Allocution lors de la présentation des voeux des forces vives.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux des forces vives.

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Palais de l'Élysée, Paris, le jeudi 4 janvier 2007.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs,
Mes chers amis,

En ce début d'année, je veux d'abord adresser à chacune et à chacun d'entre vous, à vos familles, à vos proches, à vos collaborateurs, mes vœux les plus sincères, les plus chaleureux pour cette nouvelle année.

Mon intention, aujourd'hui, n'est pas de revenir longuement sur ce qui a été fait, si ce n'est pour rappeler que grâce à vous, qui représentez les forces vives de la nation, la France est une grande puissance : la cinquième du monde. Un pays qui a su mener des réformes sociales majeures, créer un million d'entreprises en cinq ans, redresser ses finances publiques et, depuis deux ans, réduire sa dette. Un pays qui a maintenant une croissance ancrée au-dessus de 2 %, et qui démontre qu'il n'y a pas de fatalité au chômage, même si beaucoup reste à faire dans ce domaine. Un pays où le nombre de logements sociaux nouveaux a doublé depuis 2002. Une nation attachée à la solidarité : même si beaucoup, beaucoup reste à faire dans ce domaine, nous avons, à contre-courant des pays voisins, si j'en crois les experts, réduit les inégalités et fait reculer la pauvreté, insuffisamment, mais c'est indiscutable.

Alors que les Françaises et les Français vont être amenés à faire des choix décisifs pour l'avenir, je voudrais aborder les grands enjeux auxquels nous sommes, en réalité, confrontés dans les années à venir. Je veux vous dire dans quel esprit, et avec quelles priorités la France devra, me semble-t-il, poursuivre sa marche en avant.


L'économie mondiale est en pleine expansion, avec l'émergence de nouveaux géants : la Chine, l'Inde aujourd'hui, le Brésil demain. Nous sommes engagés dans une course à la primauté technologique, dans une compétition qui concerne tous les secteurs : derrière les magnifiques succès de nos entreprises, derrière également les fermetures d'usines et les délocalisations, cette réalité est à l'œuvre.

La course à la taille critique et au profit se traduit aussi par la multiplication des OPA. Ce sont tout à la fois des opportunités et des dangers nouveaux : la France, avec 11 entreprises sur les 100 premières mondiales, est directement concernée. Il nous faut respecter les règles de l'économie de marché, mais nous garder de tout angélisme.

Dans le même temps, l'humanité est confrontée à une catastrophe écologique annoncée. Nous devrons prendre des mesures radicales pour répondre à la fois au réchauffement climatique et au besoin de croissance d'un monde qui comptera 3 milliards d'habitants de plus dans 40 ans : une nouvelle révolution industrielle est donc, en réalité, devant nous.

Face à ces défis, il faut se garder des idéologies, des illusions : la réduction du temps de travail comme solution au chômage, la hausse des impôts plutôt que les réformes. Il faut tout autant écarter la voie d'une France convertie au tout libéral, à la compression des salaires, au rétrécissement de la protection sociale. La France a les moyens d'une bien plus grande ambition. D'une ambition qui lui ressemble.

Nous avons, en réalité, trois enjeux majeurs : parachever la construction d'un nouveau modèle social français. Faire de la participation un véritable projet de société. Faire de la France le champion de la prochaine révolution industrielle, celle du développement durable.

On parle beaucoup d'un modèle français, et on a raison. Il repose sur l'alliance de la protection sociale et de l'innovation. Il est parfaitement adapté au monde d'aujourd'hui, à condition d'aller au bout de sa logique, et de le moderniser en permanence.

C'est pour cela que nous avons engagé une modernisation en profondeur de notre sécurité sociale. La réforme des retraites a été faite. Elle garantit leur équilibre à l'horizon 2020, elle permet aussi à 500 000 femmes et hommes qui ont commencé à travailler très jeunes de prendre leur retraite avant 60 ans. La réforme de l'assurance maladie a été menée à bien : pour la première fois, les dépenses sont tenues, grâce à l'évolution des comportements et à l'instauration d'un véritable parcours de soins. En 2009, la branche maladie sera excédentaire. Nous avons aussi fait progresser notre modèle social : pour la première fois depuis la Libération, une nouvelle branche a été créée en faveur des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées. Et nous avançons dans la voie du droit au logement opposable.

