrôle de son armement. À présent, nous n'avons plus de contrôle. Et nous pensons qu'il est nécessaire d'instaurer un nouveau contrôle international sur les armes en Irak. Nous pensons nécessaire d'améliorer la situation du peuple irakien, une situation qui est très grave et nous considérons que nous devons contrôler l'argent que l'Irak reçoit des revenus du pétrole pour s'assurer que celui-ci n'est pas utilisé pour acheter des armes. Sur ces bases-là, nous ne sommes pas éloignés des États-Unis comme vous pouvez le constater.

QUESTION - Dans quelle situation envisageriez-vous de soutenir une action militaire contre l'Irak ?

LE PRÉSIDENT - Vous ne pouvez pas dire cela. Cela dépend des événements. Je vous ai dit quelles étaient nos priorités, le contrôle de l'armement, la situation du peuple, le contrôle de l'argent. Et j'espère que cela pourra être fait sans action militaire. Mais nous verrons.

QUESTION - La France semble être inquiète du danger d'une seule et unique superpuissance, les États-Unis, qui domine la scène mondiale. Comment envisagez-vous de faire face à cette situation ?

LE PRÉSIDENT - La France n'est pas inquiète d'États-Unis puissants. C'est dans le monde d'aujourd'hui une véritable nécessité. La France veut avoir son rôle dans une Europe forte. Et nous faisons tout ce que nous pouvons dans ce but. L'idée de présenter l'Europe et les États-Unis comme concurrents ne me plaît pas. Ensemble, nous représentons quelque chose de l'ordre de 56 % de la production mondiale des biens, de la richesse mondiale. Ce qui signifie que nous devons coopérer. Nous partageons les mêmes valeurs, nous sommes deux grandes démocrates, l'Europe et les États-Unis. Nous avons tout pour être ensemble. C'est pourquoi, je le répète, je n'aime pas l'idée que nous devrions être concurrents. Nous sommes des partenaires et nous devons être de bons partenaires.

QUESTION - Les protestations du peuple kurde ont mis en lumière sa situation critique. La Turquie avait-elle de bonnes raisons d'arrêter OCALAN, que pensez-vous de la manière dont cela a été fait ?

LE PRÉSIDENT - OCALAN appartient à un groupe qui est considéré comme terroriste par de nombreux pays, y compris la France. Ce groupe est interdit en France. Il a été arrêté, il est en prison, je suis sûr que son procès se déroulera dans le respect des règles de l'état de droit.

QUESTION - Vous avez récemment assisté aux funérailles du roi HUSSEIN. Quels changements cela va apporter au paysage politique et aux espoirs de paix au Moyen-Orient ?

LE PRÉSIDENT - J'étais un très bon ami du roi HUSSEIN mais je connais également le nouveau roi ABDALLAH. Je sui sûr que c'est un homme capable de maintenir la situation en Jordanie. Il a la confiance du peuple jordanien et le respect des chefs d'État et de gouvernement des pays voisins de la Jordanie. Je suis tout à fait certain qu'il est capable de poursuivre la politique de son père. Je ne suis pas inquiet à ce sujet.

QUESTION - Attendez-vous avec impatience votre voyage aux États-Unis ?

LE PRÉSIDENT - Eh bien, c'es toujours un grand, grand plaisir pour moi d'aller aux États-Unis. Depuis longtemps maintenant, je me rends assez souvent aux États-Unis même si mon anglais n'est pas très bon. Et c'est un grand, grand plaisir. Je suis ravi de m'y rendre, seulement trois jours, mais ravi.

INTERVIEW DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PAR ASSOCIATED PRESS TV

PALAIS DE L'ÉLYSÉE MERCREDI 17 FÉVRIER 1999

QUESTION - Mr. President, three days before the deadline in the Kosovo peace talks, Yugoslav President Milosevic shows no sign of compromise. What can be done to make him sign ?

LE PRÉSIDENT - Those people, Kosovars and Serbs, are together in Rambouillet. And you know what the contact group wants : a large autonomy, a substantial autonomy for Kosovo, and ground troops in Kosovo to be sure that the agreement can be implemented. For that we need a strong diplomacy and firmness and unity within the contact group. We have that and we hope that before Saturday midday the two parties, Serbs but also Kosovars, will have understood that they have to accept a compromise for peace.

QUESTION - What happens on Saturday if there is no signature ?

LE PRÉSIDENT - Well, I don't want to think that it will be possible : no solution. But in case of a failure, the party which will be responsible for the failure will have to bear all the consequences, and I repeat, all the consequences.

