Interview télévisée du Président de la République dans l'émission "PUBLIC"

Interview télévisée accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, dans l'émission "PUBLIC" (présentée par Michel FIELD , réalisée par Philippe LALLEMANT)

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TF1, le dimanche 3 mai 1998

M. FIELD- Dans un instant, c'est le Président de la République, Jacques Chirac, qui est l'invité de "Public" au lendemain du Sommet européen de Bruxelles. Nous évoquerons évidemment l'entrée de la France dans l'euro, ce que cela veut dire pour notre vie quotidienne, les étapes de l'euro dans les années à venir. Et puis aussi quelle étape est franchie dans la construction européenne, avec cette monnaie unique. Nous évoquerons aussi le rôle que joue l'Europe, à la fois dans la cohabitation et dans la vie politique française.
Dans un instant, le Président de la République, Jacques Chirac, est l'invité de "Public". (...)

(...) M. FIELD - Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
Monsieur le Président, merci d'avoir accepté l'invitation que "Public" vous a lancée au lendemain de ce Sommet de Bruxelles dont on entend dire, ici et là, que c'était un moment historique pour la construction européenne. Nous allons évidemment en parler.
Nous parlerons aussi de l'euro et de ce que cela risque de changer dans notre vie quotidienne. Et puis des étapes qui vont désormais ponctuer le calendrier européen. Et puis, si vous le voulez bien, dans la dernière partie de l'émission, on verra un petit peu comment l'Europe peut fonctionner comme révélateur d'un certain nombre de problèmes institutionnels en France et puis comment l'Europe peut ou non recomposer ou décomposer tel ou tel secteur de la vie politique française.
Mais d'abord puisque l'on parle d'un sommet historique, faut-il le mesurer à l'aune de votre absence à la Coupe de France de football hier soir ?

LE PRÉSIDENT - C'est une des premières fois, depuis bien longtemps, que je ne suis pas présent à la Coupe de France, et je l'ai beaucoup regretté. J'avais tout prévu, sauf que cela durerait si longtemps. Et nous sommes rentrés à 3 heures et demi du matin, ce qui était tard, même pour la troisième mi-temps.

M. FIELD - On reviendra sur le pourquoi de ce retard avec cette nuit qui a été consacrée à la décision difficile du choix du Président de la Banque centrale européenne. Un sujet de Bernard Volker nous rappellera tout à l'heure les enjeux de cette affaire. Mais c'est un petit peu l'anecdote par rapport au cadre général de ce sommet.
En quoi, pour vous, cette signature des onze pays pour l'entrée dans l'euro est une date historique dans la construction européenne ?

LE PRÉSIDENT - C'est un accord à Quinze pour que onze pays entrent immédiatement. Les quatre autres, soit ne remplissaient pas les conditions -ce qui était le cas de la Grèce-, soit ont décidé d'attendre -à mon avis, pas très longtemps- pour rejoindre les onze premiers, c'est-à-dire l'Angleterre, la Suède et le Danemark.
C'est une très grande réforme que de décider à renoncer à sa propre monnaie et de créer une monnaie commune. Et c'est une très grande réforme, c'est un très changement qui, pour une fois en Europe, n'est pas fait par les armes. D'habitude, chaque fois que l'Europe a changé, c'était à la suite de guerres et de moments extrêmement difficiles. Cette fois-ci, c'est un libre consentement de chacun qui nous a permis de franchir ce pas décisif, qui va donner à l'Europe le moyen d'exister et d'être la première puissance économique, financière et, par là-même, renforcer considérablement son poids politique dans le monde.

M. FIELD - Mais il y a quelque chose de symbolique qui, pour beaucoup de nos concitoyens, est un peu douloureux dans cette perspective finalement de voir disparaître la monnaie nationale ?

LE PRÉSIDENT - Oui, cela, je le comprends très bien. La disparition d'une monnaie qui est aussi ancienne que le franc pour un pays comme le nôtre, c'est un vrai sacrifice ; de la même nature d'ailleurs que celui qu'assument les Allemands ou les autres. J'entends ici ou là que c'est une catastrophe, mais on ne peut pas indéfiniment mener les batailles du passé, c'est le meilleur moyen de perdre les guerres. Le monde change, il évolue, il faut s'adapter. Et nous ne pouvions pas rester avec un grand marché unique et des petites monnaies qui risquaient de temps en temps de se battre entre elles, ce qui nous a coûté très cher. Donc, c'est l'évolution. Il faut être conscients de la nécessité de se moderniser, de s'adapter.

M. FIELD - En même temps le fait que ce soit par la monnaie que l'Europe avance, cela laisse un goût d'amertume pour les Européens les plus convaincus qui auraient préféré peut-être que l'Europe avançât davantage politiquement et que l'Europe monétaire ne soit qu'une conséquence d'une avancée plus audacieuse dans l'Europe politique ?

