Coupe du monde de football : tribune du Président de la République parue dans l'hebdomadaire Paris-Match

Tribune de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, parue dans l'hebdomadaire Paris-Match après la coupe du monde de football

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Parue le jeudi 16 juillet 1998

"Nous avons aimé cette France qui gagne"

D'où vient qu'un événement sportif, fut-il mondial, soit qualifié "d'historique", non pas au sens d'exceptionnel, mais au sens propre : qui concourt à écrire l'histoire ?

Il faut simplement qu'au-delà du sport, au-delà de l'exploit, au-delà du plaisir et de la fête collective, se jouent une rencontre, une reconnaissance entre un peuple et lui-même.

Tout commence par le sport, bien sûr. Une coupe du Monde voulue par la France. Organisée patiemment, pendant six ans, par Michel Platini et le regretté Fernand Sastre. Une coupe du Monde qui mobilise des milliers de bénévoles qui donnent leur temps et leur envie.

Et tout s'accomplit par le sport. Matches de préparation, sous le regard attentif et secret de l'entraîneur Aimé Jacquet, qui, très tôt et depuis très loin, suit son chemin. Pays sélectionnés. Interrogations. Joies et déceptions pour ceux qui ne seront pas directement de la fête.

Et puis la chanson de geste s'écrit, chapitre après chapitre. La France regarde et attend. La France ouvre les portes de sa curiosité, de son plaisir, de ses affections. La France s'inquiète et se passionne. La France crie sa joie ensemble et voudrait que ce 12 juillet ne s'achève jamais.

Que s'est-il passé ?

D'abord la France a accueilli le Monde. C'est toujours le cas, dira-t-on, dans les compétitions internationales, de Roland Garros aux Jeux Olympiques d'Albertville. Bien sûr. Mais elle a accueilli le Monde sur l'ensemble de son territoire, et les matches ont dessiné une nouvelle géographie. Pendant de longues semaines, des équipes venues de partout ont apporté leurs couleurs, leurs cultures. Leurs supporters, aussi. Pour le pire, et ma pensée va naturellement au gendarme Daniel Nivel, dont la famille est toujours dans l'angoisse et dans la peine. Mais aussi pour le meilleur, c'est-à-dire la rencontre et la fraternité. Et la France a été fière d'être ainsi au centre du Monde, accueillante et forte.

Ensuite, la France a gagné, et nous avons aimé cette France qui gagne. L'équipe de Didier Deschamps n'a pas gagné par hasard. Elle s'est entraînée durement. Les meilleurs ont été choisis pour chaque match, les autres se tenant prêts à suppléer à toute défaillance. Cette France qui gagne n'a pas été spontanément reconnue. Critiques et prédictions moroses n'ont pas manqué. Mais jamais notre équipe ne s'est laissé détourner de son ambition et de sa confiance, jusqu'à ce qu'arrive ce moment magique où elle ne pouvait plus perdre parce qu'elle était devenue la France.

On a beaucoup parlé d'intégration, du visage moderne de notre pays offert par cette équipe d'exception. On a eu raison. Bien sûr, tous les problèmes n'ont pas disparu soudainement, et l'intégration est toujours à réinventer. Mais je voudrais dire à tous les jeunes qui se reconnaissent dans cette équipe tricolore et multicolore, que chacun, à sa place, est dépositaire d'un peu de la fierté de la France. Que chacun a un rôle à jouer, quelque chose à donner. Il est normal que l'on soit attaché à son quartier, à sa cité. Mais c'est en jouant "France" que l'on va loin, et parfois au-delà de soi-même.

Enfin, je voudrais dire à tous les Français, que cette France qui vient de gagner, c'est une France rassemblée, une France qui se parle. Pendant tout un mois, l'indifférence, l'individualisme et la solitude ont cédé du terrain. A leur place, il y a eu échanges, chaleur, communion spontanée, par-delà les frontières et les barrières, autour d'une ambition partagée.

C'est la principale leçon de la coupe du Monde. Une leçon de coeur, courage et fraternité mêlés. Une France qui gagne ensemble. Au-delà de la nostalgie des lendemains de fête, je crois et j'espère que nous allons garder au coeur cet élan et cette fraternité.





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