Croisade pour l'Emploi - Journal du Dimanche

Croisade pour l'Emploi - Entretien accordé au Journal du Dimanche

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Journal du Dimanche, N° 2613, 26 janvier 1997

Chirac lance sa " croisade " pour l'emploi

" 1997 est l'année de l'emploi des jeunes."

Le Président l'inaugure demain. Il dévoile aujourd'hui son projet et ses initiatives.

Entretien : Christian Sauvage

A chaque semaine, son combat. La semaine dernière, le Président lançait la réforme de la justice. A partir de demain, ce sera celle de " l'emploi des jeunes " . Pas une semaine, une année ! Car Jacques Chirac l'a affirmé trois fois - lors de son show télévisé du 12 décembre, lors de ses voeux aux Français du 31 et le 11 janvier, aux Corréziens, à Tulle - " 1997 sera l'année de l'emploi des jeunes ". Lundi, il va débouler à Boulogne-Billancourt dans un espace " Cyber Jeune " et reviendra autant de fois qu'il le faudra sur le terrain pour faire bouger les choses. Préparant hier à l'Elysée son offensive, il a reçu le JDD, dévoilant son projet.

" Croisade ? " " Le terme me convient. Il nous faut une mobilisation forte de nos énergies, physiques bien sûr, mais aussi intellectuelles et culturelles. Il fallait la foi au Moyen Age pour partir ainsi. Aujourd'hui c'est d'énergie, de qualité, de courage, de foi en somme, que nous avons besoin. " Dans le calme du premier étage de l'Elysée, Jacques Chirac se prépare au combat pour l'emploi des jeunes. Ne reculant pas devant la métaphore pour faire passer sa détermination, son engagement qui se veut total. Il y va, bien sûr, d'un problème clé de la société française d'aujourd'hui, il y va aussi de l'espoir qu'a fait naître le candidat Jacques Chirac à l'élection présidentielle chez des jeunes qui l'avaient suivi.

Pourquoi tant de temps perdu, alors que ce dossier de l'emploi des jeunes était, dès le premier jour, en tête des soucis des Français (un récent sondage Sofres pour le Pèlerin fait de cette question la préoccupation numéro un des Français avec 49%) ? " Entre le moment où une idée est exprimée, où les faits s'imposent, et celui où tout cela entre dans les têtes pour modifier les comportements, les délais sont toujours importants. " Le Président insiste, la France a progressé depuis deux ans dans certains domaines de l'emploi, notamment sur le chômage de longue durée. Mais le chômage des jeunes " met en cause aujourd'hui l'avenir même " de notre société. Pas de " baguette magique " en vue. Mais surtout une mobilisation générale pour modifier nos comportements.

Premier point : tout faire pour que la croissance s'améliore. Même si cette sacrée croissance ne va pas tout résoudre, elle devrait avoir " des effets particulièrement positifs " sur l'embauche éventuelle de jeunes. Car les entreprises qui réembauchent se tourneront davantage vers les plus jeunes. Mobiliser toutes les énergies, cela sera le cas le 10 février lors de la réunion que le gouvernement organise à la demande du Président. Une réunion qui ne mettra pas une nouvelle fois, face à face, ministres et partenaires sociaux (syndicats et patrons), mais aussi, Jacques Chirac a insisté, " tous les autres acteurs qui peuvent avoir un rôle important " en ce domaine, collectivités locales, associations et services de l'emploi. Des jeunes aussi ? " Par le biais des associations, forcément ! Reste le troisième axe de l'offensive présidentielle : rechercher toutes les initiatives nouvelles qui peuvent être mises en oeuvre. " Certaines s'avéreront décevantes, elles seront abandonnées. D'autres seront positives, on les développera. "

Pour mettre l'accent sur cette floraison d'initiatives, Jacques Chirac visite demain une expérience de la mission locale pour l'emploi de Boulogne-Billancourt, " tout à fait exemplaire de ce qui peut être fait et que l'on peut généraliser " : un " Cyber Espace " pour l'emploi des jeunes. Que ce soit à l'ANPE ou dans les missions locales pour l'emploi, les jeunes qui s'y rendent trouvent un certain nombre de propositions d'emploi dans leur région, leur bassin d'emploi. Mais " c'est une petite réponse ", se plaint Jacques Chirac. A Boulogne, grâce à des ordinateurs, une connexion sur Internet, les jeunes peuvent être acteurs de leur recherche, sur un système moderne permettant une ouverture sur les nouvelles technologies mais surtout sur des propositions d'emplois bien plus nombreuses. Des jeunes chômeurs ne savent pas se servir de ces nouveaux outils ? Deux polytechniciens les aident à " surfer " à Boulogne. Ce pourrait être ailleurs d'autres jeunes ou des retraités qui, de façon bénévole ou rémunérée, pourraient initier les jeunes demandeurs d'emploi. Le Président attend aussi de cette approche une " certaine incitation à la mobilité ", bien dans l'air de cette mutation que nous vivons. Les offres d'emploi recouvrent toute la France et le système permet aussi de trouver un logement.