LE PRÉSIDENT - Je crois que c'est une approche un peu confuse des choses. Jean Monnet qui est un grand Européen l'avait exprimé avec plus de finesse que ceux qui disent ce que vous rappelez, parce qu'il disait que le seul regret qu'il avait, c'est qu'on n'ait pas commencé par l'Europe de la culture. Ce qui était très joli, mais ce qui n'était pas naturellement très réaliste.
Nous avons un grand marché. Nous avons commencé par l'agriculture, puis nous avons réalisé un grand marché unique. Nous avons assuré la liberté de circulation des hommes, des capitaux, des marchandises. A partir de là, il allait de soi qu'il fallait qu'on ait un instrument monétaire unique, ce qui n'empêche pas d'ailleurs l'Europe d'évoluer politiquement aussi. Avec le Traité d'Amsterdam, par exemple, on a pris un certain nombre de décisions qui, dans le domaine de la politique de sécurité, de la politique étrangère, nous fait également progresser. Puis, nous mettons petit à petit en place des institutions qui, pour le moment, ne sont pas encore adaptées à une Europe qui s'élargit, mais qui font l'objet de nouvelles réformes, de nouvelles adaptations. Donc, les choses vont ensemble, d'un même pas.

M. FIELD - Avant que vous soyez Président de la République, vous étiez réticent sur beaucoup de phases de la construction européenne et notamment sur la monnaie unique. Comment pourriez-vous expliquer, finalement, aux Français ce qui a déterminé votre changement de regard sur cette question, et notamment sur la question de la monnaie unique puisque, au moment où il en était question avec l'Acte unique européen, vous avez eu des mots assez durs contre Jacques Delors qui en était l'initiateur ?

LE PRÉSIDENT - Ma réticence n'était pas si forte puisque vous vous souviendrez que j'ai fait campagne et que j'ai voté pour le Traité de Maastricht au moment du référendum. Le Traité de Maastricht qui, précisément, avait pour objectif de prévoir la monnaie unique. Donc, réticence, oui ; c'était au fond celle du coeur. Et puis la raison l'a emporté comme souvent.
J'ai le plus grand respect pour les réactions du coeur et j'en ai souvent. Mais il est un moment où lorsqu'on assume une responsabilité, il faut savoir obéir à la raison et avoir une certaine vision de l'avenir et non pas seulement des références au passé.

M. FIELD - Cela veut dire que, quand on est un petit peu loin du pouvoir, de l'exercice des responsabilités, on peut avoir un regard, des réticences sur la construction européenne ou la monnaie unique que le réalisme, finalement, des responsabilités permet de dissiper ?

LE PRÉSIDENT - Ou tout autre sujet, ce n'est pas seulement sur l'Europe. Quand est au pouvoir, on assume des responsabilités qui exigent de faire un effort de réflexion. Quand on est dans l'opposition, il est beaucoup plus facile, c'est vrai, de critiquer. Mais les deux sont très positifs car il est nécessaire qu'il y ait une critique pour stimuler la réflexion de ceux qui sont au pouvoir, et c'est l'avantage de la démocratie.

M. FIELD - Dans votre campagne électorale, vous aviez beaucoup parlé d'un thème qui était celui de la fracture sociale. Quand on lit les études sur la réaction non seulement des Français, mais des Européens en général sur la construction européenne et sur la monnaie unique, on s'aperçoit qu'il y a une sorte de fracture sociale qui parcourt les opinions. C'est-à-dire que plus on est favorisé culturellement, socialement, plus on est pour l'Europe et, finalement, plus on a de difficultés sociales, peu de formation culturelle, plus on est réticent. N'est-ce pas grave cela, cette Europe qui se construit contre l'avis ou la sensibilité des membres des sociétés qui sont les plus défavorisés ou qui sont peut-être les premières victimes des crises économiques qu'on connaît ?

LE PRÉSIDENT - Je ne crois pas qu'on puisse dire cela. Si j'en crois un très récent sondage qui a été fait en France, 67 % des Français sont favorables à la monnaie unique. Mais en revanche, globalement, votre réflexion est exacte. Je dirais qu'il est normal, hélas !, que plus on est fragile, plus on est soumis à un sentiment de précarité -et c'est, hélas !, le cas d'un beaucoup trop grand nombre de personnes dans notre société- et plus on est naturellement, spontanément frileux, plus on a peur du changement, et c'est tout à fait normal.
Il doit y avoir à cela deux réactions :
- Premièrement, expliquer et tenter de convaincre que le progrès passe aujourd'hui -le monde étant ce qu'il est- par un renforcement des solidarités de la zone géographique à laquelle nous appartenons.
- Deuxièmement, réduire cette fracture sociale, de faire en sorte que le processus qui nous y a conduits et qui a commencé en réalité par le chômage et ses conséquences, soit entravé.
Ma conviction est que nous sommes dans une phase où cette évolution conduit au chômage, et donc il faut réagir. Parmi les réactions contre cette baisse générale d'activité, il y a le fait de faciliter les échanges, de faciliter la concurrence, de faciliter l'initiative, et cela passe par une monnaie unique. Et donc la monnaie unique est aussi un moyen de nous inscrire dans un système qui sera plus moderne, plus porteur, plus dynamique.

