Allocution du Président de la République, à l'occasion des vœux aux forces vives.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion des vœux aux forces vives.

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Palais de l'Elysée - Jeudi 5 janvier 2006.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs,

En ce début d'année, je veux d'abord adresser et, de tout cœur, à chacune et à chacun d'entre vous, à vos familles, à vos proches, à vos collaborateurs, mes vœux les plus sincères, les plus chaleureux pour l'année 2006.

Dans un monde qui change et dont les changements sont à la fois technologiques, économiques, sociaux, culturels, identitaires. Alors que la mondialisation ne cesse de rebattre les cartes, la France a des atouts maîtres, et me semble t-il, elle n'en a pas toujours suffisamment conscience.

Elle est forte de ses grandes entreprises conquérantes, de ses succès industriels et scientifiques. Elle fait vivre ses valeurs, notamment l'exigence de cohésion sociale et de solidarité. Elle est à la pointe dans le monde des grands combats pour l'environnement ou pour l'aide au développement.

Nous avons engagé des réformes importantes pour moderniser nos structures économiques et sociales, pour lutter contre l'insécurité, pour sauver les retraites, pour revaloriser le travail, pour soutenir le pouvoir d'achat, pour investir pour l'avenir : c'était une exigence nécessaire.

Et nous devons maintenant aller plus vite et plus loin. Poursuivre la modernisation de nos structures, être à l'avant-garde des changements, des mutations technologiques.


L'emploi, c'est évidemment notre priorité absolue à tous. Depuis 2002, nous avons changé de cap : avec l'assouplissement des 35 heures ; avec le plan de cohésion sociale ; avec le succès du contrat nouvelles embauches ; avec la libération de l'emploi dans les services à la personne ; avec la relance d'une politique industrielle et de recherche ambitieuse. Et les résultats sont là : depuis huit mois, le chômage recule. Déjà près de 160 000 chômeurs de moins.

Mais il faut aller plus loin, beaucoup plus loin.

Il nous faut d'abord ouvrir le chantier de la réforme du financement de la protection sociale. Face à nos principaux concurrents, nous sommes désavantagés par un coût du travail trop élevé. Malgré les allégements de charges, les cotisations sociales pèsent trop lourdement sur les salaires. Elles pénalisent l'emploi. Plus une entreprise recrute, plus elle doit payer. A l'inverse, plus elle délocalise, plus elle occasionne de dépenses sociales et moins elle contribue à la protection sociale des Français.

Une première réforme du financement de la protection sociale a été utilement réalisée tout au long des années 90. Il s'est agi de remplacer des cotisations salariales, pesant sur les seuls revenus du travail, par une contribution assise sur l'ensemble des revenus des Français, la CSG. C'était indispensable, s'agissant du financement de prestations désormais universelles.

L'enjeu, maintenant, c'est d'entreprendre une nouvelle réforme concernant, cette fois, les cotisations patronales. Il faut les calculer sur une assiette plus juste et plus favorable à l'emploi. Nos partenaires européens s'y engagent. Ce chantier, ce sera sans aucun doute, l'affaire de la présente décennie. C'est essentiel pour sauvegarder un haut niveau de protection sociale dans une économie mondialisée.


Pour avancer dans ce sens, certains explorent la piste de la TVA sociale : baisser le coût du travail et augmenter le prix des produits importés, pour lutter contre les délocalisations. Une telle réforme est envisagée ou engagée dans des pays voisins. Mais il n'est pas question d'adopter brutalement un tel système, qui suppose, en toute hypothèse, un consensus national sur l'évolution des prix et des salaires.

C'est pourquoi je proposerais de basculer une fraction des cotisations patronales sur une cotisation assise sur l'ensemble de la valeur ajoutée des entreprises. Nous devons nous y engager dès cette année, en étant particulièrement attentif à la situation de toutes les entreprises, qui naturellement ne sont pas homogènes. C'est une réforme qui doit se faire en concertation avec les partenaires sociaux bien entendu, et dont je souhaite qu'ils s'impliquent pleinement et participent, dans un esprit de responsabilité, à ce chantier essentiel pour gagner la bataille de l'emploi.

Le projet de réforme, élaboré en concertation avec les partenaires sociaux, sera soumis aux travaux du Conseil d'orientation pour l'emploi avant l'été, pour pouvoir être engagé d'ici la fin de l'année.

