Interview du Président de la République à la "BBC 1" dans l'émission "Breakfast with frost"

Interview accordée par M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à la "BBC 1" dans l'émission "Breakfast with frost"

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Palais de l'Élysée, le dimanche 14 juin 1998

QUESTION - Les grands de ce monde se réunissent aujourd'hui à Cardiff pour un sommet qui débute ce soir. Présidents, Premiers ministres et ministres des Affaires étrangères se retrouvent pour traiter de l'avenir de l'Europe. Parmi eux, l'occupant de ce Palais de l'Elysée, M. Jacques Chirac, Président de la République française qui dispose du Palais qui va avec la fonction. Je l'ai rencontré au Palais, il y a deux jours et je l'ai interrogé sur ses projets, sur sa volonté surprenante - une volonté partagée par la Grande-Bretagne - de rendre toute la bureaucratie de la Commission européenne plus proche des simples citoyens de l'Europe. Il a également accepté de rendre cette interview plus proche des téléspectateurs britanniques en me parlant en anglais.

Monsieur le Président, tout d'abord merci d'avoir accepté de faire cette interview en anglais. Merci d'avance.

LE PRÉSIDENT - C'est un risque pour vous et moi. Mais c'est un plaisir.

QUESTION - - Cela commence déjà très bien. A votre avis, estimez-vous que la présidence de M. Blair, la présidence britannique, a accompli autant que vous l'espériez ?

LE PRÉSIDENT - Oui, absolument. La présidence britannique qui a été une très bonne présidence - cela ne fait aucun doute - a réussi l'euro, ce qui était un dossier très important et difficile, très difficile. Ils l'ont parfaitement réussi et je suis reconnaissant à cette présidence. Je regrette simplement que les Britanniques ne soient pas dans l'euro mais c'est un autre problème.

QUESTION - Pensez-vous que M. Blair aurait pu, d'une manière ou d'une autre, éviter cette petite dispute sur le nom du président de la Banque centrale européenne ? Aurait-il pu l'empêcher ?

LE PRÉSIDENT - Honnêtement, non. J'ai entendu quelques critiques mais je pense qu'elles n'étaient pas justes. Nous pensions que ce problème était réglé quelques semaines avant le Sommet et Tony Blair le pensait également. Nous avons alors eu un deuxième problème au dernier moment, mais ce n'était pas de sa responsabilité, ce n'était pas sa faute. Le Sommet de Bruxelles dont vous parlez avait été très bien préparé. Cela a été un accident.

QUESTION - Donc, vous pensez que votre homme, M. Jean-Claude Trichet, sera président de la Banque centrale européenne dans quatre ans ou dans huit ans ?

LE PRÉSIDENT - Je suis absolument certain que Jean-Claude Trichet sera président de la Banque dans quatre ans. Tel est l'accord et M. Duisenberg, qui est un gentleman, a donné, sur ce point, sa parole. Je n'ai aucun doute à cet égard.

QUESTION - C'est ce que j'ai lu. Mais j'ai aussi lu, l'autre jour, une interview de M. Duisenberg dans laquelle il semblait donner l'impression qu'il avait oublié cela.

LE PRÉSIDENT - Non, ce n'est pas possible. Il m'a donné sa parole.

QUESTION - L'Union européenne est actuellement confrontée à un grand nombre de problèmes importants. Quel est votre sentiment sur l'élargissement ? Pensez-vous que c'est très motivant, ou que c'est un problème ?

LE PRÉSIDENT - Les deux. C'est motivant parce que les pays candidats sont depuis si longtemps désireux d'être complètement européens ; ils connaissent une situation si mauvaise depuis tant d'années. Ils sont des frères pour les Quinze et nous leur ouvrons les bras. C'est une famille qui se retrouve. C'est donc très motivant. C'est aussi un problème bien sûr parce que leurs économies ne sont pas au même niveau que la plupart des autres et il nous faut les aider. Nous devons faire des réformes. Ceci prendra un peu de temps bien sûr, mais c'est très motivant.

QUESTION - Ceci signifie-t-il, dans cet esprit, que si nous faisons l'élargis-sement, nous devons d'abord réformer la politique agricole commune, sinon on court à la faillite ?

LE PRÉSIDENT - Le problème, ce n'est pas la PAC, mais d'abord les institutions. Les institutions de l'Union ont été mises en place quand nous étions six. Nous sommes quinze et, franchement, elles ne fonctionnent pas très bien. Quand nous serons plus que quinze elles ne fonctionneront plus du tout. Il nous faut donc réformer les institutions : la Commission, les procédures de vote de décision, tout ceci doit être modifié et il n'y a aucun doute que cette réforme doit précéder le premier élargissement.

