Discours du Président de la République lors de l'ouverture de l'Atelier culturel Europe - Méditerranée - Golfe.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République à la séance inaugurale de l'Atelier culturel Europe - Méditerranée - Golfe.

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Traduction en langue arabe (PDF)

Palais de l'Élysée, Paris, le mercredi 13 septembre 2006.

Altesses,
Madame la Présidente,
Monsieur le vice-Premier ministre,
Monsieur le Grand Rabbin,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs,

Lors du sommet de Barcelone, j'ai proposé une rencontre de créateurs, intellectuels et décideurs des deux rives de la Méditerranée et du Golfe pour débattre du "dialogue des civilisations". Je suis particulièrement heureux d'inaugurer aujourd'hui avec vous cet Atelier culturel et je vous en remercie.

Pourquoi cette initiative ? Parce que nous sommes menacés d'un divorce entre les cultures. Occident contre islam, laïcs contre religieux, Nord contre Sud, riches contre pauvres : toutes les failles de notre monde risquent de s'approfondir et de se rejoindre, avec les conséquences que chacun appréhende.

Depuis le 11 septembre 2001, voici juste cinq ans, la peur et l'incompréhension ont déclenché des réactions passionnelles. Les amalgames injustifiables provoqués par des attentats terroristes révoltants, plus récemment l'émotion et la violence des réactions suscitées par la publication des caricatures du prophète Mahomet en ont été des signes révélateurs.

Cette montée de l'incompréhension, de l'intolérance et du ressentiment affecte particulièrement notre espace commun. Marqué par la diversité des héritages, des religions et des sociétés, il est le théâtre d'affrontements dont la violence vient encore de s'illustrer de façon dramatique au Liban.

La Méditerranée, carrefour de tant de peuples, de cultures, de nations, berceau des religions du Livre et de la civilisation occidentale, source des valeurs de liberté et de dignité humaine devrait être le lieu privilégié de notre solidarité. De fait, il fut un temps où nos cultures étaient des relais. Averroès vénérait Aristote, qu'il disait "envoyé par Dieu pour proclamer la vérité", et saint Thomas d'Aquin voyait dans ce génie universel de la science arabe le "commentateur" par excellence de l'héritage gréco-latin. Mais nos histoires ont suivi des cours différents. Les affrontements séculaires, conquête islamique, croisades, entreprise coloniale ont creusé de profondes fractures. Ainsi, malgré leur origine commune et des liens innombrables, la Méditerranée juxtapose des mondes fermés les uns par rapport aux autres. Nos modes de vie, nos croyances, nos systèmes d'organisation sociale et juridique, nos modèles politiques, tout ce qui fait une identité, en réalité aujourd'hui nous distingue.

Les drames du XXe siècle ont encore aggravé malentendus et rancunes. Les conflits du Moyen-Orient, qui tous se renforcent et s'amalgament, non seulement affectent notre espace commun mais sont désormais au cœur de l'instabilité du monde. Ils diffusent sur toute la planète leurs effets déstabilisateurs, comme l'enseigne la cruelle leçon du terrorisme. Ils entretiennent un sentiment d'injustice, la conviction que les identités sont méprisées, que les valeurs universelles ne s'appliquent pas équitablement et peuvent servir de prétexte pour nier la diversité des cultures.

Aujourd'hui, l'urgence nous sollicite. Il faut dissiper les stéréotypes, les peurs et les mauvais souvenirs afin de croiser enfin nos regards, de surmonter ce qui nous oppose et de construire notre avenir partagé.

Telle était l'une des ambitions du partenariat de Barcelone, mais la culture, c'est vrai, en est restée le parent pauvre. Si nous voulons faire de la Méditerranée et du Golfe un trait d'union politique et un espace de solidarité, si nous voulons conjurer la menace d'un affrontement qui ne serait que le choc de l'ignorance, de la bêtise, de l'arrogance, alors nous devons impérativement retrouver la voie du dialogue entre les peuples.

Il nous faut agir vite et fort. Agir sur le front politique et diplomatique, pour la paix. Agir par le dialogue des sociétés et des cultures. Ces deux modes d'action, le mode politique et le mode culturel, le traitement des crises et le dialogue des cultures, doivent être conduits en parallèle.