Claude Chirac, la fille du Président qui travaille à sa communication, s'est rendue en avant-garde à cet espace Cyber Jeune. Son père ne résiste pas au plaisir de raconter qu'elle a pu constater, facilement, qu'il y avait des emplois de pâtissier disponibles en Belgique, de boulangers au Japon, etc. Une expérience intéressante pour des jeunes à la recherche d'une expérience à l'étranger qui peut compléter leur formation et les ouvrir à l'exportation. Jacques Chirac rappelle que 3 millions d'Allemands, 4,3 millions d'Italiens et seulement 1,7 million de Français travaillent hors de leurs frontières. " C'est miraculeux que nous exportions tant malgré ce retard. "

Internet, auquel l'Elysée n'est pas encore connectée - mais, bientôt, bientôt - n'est pas la panacée. Le Président croit aussi beaucoup au tutorat dans l'entreprise. Et il rapproche cette idée du débat sur la retraite. " Aujourd'hui, un nombre croissant de personnes, jeunes, dynamiques, en pleine capacité de travailler, sont à la retraite. Beaucoup veulent apporter leur compétence aux jeunes ". Sous-entendu : aidons-les, soit par une organisation qui permettrait de les rémunérer, soit par des associations pour le bénévolat. Et le Président rattache ces propositions à son combat contre l'illettrisme. " J'ai connu un temps où ceux qui étaient dans ce cas trouvaient du travail. Aujourd'hui, du fait de l'évolution technique, c'est impossible ". Là encore bénévolat et rémunération devraient permettre de traiter le sujet et de créer des emplois.

Le 12 décembre, le chef de l'Etat avait évoqué dans son propos sur l'emploi des jeunes, la proposition du CNPF de " stages diplômants " qui paraissent bien mal en point aujourd'hui. " Ce serait dommage ". Pourtant, les syndicats de jeunes et beaucoup des syndicats adultes ont rejeté ce projet assimilé au CIP qui ébranla le gouvernement d'Edouard Balladur. Pour l'heure, le Président se demande si on critique " le bon projet ". " En France, on a le génie du dénigrement. " Il préfère observer qu'il y a trois types de jeunes : ceux en très grande difficulté, qui relèvent de la solidarité nationale, les jeunes sans qualification pour lesquels il faut des moyens d'insertion ; les jeunes diplômés, enfin, à qui on refuse des emplois parce qu'ils manquent d'expérience professionnelle. Là les stages diplômants pourraient se révéler " une bonne idée ". Réaliste, Jacques Chirac ajoute : " Le principe est facile, les modalités d'application moins ".

Les jeunes ? Jacques Chirac les trouve formidables. " Ils sont globalement optimistes quand tout devrait les conduire à être pessimistes, moroses. Ce n'est pas eux qui entretiennent la morosité. Ils font aussi preuve de générosité. Je suis frappé de voir dans les sondages sur le volontariat leurs réponses toujours très positives. "

Cet enthousiasme résonne comme un écho au mouvement qui s'est produit chez les jeunes électeurs lors de l'élection présidentielle. Mais la question de l'emploi des jeunes reste entière. N'est-ce pas là l'échec majeur du début de son septennat ? Jacques Chirac ne fuit pas la question. " C'est tout à fait exact. C'est un échec, mais c'est l'échec de la société. Tous les pays sont confrontés au même problème. Quand on regarde pourquoi la France est bien moins placée que certains de nos voisins, il faut faire deux constats : depuis longtemps elle a géré ses affaires avec trop de laxisme et de facilité. Avec les conséquences que l'on voit sur l'emploi. Nous n'avons pas été assez sérieux. Pour des raisons qui tiennent à notre culture, les Français ont beaucoup de mal à accepter les réformes. Comme il nous manque une culture du dialogue, les réformes sont faites par à-coups entre de longues périodes de paralysie. " Sur la question de l'emploi des jeunes, Jacques Chirac s'est décidé à bouger.





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