M. FIELD - Mais la monnaie unique ne susciterait-elle pas un plus grand enthousiasme de la part des citoyens européens si on sentait la même énergie pour combattre le chômage de la part des dirigeants européens qu'on ne l'a vu pour les critères de Maastricht ? Ce sentiment que la rigueur économique est vraiment l'alpha et l'oméga, n'est-ce pas quelque chose qui éloigne les gens du concret de cette construction ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, il ne faut pas confondre la rigueur économique et la sagesse dans la gestion. Si en sortant d'ici, vous voulez vous livrer à des dépenses tout à fait hors de proportion avec vos possibilités propres, ce n'est pas un problème de rigueur, c'est un problème de sagesse. Vous n'aurez pas été sage.
L'un des grands avantages de la monnaie unique, indépendamment du fait qu'elle facilitera beaucoup les échanges, et donc la production, et donc l'emploi, c'est d'imposer aux dirigeants de gérer sérieusement les choses, de faire les réformes permettant d'éviter ce que nous voyons trop souvent, les gaspillages. C'est un système de garde-fou.
Vous savez, en France, on a eu trop souvent l'habitude de voir, à des moments déterminés, la démagogie s'emparer des dirigeants et on se mettait à dépenser sans compter, généralement mal, en gaspillant beaucoup et en s'endettant, c'est-à-dire en reportant sur nos enfants la charge, ensuite, de rembourser. Aujourd'hui, par exemple, dans notre pays, nous sommes obligés de payer tous les matins 1 milliard de francs par jour ouvrable, en France, simplement pour rembourser les intérêts de notre dette. Vous vous rendez compte de cette perte ! Tout cela parce que, dans le passé, des dirigeants n'ont pas géré sérieusement nos affaires. Cela explique notamment la situation économique difficile que nous connaissons, un gaspillage considérable.
Cela ne sera plus possible parce que, avec la monnaie unique, il y a les critères de Maastricht. Ce ne sont pas des critères de rigueur, ce sont des critères de sagesse. Vous savez, dans les routes de montagne, on met des barrières pour éviter que les voitures, faisant une embardée, ne tombent dans le fossé. C'est cela les critères de Maastricht, c'est d'éviter les conducteurs un peu trop irresponsables...

M. FIELD - ... Excusez ma question : mais à quoi sert de voter désormais pour vous, enfin pour vous ou pour un autre, si, à ce point, les politiques sont tenus ? Quelle autonomie il y a aujourd'hui pour des gouvernements, pour des gens qui sont élus par des peuples pour faire telle ou telle politique si, quelque part, en Europe, le chemin est tellement borné -comme vous le dites- avec ces glissières de sécurité qui font que, finalement, l'avis des citoyens passe derrière leur avis à eux ?

LE PRÉSIDENT - Monsieur Field, on peut gérer en toute responsabilité et avec une très grande marge d'appréciation de façon sérieuse. Il n'y a pas de corrélation entre une gestion sérieuse et la liberté de faire n'importe quoi.

M. FIELD - Non, mais il y a quelquefois des pays qui sont soumis à des crises particulières, qui ont besoin de trouver en eux-mêmes les ressources pour, à un moment donné, sortir d'une situation difficile. On peut prendre l'exemple, - puisqu'on est à 30 ans de mai 68- ce qui s'est passé en 68, c'était précisément cela : une augmentation de salaires qui a désamorcé une crise sociale. Aujourd'hui, finalement, cette solution-là ne serait plus possible dans le cadre de la monnaie unique.

LE PRÉSIDENT - Naturellement ! mais la situation en mai 68 était tout à fait différente. En mai 68, nous pouvions faire...

M. FIELD - C'est un exemple parmi d'autres.

LE PRÉSIDENT - Ce que nous voulions, nous étions chez nous, avec des barrières hermétiques qui entouraient notre pays.

M. FIELD - Donc, nous ne sommes plus tout à fait chez nous ?

LE PRÉSIDENT - Non, nous sommes dans un ensemble cohérent. Nous sommes maintenant dans une maison qui comporte plusieurs pièces et nous devons l'entretenir.
Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous dites : "En mai 68, on a pris un certain nombre de mesures", j'en ai un souvenir très clair, qu'avons-nous fait ?

M. FIELD - Il y a eu une dévaluation un an plus tard.

LE PRÉSIDENT - Je ne vous le fais pas dire !

M. FIELD - Oui, mais finalement c'était un moyen...

LE PRÉSIDENT - ... C'était un moyen de sortir d'une crise psychologique, politique, sociale. Ce n'était pas un moyen de gérer nos affaires. La preuve, c'est que, un an après, on a affaibli toute la France, on a appauvri tous les Français en faisant une dévaluation. On paie toujours. Alors, cela, effectivement, ne sera plus possible, et tant mieux !
Mais si un pays européen, demain, connaît une crise, c'est l'Europe entière qui s'associera pour la régler, par définition.

M. FIELD - Rien ne le dit explicitement dans le Traité de Maastricht, ce devoir de solidarité finalement ?

LE PRÉSIDENT - Mais c'est l'essence même de nos institutions. Toutes les discussions qui ont lieu autour de la table, entre les chefs d'Etat et de Gouvernement, sur tous les sujets que l'on peut imaginer, sont l'expression même d'une solidarité puisqu'on ne peut rien décider sans que, en réalité, tout le monde soit d'accord.
La grave erreur que font certains, c'est d'imaginer que nous perdons une capacité de décision en construisant l'Europe, ce n'est pas vrai ! Et la preuve, c'est qu'on peut toujours refuser une décision si elle est attentatoire, si elle met en cause vos intérêts importants.

M. FIELD - Ce n'est pas un abandon de souveraineté ?

LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas un abandon, c'est une autre manière de travailler ensemble. Cela est tout à fait capital. C'est une manière moderne de travailler ensemble.

J'ai le souvenir quand j'étais Premier ministre en 1986-1987, mon gouvernement a supprimé le contrôle des changes et le contrôle des prix. Aujourd'hui, quand vous évoquez ces méthodes, vous avez l'impression de parler du néolithique. Et pourtant c'était il y a très peu de temps.