Nous devons aussi adapter notre protection sociale aux transformations du marché du travail.

La vraie sécurité dans le monde d'aujourd'hui, ce n'est pas de garantir à quelques-uns de garder toujours leur emploi. C'est de permettre à tous de trouver ou de retrouver un emploi convenable. Avec la convention de reclassement personnalisé, les aides au retour à l'emploi, la création de maisons de l'emploi, nous avons commencé à construire une véritable sécurisation des parcours professionnels. L'enjeu, c'est de protéger et d'accompagner chaque salarié, tout au long de sa carrière, et de l'aider à progresser, dans l'entreprise mais aussi pendant les périodes de chômage.

Je souhaite que les partenaires sociaux s'emparent pleinement de cette ambition et que nous puissions, dans l'année à venir, franchir cette étape essentielle, sous deux aspects.

Ensemble nous devons mettre en place un véritable service public de l'emploi rapprochant, sur le terrain, les services chargés de l'indemnisation et ceux chargés du placement. Il faut offrir au demandeur d'emploi un guichet unique, un service plus personnalisé, de meilleure qualité pour accélérer son retour à l'emploi. Dès cette année, des progrès décisifs seront réalisés en matière d'informatique et surtout de pilotage commun des deux réseaux de l'ANPE et de l'UNEDIC.

Enfin, nous devons encore enrichir les droits de chacun à la formation professionnelle. Le droit individuel à la formation est un vrai progrès. Il faut aller plus loin. Dans la même logique que celle qui a été retenue par les partenaires sociaux dans l'accord sur l'assurance chômage pour les salariés en CDD, il faut donner à chaque salarié la possibilité de verser ce droit sur un compte personnel. Il pourra ainsi le gérer librement tout au long de sa carrière, en complément du compte épargne-temps. Tous ces outils permettront à chacun de construire son propre parcours, de gérer au mieux les temps de la vie professionnelle et de mieux se projeter dans l'avenir.

Notre deuxième priorité, ce sont les petites et moyennes entreprises qui sont le socle de la croissance et de l'emploi. Depuis 2002, nous avons relancé la création d'entreprises : chaque année, plus de 200 000 entreprises nouvelles se créent. L'objectif, que j'avais évoqué, de 1 million d'entreprises nouvelles sur cinq ans,on peut le dire aujourd'hui, sera atteint.

Nous avons aussi conforté la viabilité de nos petites et moyennes entreprises, avec des procédures de sauvegarde plus souples et plus favorables à l'emploi, et en levant les obstacles fiscaux à la transmission.

Il nous faut maintenant dynamiser la croissance des petites et moyennes entreprises. Abondants pour les entreprises installées, les financements sont trop rares pour celles qui se créent, qui grandissent, qui font le pari de la croissance ou de l'innovation. C'est une des grandes faiblesses de notre système bancaire. Pour cela, les acteurs du financement de l'économie -assureurs, banquiers, fonds d'investissement, Caisse des dépôts et consignations- doivent se mobiliser. L'État et les grands groupes publics donneront une préférence, pour leurs achats, aux PME. Le nombre de prêts aux créateurs d'entreprises passera de 15 000 à 30 000 par an, avec des garanties renforcées pour les entrepreneurs des zones urbaines sensibles. Nous allons doubler les moyens des fonds de garantie publics gérés par Oséo, et accroître les aides à l'innovation. Et je souhaite que 2 milliards d'euros soient levés, dès cette année, sur les marchés financiers, avec une garantie de l'État. Ces sommes seront investies dans le capital des PME les plus dynamiques, aux côtés de financements privés.

La France doit aussi être à la pointe des progrès technologiques. J'ai voulu relancer la politique industrielle et d'innovation. Nous avons mis en place les instruments : les pôles de compétitivité, l'Agence de la recherche, l'Agence de l'innovation industrielle. Il faut affirmer nos priorités nationales et y consacrer des moyens massifs. Il faut franchir maintenant des étapes décisives dans les secteurs du numérique et de l'énergie.

Le numérique, c'est une révolution industrielle, incomparablement plus rapide que les précédentes, et peut-être plus profonde.

Ses enjeux sont immenses. Économiques et sociaux, naturellement : déjà, un quart de la croissance s'effectue dans le numérique. Culturels aussi : aujourd'hui se dessine la nouvelle géographie des savoirs et des cultures. Demain, ce qui ne sera pas disponible en ligne risque de devenir invisible à l'échelle du monde.