QUESTION - The United States has proposed to send 4000 US troops. What contribution will France make.?

LE PRÉSIDENT - France is ready to send 4000 or 5000 troops, immediatly.

QUESTION - This force will deploy as soon as the agreement is signed in Rambouillet ?

LE PRÉSIDENT - Of course, just a few days are necessary for the deployment

QUESTION - You are one of the first leaders to have come out in support of President Clinton during his troubles. Have these troubles harmed the effectiveness of the United States as the world leader ?

LE PRÉSIDENT - No, I don't think so, you cannot say that. This is not true.

QUESTION - What is your opinion today of Mr Clinton's presidency and the way in which he has led the United States ?

LE PRÉSIDENT - Well this is an American problem and the American people made its decision. And may I say that I am very glad about this decision. Personnally because I have a great esteem and friendship for President Clinton. Also for the United States which are a great democracy. And for the world which needs a strong America. And this is the case and I am glad.

QUESTION - You have come out and pleaded for a new Bretton Woods conference. What do you hope to achieve and why is the United States resistent ?

LE PRÉSIDENT - I would not say exactly a new Bretton Woods conference. But the financial world system needs to be improved, no doubt, because things have changed, the world has changed. We have the globalisation and its consequences. Then I think we should have a better organisation. And the United States are not resistent, we work together particularly in the G7 for now several years and we made progress. The second point is the relations between moneys, the new European money, the euro, the dollar and the yen. And I think that we should not accept too large evolutions between those moneys. And at this point the United States, the American authorities say : well, how to do. Then we have to discuss. I agree that we have not exactly the same point of view but we have to discuss, and we prepare the next G7 which will be under German presidency in Cologne. And I hope we can make a new progress on this occasion.

QUESTION - France came out strongly against the air strikes in Iraq. Why is there such a divide between the US and French policy and what would you suggest to Kofi Annan this coming week end ?

LE PRÉSIDENT - I would not say that French and American policies were so different. We both agree about the responsibility of Saddam Hussein. The thing is that France asked : what shall we do after the bombing? And now we propose a kind of new deal because we cannot let Iraq without control of armament. And now we have no more control. And we think that this is a necessity to have a new international armament control in Iraq. We think that it is necessary to improve the situation of the Iraqi people, a situation being very bad, and whe think that we have to control the money that Iraq receives from oil revenues to be sure that this money is not used to buy armaments. And on those basis we are not far from the United States as you can see .

QUESTION - Is there any situation where you would support military action against Iraq ?

LE PRÉSIDENT - You can't say that. It depends on what happens. I told you what were our priorities, the control of armament, the situation of the people, the control of money. And I hope that this could be done without any military action. But we shall see. QUESTION - France appears to be worried by the danger of only one superpower, the United States, dominating the world scene. How do you plan to counter this ?

LE PRÉSIDENT - France is not worried about powerful United States. It is in the world of today a real necessity. France wants to be a part of a strong Europe. And we do as much as we can for this purpose. I don't like the idea of presenting Europe and the United States as competitors. Together we represent something like 56% of the world's production of goods, of the world's wealth. Which means that we have to cooperate. We share the same values, we are two great democracies, Europe and United States. We have everything to be together. That is why, I repeat, I don't like the idea that we should be competitors. We are partners and we must be good partners.

QUESTION - Protest by the Kurdish people has brought their ploy to the center stage. Was Turkey justified in their methods of arresting Ocalan ?

LE PRÉSIDENT - Ocalan belongs to a group which is considered as a terrorist group by many countries, including France. This group is prohibited in France. He has been arrested, he is in prison, I am sure that his trial will be done in the respect of the rule of law.

QUESTION - You have recently attended King's Hussein funerals. How much will that change the political landscape and hopes of peace in the Middle East?

LE PRÉSIDENT - I was a good friend of King Hussein but I also know the new King, Abdallah. I am sure that he is a man able to maintain the situation of Jordan. He has the confidence of the Jordanian people and the respect of the heads of states and governments of the countries around Jordan. I am pretty sure that he is able to continue his father's policy. I am not worried about that.

QUESTION - Are you looking forward to your trip to the United States ?

LE PRÉSIDENT - Well, it's always a great, great pleasure for me to go to the United States. I am going for a long time now quite often to the United States even if my english is not very good. And it's a great, great pleasure. I'm delighted to go there, only for three days but delighted.





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