Aujourd'hui, vous avez des systèmes qui font que, en quelques heures, les capitaux peuvent se déplacer. Donc, vous êtes bien obligé de gérer sérieusement. Et pour le cas où il y aurait des risques, alors vous avez des règles. Mais s'il y a crise dans un pays, il va de soi que la solidarité jouera, par définition. Et elle joue en permanence. Chaque fois qu'il y a un problème quelque part, c'est la solidarité qui joue.

Nous avons aujourd'hui -prenons un cas tout à fait typique d'une crise financière forte et localisée, le Crédit Lyonnais- une discussion extrêmement difficile dans les institutions européennes, entre elles et le Gouvernement français, qui ne sont pas naturellement pas d'accord pour la solution. Mais une solution interviendra avec l'accord des uns et des autres. Et c'est ainsi que, par la solidarité européenne, on sortira de la crise.

Donc, ce système européen est un système de gestion de crise qui est évidemment beaucoup plus moderne, adapté à la situation d'aujourd'hui, à un monde qui se mondialise -comme on dit-, c'est inévitable.

M. FIELD - Ce sommet d'hier aurait dû être plus euphorique et plus paisible peut-être qu'il l'a été et vous libérer plus tôt hier soir si cela n'avait été la polémique autour de la présidence de la Banque centrale européenne...

LE PRÉSIDENT - ... Monsieur Field, si vous me permettez de revenir un instant très court sur le tableau que nous avons fait ensemble de cette Europe. Ne croyez pas que je veuille, moi, une Europe qui serait une sorte de société anonyme en pilotage automatique, pas du tout ! Ce que je veux, c'est une Europe. Et ce que nous faisons, c'est une Europe des volontés organisées, volonté des Etats et volonté des citoyens. Et vous savez, ce n'est rien d'autre que l'Europe qu'avait imaginée au départ le Général de Gaulle.
En 1958 -cela nous paraît évidemment très, très ancien, c'est de l'histoire-, cela a été la vision du Général de Gaulle, alors qu'on avait abandonné l'idée du Traité de Rome, il a dit : "Il faut construire l'Europe et il a appliqué le Traité de Rome". Deuxièmement, il a dit : "Il faut faire l'Europe des Etats", et non pas je ne sais quelle Europe fédérale. Et, enfin, il a dit : "Il faut faire l'Europe de l'Atlantique à l'Oural", c'est-à-dire il faut une Europe européenne.
Et aujourd'hui qu'est-ce qu'on constate ? On construit l'Europe pas à pas et on continue. Il y a encore à faire. On a une Europe qui s'élargit -elle n'ira peut-être pas jusqu'à l'Oural, mais enfin elle sera européenne- et on a une Europe des Etats. Il n'y a plus de discussions oiseuses sur la nature de l'Europe. L'Europe, aujourd'hui, est constituée par des Etats.

M. FIELD - Justement, pour en revenir à ma question sur le Président de la Banque centrale européenne. Parce que vous vouliez que la volonté politique du choix du Président soit assurée que vous avez bataillé seul contre tous, contre l'hypothèse de Monsieur Duisenberg qui était finalement cooptée par les banquiers européens ?

LE PRÉSIDENT - J'avais dans cette affaire une position qui n'avait rien à voir avec la personnalité de Monsieur Duisenberg qui est un homme tout à fait éminent, compétent, qui a fait ses preuves et qui sera un excellent Président. Mais je faisais deux remarques :
La première, c'est que le Président de la Banque, comme le gouverneur de la Banque de France, doit être totalement indépendant. Cela est vrai ! Il a en charge la gestion de la monnaie, c'est-à-dire la fixation des taux d'intérêt. Mais il doit être indépendant après avoir été nommé. Et ma première remarque était de dire : "Il n'est pas normal que les banquiers centraux aient décidé entre eux, sans concertation réelle avec le politique, de nommer tel ou tel des leurs à la tête de la Banque", d'où ma première réserve de forme.
La deuxième, c'est que je considérais que la France, deuxième puissance économique de l'Europe, deuxième puissance monétaire, au moment où l'Europe s'engageait dans la mise en place de cette monnaie unique, devait être représentée et non pas, en quelque sorte, absente.
Alors, bien entendu, tout cela a donné lieu à des discussions qui ont été difficiles, comme toujours quand il s'agit des questions de personnes. Ce qui montre bien d'ailleurs que c'est bien d'une Europe des Nations. Pourquoi est-ce que je réagis comme ça ? Parce que je considère que la Nation française doit avoir sa part de responsabilité, et d'autres avaient le même sentiment que moi.
Je suis heureux qu'on ait pu arriver à une solution où la France aura la vice-présidence pendant 4 ans et la présidence pendant 8 ans après que Monsieur Duisenberg ait fait connaître que, de sa propre volonté, sans que personne ne le lui ai demandé -naturellement, il est tout à fait indépendant-, il ait décidé d'interrompre son mandat à la fin de la période transitoire.

M. FIELD - En tout cas, cela a animé...

LE PRÉSIDENT - ... Ce débat. Cela, je le reconnais !

M. FIELD - ... Ce sommet, et Bernard Volker nous en donne quelques aperçus.

REPORTAGE

M. FIELD - - Vous avez l'oeil qui frise quand même au moment où vous dites : "On ne rit pas". Vous n'êtes pas tellement dupe, non plus, de ce montage diplomatique ? Ce ne serait pas mieux que l'Europe commence à parler très franchement plutôt que ces contorsions verbales...