Avec le numérique, de nouveaux dangers, c'est vrai, apparaissent : le cyber-terrorisme et la cyber-criminalité, les menaces pour les mineurs. Et il faut répondre, bien entendu, fermement à ces dangers. Mais s'affirment aussi de nouvelles promesses, comme celle d'une démocratie plus participative, le développement du commerce en ligne et, plus largement, de nouveaux services et la possibilité pour chacun d'accéder beaucoup plus facilement à l'information.

Notre pays, avec ses entreprises, ses scientifiques, ses créateurs, a pleinement engagé sa révolution numérique. En trois ans, nous sommes devenus l'un des premiers en Europe pour l'accès à l'internet à haut débit. A la fin de cette année, 98 % de la population pourra en bénéficier. Mais c'est maintenant, avec la convergence, que l'essentiel va se jouer : de plus en plus, tous les contenus seront disponibles sur tous les réseaux. Les frontières traditionnelles entre les médias et les télécommunications, entre la télévision, le téléphone et l'Internet, sont vouées à disparaître et à disparaître rapidement.

Dans ce processus, la France peut faire la différence, devenir l'une des nations les plus avancées dans les technologies numériques. Pour cela, nous devons définir une nouvelle stratégie pour notre pays.

Le premier axe, c'est de créer dès maintenant les conditions du passage au très haut débit. C'est indispensable pour la compétitivité de nos entreprises. Pour cela, il faut permettre à tous les opérateurs de télécommunications qui le souhaitent de développer sur tout le territoire un réseau de fibres optiques.

Les moteurs de recherche sur Internet sont les portes d'accès au savoir numérique et au commerce électronique. Il faut relever le défi mondial des géants américains Google et Yahoo. Pour cela, nous allons lancer un moteur de recherche européen Quaéro, avec le soutien de l'Agence de l'innovation industrielle. L'enjeu, c'est de créer la nouvelle génération de moteurs de recherche : un moteur véritablement multimédia, c'est-à-dire intégrant, outre les textes, le son et l'image.

Et j'ajoute que nous allons également rendre disponible en ligne le patrimoine culturel de l'Europe grâce par la bibliothèque numérique européenne, dont la France a pris, vous le savez, l'initiative.

La bataille des contenus, c'est avec les créateurs que nous la gagnerons. Nous devons garantir leurs droits et leur juste rémunération, en trouvant un équilibre entre lutte contre le piratage et liberté des utilisateurs.

Ce qu'il faut, c'est favoriser le développement d'offres légales à prix raisonnable. C'est mettre en place des mesures techniques de protection mais en les encadrant pour garantir le droit essentiel de chacun à la copie privée. Et sortir de la logique de répression systématique des internautes, en se donnant les moyens d'agir contre les logiciels qui favorisent le piratage. La poursuite de la discussion parlementaire permettra, je le pense et je le souhaite, de trouver ce juste équilibre.

Enfin, nous devons être pionniers dans le développement de la télévision numérique et de technologies à très fort potentiel : développer un accès à haut débit à Internet en mobilité, et déployer, d'ici la mi-2007, la télévision sur mobiles et en haute définition.

Cela suppose de libérer les fréquences qui sont aujourd'hui utilisées pour diffuser la télévision analogique. L'objectif, c'est de basculer de la télévision analogique à la télévision numérique, et cela de manière progressive et d'ici cinq ans. Une mission pour la couverture numérique du territoire sera mise en place à cet effet. Elle devra veiller à ce qu'aucun de nos concitoyens ne reste à l'écart du bénéfice du numérique. Dès cette année, des essais en vraie grandeur seront réalisés dans certaines régions. Ces évolutions supposent de définir une stratégie concertée sur l'utilisation des fréquences en vue des prochaines échéances internationales. Elles supposent aussi d'adapter notre cadre juridique : une réforme de la loi de 1986 sur l'audiovisuel sera présentée en septembre.

La seconde de nos priorités industrielles, c'est l'énergie. Le climat et l'après pétrole, sont les défis du siècle qui s'ouvrent. Nous devrons diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, c'est inéluctable. Nous devrons apprendre à nous passer progressivement de pétrole.

