Intervention télévisée du Président de la République à l'occasion de la Fête nationale

Intervention télévisée de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la Fête nationale

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Palais de l'Élysée, le dimanche 14 juillet 1996

P. POIVRE D'ARVOR - Tous les Français qui, semble-t-il d'après les conversations, d'après les études, n'ont guère le moral, en ce moment. C'est la raison pour laquelle avec Alain Duhamel nous allons vous interroger sur des problèmes techniquement intérieurs, économiques, sociaux, chômage, défense, justice, immigration, Corse, les grandes peurs de l'an 2000, les problèmes ne manquent pas.

Et à ce propos, nos compatriotes peuvent avoir le sentiment de vous perdre un petit peu, en ce moment. Vous revenez du Qatar et d'Arabie Saoudite. Vous allez repartir au Gabon et au Congo. Vous occupez-vous assez des Français ?

LE PRÉSIDENT - Vous savez, j'ai été élu aussi pour représenter la France à l'extérieur, et surtout pour y défendre ses intérêts. Un Français sur quatre, on en a pas toujours conscience, travaille pour l'exportation. Vous rendez-vous compte de l'importance que représente pour nous le commerce extérieur. Quand je voyage à l'étranger, je défends nos intérêts. Un rapport d'experts vient de m'être transmis, montrant que depuis 1 an, les seuls contrats commerciaux passés avec des pays étrangers, l'ont été en raison de l'implication personnelle du chef de l'Etat. Ces contrats représentent en gros 120 Milliards, c'est-à-dire 120 000 emplois. Tout cela pour dire qu'il n'y a pas la politique étrangère d'un côté, la politique intérieure de l'autre. Les deux sont liées.

M. DUHAMEL - Alors, Monsieur le Président, les Français sont pessimistes. Ils ont les idées noires, plus noires même que les autres pays qui nous sont le plus comparables et qui sont dans des situations semblables à la nôtre. Ressentez-vous ce phénomène là ?

LE PRÉSIDENT - Comment ne pas le ressentir. Je ne voyage pas seulement à l'étranger. Je voyage aussi en France. Je rencontre beaucoup de monde. Je reçois des gens de toute nature, de toutes origines, des jeunes qui sont dans des mouvements associatifs et qui s'y dépensent généreusement. Et je sais très bien qu'il y a une inquiétude profonde actuellement dans le coeur et dans l'esprit des Français. Et comment pourrait-il en être autrement, il n'y pas une intervention que nous ne recevions qui ne concerne un emploi, pour le père, pour le fils, pour le cousin.

Il y a une espèce de doute général qui s'est installé un peu dans notre pays - tout à l'heure M. Poivre d'Arvor disait des peurs millénaires, c'est un peu excessif, mais il y a du vrai - on se demande si ce que l'on respire ne va pas tout d'un coup porter atteinte à notre santé. C'est, par exemple, le problème de l'amiante. On se demande si ce que l'on mange ne va pas tout d'un coup nous rendre malade, et c'est le problème que nous avons connu avec les "vaches folles". Il y a là une espèce de désordre et de confusion qui se développe d'autant plus qu'il n'y a pas de moral. Et, s'il n'y a pas de moral c'est beaucoup, je crois, parce que la France s'est laissée aller, depuis trop longtemps.

M. DUHAMEL - Depuis combien de temps ?

LE PRÉSIDENT - Cela ne se chiffre pas, 20 ans, 30 ans, je n'en sais rien, mais elle s'est trop laissée aller. Nous avons creusé trop de déficits, trop de dettes et ceci nous tire vers le bas. Nous avons été trop immobiles, trop longtemps, refusant les réformes qui s'imposent, parce que les Français sont parfois un peu routiniers. Ils sont conquérants, mais également routinier. Ceci évidemment crée une situation, aujourd'hui qui doit être redressée et qui peut l'être naturellement. Nous avons l'intention, l'objectif, c'est ce que j'ai indiqué pendant ma campagne, de remettre en quelque sorte la France en mouvement, et c'est possible.

P. POIVRE D'ARVOR - Alors avant de décliner les problèmes économiques et sociaux, un mot sur ce qui s'est passé ce matin. Vous venez d'assister aux côtés du Président Mandela, à l'un des derniers défilés d'une armée de conscription puisque, par votre volonté, cette armée va devenir une armée de métier, avec la disparition progressive du service militaire dans sa forme actuelle. C'est un changement évidemment considérable dans la vie d'un pays, pourquoi ne pas être passé par la sanction d'un référendum ?

LE PRÉSIDENT - Juste avant de vous répondre, M. Poivre d'Arvor, je voudrais simplement dire une phrase de plus à M. Duhamel. Dans une situation de cette nature, il n'y a pas de solution miracle. Chacun d'entre nous à une part de la solution et c'est de son propre comportement que viendra la solution de l'ensemble. Ce n'est qu'ensemble et en retroussant nos manches, en regardant devant et non pas derrière que nous arriverons à maîtriser ce que vous appelez la morosité ou le pessimisme.

Pourquoi pas de référendum sur le service national. E bien je vais vous dire je l'ai beaucoup regretté. Cela avait été naturellement et spontanément ma première idée, car c'était le type même de question à poser à l'ensemble du peuple Français et qui justifiait sa propre réponse. Malheureusement, les experts, les juristes, -peut-être pas la totalité, la plupart- m'ont expliqué que ce n'était pas constitutionnel. Et comme je n'ai pas voulu ouvrir un débat sur la constitutionnalité d'un référendum qui aurait éclipsé le débat sur le service national, je n'ai pas fait de référendum.

M. DUHAMEL - Alors, cette réforme de la Défense entraîne des conséquences. Il va y avoir des dissolutions de régiments. Elles seront annoncées cette semaine par Charles Millon. Des bases vont être fermées. Des sites vont fermer et des problèmes d'emplois vont se poser dans l'industrie de l'armement, GIAT-Industrie ou les arsenaux de la Marine. Que peut-on faire au moins pour atténuer ce choc social là?

LE PRÉSIDENT - La réforme de notre défense s'imposait. Le monde n'est plus ce qu'il était. J'ai fondé sur quelques idées simples une dissuasion efficace, une armée professionnelle, ce qui supposait de ne plus maintenir le service militaire comme il existait avant. C'est l'un des deux points que les Français ont retenus. Ce qui n'empêche pas naturellement de maintenir le lien nécessaire entre les jeunes et la nation. Cela sera la loi sur le service militaire à la rentrée, une semaine citoyenne ou une dizaine de jours citoyens. Alors l'autre conséquence qui a été retenue par les Français est celle qui intéresse, je dirais, les régions, les villes touchées soit par la fermeture d'une unité militaire, soit par la perte du plan de charges, hélas, de notre industrie d'armement et l'industrie superbe dont nous sommes fiers mais qui aujourd'hui est surdimensionnée. Alors comment faire ? En ce qui concerne les bases, les unités qui seront dissoutes, elles seront remplacées par d'autres activités. La loi a prévu des mesures d'accompagnement extrêmement importantes, des crédits extrêmement importants pour compenser les pertes dans chacune des régions. On ne peut pas faire des promesses en l'air. C'est ma volonté que cela se fasse ainsi. Donc je ferai en sorte que le gouvernement le fasse ainsi.