LE PRÉSIDENT - ... Alors, là, je vous assure que l'Europe parle très franchement et que parfois même le ton monte. C'est très régulier. C'est même plutôt le ton moyen est assez élevé.
Dans le cas particulier, nous avons un traité. Ce traité prévoit que le Président de la Banque est nommé pour 8 ans. Il n'est pas question naturellement de violer le traité, nous devons le respecter. Par conséquent, nous avons nommé Monsieur Duisenberg pour 8 ans. Monsieur Duisenberg, pour des raisons personnelles -et je peux vous assurer sans aucune pression particulière- a dit clairement que lui ne voulait pas aller au-delà de la fin de la période transitoire, c'est-à-dire au-delà du moment où les monnaies nationales seraient retirées et les pièces et les billets de l'euro seraient distribués. Cette période se situe entre le 1er janvier et le 1er juillet de 2002, probablement en réalité dans les deux premiers mois de 2002 parce qu'on ne pourra pas laisser une période trop longue avec deux monnaies matérielles. Monsieur Wim Duisenberg a pris cette décision et cela a permis, effectivement, de dénouer les difficultés.
Et, moi, je m'en réjouis parce que la France va avoir, pendant quelques mois, à la fois le Président et le vice-Président. Que le Directoire de cette Banque est composé d'un Président, d'un vice-Président et de quatre membres. Nous avons le vice-Président tout de suite. Nous aurons dans trois ans et demi, le Président, et même pendant six mois les deux. Donc, nous serons réellement, dès le départ, associés à la mise en oeuvre de cette grande réforme, et pour nous c'est capital.
J'entends de temps en temps des gens dire : "Ah ! mais nous allons être sous l'influence du mark", il ne faut pas polémiquer de cette façon parce qu'on désinforme les gens. D'ailleurs, les Allemands eux-mêmes reprochent à leurs dirigeants d'avoir abandonné trop facilement le mark. La vérité, c'est qu'il y a maintenant une institution dans laquelle la France aura une place éminente, notamment pendant la phase de démarrage, ce qui est la phase capitale, et donc un pouvoir monétaire non négligeable.

M. FIELD - Avant d'en venir à l'euro dans ce qu'il va avoir de conséquences quotidiennes pour les Français, vous citiez tout à l'heure Jean Monnet, puis le Général de Gaulle, on a voulu faire un bref récapitulatif de cette longue marche de la construction européenne dans laquelle s'est inscrit le Sommet de Bruxelles.


REPORTAGE>

M. FIELD - Et après, Monsieur le Président, après cette monnaie unique dont on verra tout à l'heure, encore une fois, les dimensions concrètes dans notre vie quotidienne : quelle impulsion nouvelle est donnée à l'Europe ? La monnaie unique est-elle une fin en soi ou doit-elle être, au contraire, un catalyseur pour avancer sur l'Europe politique ? Je lisais récemment l'inquiétude de Jacques Delors qui disait : "On est un peu en panne d'énergie créatrice sur l'aspect "construction politique de l'Europe" : réforme des institutions et avancées ?"

LE PRÉSIDENT - Monsieur Field, il y a d'abord une chose essentielle : nous avons pratiquement assuré la paix et la démocratie sur un continent, dont le moins que l'on puisse en dire, est qu'il était assez allergique à cette sérénité. C'est capital !

Naturellement, aujourd'hui, les jeunes n'ont pas idée que l'on puisse se faire la guerre ! Mais toute l'histoire de l'Europe est une histoire de remise en cause des Droits de l'homme, indéfiniment, de mise en cause de la démocratie pour tous les pays ou dans certains pays, et une histoire de guerres.

Aujourd'hui, le grand mérite de la construction est d'avoir assuré la paix et renforcé la démocratie. On n'imagine pas tout d'un coup que, dans les pays européens, l'union, la démocratie soient mises en cause ou que la guerre puisse se faire ! Et lorsque le processus sera achevé, c'est-à-dire que tous les pays européens seront intégrés dans l'Union, ce qui sera le cas dans 10, 15 ans, alors cela aura été une véritable réforme pour la paix.

Il y a naturellement, pour cela, la nécessité de faire en permanence d'autres réformes. Monsieur Delors, qui a tant donné de son énergie, de son intelligence à la construction européenne, a raison d'être impatient, notamment sur le plan de la réforme institutionnelle. Nous avons besoin d'institutions adaptées, ce qui marchait pour Six, qui marche plus ou moins bien pour Quinze, ne marchera plus pour Vingt. Le système institutionnel, la manière de prendre les décisions ne marche plus. Et, donc, nous avons devant nous une grande réforme sur ce point. Elle est difficile à faire, parce que l'on a, d'un côté, les pays les moins peuplés qui sont très attentifs à ce que leur souveraineté ne soit pas mise en cause et leurs droits non plus, et puis, de l'autre côté, les puissances les plus importantes de l'Europe, qui sont également très attentives à ne pas être bloquées par l'initiative de "petits pays", si j'ose dire, qui se coaliseraient, en quelque sorte, contre les grands.

Donc, c'est un système difficile. Et je pense que -vous parliez de Monsieur Delors- cela pourrait être une contribution supplémentaire qu'il pourrait faire à l'Europe : c'est d'essayer de conseiller les autorités européennes sur le meilleur compromis à élaborer pour permettre aux Institutions de bien fonctionner dans l'avenir.