C'est dans le domaine de l'emploi que nous avons encore beaucoup, beaucoup à faire. Et c'est pour moi une priorité absolue. Grâce à votre mobilisation, grâce à l'action résolue du gouvernement de Dominique de Villepin, le chômage baisse. 360 000 chômeurs de moins. A ce rythme, nous aurons atteint, avant la fin de l'année, le niveau de chômage le plus bas depuis un quart de siècle. Mais le seul objectif qui vaille, c'est évidemment le plein emploi. Et pour cela, nous avons des réformes majeures devant nous, des réformes que nous ne pourrons conduire qu'ensemble.

C'est tout le sens de la modernisation du dialogue social. Il n'est que temps de sortir de cette tradition de conflictualité, héritée d'un autre temps, et qui freine parfois notre progression. Il faut aller au bout de la logique de 1945, une logique d'engagement, de responsabilité. Les partenaires sociaux sont pleinement associés à la gestion de la sécurité sociale. Ils doivent maintenant devenir des acteurs de la réforme, les promoteurs du nouveau modèle social français. Pour cela, il faut renforcer la légitimité de la démocratie sociale. Sur la base des travaux du Conseil économique et social, il faudra confronter la représentativité des syndicats, la conforter indiscutablement en actualisant les règles qui sont vieilles de plus de 40 ans.

Pour gagner la bataille du plein emploi, il va falloir trouver de nouveaux équilibres. Dans une économie d'opportunités à saisir, de ruptures technologiques, de retournements conjoncturels, notre droit du travail est trop complexe et trop rigide. Nos entreprises ne luttent pas à armes égales, notamment celles qui ont moins de 50 salariés. C'est là que résident les plus grands gisements d'emplois, là aussi qu'on trouve les principales difficultés d'application du code du travail. Il faudra leur donner les moyens de leur expansion en leur offrant plus de souplesse.

Dans le même temps, et les deux sont liés, il nous faut créer une sécurité sociale professionnelle. Face au chômage, il ne suffit pas d'être indemnisé, il faut disposer de compétences actualisées en permanence, il faut être mis sans délai en relation avec la bonne entreprise. La création des Maisons de l'Emploi a marqué une étape importante. Nous devons maintenant dépasser les intérêts particuliers et les conservatismes qui ont ralenti les évolutions nécessaires. Il faut bâtir un nouvel instrument de combat contre le chômage et pour l'emploi, à partir, disons-le clairement, de la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC.

La sécurité sociale professionnelle aura quatre missions : le versement des allocations chômage, l'accompagnement personnalisé pour la recherche d'emploi, l'aide à la mobilité professionnelle, et la formation tout au long de la vie : elle devra porter les droits individuels à la formation des salariés, majorés pour ceux qui ont un faible bagage initial ou qui ont besoin de se reconvertir. Dans l'esprit du contrat de transition professionnelle, un véritable lien contractuel, fait de droits et d'obligations, unira les salariés sans emploi et la sécurité sociale professionnelle. Dans la ligne de la réforme du dialogue social, il reviendra aux partenaires sociaux, aux côtés de l'État, de gérer ce nouvel ensemble.

Derrière la question de l'emploi, celle du pouvoir d'achat est évidemment posée. Le SMIC a augmenté de près de 25%, la prime pour l'emploi a doublé. Mais les attentes des Français sont fortes. Pour tirer les salaires vers le haut, il faut accélérer encore la baisse du chômage. Il faut continuer à lutter contre les ententes et les monopoles, qui se font au détriment des consommateurs. Il faut construire toujours plus de logements, car c'est la pénurie de l'offre qui engendre évidemment la hausse des loyers.

Au-delà des salaires et des prix, nous pouvons faire de la participation l'autre moteur du pouvoir d'achat. La participation est une spécificité du modèle français : bien plus qu'un projet économique, c'est un projet de société, profondément adapté au monde d'aujourd'hui.