M. DUHAMEL - Mais tout le monde ne sera pas également servi...

LE PRÉSIDENT - Je souhaite et je veux que tout le monde soit également servi car je sais ce que cela représente pour une région. Vous savez, j'ai été pendant très longtemps l'élu d'une région très pauvre et je sais très bien ce que représente la disparition d'une activité, surtout dans une région pauvre. D'autre part, en ce qui concerne l'industrie d'armement, aujourd'hui on n'achète plus autant d'armement qu'avant, ni la France, ni l'étranger et d'une certaine façon je dirai tant mieux pour la paix dans le monde. Mais cela pose des problèmes considérables. Si nous ne faisons rien, si nous maintenons notre capacité d'armement comme elle existe aujourd'hui, cela voudra dire quoi ? Cela voudra tout simplement dire que nous accumulerons les déficits, et que ces déficits, il faudra bien les payer, ce sont des déficits publics et cela veut dire qu'il faudra que les contribuables payent par l'impôt ces déficits. C'est ce qu'on a toujours fait en France. On a refusé de voir l'évolution des choses. On a refusé de s'adapter et le résultat, est qu'on a laissé se développer des déficits qui nous conduisent à avoir les impôts les plus élevés, peut-être pas du monde, mais en tous les cas des pays industrialisés. Et c'est ce cercle vicieux qu'il faut rompre. Alors naturellement cela suppose une diversification de la production de nos arsenaux. Il n'y aura pas de licenciement. Il y aura des mesures d'adaptation. Il y a des crédits considérables prévus dans la loi pour l'accompagnement économique et social de ces mesures. Ces choses se feront conformément aux intérêts des travailleurs, qui sont des travailleurs, je dirai, exceptionnels dans la mesure où ils ont porté l'industrie française de l'armement au plus haut niveau et j'entends bien qu'elle le reste.

P. POIVRE D'ARVOR - Alain DUHAMEL évoquait tout à l'heure un climat morose, certains disent délétère. Ils évoquent en cela les affaires, ce qu'on appelle les affaires. En quelques jours, les Français ont quand même assisté à une cascade d'événements assez considérables : l'incarcération du Président de la SNCF, le renvoi en prison de l'un de vos anciens Ministres, Alain CARIGNON, le début de la déchéance...

LE PRÉSIDENT - Il n'était pas mon Ministre.

P. POIVRE D'ARVOR - Non, mais d'un homme que vous connaissez bien, qui a été ministre du gouvernement, le début de déchéance parlementaire, d'un autre ancien Ministre de gauche celui-là, Bernard TAPIE. Une perquisition chez le Maire de Paris, le refus d'officier de la police, d'assister le juge d'instruction. Et le classement sans suite de cette affaire qui touche donc votre successeur à la Mairie de Paris. Êtes-vous de ceux qui disent : il faut que la justice passe, la justice passe trop fort ou trop vite ou bien encore elle n'est pas égale pour tous ?

LE PRÉSIDENT - D'abord, toutes ces affaires n'ont aucun point commun, alors, ne procédons pas par amalgame. Ce serait malhonnête vis à vis des Français. Deuxièmement, si ces affaires sont aujourd'hui connues, comme elles le sont, cela prouve tout simplement que nous avons changé d'époque et que la morale républicaine est aujourd'hui plus élevée. Eh bien, comme tous les Français, pour ma part, je m'en réjouis, et ce que je peux vous dire, c'est que tant que j'occuperai mes fonctions, la justice passera, passera de la même façon pour tous. Elle sera indépendante par définition. C'est sa vocation. Et je souhaite peut-être qu'elle soit encore plus sereine, car au-delà de ces problèmes, il y a les principes mêmes de notre justice. On peut s'interroger. Par exemple, aujourd'hui dans nos prisons plus de ou près de la moitié des détenus, plus de 20.000 personnes, sont en détention préventive, c'est-à-dire en prison sans avoir été jugés, donc sans avoir été condamnés. Est-ce normal? On peut constater aujourd'hui que dès que l'on est mis en examen, on est considéré comme coupable, alors que le fond de notre droit est la présomption d'innocence. Il revient à dire qu'on est coupable que lorsqu'on a été condamné. On constate aujourd'hui que le secret de l'instruction -je ne sais pas du tout s'il faut le maintenir ou non, mais c'est un des principes, c'est la loi, un des principes de notre justice- est systématiquement violé. La loi est bafouée, ce n'est pas normal. Je le répète. On peut changer la loi, mais il ne faut pas la bafouer. On peut se demander pourquoi la justice est si lente et pourquoi elle manque de moyens. Donc j'ai demandé au gouvernement, pour la fin de cette année, d'une part de voir comment on peut, dans le cadre de sérénité nécessaire à la justice, modifier la procédure pénale et améliorer les moyens d'action de la justice, notamment pour qu'elle soit plus rapide.

M. DUHAMEL - Il y a un certain nombre d'affaires, évidemment pas toutes, par exemple l'affaire CARIGNON, ou bien l'Office des HLM de la région parisienne, qui sont liées, ou qui passent pour être liées, selon les cas, à des phénomènes de financement de la vie politique. Pensez-vous concernant cette question qui a beaucoup fait parler d'elle depuis des années qu'il y a des améliorations à apporter ?

LE PRÉSIDENT - Toutes ces affaires effectivement remontent à une période où le financement des activités politiques, et notamment des partis politiques, n'étaient pas légalement assuré, organisé. J'ai fait alors la première loi sur le financement des partis politiques. Mes successeurs ont amélioré sensiblement cette législation. Je crois que l'on peut dire aujourd'hui que la situation légale est satisfaisante. Ce qu'il faut maintenant c'est que chacun comprenne aussi bien dans le monde politique, que dans le monde économique, social, que la loi existe et qu'il faut la respecter et que si elle n'est pas respectée, la justice interviendra sévèrement pour sanctionner les délits.

P.POIVRE D'ARVOR : Vous évoquiez tout à l'heure le secret de l'instruction et vous aviez l'air de vous interroger un peu. Peut-on durablement maintenir le secret de l'instruction, dans une société qui a l'air assoiffée de transparence ?

LE PRÉSIDENT - Il appartient aux experts de dire cela. Mais je répète, ce que j'ai dit : On ne peut pas avoir une loi qui impose le secret de l'instruction et voir cette loi bafouée, souvent par les juges eux-mêmes. Cela n'est pas possible.

M. DUHAMEL - Alors, concernant les nominations récentes ou actuellement en préparation de hauts magistrats, il y a eu des remous autour de cette question. Il y a même eu des polémiques avec des syndicats de magistrature, etc... Considérez-vous que, au stade où on en est et aujourd'hui, vous qui êtes garant de l'indépendance de la justice, les relations entre le pouvoir politique et les magistrats sont saines ?