M. FIELD - - Le Conseil de l'euro, c'est-à-dire cette réunion des ministres de la zone "euro", vous le voyez comme un contrepoids politique par rapport à la Banque centrale européenne ? Et vous estimez nécessaire, finalement, une primauté du politique sur les décisions ou les recommandations de la Banque Centrale Européenne ?

LE PRÉSIDENT - Je crois qu'il faut que chacun fasse son métier. Je le disais tout à l'heure : la Banque doit être indépendante, comme nos banques centrales sont aujourd'hui indépendantes. Cela est capital. Rien n'est pire que de laisser le politique manipuler les taux d'intérêt dans le monde d'aujourd'hui où les capitaux vont, d'un point à l'autre, très librement.
Le Conseil de l'euro correspond donc à quelque chose de nécessaire. Ce n'est pas une instance décisionnelle. La décision, c'est le Conseil des ministres des Finances et, au-dessus, le Conseil des chefs d'Etat et de Gouvernement. Mais ce Conseil de l'euro marque bien qu'il y a un pouvoir politique en face du pouvoir des banquiers centraux. Et je trouve que c'est une bonne chose.
Je me permets de vous signaler que, comme pour les problèmes sociaux, le modèle social européen et la prise en compte des problèmes de l'emploi, c'est la France, là aussi, qui a été à l'initiative pour la création de ce Conseil de l'euro.

M. FIELD - On va y revenir dans un instant, mais j'avais promis un mode d'emploi un petit peu concret de l'euro et puis surtout des étapes jusqu'à 2002. C'est un sujet de Jérôme Paoli et Judith Cléo.

REPORTAGE : EURO - MODE D'EMPLOI

M. FIELD - Vous disiez récemment, Monsieur le Président, que sur le Plateau de Millevaches, chez vous, il y avait encore beaucoup de gens qui comptaient en anciens francs. Cela ne va pas être une facile conversion non plus de passer du franc ancien au nouveau, à l'euro ?

LE PRÉSIDENT - Ce sera même difficile, surtout pour des gens qui ont été très longtemps habitués au franc, c'est-à-dire les personnes âgées. Il va être très important de gérer cette affaire avec beaucoup d'attention. Il faudra d'abord élaborer et mettre à la disposition de tous les Européens des calculettes qui soient à la fois faciles de maniement, extrêmement simples. Nos ingénieurs trouveront certainement ce qu'il faut dans ce domaine.
Il faudra également que -elles ont commencé pour certaines d'entre elles, les banques ou certaines banques-, bien avant l'échéance, il y ait en quelque sorte un double système pour que les gens puissent apprécier les choses. Il y a les associations qui devront faire un effort important, notamment les associations de consommateurs, d'autres aussi. Il y a, enfin, l'administration qui ne devra pas laisser, comme on le fait trop souvent, les gens se débrouiller, si j'ose dire, mais qui devra prendre en charge l'ensemble des procédures pour tout simplifier et pour se substituer, chaque fois que c'est possible, au citoyen, à l'individu, de façon à lui éviter d'avoir des efforts ou une gymnastique intellectuelle difficile. Mais c'est vrai que l'on aura des problèmes et des difficultés. Vous savez, on n'a jamais rien sans problèmes. C'est très, très rare qu'une grande réforme se fasse sans difficultés.
J'ai un petit-fils qui a 2 ans, eh bien je suis très heureux de me dire qu'il ne connaîtra pratiquement, en réalité, que l'euro. Cela ne lui posera aucun problème.

M. FIELD - Et à vous ?

LE PRÉSIDENT - A moi, ce sera peut-être différent !

M. FIELD - Vous parliez tout à l'heure de l'Europe sociale et de la manière dont la France avait été à l'initiative, finalement, de ce qui est quand même encore relativement verbal. Il n'y a pas encore énormément de contenu. C'est une priorité affichée, mais un peu formelle, vous en conviendrez ?

LE PRÉSIDENT - Non ! Je n'en conviendrai pas, non ! Enfin, je nuancerai plus exactement.
Il y a eu deux problèmes : c'est vrai que l'Europe est accusée souvent d'être trop technocratique. Si elle est accusée de cela, c'est parce qu'elle l'est. Et, donc, il y a -c'est pourquoi je parlais tout à l'heure de la réforme institutionnelle- à lutter contre l'envahissement naturel et spontané de la technocratie. Cela est vrai ! Cela a conduit à privilégier tout ce qui était politique, économique, financier, monétaire, un peu au détriment du social.
Tout de suite après mon élection, j'ai lancé l'idée d'un modèle social européen. A l'époque, j'étais tout seul. Je voulais simplement affirmer que nous avions un modèle social qui est celui de la plupart des pays européens et qui est fondé sur trois pieds, si j'ose dire :
- des négociations collectives,
- une protection sociale,
- et un rôle de l'Etat pour assurer la cohésion sociale et nationale.
Je pense donc que l'Europe doit l'adopter. Au début, je le répète, j'ai été, c'est vrai, pas critiqué, mais ignoré.
Aujourd'hui, tout le monde l'a adopté, et c'est un très grand progrès. Le pilier social a été intégré par le Traité d'Amsterdam dans le Traité.