La participation, c'est une question de justice : les salariés doivent bénéficier d'une partie des profits qu'ils ont contribué à créer par leur travail. Gardons-nous des faux débats : la participation n'est pas un substitut aux salaires, mais une source supplémentaire de revenu. La participation, c'est aussi un fantastique instrument de cohésion entre le salarié et son entreprise : elle scelle entre eux un véritable lien autour d'une ambition partagée. La participation, l'épargne salariale, sont enfin des instruments majeurs pour garantir la stabilité de nos grandes entreprises : alors que leur capital est détenu à plus de 40% par des fonds étrangers, c'est une arme puissante et nécessaire face au risque d'OPA hostiles.


Pour construire la société de participation, nous devons prendre appui sur la loi qui vient d'être votée et accélérer de façon radicale ses évolutions. Avec les partenaires sociaux, nous devons d'abord nous fixer pour objectif que tous les salariés, et non un sur deux comme c'est actuellement le cas, aient droit à la participation. Par ailleurs, les entreprises qui distribuent autant à leurs salariés, sous forme de participation ou d'augmentation de salaires, qu'à leurs actionnaires, devraient bénéficier d'un taux d'impôt sur les sociétés réduit : de l'ordre de 10%. Et, lorsqu'un fonds d'investissement décide de revendre une entreprise, il faudrait lui imposer de reverser aux salariés une fraction significative de la plus-value réalisée, par exemple 20%.

Dans le même esprit, il faut faciliter le rachat des entreprises par les salariés. Cela passe par des incitations fiscales, par une réglementation plus favorable, et par la création d'un fonds d'intervention de la Caisse des dépôts pour investir aux côtés des salariés.

Le troisième domaine dans lequel il nous faudra franchir des étapes décisives, c'est celui de l'innovation. Et cela particulièrement dans le domaine, stratégique pour notre avenir, celui du développement durable.

Nous avons engagé un effort sans précédent pour la recherche publique et privée. En créant des postes d'enseignants-chercheurs, en mettant en place les pôles de recherche et d'enseignement supérieur et les réseaux thématiques de recherche avancée, nous avons créé les conditions pour hisser l'université française aux meilleurs standards internationaux. Nous devrons en faire une priorité budgétaire des cinq prochaines années, pour consacrer à nos étudiants autant que le font les autres grandes nations, soit 30% de plus qu'actuellement.

Nous devrons donner aux étudiants les meilleures conditions pour travailler. Rendre plus puissantes les universités, en facilitant notamment leur rapprochement et leur collaboration sur des projets de taille mondiale.

Pour mieux récompenser le travail et l'esprit d'innovation, nous avons créé le bouclier fiscal, baissé de 20% en 5 ans l'impôt sur le revenu, et de 30% pour plus de trois millions et demi de ménages. Mais l'enjeu majeur des années qui viennent, c'est la concurrence fiscale entre les Nations. Pour conserver nos entreprises et en attirer d'autres, c'est sur le taux de l'impôt sur les sociétés qu'il faudra agir. Il s'élève en France à 33%, près de 8 points de plus que la moyenne européenne. L'objectif doit être de le ramener à 20% en 5 ans.

Mais surtout, nous devons prendre maintenant le tournant de la " nouvelle nouvelle économie ", celle du développement durable. La réponse au défi écologique, ce n'est pas la croissance zéro. Dans un monde où 3 milliards de personnes vivent avec moins de 2 euros par jour, cette idée, parfois avancée par certains techniciens, est purement indécente. C'est une nouvelle croissance, respectueuse de l'environnement, que nous devons mettre à jour. Elle passe par une révolution de nos modes de production et de consommation : économies en ressources naturelles, soucieuses des milieux naturels, attentifs aux pollutions et aux déchets, à l'impact des produits chimiques sur la santé des hommes. Elle passe par des ruptures technologiques majeures. Avec sa recherche, avec ses entreprises en pointe dans le traitement de l'eau, dans la gestion des déchets dans l'énergie, la France peut être le champion de cette nouvelle révolution industrielle.

La question de l'énergie est évidemment stratégique. Pour conserver et renforcer notre place sur ce marché mondial, il nous faut disposer de groupes puissants. Nous avons Total, EDF, AREVA dans le pétrole, l'électricité et le nucléaire. Il nous faut un acteur majeur dans le gaz : c'est en cela que le projet de fusion entre Gaz de France et Suez est un projet stratégique pour la France et pour l'Europe. Les calculs à courte vue ou les contingences politiques n'ont pas leur place dans une telle perspective.