LE PRÉSIDENT - Oui.

M. DUHAMEL - Globalement, oui ?

LE PRÉSIDENT - Non pas globalement. Elles sont saines. J'ai lu un certain nombre d'informations dont je n'hésite pas dire qu'elles étaient, soit polémiques, soit dépourvues de fondement. J'ai présidé tout récemment un Conseil Supérieur de la Magistrature, pour le coup, dans la plus grande sérénité. J'ai approuvé toutes les propositions qui m'ont été faites. Et lorsque le Conseil Supérieur m'a demandé de reporter certaines nominations pour lui permettre d'approfondir sa réflexion, je me suis rendu bien volontiers à sa demande.

M. DUHAMEL - Ce n'était pas un conflit, mais bien un accord ?

LE PRÉSIDENT - Ne croyez-pas tout ce qui est écrit.

M. DUHAMEL - C'est bien normal de s'interroger.

LE PRÉSIDENT - Et bien voilà, il n'y a aucune espèce de conflit. Il s'agissait d'une affaire montée de toutes pièces, par des gens qui voulaient polémiquer.

P. POIVRE D'ARVOR - Et la tentation d'un Président, qui est à la fois Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, c'est peut-être aussi d'indiquer ses choix, de dire tel homme paraît plus fiable?

LE PRÉSIDENT - Le Président est le garant de l'indépendance de la Justice dans tous les domaines et j'exercerai cette fonction, c'est-à-dire que je n'accepterai pas que la Justice soit monopolisée par telle ou telle tendance. Jusqu'ici, je n'ai eu aucun problème avec la Justice.

P. POIVRE D'ARVOR - Vous avez peur d'un gouvernement des juges éventuellement ?

LE PRÉSIDENT - Non, parce que la présence du Président de la République à la tete de la Présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature, doit garantir contre des dérives qui ne seraient pas conformes aux lois de la République.

P. POIVRE D'ARVOR - Parlons économie. Lorsque l'on écoute les experts, on est parfois pris de vertige. Ils nous disent souvent que cela change tout le temps. Avez-vous le sentiment avec votre tableau de bord d'en savoir davantage qu'eux, d'avoir plus d'indicateurs, et pouvez-vous nous dire, par exemple, si pour le second semestre vous voyez poindre les premiers contours d'une éventuelle reprise ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas besoin de préciser que je le souhaite. J'ai toujours été assez méfiant à l'égard des experts, notamment des experts économiques et monétaires. J'ai observé bien souvent qu'ils se trompaient, même s'ils ont un art particulier pour démontrer à posteriori qu'ils avaient raison. Je serais donc prudent. J'espère une amélioration, je la constate à l'extérieur, mais j'attends qu'elle se manifeste réellement en France. A ce propos, je voudrais vous dire que cette croissance qui nous fait aujourd'hui défaut, ce n'est pas quelque chose que l'on peut implorer, ce n'est pas quelque chose que l'on ne peut qu'attendre et qui viendrait comme cela de l'extérieur. La croissance ce n'est pas un mythe, la croissance il ne faut pas l'attendre, il faut la faire, elle est entre les mains de chacun d'entre nous. Alors naturellement elle est plus facile lorsque le monde se développe rapidement et elle est plus difficile dans d'autres périodes, mais elle est entre les mains de chacun d'entre nous. Ce que je veux, c'est que les Français aient petit à petit conscience que la croissance c'est le résultat de leur propre comportement.

M. DUHAMEL - Il y a des freins spécifiquement français. Par exemple, on sait très bien que la plupart des emplois qui se créeront dans les années qui viendront -les dizaines d'années même- viendront des PME et l'on sait très bien qu'en France les PME n'ont pas avec les banques, des relations de confiance, disons de confiance spontanée. Peut-on peut dire cela ?

LE PRÉSIDENT - Oui c'est le moins que l'on puisse dire.

M. DUHAMEL - Non c'est une litote !

LE PRÉSIDENT - Je voudrais d'abord dire que nous connaissons, depuis trois ou quatre ans une situation nouvelle. Il ne faut pas seulement relever ce qui ne va pas, il faut également relever ce qui va. Nous connaissons depuis trois ou quatre ans une situation nouvelle où la croissance est beaucoup plus créatrice d'emplois que par le passé. Si vous voulez, il y a cinq ans, un point de croissance créait X emplois. Aujourd'hui, le même point de croissance crée trois fois plus d'emplois, ce serait trop long à expliquer, mais c'est une constatation indiscutable, c'est quelque chose de très encourageant. Deuxième élément : pourquoi est-ce que notre croissance n'est pas aussi bonne que celle de certains autres pays comparables au notre ? Parce que la France, -je l'ai dit tout à l'heure et je ne cesserai de le répéter- s'est paralysée elle-même. Elle a vécu à crédit, elle a dépensé sans réfléchir, sans évaluer la rentabilité, l'efficacité de sa dépense. Elle a donc beaucoup trop de déficits et il faut remettre de l'ordre dans nos finances publiques. Il n'y a pas de croissance fondée sur le désordre des finances publiques, sur les déficits ou sur la dette, trop importante. Enfin, elle n'a pas voulu faire les réformes, nous parlions tout à l'heure des industries d'armement, on pourrait multiplier les exemples. Il faut faire des réformes s'il l'on veut ne pas se condamner à augmenter sans cesse les impôts pour éponger les déficits d'une mauvaise gestion.

M. DUHAMEL - Les banques et les PME c'est une question qui revient souvent.

LE PRÉSIDENT - On peut se poser la question du taux d'intérêt. Aujourd'hui, une PME qui veut un crédit se heurte à deux difficultés : la première, c'est qu'elle a beaucoup de mal a le trouver dans une banque et la deuxième, c'est qu'elle paie entre 7 et 8% alors que, pratiquement, nous avons une inflation aujourd'hui qui est à zéro. Le mois dernier elle était même négative.

P. POIVRE D'ARVOR - C'est la faute de la Banque de France ?

LE PRÉSIDENT - Je ne veux pas faire d'ingérence dans les affaires de la Banque de France qui, comme vous le savez est indépendante.

P. POIVRE D'ARVOR - Vous pouvez avoir votre opinion ?

LE PRÉSIDENT - Mon opinion c'est que les taux d'intérêt sont, en tous les cas en France, pour dire en vérité en Allemagne aussi, trop élevés, nettement trop élevés et qu'il y a une marge de diminution qui est importante. Deuxièmement nous avons là, c'est une caractéristique française, hélas, un système bancaire dont on peut dire deux choses : premièrement, il est le moins rentable de tous les grands pays qui nous entourent, donc il est en crise ; pourquoi, eh bien probablement parce qu'il n'a pas été bien géré ; et deuxièmement il a connu dans les années passées de véritables sinistres. Le Crédit Lyonnais a perdu des dizaines et des dizaines de milliards, le Crédit Foncier ne vaut guère mieux, on peut citer aussi le Comptoir des entrepreneurs... Et donc là encore, il y a une vraie question qu'il faut se poser : pourquoi a-t-on laissé les choses aller comme cela, pourquoi le contribuable est aujourd'hui sollicité pour payer de telles erreurs ?