M. FIELD - Mais tout reste à faire quand même ?

LE PRÉSIDENT - Il reste encore beaucoup à faire. Mais, déjà, on a progressé beaucoup sur le modèle social, et il reste naturellement à faire. Il reste à faire dans tous les domaines, d'ailleurs.
De la même façon, c'est une initiative qui revient, d'ailleurs, à la fois au Gouvernement français et à moi : à l'occasion du Sommet de Luxembourg, nous avons, pour la première fois, fait admettre que le chômage devait être un élément essentiel de l'appréciation des décisions économiques, monétaires, financières que l'on pouvait prendre, ou politiques. Et cela a été fait. Les différents gouvernements déposent en ce moment même, cela a été fait il y a quelques jours, leur plan national pour l'emploi de façon que l'on puisse en assurer une certaine cohérence. Car, il est bien évident qu'il faut faire attention, là encore, de ne pas avoir trop de divergences, de ne pas se laisser aller à la démagogie. Il faut que l'ensemble soit sérieux.

M. FIELD - Quand vous me parlez d'une initiative commune entre le Gouvernement et vous, cela me pousse à vous poser la question de la cohabitation à l'aune de l'Europe, parce qu'on a l'impression que l'Europe, aujourd'hui, est quelque chose, ou qui brouille, ou qui éclaircit, suivant les opinions de chacun, la vie politique française : d'une part, sur la cohabitation, il n'y a pas de divergences majeures entre le Premier ministre et vous sur les questions européennes. Et comme vous passez, l'un et l'autre, votre temps à dire que c'est essentiel, on se demande s'il y a encore des divergences essentielles qui vous séparent ? Et puis, deuxièmement, on a le sentiment que l'Europe fait exploser les clivages habituels, on l'a vu récemment au Parlement, avec des logiques de vote qui ne correspondent pas à la partition habituelle de la majorité et de l'opposition. Une majorité qui s'est divisée et une 0pposition, vous le savez sans doute, qui s'est largement divisée également.

LE PRÉSIDENT - J'avais cru l'observer.

M. FIELD - On pourrait entendre votre réaction à l'une et l'autre de ces conséquences de la vie européenne sur la vie politique française ?

LE PRÉSIDENT - Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Tout à l'heure, sur les écrans, on a vu apparaître un sujet qui partait du Général de Gaulle pour arriver à Monsieur Mitterrand et à moi-même, d'où il ressortait qu'il y avait une continuité dans la volonté de construction de l'Europe. C'est vrai ! Il y a une continuité, quelqu'aient été les gouvernements.
Dans deux jours, pour marquer l'événement, j'ai invité à déjeuner à l'Elysée tous les anciens Premiers ministres, avec le Premier ministre actuel, naturellement. J'aurais pu inviter beaucoup d'autres personnalités qui ont eu un rôle important dans la construction européenne, mais tel n'était pas mon objectif. Mon objectif était de montrer que la construction européenne a été un effort commun, long, mais allant dans la même direction, de gouvernements qui, par ailleurs, s'appuyaient sur des majorités qui étaient soit de droite, soit de gauche.
Donc, la politique européenne a été un élément commun du patrimoine politique et de la volonté politique, aussi bien des responsables de droite, que des responsable de gauche dans notre pays. Et il est normal qu'aujourd'hui il n'y ait pas de divergences de vue dans ce domaine.
Alors, en revanche, pas de clivage entre la droite et la gauche. En revanche, il y a un clivage dans la droite et un clivage dans la gauche. Et je dirais que c'est tout à fait naturel et normal. C'est un peu, si j'ose dire, la querelle des "anciens" et des "modernes", qui se retrouve aussi bien dans la majorité que dans l'opposition.
Quand je dis : la querelle des "anciens" et des "modernes", ce n'est pas du tout trivial. Je veux dire que la querelle des "anciens" et des "modernes" au XVIIème siècle...

M. FIELD - ... cela avait plus d'allure que ce que l'on a entendu ces derniers jours...

LE PRÉSIDENT - .... ce n'était pas péjoratif pour qui que ce soit. Mais c'est vrai qu'il y a toujours, probablement partout, mais en tous les cas en France, une querelle des "anciens" et des "modernes". Voilà, je crois que c'est cela le fond du problème.

M. FIELD - Une grande partie, depuis que vous avez fondé le RPR, se retrouve finalement plutôt du côté des "anciens" puisque la non participation au vote du RPR a dû vous faire drôle, vous qui, quelques jours auparavant, disiez toute la foi que vous aviez dans l'euro, dans cette étape-là. Et puis finalement le Parti, que vous avez fondé, ne vous suit pas ?

LE PRÉSIDENT - J'ai crû comprendre que le RPR avait voulu dire oui à L'Europe et à l'euro, c'est ce qui a été clairement exprimé, notamment par son Président, Monsieur Philippe Séguin, qui a dit très clairement et, d'ailleurs brillamment, comme d'habitude : oui à l'Europe et à l'euro. Non à la politique du Gouvernement pour permettre à la France de s'épanouir convenablement dans le nouveau système européen.
Je ne parle pas, naturellement, des polémiques ou des procédures parlementaires, ce n'est pas mon rôle d'en juger naturellement. Mais sur le fond, on ne peut tout de même pas reprocher à un parti politique d'opposition de s'opposer, non pas à l'Europe, il l'a dit clairement, mais au Gouvernement...

M. FIELD - .... Mais comment comprenez-vous que l'autre aile de l'opposition n'ait pas suivi ? Cela fait désordre un peu. Là, vous en conviendrez.