QUESTION - Dans la lettre que vous avez écrite avec le chancelier Kohl et qui a suscité de très grandes réactions au Royaume-Uni, vous dites notamment : "l'objectif de la politique européenne n'est pas et ne peut pas être la construction d'un Etat central européen. Tous nos efforts doivent être dirigés vers la création d'une Union forte et capable d'agir tout en sauvegardant la diversité de ses traditions politiques, culturelles et régionales". C'est bien un pas en avant important, n'est-ce pas ?

LE PRÉSIDENT - Oui, très important et les Britanniques, la Grande-Bretagne, la présidence, est en accord complet avec cette vision de l'Europe.

QUESTION - Il n'y a pas que Tony Blair. Je pense que même Margaret Thatcher serait d'accord avec cela ...

LE PRÉSIDENT - Oui, oui. Mais, vous savez l'idée d'une Europe fédérale n'est pas un problème aujourd'hui. Chacun des Quinze est favorable à ce que nous appelons en français : l'Europe des Etats, l'Europe des Nations. Il nous faut renforcer les liens entre nos pays mais chaque pays doit garder son identité.

QUESTION - Quels dossiers, actuellement traités à Bruxelles, pourraient, par exemple, revenir aux Etats ?

LE PRÉSIDENT - Il y a des centaines de décisions qui n'auraient pas dû être prises par la Commission et la Commission devrait changer. Elle a commencé avec le président Santer. Mais vous vouliez un exemple : nous avons en ce moment en France la Coupe du monde et nous avons un problème, y compris avec les Britanniques, au sujet des billets. Les Britanniques disent : "vous ne nous donnez pas assez de billets et vous en avez probablement gardé trop pour vous" ou quelque chose de ce genre. Et nous avons dit au gouvernement britannique "désolé". Tony Blair m'en a parlé mais ceci n'est pas de notre responsabilité nous n'avons rien à voir avec cela. C'est la FIFA.

QUESTION - Oui, oui.

LE PRÉSIDENT - Les organisateurs sont chargés de cela. Et à la Commission, un commissaire a dit : "c'est un problème qui doit être réglé par la Commission". Ils étaient prêts à prendre des décisions et à dire comment les tickets devaient être distribués. Nous avons répondu : "soyez sérieux, ce n'est pas votre responsabilité, c'est la responsabilité de la FIFA". Voilà le dernier exemple.

QUESTION - Et si la Grande-Bretagne était capable, acceptait de participer à l'UEM en 2002 ?

LE PRÉSIDENT - A l'euro ?

QUESTION - Oui, à l'euro, combien d'autres pays à votre avis, en prenant une perspective à long terme, pourraient entrer dans l'euro en 2002 et combien y en aura-t-il en 2010 ?

LE PRÉSIDENT - C'est bien sûr très difficile à dire. Je crois qu'en 2002 les Britanniques y participeront. J'en fais le pari. Et avec eux, il y aura les trois autres des Quinze. Et d'ici 20 ans, je pense que la plupart des pays européens seront membres de l'Union et membres de l'euro.

QUESTION - L'euro pourrait-il être la première monnaie du monde et le dollar la seconde ?

LE PRÉSIDENT - Je l'espère mais ce sera pour un petit peu plus tard. Je suis très optimiste pour l'Europe.

QUESTION - Je le vois bien.

LE PRÉSIDENT - Et cela sera mieux avec les Britanniques, j'en suis certain.

QUESTION - En ce qui concerne les Britanniques...

LE PRÉSIDENT - De toute manière nous ne pouvons pas faire l'Europe sans la Grande-Bretagne.

QUESTION - Je vous ai demandé combien l'euro compterait de participants en 2002 et 2010. Je voudrais maintenant que vous fassiez une autre prédiction essentielle : qui va gagner la Coupe du monde ?

LE PRÉSIDENT - Et bien, si tout se passe correctement - mais un accident est toujours possible - ce devrait être la France. C'est en tous cas mon souhait...

QUESTION - Oui, je comprends bien...

LE PRÉSIDENT - ...après avoir battu l'Ecosse le 12 juillet.

QUESTION - Monsieur le Président, je vous remercie.

LE PRÉSIDENT - Merci beaucoup d'être venu jusqu'ici. J'apprécie beaucoup.

QUESTION - Permettez-moi d'ajouter que vous ne vous êtes jamais trompé de mot, que vous n'avez jamais achoppé un mot. Nos téléspectateurs vont penser que vous parlez l'anglais mieux que moi.

LE PRÉSIDENT - Vous dites que je n'ai pas achoppé sur un seul mot "not a stumble", je me permets de dire que je ne sais ce qu'achopper veut dire !./.





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