M. DUHAMEL - Qui est-ce qui contrôle cela ?

LE PRÉSIDENT - Toutes ces banques appartenaient à l'Etat. Elles étaient sous sa tutelle, il y avait la direction du Trésor, il y avait la Banque de France qui étaient chargées d'assurer ce contrôle. Et je regrette de le dire, ce contrôle n'a pas été bien exercé. Et là, je constate que personne ne s'interroge sur les responsabilités passées qui nous ont conduits à de tels sinistres financiers, dont on se serait bien passé, naturellement. C'est un deuxième point, qui nous conduit à dire que l'Etat gère en général mal ses affaires, les fait gérer par des hommes qui sont probablement de très brillantes personnalités sur le plan de leurs capacités administratives mais qui ne sont pas hommes d'affaires, et par conséquent, il va falloir -j'ai demandé également au Gouvernement de s'en occuper- que dans les prochains mois, on trouve le moyen de garantir une gestion plus sérieuse par l'Etat de son propre patrimoine.

M. DUHAMEL - Ce serait quoi alors ?

LE PRÉSIDENT - Je ne veux pas rentrer, ici, aujourd'hui, dans le détail, c'est au Gouvernement de me faire des propositions. La mission est : nous devons aujourd'hui gérer mieux notre patrimoine, ne pas perdre autant d'argent que nous en avons perdu dans le passé. Alors pour les PME, en attendant que les banques puissent retrouver leur vocation et être de véritables partenaires économiques pour accompagner le développement des entreprises, -et surtout des petites et moyennes entreprises -le Premier ministre a décidé la création d'une banque des PME, qui va permettre de donner de l'argent moins cher et de faciliter les créations d'entreprises.

Je vais vous montrer, quand je dis qu'il y a des blocages un peu partout : le Premier ministre a pris cette décision et l'a annoncée à un congrès d'entreprises il y a à peu près six mois. Eh bien, cette décision qui est une simple décision à prendre, n'a été prise qu'il y a quelques jours. Elle a été bloquée...

M. DUHAMEL - Qui est-ce qui perd du temps là, l'administration.. ?

LE PRÉSIDENT - La difficulté qu'il y a est de faire admettre par tout le monde -que ce soit les organisations professionnelles, que ce soient les organisations syndicales, que ce soit l'administration, que ce soit le monde politique- qu'il faut en permanence s'adapter, qu'il ne faut pas en permanence penser à ce qui était bon il y a cinq ans, pour se dire que c'est bon définitivement. C'est très difficile. Et encore, on a créé cette banque à la suite d'un véritable acte d'autorité du Premier ministre. C'est tout à fait significatif de nos pesanteurs, de nos blocages et aussi de la nécessité qu'il y a à mieux gérer nos affaires et à nous adapter au monde d'aujourd'hui.

P. POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Président, on est impressionné par la cascade de plans sociaux, aussi bien dans le privé que dans le public d'ailleurs, impressionné par le taux de chômage en France qui est anormalement élevé, est-ce que vous pensez que la réduction du temps de travail est une idée à creuser pour, justement, combattre le chômage ?

LE PRÉSIDENT - Je le pense oui, et j'en suis même tout à fait persuadé. C'est un problème complexe, je ne vais pas entrer dans le détail. Nous sommes un pays où le temps de vie de travail est parmi les plus courts, on entre tard dans la vie du travail et on prend sa retraite tôt. En revanche, nous sommes un pays où la durée hebdomadaire du travail et même probablement la durée annuelle est excessive. Donc, nous devons diminuer, réduire le temps de travail. Mais il faut le réduire pas seulement dans l'intérêt d'un aménagement qui permette de mieux s'adapter aux évolutions économiques -c'est important, mais ce n'est pas suffisant- le réduire pour permettre d'améliorer la compétitivité des entreprises et diminuer ainsi le chômage. C'est cela l'objectif, la réduction du temps de travail est un moyen de lutte contre le chômage. On l'oublie parfois dans les négociations qui se déroulent entre les partenaires sociaux. Il faut l'avoir présent à l'esprit.

Alors cela pose le problème du salaire, naturellement. Est-ce qu'on maintient le salaire ou est-ce qu'on le diminue ? Tout ceci doit être décidé, non pas au plan national, c'est évident, mais branche par branche, et aussi entreprise par entreprise. Mais je voudrais dire qu'il faut tout de même faire là preuve d'un peu d'imagination également. La diminution du temps de travail conduit généralement, l'expérience le prouve, à une amélioration de la productivité. Cette amélioration de la productivité améliore les profits des entreprises, et là on peut imaginer que des mécanismes d'intéressement puissent, lorsqu'on a dû baisser le salaire en même temps que le temps de travail pour tout ou partie, compenser par un mécanisme d'intéressement, en profitant de la productivité améliorée. Il faut avoir un peu d'imagination, et il faut sortir des sentiers battus, dans le dialogue social, et il faut aller plus vite. La réduction du temps de travail est aujourd'hui un moyen à adapter au cas par cas, mais un moyen important de lutte contre le chômage.

M. DUHAMEL - Alors aujourd'hui, on le disait, les Français manquent de confiance. Est-ce que pour créer un déclic de confiance, il ne faudrait pas, par exemple, quelque chose qui soit un peu spectaculaire du genre, baisse de l'impôt sur le revenu ? Enfin quelque chose que les gens ressentent vite d'abord et qui puisse durer pour chacun d'eux ?

LE PRÉSIDENT - La baisse des impôts est probablement l'attente la plus forte des Français aujourd'hui. Non pas pour des raisons d'égoïsme, d'incivisme, plutôt tout simplement parce qu'année, après année, les impôts ont atteint un seuil insupportable...

P. POIVRE D'ARVOR - ...et puis parce que vous-même vous vous étiez engagé pendant la campagne électorale...

LE PRÉSIDENT - Parce que c'est une nécessité. Ils ont atteint un seuil supérieur à ce que connaissent la plupart des pays qui nous entourent. Pourquoi ? Là encore tout simplement parce que nous nous sommes laissés dévorer par les déficits. Chaque fois qu'il y avait un problème, on n'essayait pas de trouver une solution pour le régler dans le cadre des crédits existants, et ces solutions existent toujours. Non, on créait une dépense nouvelle. Plutôt que d'affronter un problème, on crée une dépense nouvelle. Alors, naturellement après avoir créé la dépense nouvelle, on crée une recette nouvelle, et c'est dans cette espèce d'escalade que nous nous sommes lancés.