LE PRÉSIDENT - Là, je veux bien en convenir ! Et je crois que nous sommes précisément dans une période où il faudrait éviter les désordres. Il faut, pour faire face aux responsabilités de chacun, aussi bien nationales qu'européennes, être fort, et c'est l'union qui fait la force. Là, je suis tout à fait de votre avis. Mais il n'en reste pas moins que l'autre formation de l'opposition a pris une position différente, a fait un choix différent, peut-être pour bien marquer que sa sensibilité européenne l'avait emporté !
Mais il ne faut pas en tirer de conclusion particulière : l'ensemble de l'opposition a dit clairement OUI à l'Europe et à l'euro. Ce qui n'a pas été le cas, je l'observe, dans la majorité.
Vous savez, j'observe les choses de l'extérieur.

M. FIELD - Vraiment de l'extérieur ?

LE PRÉSIDENT - Ah, tout à fait !

M. FIELD - Pas du tout d'implication là-dedans ?

LE PRÉSIDENT - Tout à fait à l'extérieur.
Je note que, dans la majorité, le clivage était beaucoup plus clair...

M. FIELD - -... Il était attendu, pourrait-on dire ?

LE PRÉSIDENT - Il était attendu, oui. Mais, enfin, on ne peut pas condamner ce qui se passe dans un camp et absoudre automatiquement ce qui se passe dans l'autre.

M. FIELD - Je parlais de l'opposition, parce que j'imaginais qu'elle vous tenait peut-être plus à coeur et que ses divisions vous affectaient davantage que celles de la majorité ?

LE PRÉSIDENT - Monsieur Field, vous avez raison de le dire qu'elle me tient à coeur. Je suis issu d'une famille politique qui est la famille gaulliste, et vous n'imaginez pas que je vais la renier. J'ai toujours été gaulliste et je reste gaulliste, et probablement jusqu'à la fin de mes jours.

M. FIELD - Cela ne vous gêne pas, finalement, que le parti gaulliste n'ait pas les mêmes positions que vous à un moment donné ? Cela ne pose aucun problème au chef de l'Etat que vous êtes ?

LE PRÉSIDENT - Cela ne pose aucun problème. Je ne suis plus un chef de Parti, avec une responsabilité partisane. Un Président de la République doit être fidèle à ses idées et ne pas les renier. D'ailleurs, quand j'ai des critiques à formuler à l'égard du Gouvernement, je le fais.
Mais il doit également prendre en compte un élément essentiel : le Président de la République a été élu par les Français. Il est le Président de tous les Français et il ne peut pas ignorer, naturellement, ou négliger le Gouvernement que les Français se sont donné ! Ce n'est pas moi qui ai élu l'actuelle Majorité, ce sont les Français !

M. FIELD - Vous avez un peu aidé, mais, enfin, c'est une autre histoire !

LE PRÉSIDENT - Ce sont les Français qui l'ont élue ! Et, par conséquent, il m'appartient de faire en sorte que les institutions fonctionnent convenablement, que le Gouvernement puisse gouverner, même s'il m'appartient, fidèle à ma famille politique et à mes convictions, surtout, politiques, de faire valoir mon point de vue ou d'exprimer mon point de vue quand je l'estime nécessaire. Je l'ai fait et je continuerai à le faire. Mais on peut faire cela, je dirais, dans une certaine sérénité.
Il faut mettre définitivement un terme à cette habitude qui a été trop longtemps celle des Français, contrairement d'ailleurs à d'autres pays ou à la plupart des pays qui nous entourent, de concevoir l'opposition politique comme un combat de chiffonniers. Non ! Je respecte tout le monde et j'entends que les institutions fonctionnent, en tous les cas.

M. FIELD - Vous vous sentez une part de responsabilité dans la crise que connaît l'opposition aujourd'hui, dans votre for intérieur ?

LE PRÉSIDENT - Oh, je veux bien assumer toutes les responsabilités que l'on voudra ! Mais, très franchement, les crises sont des choses qui arrivent régulièrement. Le grand avantage, c'est qu'en général on en sort renforcé. Et je souhaite que ce soit le cas. Je n'y trouve pas véritablement ma main, parce que je ne m'occupe pas de l'action de l'opposition, mais je souhaite, je le répète, que l'opposition ait conscience -son objectif étant naturellement de retrouver la majorité, ce qui est légitime pour une opposition dans un système démocratique-, sous une forme à déterminer, bien entendu, et qu'il lui appartient de déterminer, que "seule l'union fait la force".

M. FIELD - L'euro fera disparaître la monnaie nationale définitivement le 1er juillet 2002 au plus tard. Souhaiteriez-vous être le Président qui assiste à la disparition de la monnaie nationale ? Ce qui veut dire qu'il y aurait eu une élection Présidentielle entre-temps, si je compte bien ?

LE PRÉSIDENT - C'est une question fine !

M. FIELD - C'est l'avenir de l'Europe et de la France, Monsieur le Président ?

LE PRÉSIDENT - Et le mien.

M. FIELD - Et le vôtre.

LE PRÉSIDENT - - Eh bien, écoutez, je considère que ce n'est pas d'actualité. Et je souhaite que l'euro puisse être notre monnaie, puisse être un succès, quel que soit le Président de la République française.

M. FIELD - - Monsieur le Président, merci.
Dans un instant, vous avez rendez-vous avec Claire Chazal pour le Journal de 20 heures.

LE PRÉSIDENT - Merci, Monsieur Field.





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