Interview du Président de la République accordée à la radio "Africa nø1"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la radio "Africa n°1"

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Palais de l'Élysée, le vendredi 27 novembre 1998

QUESTION - Monsieur le Président de la République française, bonjour. Merci de recevoir Africa n°1 dans cette si belle salle, la salle dite des portraits, du Palais de l'Elysée. Pour cet entretien, nous souhaitons aborder avec vous deux thèmes comme la sécurité et la prévention des conflits en Afrique, mais aussi le processus démocratique en Afrique.

Monsieur le Président, malgré des obstacles, le processus démocratique suit son cours en Afrique. Quel regard portez-vous sur ce mouvement, pensez-vous qu'il convient de juger uniquement les régimes africains sur leurs intentions plutôt que de se crisper sur l'existence ou non de démocraties parlementaires ? Comment peut-on promouvoir la bonne gouvernance dans des pays en proie à des difficultés économiques et sociales ? En définitive, Monsieur le Président, la démocratie n'a-t-elle pas un prix ?

LE PRÉSIDENT - 'abord, je voudrais faire preuve, malgré les circonstances, d'un certain optimisme. Bien entendu, les choses en Afrique sont un peu masquées par les drames qui s'y déroulent, notamment dans la région des Grands Lacs. Mais lorsque vous regardez les choses, pays par pays, vous vous apercevez d'un progrès indiscutable de la démocratie. Et c'est nécessaire, parce que sans démocratie il n'y a pas de confiance et sans confiance il n'y a pas de développement. Un progrès indiscutable du développement, depuis une dizaine d'années : c'est au rythme d'environ 5%, plus important que celui de la démographie, que progresse l'économie africaine. Et enfin un progrès de la bonne gouvernance, je le répète, avec des incidents ici ou là que l'on met en exergue et qui masquent l'ensemble, mais l'ensemble progresse sur la bonne voie. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas pessimiste.

QUESTION - On observe une instabilité chronique en Afrique : Libéria, Soudan, Congo, Sierra Léone, crise en République démocratique du Congo. Face à ces troubles, les Etats africains souhaitent eux-memes organiser des opérations de maintien de la paix en Afrique et mettre en place des mécanismes de prévention des conflits. Monsieur le Président, que pensez-vous de cette prévention multilatérale des conflits armés ?

LE PRÉSIDENT - Il y a des crises, elles sont inévitables dans une région du monde, l'Afrique, de vieille civilisation mais qui est composée d'un très grand nombre d'ethnies, et qui, par conséquent, se trouve confrontée à des problèmes constants d'affrontements. Il faut prévenir les conflits et, le cas échéant, faire en sorte de les résoudre quand ils ont éclaté. Et cela, ce sont les Africains qui peuvent le faire, et personne d'autre. Nous sommes bien avancés dans ce domaine. Vous voyez un certain nombre d'organisations aujourd'hui, je pense à la CEDEAO, puisqu'elle a été d'actualité, la SADC également, qui sont des organismes de prévention et de traitement des conflits. Il faut les encourager, et pour les encourager, il faut les aider matériellement, car la prévention des conflits suppose la mise en oeuvre d'un certain nombre de moyens que les pays africains concernés n'ont pas toujours. Donc, la France, pour sa part, a mis en place le système dit de renforcement des capacités de maintien de la paix en Afrique, qui est un système permettant d'apporter aux Africains qui le souhaitent et qui le demandent l'aide nécessaire en matière de formation, de fonctionnement, de logistique, pour mettre en oeuvre leurs propres moyens de prévention ou de traitement des conflits. Je crois que c'est cela qui est la bonne voie.

QUESTION - A propos d'une force de maintien de la paix interafricaine, quelles en seraient à votre avis les modalités et le commandement ? La France serait-elle prête à y prendre part du point de vue logistique ou financier ?

LE PRÉSIDENT - Je vous l'ai déjà dit, le commandement, la mise en oeuvre, ne peuvent être qu'africains et je dirais, globalement, sous l'autorité de l'OUA, cela va de soi. En revanche, il appartient à la Communauté internationale de mettre au service, autant que faire se peut, de ceux qui veulent la paix les moyens nécessaires pour aider. La France est prête à le faire, nous avons eu une bonne illustration de cela en République centrafricaine avec la MISAB, puis la MINURCA, qui ont été, tout le monde l'a dit, des succès. La France y a pris sa part sur le plan du soutien matériel et logistique.

