Articles du Président de la République parus dans le "Figaro Magazine" concernant l'exposition des Bronzes de Shanghai à Paris

Articles de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, parus dans le "Figaro Magazine" concernant l'exposition des Bronzes de Shanghaï au Musée Cernuschi à Paris

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Octobre 1998

Un certain regard sur les bronzes de Shangaï exposés au musée Cernuschi

Le musée de Shanghai reste, pour nous, Occidentaux, le musée d'art par excellence de la Chine. Il est le premier qui ait su conserver et présenter des objets prestigieux et notamment les fameux bronzes chinois d'une étonnante perfection technique et esthétique, utilisés pour les cérémonies rituelles, et caractéristiques de l'histoire de la Chine pendant près de deux millénaires avant notre ère. A l'origine, pièces de collection plus que de fouille, les bronzes archaïques chinois étaient toujours montrés à leur avantage, patine ancienne bien polie, retravaillée si besoin était. Ce sont donc des pièces d'un éclat esthétique exceptionnel que le musée Cernuschi est heureux de montrer aux Parisiens. Mais leur intérêt est aussi ailleurs. Grâce aux fouilles, si riches et si nombreuses, réalisées depuis un siècle, nous pouvons en apprécier davantage la valeur et la qualité.

Le musée Cernuschi, qui est le musée d'Art chinois de la ville de Paris, détient un petit, mais exceptionnel, ensemble de bronzes archaïques : pièces uniques comme la "Tigresse", mais aussi pièces comparables aux plus belles du musée de Shanghai, comme le You de la couverture du catalogue, dont le musée possède une version de grande qualité, bien qu'incomplète, ou le petit gu des origines de Monsieur Cernuschi ; rustique et sombre comme les objets depuis longtemps exhumés.

Ainsi, je ne puis que me réjouir de cette superbe exposition, qui permettra de s'émerveiller des bronzes de Shanghai, mais aussi de redécouvrir les oeuvres et chefs-d'oeuvre de Cernuschi. J'en remercie le professeur Ma Chengyuan, directeur du musée de Shanghai, et Monsieur Gilles Beguin, conservateur général de notre musée.

Les Français apprécieront et comprendront la force de ces objet singuliers qui illustrent si bien la puissance et le raffinement de la Chine antique.

La "tigresse"

C'est avec une émotion que, grâce à la générosité du musée d'Art chinois de la ville de Paris, la France offre aux habitants de la métropole de Shanghai la vision d'une pièce unique et rare. En cette année du Tigre, je ne peux que m'en réjouir.

Ce vase archaïque de la fin des Shang, à la charnière des XIIe et XIe siècles avant notre ère, appelé la "Tigresse", acquis en 1920 par le premier conservateur du musée Cernuschi, Henri d'Ardenne de Tizac, forme une paire, encore à ce jour inégalée, avec celui, tout semblable et entièrement différent en ses détails, de la collection du baron Sumotomo, toujours conservée à Kyoto. Les fouilles ont bien montré que de telles paires peuvent exister dans le sol chinois. Ainsi les vases hiboux de la dame Fuhao à Anyang (XIIIe siècle avant J.-C.), jumeaux par la forme, le volume, la dimension, mais qui divergent par de subtiles variations.

Pourtant, la "Tigresse" de Paris reste mystérieuse. Animal totem dévorant le mauvais génie sous forme d'un enfant - interprétation souvent reprise par les spécialistes chinois - ou tigresse-mère ancêtre du clan. La mythologie asiatique diffère de la nôtre, elle qui fait de la femelle animale divine la mère des hommes et non le dieu humanisé qui, tel Zeus, se déguise en animal pour séduire la femme. La pièce est supposée provenir du Hunan. Les légendes du Sud renforcent cette attribution avec l'enfant princier du royaume de Chu élevé par une tigresse, comme le fit la louve pour Romulus et Remus du mythe fondateur de Rome. Bien que nous soyons plus sensibles aux somptueuses patines qui parent les bronzes longtemps enfouis dans les tombes, l'attrait de cet objet est renforcé par la sombre brillance du métal, plus conforme au goût pour les pièces monochromes des lettrés d'autrefois.

Que cette "Tigresse" ait pu trouver refuge dans nos collections parisiennes, qu'elle ne quitte jamais et où elle instruit et éblouit ses visiteurs, prouve, si besoin était, les liens qui unissent l'Est et l'Ouest.

Jacques CHIRAC





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