Dans ce domaine, la France a l'ambition d'être une référence mondiale, car avec ses entreprises, avec ses infrastructures, avec ses recherches, elle dispose d'atouts majeurs.

Notre pays est le premier producteur d'énergie renouvelable en Europe. Grâce à l'hydro-électricité, grâce au choix du nucléaire, nous émettons aujourd'hui, par habitant, 40 % de gaz à effet de serre de moins que la moyenne des pays développés.

Et avec la loi d'orientation sur l'énergie de juillet dernier, nos grands choix énergétiques sont clairs. Nous devons maintenant en accélérer la mise en œuvre, afin de préparer l'avenir.

Nous devons d'abord intensifier notre effort pour économiser l'énergie dans l'habitat. Et en priorité dans les bâtiments existants, avec pour objectif de diviser par quatre la consommation d'énergie d'ici 2050. Un grand programme d'amélioration de l'habitat a été lancé. Il doit permettre aux Français d'économiser l'équivalent de la production annuelle de deux tranches nucléaires. Les matériaux de construction les moins performants ne seront plus proposés à la vente. L'évaluation des performances énergétiques des logements vendus est rendue obligatoire. Des incitations sont mises en place : un crédit d'impôt augmenté et des financements de la part des grands fournisseurs d'énergie.

Des programmes de recherche seront engagés pour construire des bâtiments producteurs nets d'énergie et améliorer fortement le rendement des panneaux solaires.

Nous devons réserver l'utilisation du pétrole aux transports et à la chimie, et développer le plus possible des substituts, comme la chimie verte. La production de biocarburants sera multipliée par cinq d'ici deux ans. D'ici fin 2007, les voitures des administrations, tout un symbole mais un encouragement je l'espère, et des établissements publics devront utiliser un tiers de biocarburants. Nous engagerons des recherches sur des processus avancés de production de biocarburant, sur l'utilisation de l'hydrogène et sur les piles à combustible. Il faut aussi développer, dans les dix ans, la voiture électrique à grande autonomie et le diesel hybride. Il faut également mettre au point les centrales à charbon propre. Je souhaite que l'Agence de l'innovation industrielle contribue, dès cette année, au lancement de ces projets. Et par ailleurs, la RATP et la SNCF ne devront plus consommer une goutte de pétrole d'ici 20 ans.

Enfin, il faut préserver notre avance dans le nucléaire. Nous avons lancé l'EPR à Flamanville. Et c'est la France qui a été choisie pour implanter ITER : l'enjeu, c'est la domestication de l'énergie du soleil à l'horizon de la fin du siècle. Mais nous devons prendre, en attendant, de nouvelles initiatives : de nombreux pays travaillent sur la nouvelle génération de réacteurs, celle des années 2030-2040, qui produira moins de déchets et exploitera mieux les matières fissiles. J'ai décidé de lancer, dès maintenant, la conception, au sein du Commissariat à l'énergie atomique, d'un prototype de réacteur de 4ème génération, qui devra entrer en service en 2020. Nous y associerons, naturellement, les partenaires industriels ou internationaux qui voudraient s'engager.

Pour conforter ces choix, il nous faut maintenant opter pour l'une des solutions proposées afin de stocker les déchets radioactifs. A l'issue du débat public en cours, le Parlement sera saisi d'un projet de loi, qui devra être voté avant la fin de l'été. Enfin, pour faire progresser encore la confiance, j'ai demandé au Gouvernement de créer par la loi sur la transparence nucléaire, dès cette année, une autorité indépendante chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information.

Les enjeux de notre politique énergétique dépassent évidemment le cadre national. C'est au niveau européen qu'il nous faut bâtir une politique énergétique ambitieuse. Elle ne saurait se résumer à l'ouverture des marchés à la concurrence. Lors du prochain Conseil européen, la France présentera un mémorandum sur la politique énergétique.

Mesdames et messieurs,

De nouvelles aventures technologiques se préparent à l'évidence. Bien des géants industriels sont à créer, bien des défis sont à relever. Avec une base industrielle compétitive et une recherche de pointe, avec une économie mobile, réactive et en prise sur le monde, avec une société ouverte, diverse, et qui donne sa chance à chacun et permet à tous de progresser, nous avons les clés pour maîtriser le monde nouveau.

Et c'est ce vœu, que pour ma part, en ce début d'année, je fais pour la France.

Je vous remercie.





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