QUESTION - Monsieur le Président, vous parlez de la coopération avec les pays africains. Un aspect de cette coopération est la coopération militaire, souvent mise en cause, souvent remise en question par des organisations, des associations françaises. Ces organisations exigent que les parlementaires français soient informés du contenu de ces accords et que soient mis en place des mécanismes de contrôle parlementaire des services secrets. Alors, est-ce que ces préoccupations vous paraissent légitimes ?

LE PRÉSIDENT - Permettez-moi de vous interrompre, il s'agit là d'un problème strictement intérieur français que je n'ai pas l'intention de commenter sur une radio internationale.

QUESTION - Parlons de l'euro et du CFA. Beaucoup d'hommes politiques français avaient pourtant juré qu'il n'y aurait pas de dévaluation. Or, ce qui devait arriver arriva. Malgré les assurances de Bercy et de l'Elysée sur une non-dévaluation du franc CFA, reste une incertitude : l'euro. Avez-vous réussi à rassurer le Club des Amis sur l'avenir et la pérennité de la zone franc ?

LE PRÉSIDENT - Je n'étais pas à l'époque particulièrement partisan de la dévaluation du franc CFA mais je suis obligé de reconnaître que les circonstances ont été telles qu'elle a été un succès, et qu'elle a favorisé les économies africaines. Cela tient notamment au fait qu'elle s'est située à un moment où les prix des matières premières augmentaient. Donc, ne prenons pas cette référence.

Pour ce qui concerne l'euro, sur le rapport du président Abdou DIOUF du Sénégal, qui a présenté hier les conditions de mise en oeuvre de l'euro et les conséquences pour les monnaies africaines, il est apparu clairement que c'était un avantage, je dis bien considérable, pour les monnaies africaines qui seront dorénavant appuyées, non plus seulement sur le franc, mais sur ce qui sera l'autre grande monnaie du monde à côté du dollar, le pôle de stabilité du monde monétaire de demain, c'est-à-dire l'euro. Et elles y ont toutes naturellement à y gagner, en ce qui concerne les échanges, importations et exportations, et en ce qui concerne les investissements.

QUESTION - Vous pensez, Monsieur le Président, que les économies africaines pourront, à long terme, supporter notamment les décisions qui seraient prises par la Banque centrale européenne ? Est-ce que ces économies pour lesquelles on dénombre au maximum 3% de déficit budgétaire pourront supporter cela ?

LE PRÉSIDENT - C'est à la France qu'on demande cela. Je suis tout à fait certain que la gestion de l'euro apportera une chose essentielle à ces économies, c'est-à-dire la stabilité. C'est très important. A partir de là, je ne vois pas du tout quels inconvénients elles pourraient subir et je vois parfaitement tous les avantages qu'elles peuvent en tirer. C'est d'ailleurs, je le répète, la conclusion de l'ensemble des chefs d'Etat francophones qui se sont réunis et ont travaillé hier.

QUESTION - Monsieur le Président, pour terminer cet entretien, vous avez eu l'amabilité d'adresser un message à la jeunesse du continent africain à travers le site Internet de la radio Africa n°1. Nos auditeurs ont eu la possibilité de vous interroger. Il ressort de leurs préoccupations un immense désespoir et une angoisse à la veille de l'an 2000. Qu'avez-vous à leur dire, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT - C'est un peu ce que j'ai dit au début de mon propos. A savoir que, si j'ai bien conscience de toutes les considérables difficultés auxquelles l'Afrique et tous les pays africains sont confrontés, il y a aussi, dont on ne parle pas suffisamment, des signes positifs qui permettent d'aborder le prochain siècle pour la jeunesse africaine avec un oeil plus optimiste, avec un comportement plus positif. Le président en exercice de l'OUA, Monsieur Blaise COMPAORE, a fait un petit livre tout récemment qui s'appelle "Les Voies de l'Espérance". Et dans ce livre, il cite un proverbe africain : "même au plus sombre de la nuit, l'aube est à portée de main". Et je crois que c'est très vrai et que les jeunes Africains doivent se dire cela, que l'aube est à portée de leurs mains.

QUESTION - Monsieur le Président de la République française, Africa n° 1 vous remercie pour cet entretien.

LE PRÉSIDENT - Je remercie et je salue Africa n° 1 et tous ses auditeurs.





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