Interview du Président de la République à la télévision marocaine 2M

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la télévision marocaine 2M

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Palais de l'Élysée, le mardi 13 avril 1999

QUESTION - Merci de nous recevoir aujourd'hui à l'Elysée. On sait que votre agenda est particulièrement chargé en raison entre autres de la situation qui prévaut actuellement dans les Balkans. Madame Fatima El Ouadi et moi-même souhaitons aborder avec vous deux thèmes majeurs, à savoir "Le Temps du Maroc en France" et les relations maroco-françaises. Sa Majesté le Roi Hassan II et vous-même êtes artisans de cet événement important, dans quelle mesure cette manifestation peut-elle contribuer à raffermir davantage les relations entre nos deux pays ?

LE PRÉSIDENT - Vous l'avez dit tout à l'heure, cher Monsieur, les relations entre le Maroc et la France sont traditionnellement des relations marquées par l'estime, le respect réciproque et je dirai surtout par l'amitié, et, permettez-moi de prononcer le mot, par l'affection. Et cette grande manifestation qui marquera la dernière année de ce siècle et de ce millénaire est pour nous un témoignage très fort de cette amitié. L'idée d'origine est venue de sa Majesté le Roi du Maroc à la suite de discussions que nous avions eues et je me réjouis de cette occasion de donner aux Français, aux Européens et aux millions d'étrangers qui visitent la France, la possibilité de voir ce qu'est vraiment le Maroc dans sa force, dans son identité, dans ses traditions et dans sa modernité.

QUESTION - Monsieur le Président, il y a plusieurs dizaines de villes de France qui participent à l'événement, même si Paris reste tout de même le point de catalyse. Il y au programme plus de 200 manifestations officielles mais il y a aussi bien sûr des milliers d'initiatives personnelles. Avez-vous le sentiment aujourd'hui que la France vit à l'heure du Maroc ?

LE PRÉSIDENT - Oui, tout à fait, je crois que l'on peut dire cela. J'ai eu l'occasion ces derniers temps de rencontrer beaucoup de maires de grandes villes et chaque fois ils ont évoqué ce qui se passait chez eux dans leur commune, parmi les plus importantes de France, à l'occasion de ce "Temps du Maroc", et j'ai vu qu'ils y mettaient toute leur passion, toute leur foi et qu'ils exprimaient une très grande satisfaction. Celle, d'ailleurs, des habitants de leur ville ou des visiteurs, des touristes qui viennent dans leur ville d'avoir cette occasion de montrer la richesse du Maroc et ce lien très fort qui existe entre le Maroc et la France.

QUESTION - - Quelle satisfaction personnelle en tirez-vous, vous qui êtes un grand ami du royaume, un grand ami de sa Majesté le Roi, quelle satisfaction tirez-vous du fait que " le Temps du Maroc " est aujourd'hui dans les rues de France ?

LE PRÉSIDENT - J'en tire une très grande joie. D'abord parce que cela montre clairement cette complémentarité, chacun avec son identité, entre le Maroc et la France, une certaine tradition dans le domaine de la culture, une complémentarité entre nos créateurs, nos scientifiques mais aussi une volonté de montrer tout ce que le Maroc apporte à notre civilisation d'aujourd'hui et c'est pour moi une grande joie.

QUESTION - - Vous le savez, Monsieur le Président un certain nombre de clichés, d'idées reçues sont encore véhiculés un peu partout en France à propos du Maroc. Dans quelle mesure cette manifestation peut-elle contribuer justement à pallier ce genre de clichés à propos de notre pays ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de clichés. Il y a sans aucun doute et toujours, et c'est normal dans les démocraties ceux qui critiquent, ceux qui ont vocation d'ailleurs à critiquer tout. Il y a parallèlement un sentiment profond dont je vous donnerai un témoignage. Regardez le nombre de Français, y compris de Français modestes, qui vont passer leurs vacances au Maroc. C'est un des principaux lieux de prédilection pour les Français en ce qui concerne leurs vacances et vous savez combien ils sont attachés à leurs vacances les Français. Et plus encore, lorsque vous interrogez les Français pour leur demander où ils souhaiteraient aller en voyage ou en séjour, le Maroc arrive très largement en tête de ces choix, ce qui montre bien, je ne sais pas à quel cliché vous faites allusion, mais ce qui montre bien l'estime des Français pour le Maroc et je dirai le goût des Français pour le Maroc. Cela tient au peuple marocain et cela tient au pays aussi, naturellement, cela tient à la tradition, cela tient à l'amitié.

