Article sur le Général de Gaulle, par M.Jacques CHIRAC, Président de la République, pour "Paris-Match"

Article sur le Général de Gaulle, par M.Jacques CHIRAC, Président de la République, pour PARIS-MATCH

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Paris Match (Supplément), le jeudi 9 novembre 1995

"En approchant LE GENERAL, j'ai enfin et mieux compris cette alliance intime de la NATION et du GRAND HOMME"

Par Jacques CHIRAC Président de la République française

Quand, le 9 novembre 1970, mourut le général de Gaulle, chaque Français, meme s'il n'avait jamais été gaulliste, fut touché au coeur.

En écrivant aujourd'hui ces lignes, je revois le visage grave du président Pompidou annonçant au pays la mort du Général. J'entends encore ses paroles : "La France est veuve." Ce jour-là, c'est vrai, les Français se sentaient orphelins. Cette voix qui les avait jadis exhortés au sursaut, cette voix familière qui depuis tant d'années les appelait à resserrer les rangs, à se dépasser toujours, à voir plus loin et plus haut, la voix du Général s'était tue, et cette disparition, chacun, ce jour-là, l'éprouvait comme un deuil personnel.

Je revois aussi l'affût de char, surmonté de son drapeau tricolore, emportant, trois jours plus tard, dans le recueillement de Colombey, le corps du Général vers sa dernière demeure. Je revois, en un instantané, le geste pieux de l'adolescent posant sa main sur le convoi.

Pour son ultime voyage, le général de Gaulle n'avait voulu auprès de lui que sa famille, ses premiers compagnons, les femmes et les hommes de Colombey, des soldats représentant les armées et ceux de Saint-Cyr. Comme tous les membres du gouvernement - ceux du moins qui n'étaient pas Compagnons de la Libération -, je n'étais donc pas ce jour-là à Colombey-les-Deux-Eglises.

Ces images, que les gaullistes gardent à jamais en mémoire, je les ai vues, comme tous les Français, à la télévision et dans la presse. Elles m'avaient profondément ému.

Parce qu'avec elles remontent les souvenirs. L'homme. Son caractère. L'impression forte qu'il faisait toujours sur ceux qui le rencontraient. Hautain et chaleureux, spirituel, attentif, pénétrant mais impénétrable, le mot rare et juste, le personnage était bien sûr hors du commun. Il émanait du Général une séduction puissante. "Voilà le connétable de France !" s'était dit Winston Churchill en le voyant pour la première fois. Pour les hommes de ma génération, et de mon âge - j'avais 38 ans -, le Général appartenait à l'Histoire, à la légende. Rarement, dans le passé, homme ou femme avait à ce point incarné notre pays, son destin, ses aspirations, sa vocation, son rayonnement. Le général de Gaulle s'inscrivait dans la lignée de ces grands personnages qui, contre vents et marées, à force de volonté et de passion, avaient redressé la barre et construit la France. Il était de ces figures qui, "du chaos, surent tirer la victoire".

Jeune membre de son gouvernement, j'ai beaucoup appris auprès de lui, et compris peu à peu cette mystérieuse alchimie, cette alliance intime de la nation et de son chef.

La magie du verbe était là aussi. Le Général n'a cessé de parler de la France aux Français. Il leur en parlait comme ils aiment qu'on leur en parle. Avec coeur, avec sincérité, avec passion. Son "idée de la France", elle se sera nourrie de deux millénaires d'Histoire. D'une Histoire qui l'oblige aussi pour l'avenir. Qui lui assigne une vocation. Qui lui imprime un élan. Il y avait, chez le Général, une "mystique" de la nation Charles de Gaulle, prophète : toute l'histoire de cette fin de siècle n'a cessé de donner raison à ses institutions, à sa prescience.

Quand de tels hommes les emmènent, les Français peuvent accomplir l'impossible.

Aller au-delà de soi-meme. Oublier égoïsmes et intérets particuliers pour se rassembler autour d'une ambition collective. Le message du gaullisme, sa modernité, c'est cela : savoir dire non. Ne rien tenir pour définitivement acquis, ou définitivement perdu. Comprendre que l'effort, l'unité, la solidarité, la volonté peuvent modifier le destin d'une nation. "Il y avait du Péguy chez de Gaulle", disait Edmond Michelet. Il y avait aussi du Richelieu et du Clémenceau.

Je me souviens enfin de l'une des dernières conversations que j'eus avec le Général, quelques jours seulement avant le référendum dont l'issue devait entraîner son départ. Cette issue, il la pressentait, il en éprouvait tristesse et déception. Pour le général de Gaulle, son histoire personnelle avec la France s'achevait.

Vingt-cinq ans après, nous savons que cette relation privilégiée dure toujours.





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