M. DUHAMEL - Alors pour en sortir maintenant ?

LE PRÉSIDENT - Mais naturellement, il suffit de gérer convenablement nos affaires. Elles ne sont pas bien gérées. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais regarder pour fixer simplement les objectifs, j'ai dénoncé ce système pendant toute ma campagne électorale. Quand j'ai été élu, le gouvernement a trouvé, c'est vrai, une situation qui était plus dégradée qu'il ne le pensait.

Premier geste inévitable : l'augmentation des impôts pour diminuer les déficits. Cela c'était 1995. 1996, le gouvernement a dit : on ne touche plus aux impôts, on ne fait plus de fiscalité, on réduit la dépense. Cela a été fait massivement; il n'y a pas de précédent; et cela imposait "volens, nolens" des adaptations à un certain nombre d'administrations qui ont bien du s'y faire. Troisième étape : 1997, on amorce, on continue naturellement la réduction des dépenses, notamment des dépenses inutiles, on évalue davantage pour voir ce qui est utile et ce qui ne l'est pas et on amorce la réduction des impôts. Notamment, probablement -c'est au gouvernement de décider- de l'impôt sur le revenu.

M. DUHAMEL - On l'aura quand, à la rentrée ?

LE PRÉSIDENT - A la rentrée de septembre. C'est une décision qui est une décision stratégique. C'est-à-dire, que nous sommes entrés dans la période où ayant maîtrisé la dépense -cela veut dire simplement ne pas dépenser plus, le budget de 97 ne sera pas plus faible que le budget 96 simplement il augmentera moins qu'on l'aurait escompté ou souhaité- cela nous permettra de diminuer la fiscalité.

P. POIVRE D'ARVOR - Puisque vous parlez du budget 97, dans l'une de vos promesses il y avait le maintien du 1% culturel, ça vous la tiendrez quoi qu'il arrive ?

LE PRÉSIDENT - Oui, je tiens beaucoup à cela,

P. POIVRE D'ARVOR - Quoi qu'en dise le Trésor ?

LE PRÉSIDENT - Je dirais que c'est un peu emblématique, oui c'est symbolique mais dans un pays comme la France, c'est important.

P. POIVRE D'ARVOR - Dans vos engagements de campagne, il y avait également la notion d'une politique familiale forte. Est-ce que vous pensez que c'est indispensable de reconstituer une cellule familiale dans une société qui a l'air d'hésiter un peu en somme ?

LE PRÉSIDENT - Tout à l'heure, M. Duhamel disait que les études montrent notamment -je crois que vous l'avez d'ailleurs développé-, qu'aujourd'hui avec la difficulté pour un jeune de trouver un emploi, ce qui est un drame, il reste plus longtemps dans sa famille. Autrement dit il se tourne vers quoi, le jeune qui est en difficulté? Vers sa famille où il trouve la solidarité, les moyens de vivre quand il ne peut pas s'assumer lui-même en raison des faiblesses de la société. Celui qui n'a pas de famille est perdu. Il lui manque la référence essentielle, le repère indispensable. Indépendamment de toute autre raison, cela conduirait à dire que la famille n'a jamais été aussi importante dans l'équilibre d'une société qu'aujourd'hui.

Une société qui est morcelée, fragile, comme la nôtre, anxieuse, a besoin de références, les cherche et ne les trouve pas. Il y a au moins un endroit où ces références existent, un abri en quelque sorte, quelque part où l'on peut tout de même s'épanouir un peu : c'est la famille. Et ce à quoi je pense toujours, c'est à tous ceux et à toutes celles, à tous ces jeunes qui n'ont pas le privilège d'avoir une famille structurée, organisée, qui peut les protéger en quelque sorte. Il est donc indispensable d'améliorer sans cesse notre politique familiale, aussi bien sur le plan psychologique pour marquer le respect que l'on a pour la famille, que sur le plan matériel pour aider les familles et en particulier la natalité, qui est essentielle.

M. DUHAMEL - En ce qui concerne l'éducation notamment, mais pas exclusivement l'université. Est-ce que vous avez l'impression que la réforme est assez audacieuse et que cette fois-ci tout cela va bon train, ou est-ce que vous vous impatientez ? (Le contrôle de la lenteur de la réforme, puisque, depuis que l'on parle tout à l'heure, vous dites beaucoup que souvent les choses vont trop lentement ?)

LE PRÉSIDENT - A mon goût, elles vont toujours trop lentement. Sur l'Education Nationale, qui est un secteur que j'observe de très très près, je dirais nettement que pour la première fois, depuis très longtemps, on sort de l'immobilisme. On a réalisé qu'il y avait une double exigence qui était de mieux traiter l'enfant, de mieux prendre en compte les intérêts de l'enfant. Et dans ce domaine, toute une série de mesures sont engagées, y compris la modification des rythmes scolaires. D'autre part, de permettre une meilleure insertion des jeunes dans la société, et c'est toute la réforme engagée par le Ministre de l'Education Nationale dans le domaine de l'enseignement supérieur. Et j'ajoute que, pour une fois, cette réforme se fait, s'est engagée, à la suite d'une concertation si large et si intense, qu'on est arrivé à une sorte de consensus, ce qui dans un pays comme le nôtre, est extraordinaire.

P. POIVRE D'ARVOR - Il n'y aura pas besoin de référendum ?

LE PRÉSIDENT - Alors, nous verrons cela le moment venu. Je constate simplement, vous savez à chaque jour subit sa peine, que la réforme est bien engagée, dans la bonne direction et par conséquent, je m'en réjouis. Elle n'est pas terminée, elle ne va commencer qu'à la prochaine rentrée. D'ailleurs, vous savez, on a fait beaucoup de réformes, qu'il s'agisse de la réforme de la protection sociale, des télécommunications, de l'armée, de l'école, de même la fiscalité, des rapports entre l'Etat et les administrés. Il ne faut pas croire que les réformes donnent leurs résultats comme cela, comme si on avait une baguette magique. Il faut un certain temps pour qu'elles donnent leurs résultats. Alors, en grâce, une mission a été fixée : redresser notre situation et permettre une adaptation de la France. Donnons nous le minimum de temps qu'il faut pour en recueillir les fruits.

P. POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Président, notre société aspire, je crois que vous le savez bien, à une meilleure parité, à une réelle parité homme-femme, femme-homme, devrait-on dire, qui d'ailleurs n'est guère respectée dans la vie politique. Je crois que vous vous souvenez, il y a un an tout juste, d'ailleurs vous, dans cette garden party, il y avait douze femmes ministres, trois mois après il n'y en avait plus que quatre. Est-ce que vous donnez le meilleur exemple ?