QUESTION - - Monsieur le Président, notre pays est engagé depuis plusieurs années dans un long processus d'approfondissement et de consolidation de ses institutions démocratiques, c'est un fait, quel jugement, personnellement, portez-vous sur l'expérience démocratique en cours actuellement au Maroc ?

LE PRÉSIDENT - Je me garderai bien naturellement de faire d'ingérences dans les affaires marocaines. Je n'apporterai donc qu'un témoignage d'observateur extérieur. Je crois que l'on peut dire que le monde, la communauté internationale ont été très impressionnés par cette adaptation du Maroc au monde moderne, qu'a voulue et qu'a réalisée sa Majesté le Roi. Cela a commencé il y a une dizaine d'années avec l'adaptation des structures politiques, administratives, avec le renforcement du respect des Droits de l'Homme, l'adaptation aux exigences du monde moderne. Et ceci est impressionnant comme réussite parce que le Maroc a réussi, sous l'impulsion du Roi, à faire cette réforme majeure que peu de pays ont réussie, en conservant ses traditions, dans le respect de ses traditions et en s'adaptant à la modernité et cela c'était un défi difficile à relever. Je crois que l'on peut dire aujourd'hui que le Maroc l'a relevé. En tous les cas, c'est ce qu'observent tous les responsables internationaux.

QUESTION - - Vous savez, Monsieur le Président, que la stabilité politique va nécessairement de pair avec le développement économique. Eu égard à l'excellence des relations entre le Maroc et la France aujourd'hui, est-ce que vous estimez que les échanges économiques entre nos deux pays reflètent la réalité de ces relations ?

LE PRÉSIDENT - Si vous me permettez, avant de parler des échanges économiques, je voudrais dire un mot de plus sur notre relation politique, sur la relation maroco-française. Nous avons dit tout à l'heure qu'elle était excellente. Elle est plus que cela. Et quand l'on dit que les relations sont excellentes, cela veut dire que l'on n'a aucun point de friction, de désaccord ou de difficulté, mais aussi qu'il y a une très forte coopération qui est un aspect encore plus positif de notre relation. Cette coopération s'exprime au sujet de l'ensemble des problèmes du monde, de leur gestion, du jugement que l'on peut porter sur eux et qui est en général identique au Maroc et en France. Mais cette coopération est particulièrement forte dans trois domaines : pour tout ce qui touche au processus de paix au Proche-Orient, où les positions marocaines et françaises sont, je dirai, identiques, c'est-à-dire la volonté de réaliser la paix dans cette partie du monde. C'est vrai aussi pour l'ensemble de l'Afrique, où le rôle du Maroc est essentiel dans un continent qui connaît, hélas, beaucoup d'espoirs mais aussi beaucoup de crises et, enfin, dans cette grande ambition qui a été exprimée à plusieurs reprises par sa Majesté, qui est le partenariat euro-méditerranéen qui consiste à faire de la Méditerranée un trait d'union, un pont et non pas une séparation, et qui permet d'escompter ou de souhaiter un monde euro-méditerranéen à la fois prospère, stable et démocratique dans le prochain siècle. Cette coopération politique, qui se traduit notamment par des contacts permanents entre nos gouvernements, entre nos ministres, entre nos Premiers ministres, entre sa Majesté et moi, sont un élément très actif de cette relation que nous évoquions.

Alors, c'est vrai elle n'est pas suffisante, il faut aussi une relation économique. Je vous dirai que cette relation est déjà très forte. Savez-vous qu'il y a au Maroc, implantées au Maroc, 450 filiales représentant les plus grandes entreprises françaises, je dirai dans tous les domaines, ce qui est très important et nous en sommes très fiers. Nous ne cessons d'encourager les entreprises françaises à investir au Maroc parce que le Maroc est un pays d'avenir et, notamment, les réformes auxquelles vous faisiez allusion tout à l'heure l'inscrivent bien dans cette perspective moderne et d'avenir. Et nous avons dans ce domaine de grandes satisfactions de voir prospérer cette coopération économique.

Vous savez, j'ai toujours été impressionné par le fait que les deux grands gestes spirituels qui auront été faits au XXe siècle l'ont été tous les deux en Afrique. La cathédrale de Yamoussoukro en Côte-d'Ivoire, à l'initiative de ce grand sage africain que fut le Président Houphouët-Boigny, et la mosquée de Casablanca, la mosquée Hassan II, qui est une prestigieuse réussite et affirmation de l'Islam. Eh bien, cela a été un grand honneur pour la France qu'une grande entreprise française soit directement associée, participe à la réalisation de la grande mosquée.

