"Une leçon de courage" : tribune du Président de la République à l'occasion du 25e anniversaire de la mort du Général DE GAULLE

"Une leçon de courage" : tribune de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, parue dans le journal de la Haute Marne à l'occasion du 25e anniversaire de la mort du Général DE GAULLE

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Jeudi 9 novembre 1995

"UNE LEÇON DE COURAGE"

La Nation française est le fruit d'une volonté et d'une patience. Souvent la Nation précède l'État. En France, l'État est indissociable de l'idée de Nation. C'est d'un même mouvement, national et étatique, qu'au fil des quinze derniers siècles, l'unité et la souveraineté française se sont imposées. Non sans épreuve. Non sans traverse. Après que la République eut parachevé l'oeuvre unificatrice de la Royauté, il fallut, à l'aube des temps modernes, mener d'autres combats pour que la Patrie ne s'abandonne pas au découragement, ou ne sombre pas dans l'anarchie. Il n'empêche. Il y a en France un fait national fondé sur notre langue, sur notre Histoire, sur la conscience de valeurs partagées. Il y a en France, aux heures difficiles, une capacité de sursaut, une volonté de choisir son destin.

Car rien n'est acquis, et rien n'est fatal : cette leçon de l'Histoire, dont le Général de Gaulle était pénétré, vaut que nous la méditions vingt-cinq ans après sa mort.

Rien n'est fatal pour qui a le sens ou le rêve de la grandeur, et c'est le cas de notre peuple. "La France ne peut être la France sans la grandeur" écrivait Charles de Gaulle en prologue à ses mémoires de guerre. La grandeur dont il s'agit n'est pas outrecuidance ou prétention, mais sentiment d'une mission particulière, d'ordre spirituel autant que politique, qui fonde l'identité même de notre pays.

Rien n'est acquis car nos compatriotes succombent trop souvent hélas, à la tentation de l'autodénigrement, aux sirènes de l'égoïsme, aux démons des querelles intestines.

Mais chaque fois, dans les profondeurs de l'âme nationale, une voix s'est élevée pour rassembler les énergies éparses en invoquant l'esprit de résistance. Alors, des héros anonymes quittent leur champ, leur échoppe, leur atelier ou leur bureau. Ce sont les compagnons de Bayard ou de Jeanne d'Arc, les soldats de l'An II, les poilus de Verdun. Ce sont, plus près de nous, les compagnons de Jean Moulin dont André Malraux a célébré le sacrifice.

Lorsque, de Londres, Charles de Gaulle appela les Français à refuser la fatalité, notre pays était occupé, son armée défaite, ses élites désemparées. L'idéologie nazie avait séduit certains et l'alliance des pays libres était un pari plus qu'une espérance. Il fallait, pour tenir droit le flambeau d'une "certaine idée de la France", croire aux vertus profondes de notre peuple et savoir les ranimer dans les coeurs.

Comme toujours les plus humbles se levèrent les premiers. Les gaullistes, alors, c'étaient les marins de l'Ile de Sein, navigant vers Londres sans autre viatique que l'amour du pays, le refus de la servitude, la certitude que la voix de cet officier inconnu et rebelle était celle de l'honneur. Quatre années plus tard le monde entier découvrait que l'audace et l'intransigeance du Général étaient non seulement dignes, mais aussi conformes à la raison d'État, qui s'oppose parfois à la raison ordinaire. Grâce à elles, la France comptait parmi les Nations victorieuses, sa voix restait audible et respectée dans le concert des Nations.

Le libérateur du territoire national rétablit l'ordre républicain, la paix civile, et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Avec la sécurité sociale il donna une traduction concrète à l'idéal de solidarité. Il combla une carence majeure de la démocratie en accordant le droit de vote aux femmes.

Il aurait voulu que des institutions nouvelles évitassent au pays une rechute dans les errements du système partisan et que notre empire se métamorphosât en une communauté solidaire de peuples souverains. Ce nouvel effort, la classe politique ne pût le consentir, et de Gaulle assista avec tristesse au délitement de l'État et à l'enlisement de nos soldats dans des guerres inutiles. Mais rien n'est fatal aussi longtemps que l'esprit de résistance demeure. Le Général de Gaulle, au printemps 58, sauva à nouveau la République. À nouveau, une vision présida aux destinées de la France. Sous son autorité, des institutions souples et efficaces ont été mises en place.

La décolonisation a été menée à bien et notre pays a noué avec les jeunes nations des liens fraternels. Les bases monétaires d'un essor économique sans précédent ont été rétablies. Chaque Français a vu son niveau de vie s'améliorer. La France s'est dotée d'une force de dissuasion sans laquelle notre indépendance ne serait qu'un vain mot. Les historiens diront que la France gaulliste des années 60 a relevé un défi : l'accession à la modernité dans le respect de sa mémoire. Ils diront que les Français, par-delà les controverses légitimes, étaient fiers de leur pays. C'est pourquoi, le 9 novembre 1970, nos compatriotes se sont découverts orphelins en écoutant le Président Georges Pompidou : "de Gaulle est mort, la France est veuve".

C'était il y a vingt-cinq ans. C'était hier. Pour nous qui l'avons servi, pour nos aînés qui ont participé au geste de la résistance, pour notre jeunesse qui découvre sa stature, son austérité, son exigence, de Gaulle symbolise une France fière, une France influente, une France qui nous oblige parce qu'elle est toujours à réinventer. Rien n'est acquis, rien n'est fatal : si les enjeux ont changé, les mêmes forces hissent les peuples au-dessus d'eux-mêmes, ou bien les plongent dans le déclin. Saluer la mémoire du Général de Gaulle, c'est refuser le découragement, le conformisme, la résignation. C'est inventer les voies nouvelles. L'intégration dans la Nation, la cohésion sociale sans laquelle un peuple ne peut rien pour lui-même, le sentiment d'une communauté de destin, sont plus que jamais d'ardentes obligations. Le message ultime du Général est bien une leçon de courage, d'imagination, de pragmatisme et d'espérance. Rien n'est facile mais tout reste possible. L'urgence, c'est de reconquérir les moyens de notre ambition. Le génie de la France est là. Nous en sommes les dépositaires. Nous avons le devoir de le transmettre.





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