LE PRÉSIDENT - En réalité, nous avons changé d'époque. Nous sommes dans une période où la parité est tout à fait justifiée naturellement, les trois-quarts des femmes travaillent. Et donc c'est venu très vite, et les structures de la société, les mentalités, les comportements n'ont pas suivi au rythme qu'il convenait. Il y a encore de vieilles habitudes. Et bien il faut une société qui soit aujourd'hui mieux faite pour les femmes. Alors il ne faut pas seulement évoquer le problème du nombre des femmes députés, je suis tout à fait malheureux de constater cette situation, mais je veux dire que cela n'est pas le coeur du problème. Le coeur du problème, il est ailleurs. Il est d'abord de reconnaître objectivement les mêmes droits aux femmes qu'aux hommes, ce qui n'est pas le cas. Je me bats tous les jours pour cela, dans tous les domaines, y compris celui de l'Armée, celui des décorations, celui de l'avancement dans l'administration, et je dis sans cesse aux organisations, aux partenaires sociaux, qu'il y a un vaste champ de progrès qui doit être exploré et qui consiste à s'assurer que, vraiment, à égalité de travail, on a le même salaire, ce qui n'est pas le cas, pour une femme et pour un homme, améliorer les possibilités de carrière. Il y a quelques professions, la vôtre notamment, où les femmes sont vraiment l'égal des hommes, mais il y en a tant d'autres, tant d'autres où ce n'est pas le cas, où elles n'arrivent pas à avancer, et où à mérite égal, elles restent loin derrière.

Et puis le deuxième problème, c'est celui de l'aménagement du temps de travail. L'organisation de notre temps de travail convient mal aux femmes. Parce que les femmes ont aussi pour fonction de faire des enfants, et par conséquent, elles ont des contraintes particulières, et comme il n'y a pas de différence en règle générale, en matière de temps de travail entre les hommes et les femmes, qu'il s'agisse des administrations, ou des entreprises, et bien cela ne marche pas. Et donc il faut avoir suffisamment d'imagination, d'où le rôle des partenaires sociaux, d'où le rôle qui doit être exemplaire de la part de l'Etat et de ses administrations. Il faut avoir un aménagement du temps de travail qui laisse aux femmes le choix, davantage de choix, de façon à ce qu'elles puissent associer convenablement une vie professionnelle et les responsabilités familiales de plus en plus partagées par les hommes, c'est vrai, et c'est normal, mais où elles restent quand même essentielles.

M. DUHAMEL - Alors, sur un sujet tout à fait différent, mais qui a fait évidemment et légitiment beaucoup parlé de lui, qui est le dossier de l'amiante. Est-ce que vous considérez que dans cette affaire, qui frappe tout le monde, on peut par exemple imaginer que la rentrée prochaine se ferait à la Faculté de Jussieu à Paris, qui est un des endroits qui passe pour le symbole des risques ? Est-ce que c'est imaginable ?

LE PRÉSIDENT - C'est un peu les problèmes qui suscitent à juste titre des peurs, que M. Poivre d'Arvor a qualifiées de millénaires, et il y a de cela, n'est-ce-pas ? Devant ces phénomènes nouveaux, l'amiante, la vache folle, il faut d'abord une méthode. La méthode doit être : dès qu'un phénomène apparaît, il faut l'évaluer très rapidement, réagir immédiatement et ceci dans une situation de transparence totale c'est-à-dire qu'il faut que l'opinion publique sache tout. Il faut que la communauté scientifique puisse se prononcer dans les meilleures conditions et les meilleurs délais et, dès qu'elle s'est prononcée, il faut que l'opinion publique en soit instantanément avertie.

Pour l'amiante, c'est ce qui s'est passé, le Gouvernement a fait faire un rapport qui a été déposé ; instantanément il a été rendu public et des décisions ont été immédiatement prises. Naturellement, on ne va pas continuer à enseigner à Jussieu, il va y avoir le temps du déménagement naturellement, mais avant la fin de l'année il n'y aura plus d'étudiants à Jussieu parce qu'il y a un risque. Cela implique un coût, mais ce sont des coûts qu'il est nécessaire d'assumer. J'aurais dit la même chose avec le problème de l'encéphalite bovine.

P. POIVRE D'ARVOR - On ne sait toujours pas si la maladie est transmise par le mouton et surtout si elle transmissible à l'homme. Trouvez-vous que les scientifiques -puisque vous les évoquiez- les pouvoirs publics, les médias même ont fait preuve de responsabilité dans cette affaire ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas de leçon à donner aux uns ou aux autres. Je constate que face à un problème qui, tout à coup, se pose et met en cause la santé publique, on ne prend jamais trop de précautions, jamais. Sur l'affaire de la vache folle, c'est vrai que l'on ne connaît pas encore le détail de la chose et qu'il y a encore des avis qui ne sont pas tout à fait concordants. Il faut se fonder sur le pire des scénarios, c'est ce qui a été fait, il y a eu un rapport, qui a été fait, instantanément, publié par le Gouvernement et toutes les mesures nécessaires ont été prises.

M. DUHAMEL - On a fait le maximum et le plus vite possible ?

LE PRÉSIDENT - Je ne vois vraiment pas comment l'on aurait pu faire plus vite, puisque l'on a pris des dispositions avant même que le rapport n'ait été fait, alors qu'on ne connaissait pas ses conclusions. Je ne vois pas comment l'on aurait pu faire plus vite et mieux. Ce que je peux vous dire, c'est que ma confiance personnelle est totale et qu'en famille je continue à manger tranquillement de la viande bovine.

M. DUHAMEL - Il y a un autre aspect, cela c'était l'aspect de la santé mais il y a aussi l'aspect économique, pour toute la chaîne du producteur jusqu'au commerçant ?

LE PRÉSIDENT - C'est un vrai drame, qui frappe de plein fouet les éleveurs et puis toute la chaîne ensuite et, comme vous le dites à juste titre, les éleveurs. Il faut comprendre que les éleveurs sont des gens qui ont un revenu très faible depuis longtemps, en moyenne naturellement, car il y a de très gros éleveurs. Ce sont des gens qui bien souvent gagnent à peine le SMIC et qui sont attachés non seulement à leurs terres mais aussi à leurs bêtes. Pour eux, c'est un drame financier et psychologique de l'ampleur duquel on ne se rend pas compte. Quand vous prenez le jeune éleveur qui s'est installé récemment en empruntant et qui se voit frappé par la baisse des prix et en quelque sorte ruiné, c'est la sensation d'échec total, c'est vraiment le drame. Alors, c'est un domaine où la solidarité nationale et européenne doit jouer, le Gouvernement français, le Ministre de l'Agriculture se sont battus et meme beaucoup battus pour obtenir la mise en oeuvre de cette solidarité sur le plan européen et la France complétera cette solidarité pour que les choses soient acceptables. C'est un dossier que j'entends suivre personnellement.