QUESTION - - Pourtant la France, comme la plupart des autres pays d'Europe, se tourne plus vers l'Est que vers les pays de la rive sud de la Méditerranée depuis notamment la chute du mur de Berlin. Les investisseurs sont plus appâtés, si l'on peut dire par les pays de l'Est que par les pays de la rive sud et là cela casse un peu cette volonté de construire cet espace euro-méditerranéen qui est l'avenir en fait de la coopération entre nos deux continents ?

LE PRÉSIDENT - Je crois qu'il faut modérer cette affirmation. C'est vrai que l'ouverture des pays de l'Est a conduit à un intérêt. J'ajoute que l'importance de la population de ces pays fait qu'il y a un marché dont les entreprises des autres pays de l'Europe occidentale ne peuvent se désintéresser. J'ai souvent évoqué ce problème avec les entrepreneurs français et je n'ai pas du tout le sentiment qu'il y ait un choix à effectuer vers l'Est au détriment du Sud. Je ne le crois pas. Je crois que nous sommes dans une période où les investissements se développent, notamment de la part des pays de l'Europe occidentale. Ils se développent en direction de l'Est mais pas au détriment du Sud. Et si vous prenez la France, plus particulièrement, et non plus l'Union européenne, vous vous apercevrez que le taux de progression des investissements vers le Sud est plus rapide que le taux de progression vers l'Est.

QUESTION - - Je voudrais en venir, si vous le permettez, Monsieur le Président, à la construction du Grand Maghreb que vous évoquiez tout à l'heure indirectement. Vu d'Europe, quelle conception avez-vous de l'avenir du Maghreb, sachant que, aujourd'hui, ce rêve caressé par les peuples du Maghreb est obstrué, si j'ose dire, par un certain nombre de problèmes, notamment l'affaire du Sahara et la situation de l'Algérie ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, la plupart des régions du monde sont soumises à des crises ou à des difficultés ou à des tensions. C'est hélas vrai un peu partout et nous le voyons ces jours-ci pour ce qui concerne l'Europe avec la crise des Balkans. L'ambition qui doit être la nôtre, et qui a d'ailleurs été exprimée à plusieurs reprises par sa majesté le Roi du Maroc, c'est une ambition d'union et de paix. C'est vrai, je dirais, pour un peu partout dans le monde. Alors il faut surmonter les difficultés, les crises, espérer qu'elles ne seront que conjoncturelles et que la sagesse finira par triompher. Je le souhaite pour le Maghreb, je le souhaite pour l'Europe et plus généralement pour toute l'Afrique et le Moyen-Orient.

QUESTION - - Une dernière question, Monsieur le Président, pour terminer cet entretien. Je reviens un peu sur les relations maroco-françaises, parce qu'on ne peut pas conclure tout de même cet entretien sans parler un peu des deux communautés marocaine et française. Dans quelle mesure, Monsieur le Président, la communauté française vivant au Maroc et la communauté marocaine vivant en France peuvent-elles contribuer justement à rapprocher les deux peuples et à se faire connaître mutuellement ?

LE PRÉSIDENT - D'abord il y a là un lien, une tradition historique et humaine qui participent à la formation d'une certaine fraternité. L'importance de la communauté marocaine en France et de la communauté française au Maroc fait qu'on ne peut pas se sentir tout à fait étrangers. Nous appartenons tout de même à la même famille, comme en témoignent ces échanges. La communauté marocaine en France est une communauté bien intégrée. Et je voudrais profiter de cette occasion d'ailleurs pour lui rendre hommage, car elle apporte depuis longtemps un élément dynamique important à notre communauté et elle a participé depuis trente ans, quarante ans, très largement au développement économique et au progrès social de notre pays. Et je voudrais lui en rendre hommage parce que je sais que, ici ou là, il y a telle ou telle critique. Il est évident que les hommes sont les hommes et que personne n'est parfait. Mais le bilan de la communauté marocaine en France est un bilan très positif qui justifie un sentiment de reconnaissance de notre part.

Et puis la communauté française au Maroc est également une communauté active et bien intégrée. Je suis frappé, chaque fois que je vais au Maroc, de voir à quel point les Français qui y vivent, et qui ne sont pas non plus exempts de critiques, j'imagine, naturellement pour toutes sortes de raisons, combien ces Français s'y sentent chez eux. Et chaque fois que j'ai le privilège et l'honneur de rencontrer Sa Majesté, pour qui, vous le savez, j'ai beaucoup de respect, d'estime et d'amitié, je suis frappé de voir qu'il parle des Français du Maroc comme de ses enfants, comme de ses sujets. Et je ne vois pas de différence dans son esprit lorsqu'il parle des uns ou des autres. C'est quelque chose qui touche mon coeur.





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