Il y a aussi la question stratégique des énergies propres. Avec le réchauffement climatique, nous serons peut-être obligés de renoncer à utiliser le pétrole avant même qu'il ne s'épuise. Il est capital de développer les énergies sans gaz à effet de serre, les biocarburants, qui ouvrent d'ailleurs, des perspectives immenses à notre agriculture et à notre forêt. Nous devons conforter notre filière nucléaire : EDF devra engager à l'horizon 2015 le renouvellement de son parc, avec l'EPR. Le CEA lancera dès cette année le développement d'un réacteur de 4e génération. C'est dans ce cadre aussi qu'il faut replacer le projet ITER. Grâce à la qualité de notre recherche et de nos chercheurs, la communauté internationale a choisi la France pour installer ce programme d'énergie du futur, une énergie de fusion propre et presque inépuisable.

Nous devons lancer, notamment sous l'impulsion de l'Agence de l'innovation industrielle, de grands projets de rupture technologique. Je pense à la construction, d'ici un an, d'un prototype de capture et de stockage du CO². Je pense au développement de matériaux isolants, avec des constructions économes en énergie. Je pense à la voiture et au camion propres, à l'électricité solaire, dont le potentiel sera considérable dès que des percées technologiques auront permis d'en réduire le coût.

Enfin, nous devrons engager un plan national de grands travaux pour rénover l'ensemble du parc des logements et des bâtiments anciens : ils constituent un gisement immense d'économies d'énergie. L'objectif, c'est de réduire de moitié en 20 ans la consommation d'énergie de notre parc immobilier en soutenant, par la réglementation, par la sensibilisation ou par l'incitation, les économies d'énergie et les énergies propres. En matière de transports, nous devrons donner la priorité à la voie ferrée et à la voie fluviale, et permettre aux collectivités locales qui le souhaitent d'établir, après débat public, des péages urbains.

Préserver l'environnement, défendre la biodiversité, lutter contre le changement climatique, ce sont des exigences vitales pour les nations d'aujourd'hui. C'est pour cela que la France a été le premier pays à inscrire une Charte de l'environnement dans sa Constitution. Avec l'Europe, nous devrons avancer vers une " taxe carbone " sur les produits en provenance de pays refusant de s'engager en faveur du régime qui succèdera au Protocole de Kyoto après 2012. Et c'est pour cela que j'ai souhaité organiser à Paris, au début du mois de février, une Conférence internationale pour accélérer la prise de conscience et l'indispensable création d'une Organisation mondiale de l'environnement dans le cadre de l'ONU.

Mesdames et Messieurs,

La France a des atouts considérables pour peser de tout son poids dans ce nouveau monde qui se construit sous nos yeux. La France doit prendre en main son destin, et elle doit le faire, évidemment, dans le cadre de l'Europe.

L'Europe économique doit avancer de pair avec l'Europe des citoyens. L'Union ne peut plus être le seul ensemble continental qui n'utilise aucun des instruments de politique économique, industrielle, commerciale ou monétaire. Il est temps pour elle d'exercer sa souveraineté économique, avec la fixation d'une politique de change et la refondation de la politique de la concurrence pour tenir compte de la mondialisation. Il est temps pour l'Union d'adopter une politique commerciale offensive, à armes égales avec les autres puissances. Premier débouché commercial des pays émergents, elle est en position de force pour négocier avec eux des accords sur les conditions d'une concurrence loyale et le respect de normes sociales et environnementales. L'Europe doit reprendre en main son destin économique, en redonnant tout son sens à la préférence communautaire sur laquelle elle s'est d'ailleurs construite.

Ce sera un tournant majeur de la construction européenne. Dans un monde où l'affirmation de la puissance économique et sociale de notre continent est indispensable aux grands équilibres, la France devra en être le moteur.

Mesdames et Messieurs, Mes chers amis,

Grâce à vous, la France s'affirme dans ce nouveau monde où nous sommes entrés. Ces dernières années, elle s'est donnée les moyens de répondre aux défis qui sont devant elle. C'est ensemble, avec ambition, avec confiance, en étant fiers de ce que nous sommes que nous les relèverons tous.

Je vous remercie.





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