M. DUHAMEL - Il y a un autre dossier qui fait beaucoup parler de lui c'est la Corse...

LE PRÉSIDENT - Juste un mot M. DUHAMEL, puisque vous avez parlé de ces maladies. Nous sommes dans une période marquée par un autre problème qu'il ne faut pas évacuer et qui est le nombre croissant des nouvelles maladies. Il y a depuis 20 ans une trentaine de nouvelles maladies, fort graves, qui se sont développées et contre lesquelles on n'a pas de réponse, pas de vaccin ou de traitement. Vous avez d'autre part une formidable résurgence des maladies traditionnelles qui sont devenues insensibles aux antibiotiques ou résistantes aux antibiotiques, si bien que les maladies infectieuses, aujourd'hui, sont la première cause de mortalité dans le monde. J'ai demandé au Gouvernement de faire quelque chose parce que notre recherche s'est surtout focalisée depuis un certain temps sur la biologie moléculaire et que, petit à petit, on a négligé la bactériologie, la parasitologie, la virologie. J'ai demandé au Gouvernement de faire en sorte que l'on mette d'avantage, en matière de recherche, l'accent sur ces disciplines indispensables car nous sommes actuellement, non seulement rattrapés mais dépassés par les maladies infectieuses.

M. DUHAMEL - Je reviens à la Corse. Votre Premier Ministre va s'y rendre dans très peu de jours, la semaine prochaine. Est-ce que vous croyez que cette fois-ci les conditions existent pour qu'on sorte du cycle de la violence et de la régression générale, économique, culturelle, civique tout simplement ?

P. POIVRE D'ARVOR - Est-ce qu'on est encore en France là-bas ?

LE PRÉSIDENT - Oui, cela, on peut se le demander sur le plan de l'application de la loi.

Il y a eu 20 ans de violence. Je crois qu'aujourd'hui on peut, si on le veut, tourner cette page. Je ne crois pas qu'il y ait de problèmes institutionnels. Et donc je ne suis pas favorable à des modifications d'institutions.

Il y a un problème économique que l'on a souvent essayé de régler, et on n'a pas réussi. Le gouvernement l'a pris en main et a fait des propositions, notamment la zone franche. Je les crois adaptées aux besoins économiques de l'île, j'espère que cela réussira. Tout doit être fait en ce sens.

Il y a un problème politique. Ce problème politique ne peut être réglé que par le dialogue. Et je crois qu'aujourd'hui le moment du dialogue positif est arrivé, parce que les nationalistes se rendent compte, je crois, de plus en plus, qu'ils se sont mis en quelque sorte dans une impasse. Et donc le dialogue politique aujourd'hui peut se développer.

M. DUHAMEL - Un dialogue démilitarisé ?

LE PRÉSIDENT - Ah oui. Alors le troisième problème de la Corse, c'est un problème de droit commun, c'est un problème de mafias qui se sont constituées et qu'il faut absolument éradiquer.

P. POIVRE D'ARVOR - L'Etat ferme les yeux, ne regarde pas tout ?

LE PRÉSIDENT - Je lui ai demandé, non seulement de les ouvrir, mais de prendre des lunettes si c'était nécessaire, parce que l'on ne peut pas maintenir la situation telle qu'elle se développe aujourd'hui. Alors, le Ministre de l'Intérieur vient de prendre la décision, par exemple, d'interdire, et réellement, le port des armes. Ce n'est pas possible; vous dites : on n'est plus en France; en France, vous pouvez arrêter les gens pour port d'armes, sauf ceux qui ont le droit d'en porter.

En Corse, il semble que tout le monde puisse se promener avec des armes. Mais ce n'est pas possible, il faut faire en sorte que les gens soient désarmés, que les armes soient instantanément détruites, et que des sanctions pénales soient appliquées (au moins des sanctions financières).

P. POIVRE D'ARVOR - Il y a à peine 5 ans, on cherchait querelle à un Premier Ministre socialiste, Edith CRESSON, qui au détour d'une phrase, avait évoqué la possibilité de charters pour expulser les travailleurs immigrés clandestins. Aujourd'hui, la pratique semble courante, mais est-ce que vous avez l'impression d'avoir trouvé le juste milieu ?

LE PRÉSIDENT - Je crois que le problème de l'immigration ne se pose pas exactement comme cela. D'abord, naturellement, je suis aussi sensible que quiconque, quand je vois, ou quand je voyais quand j'étais maire de Paris, des familles complètement en désarroi parce qu'elles étaient en réalité clandestines, et qu'elles n'avaient aucun droit.

M. DUHAMEL - Et qu'il y avait des enfants qui étaient nés en France ?

LE PRÉSIDENT - Des gosses nés en France pour certaines. Bien. Je suis aussi sensible, je n'ai pas un coeur de pierre. Je comprends ces problèmes. Mais en revanche, ce que je dis, c'est qu'il faut aujourd'hui refuser l'immigration clandestine avec efficacité. C'est Michel ROCARD qui disait un jour, je crois, quand il était Premier Ministre : "la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde". C'est évident. Que l'on soit de droite ou de gauche, c'est évident.

Il faut aujourd'hui donner un signal fort. Il faut naturellement mettre en oeuvre tous les moyens qui existent, et éventuellement les moyens complémentaires nécessaires, pour empêcher l'immigration clandestine. Mais au-delà de ces moyens techniques, qui consistent à empêcher les gens de s'installer clandestinement dans notre pays, il y a un signal politique à donner à l'extérieur. Ce sont des communautés où les choses se savent rapidement. Si l'on se dit un peu partout : en France, on peut venir, on a peu de chances d'être sanctionné, tout le monde vient.

En revanche, si l'on se dit : attention, la France est un pays qui surveille, alors on dissuade énormément. Il faut donc un signal politique fort, pour que ceux qui seraient susceptibles de venir comme immigrés clandestins sachent que les "ceux-ci" n'ont plus leur chance en France. Cela est capital.

Cela suppose deux contreparties. La première naturellement, la mise en oeuvre de toutes les procédures nécessaires à l'intégration des immigrés légaux dans notre pays, conformément à sa tradition, et deuxièmement, et c'est ce pour quoi je me bats -y compris à l'étranger, quand je vais au G7 de Lyon ou ailleurs- pour le maintien de l'aide au développement, le maintien de l'aide internationale au développement, pour lutter contre la tentation de désengagement de certains pays, notamment anglo-saxons, dans ce domaine. Parce que si nous ne voulons pas avoir d'immigrés clandestins, il faut évidemment faire les efforts de solidarité internationale nécessaires pour que ces gens déracinés, qui ne souhaitent pas l'être, puissent trouver chez eux, grâce à un développement suffisant, la possibilité de vivre et de travailler. Donc, la politique d'aide au développement est le complément indispensable à la politique de fermeté à l'égard de l'immigration clandestine.

M. DUHAMEL - En substance, pendant la campagne des élections présidentielles, un thème a été beaucoup abordé : celui de la sécurité. Avez-vous l'impression que dans le domaine de la sécurité, c'est-à-dire de la lutte contre la délinquance, la criminalité, on a marqué des points ?

LE PRÉSIDENT - J'entendais, avant hier, le Ministre de l'Intérieur indiquer que pour ce qui concerne Paris, puisque traditionnellement tous les ans on donne des chiffres, la délinquance et la criminalité avaient sensiblement baissé.