Les crises régionales interpellent la conscience universelle. Je veux le réaffirmer ici : rien ne peut être résolu unilatéralement et par la force. Les peuples sont réfractaires aux solutions imposées, qui avivent le ressentiment et sont porteuses des conflits de demain. Seul un traitement politique négocié, associant l'ensemble des acteurs avec l'appui et la garantie de la communauté internationale, peut amener des solutions durables. Il s'agit d'apporter aux peuples plus de sécurité mais également plus de justice et plus de solidarité, car tout ceci est indissociable.

Il en est ainsi d'abord et avant tout du conflit israélo-palestinien, au cœur du sentiment de frustration si profondément ressenti par le monde arabe et musulman. La paix entre Israéliens et Palestiniens, ce sont pourtant des choses simples : deux Etats vivant côte à côte dans des frontières viables, reconnues et internationalement garanties. Il en est de même des déchirements que connaissent l'Irak ou le Liban, comme des tensions que nous observons dans le Golfe.

On ne résoudra rien par la force. On n'apaisera rien non plus par la caricature et l'exclusion. La diabolisation de l'Occident d'un côté, de l'autre la suspicion envers l'islam, présenté comme réfractaire à la modernité, autant de dangereux stéréotypes qui doivent être combattus par un effort mené en commun. A l'esprit de croisade, fondé sur l'ignorance, au prosélytisme militant qu'inspire une vision totalitaire de l'humanité, opposons l'esprit de dialogue fondé sur la connaissance, la tolérance et la volonté d'ouverture.

Ce dialogue, menons-le en partenaires, respectueux de ce que nous sommes, conscients d'appartenir à des univers différents mais égaux en dignité, qui ont beaucoup à apprendre les uns des autres et doivent coopérer face aux défis communs. Aucun peuple n'a l'apanage de l'universel mais n'oublions pas que par-delà nos différences s'exprime aussi notre destinée commune.

Parce que nous constituons une même humanité, nous respectons des valeurs universelles que nulle exception culturelle n'autorise à enfreindre. L'humanisme plonge ses racines dans le terreau des trois religions du Livre qui toutes exaltent la dignité de l'Homme. Mais si ces valeurs sont absolues, la manière de les vivre fait apparaître des différences qui expriment nos identités.

Si nous voulons travailler ensemble, il faut partir de cette diversité culturelle, sociale et religieuse. Toutes les sociétés n'avancent pas du même pas. Chacune doit marcher vers la démocratie et le respect des droits de l'homme, mais en suivant le chemin propre au génie de son peuple. Les modèles étrangers sont des sources inappréciables d'inspiration, de réconfort et d'appui dans le combat pour la dignité humaine, mais l'ingérence et l'injonction étrangère fragilisent toujours et altèrent les causes qu'elles défendent.

Notre conférence s'inscrit dans l'esprit du travail conduit sous l'égide du Secrétaire général de l'ONU avec l'Alliance des civilisations prônée par les Premiers ministres ERDOGAN et ZAPATERO. Elle est le point de départ d'un échange qui va vous mobiliser plusieurs mois à Paris, à Séville, à Alexandrie et ailleurs.

Il vous revient de nous aider à mieux nous connaître, mieux nous comprendre et mieux coopérer face aux défis communs.

Votre Atelier aura aussi l'ambition d'élaborer des projets susceptibles d'être réalisés par les Etats, les institutions régionales et internationales, les opérateurs culturels et audiovisuels, les acteurs du changement social. Certains ont déjà été esquissés dans vos travaux préparatoires. Je pense à l'idée d'un travail d'historiens sur l'enseignement de l'histoire et les manuels d'histoire ou au projet de coproduction d'images diffusées par les grands médias télévisuels du Nord et du Sud.

J'en suggère trois autres : une coopération dans le domaine de la codification et de la réforme du droit ; un Erasmus méditerranéen pour rapprocher nos jeunesses - il pourrait s'inspirer de la grande figure d'Averroès ; une charte du dialogue des cultures qui fixe les règles du vivre-ensemble dans la mondialisation.

Mesdames, Messieurs,

L'enjeu de votre Atelier, c'est le rétablissement de la confiance dans un monde menacé par la peur et par la haine. Parce que la Méditerranée est devenue le point focal des incompréhensions entre les peuples, il lui revient de porter la promesse d'un univers où chacun, mieux assuré de lui-même, acceptera le visage et la voix de la différence.

Je vous remercie.





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