M. DUHAMEL - Et peut-on globaliser ou pas ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ai pas tous les éléments statistiques me permettant de le dire, mais je crois que nous sommes entrés dans une période où le respect de la personne humaine implique des mesures d'autorité permettant d'assurer sa sécurité. Et, je suis très attentif à ce que l'on renforce les moyens de sécurité dans une démocratie comme la nôtre.

P. POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Président, semaines après semaines les élus de la majorité se retrouvent confrontés à l'impopularité, l'opposition gagne les élections partielles....

LE PRÉSIDENT - Nous sommes dans une démocratie, ce serait tout de même dramatique si elle n'en gagnait pas.

P. POIVRE D'ARVOR - voilà, elle semble avoir le vent en poupe, disons. La zizanie a pu s'installer entre les axes principaux de la majorité. On a pu voir des proches du Président de l'UDF écoutés téléphoniquement... Avec le recul, regrettez-vous de ne pas avoir dissous et est-ce que vous vous interdisez de le faire à tout moment ?

LE PRÉSIDENT - Il s'agit vraiment de problèmes politiques, hors de l'actualité... Non. Il faut avoir des principes si l'on veut gouverner sainement une démocratie. La dissolution n'a jamais été faite dans notre constitution pour la convenance du Président de la République. Elle a été faite pour trancher une crise politique. Il n'y a pas aujourd'hui, il n'y avait pas au lendemain de mon élection une crise politique. Donc la dissolution aurait été -permettez-moi le terme- une sorte de "combine" tout à fait contraire à l'esprit de nos institutions. Je suis respectueux de nos institutions, je vous l'ai dit pour la justice, et vous aurez souvent l'occasion de le constater. Je le dis aussi pour les institutions. Ce n'est pas mon confort personnel qui est en cause, c'est l'esprit même de la démocratie.

M. DUHAMEL - Avez-vous l'impression que vous avez un assez bon Premier Ministre et un assez bon gouvernement pour mener votre majorité à une victoire aux élections législatives qui maintenant commencent à se profiler un peu ?

LE PRÉSIDENT - Je vous vois venir Monsieur Duhamel. Permettez-moi de vous dire une chose. Lorsque j'ai fait ma campagne j'ai dénoncé une situation qui me paraissait grave. Une France qui était éclatée, où l'exclusion se développait, et se développe, une France corsetée dans ses routines et une France immobile. Cette constatation m'a conduit à dire deux choses : premièrement qu'il fallait rendre son dynamisme à notre pays, celui des bonnes époques...

P. POIVRE D'ARVOR - Il l'a retrouvé ?

LE PRÉSIDENT - Pas encore. Pour se faire, il faut le gérer mieux, sur le plan de nos finances, dont la gestion a été mauvaise, -je regrette de le dire- Mieux sur le plan psychologique, c'est-à-dire avec plus de coeur, ce qui suppose un dialogue social. J'ai parlé du modèle social européen, que, vous le savez, je défends avec acharnement face aux thèses de la mondialisation. Donc plus de coeur, plus de dialogue, plus de compréhension, plus d'ouverture aux autres et puis enfin, avec une capacité à susciter les énergies, les initiatives bref, à retrouver l'esprit de conquête que l'on a un peu perdu.

P. POIVRE D'ARVOR - Dans un autre domaine, êtes-vous content d'Alain Juppé pour répondre à la question d'Alain Duhamel ?

LE PRÉSIDENT - Si je considérais que le Premier ministre et le Gouvernement ne faisaient pas leur travail, dans une période difficile, aussi bien qu'il est possible, j'en aurais naturellement tiré les conclusions. Cela c'est ma responsabilité.

P. POIVRE D'ARVOR - Et il va rester longtemps ?

LE PRÉSIDENT - Et bien, je vais vous dire la seule chose que je puisse vous dire aujourd'hui, c'est que la façon dont le Gouvernement conduit, dans une période très difficile, les affaires de la France, est de mon point de vue parfaitement conforme aux objectifs que j'avais fixé lors de ma campagne électorale, aux caps que j'ai donné au lendemain de cette campagne. Je considère qu'il le fait le mieux possible. Et je lui suis d'autant plus reconnaissant, que ce ne sont pas les embûches qui lui ont manqué, ce ne sont pas les difficultés qui lui ont fait défaut.

Je voudrais dire, vous parliez tout à l'heure M. Poivre d'Arvor des élus, qui faisaient face aux mécontentements. Mais vous savez, tout et dans tout. S'agissant des élus de la majorité, qui soutiennent l'action du gouvernement, je serais tenté de leur dire, c'est à vous d'expliquer, de vous mobiliser, de donner l'exemple en montrant que le pessimisme n'est pas de mise, que la malédiction n'est pas tombée sur la France. Qu'en suivant un cap ferme et solide, nous en trouverons les fruits le plus vite possible. Et de dire aux élus de l'opposition qui font bien leur travail naturellement, que leur rôle est évidemment de critiquer l'action du gouvernement, c'est la démocratie, mais c'est également de proposer des choses et qu'ils doivent faire également l'effort nécessaire pour proposer des solutions alternatives. Autrement dit la majorité, les élus de la majorité seraient bien inspirés de retrouver un peu de dynamisme et d'optimisme et ceux de l'opposition bien inspirés d'avoir un peu plus d'imagination.

P. POIVRE D'ARVOR - Dans la majorité, une autre politique possible, cela vous paraît envisageable ?

LE PRÉSIDENT - J'ai entendu souvent parler de l'autre politique. Je vois qu'on en parle de moins en moins. Tout simplement parce que je ne vois pas ce qu'elle pourrait être, parce qu'on en a beaucoup parlé, plus personne n'en parle.

M. DUHAMEL - Vous n'avez pas été déçu par les effets de la vôtre ?

LE PRÉSIDENT - Je n'ignorais pas qu'un redressement est difficile, qu'il demande du temps et que ce n'est pas dans l'instant que l'on peut à la fois, connaître une orientation, apprécier une mesure, et obtenir son résultat. Il faut un peu de temps si nous voulons redresser la barre, la France est un grand bateau, un beau bateau.

Et pour terminer, j'ai été très impressionné par une affaire récente. C'était l'affaire Moulinex, nous avions là une entreprise qui était le symbole même de la réussite française. Belle entreprise, connue, populaire. Et puis, qu'est-ce qui c'est passé ? Pendant des années et des années, on a rien fait. On est resté installé dans la routine, sur ses principes, et puis la sanction est tombée, inévitablement et nous avons vu le drame du plan social de Moulinex. Je ne parle pas de la façon dont cela s'est passé mais c'était inévitable. Et bien vous savez, qu'il s'agisse d'une famille, qu'il s'agisse d'une entreprise, ou qu'il s'agisse d'une nation, qui n'est rien d'autre qu'une grande famille qui doit être solidaire, si vous dépensez plus qu'il n'est possible et si vous ne vous adaptez pas aux choses, vous allez forcément d'une façon ou d'une autre à la faillite. Et donc il y a un moment où il faut redresser les choses. C'est ce que nous essayons de faire aujourd'hui.

Merci Monsieur le Président.





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