Discours du Président de la République lors de la réunion des entreprises signataires du Pacte mondial.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la réunion des entreprises signataires du Pacte mondial.

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Palais de l'Elysée - Paris le mardi 14 juin 2005.

Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, cher Kofi,
Monsieur le Premier ministre, cher Tony,
Monsieur le Président,

La question politique, la question économique, la question sociale sont de plus en plus liées. Depuis deux siècles, elles n'ont cessé de déterminer le mouvement de l'histoire, jusqu'à la mondialisation que nous vivons aujourd'hui, avec ses opportunités, ses chances, ses défis, ses problèmes.

L'expérience nous enseigne qu'il n'est pas de progrès économique durable, sans progrès vers la liberté politique et la justice sociale. Qu'il n'est pas, non plus, de réel progrès social, sans liberté économique et sans participation politique.

A l'heure de la mondialisation, il est une illusion dangereuse : penser que l'économie, en changeant d'échelle, s'est affranchie du politique et du social. ce n'est pas vrai. Penser que les consommateurs vivent désormais sur une planète distincte de celle des citoyens. Croire que la prospérité matérielle est une fin en soi, alors qu'elle n'est en réalité qu'une voie vers plus de bien-être, de liberté et d'accomplissement individuel.

Ces dérives se manifestent dans la détérioration de notre environnement et les menaces d'épuisement des ressources naturelles non renouvelables. Elles apparaissent dans la persistance de graves inégalités mondiales qui favorisent la résurgence des radicalismes. Elles n'épargnent pas les sociétés développées, où la progression des niveaux de vie ne suffit pas à résorber les inégalités.

Avec la mondialisation de l'économie, la question sociale et la question politique sont à nouveau posées. Plus que jamais, c'est au niveau de l'Europe que nous devons porter une plus haute exigence de démocratie et de justice sociale. Au niveau d'une Europe qui partage un socle unique au monde de valeurs communes. C'est également sur le plan international, et d'abord dans le cadre des Nations Unies, que nous devons inventer de nouvelles formes de gouvernance et de solidarité.

Au Nord comme au Sud, les questionnements qui montent depuis les années quatre-vingt-dix expriment un besoin de sens et un besoin d'espérance. Une attente que nous ne pouvons laisser sans réponse.

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Dans quelques jours, le Premier ministre britannique accueillera le G8 en Ecosse. Avec le changement climatique et le développement, en particulier de l'Afrique, il a choisi de placer les enjeux de la responsabilité et de la solidarité au plus haut niveau de l'agenda international et nous l'en remercions. Nous travaillons la main dans la main pour faire de ce rendez-vous qu'il a évoqué brièvement tout à l'heure un succès.

A la fin de l'été, les chefs d'Etat et de gouvernement du monde entier se retrouveront à New York pour dresser un premier bilan de la réalisation modeste, beaucoup trop modeste des objectifs du Millénaire. Nous devrons prendre, comme nous y invite le Secrétaire général des Nations Unies, des décisions courageuses et concrètes, en particulier sur le financement du développement.

C'est pourquoi, à la veille de ces grands rendez-vous internationaux, j'ai souhaité accueillir à Paris cette réunion du Pacte mondial. Dirigeants de près de cent quarante entreprises, venus de trente-trois pays, votre présence, Mesdames et Messieurs, témoigne d'une prise de conscience nécessaire et salutaire. Sur le financement du développement, la gouvernance publique, la santé et la lutte contre les grandes pandémies, l'éducation, la responsabilité sociale et environnementale, le commerce équitable -thèmes de vos travaux cet après-midi- vos propositions sont particulièrement attendues. Elles contribueront à insuffler dans la préparation de ces échéances majeures un nouvel esprit de dialogue et de responsabilité.

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Chefs d'entreprises, vous êtes des acteurs essentiels de la mondialisation et les premiers contributeurs au développement économique. Cela vous confère une responsabilité particulière.

La course au moins-disant social, au moins-disant environnemental, même si elle peut apporter un profit illusoire à court terme, est une course à l'abîme. Une course qui compromet l'avenir même de l'humanité par le gaspillage des biens publics mondiaux, la destruction de la biodiversité ou le réchauffement du climat. Une course qui rejette dans l'exclusion des centaines de millions de femmes et d'hommes.

A cette course folle, il est une alternative. Humaniser et maîtriser la mondialisation. Poser les bases d'une croissance plus durable et mieux répartie. Telle est la vraie rationalité économique. Car, pour les pays du Sud, le succès économique et le progrès social passent autant par le développement du marché intérieur que par celui des exportations. Car, pour les pays développés, un partenariat respectueux mais exigeant avec les pôles émergents du monde -selon des règles acceptées et appliquées par tous- porte la promesse d'un avenir de croissance et de prospérité partagée. Car, pour les entreprises, un monde de justice et de droit est porteur de bien davantage d'opportunités et de sécurité.

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Nous ne pourrons pas indéfiniment laisser en marge du mouvement du monde cette partie de l'humanité aujourd'hui reléguée derrière les murs de notre indifférence.

Il y a dans cette situation une menace grandissante et aussi un effroyable et inacceptable gâchis. Car ces centaines de millions de femmes et d'hommes qui épuisent aujourd'hui leur énergie et leur talent dans le combat quotidien de la survie peuvent être, si nous leur en donnons l'opportunité, l'avenir même de la croissance mondiale. Mais si nous les abandonnons à la misère, la violence, la maladie et l'ignorance, nous manquerons à nos devoirs et à nos valeurs et nous en paierons tôt ou tard le prix. Un prix fort.

Vous, chefs d'entreprises, avez la possibilité d'abattre ce mur d'indifférence en élargissant l'horizon de vos activités et de vos investissements au-delà des franges de quelques pays du Sud où ils se concentrent pour l'essentiel aujourd'hui. Toutes les grandes zones économiques du monde ont la vocation et la capacité d'accueillir des investissements.

L'Afrique, aujourd'hui marginalisée, ne doit pas demeurer en reste. Riche de sa jeunesse, forte de ses ressources pour le monde de demain, elle a engagé, à travers le NEPAD et, dans le cadre de l'Union africaine, des réformes nécessaires en matière de bonne gouvernance, de renforcement de l'État de droit, de lutte contre la corruption.

L'Afrique est une promesse, l'une des plus grandes promesses de ce siècle, pourvu que nous sachions lui tendre la main. Pourvu également que, dans nos relations avec elle, pays développés et entreprises, nous mettions enfin en adéquation nos propres actes avec le discours que nous lui tenons sur la bonne gouvernance. C'est là aussi l'une des dimensions du nouveau partenariat que nous voulons sceller avec l'Afrique.

C'est pourquoi j'ai souhaité que la France soit le premier membre du G8 à ratifier la convention des Nations Unies contre la corruption. C'est pourquoi nous soutenons l'initiative sur la transparence des industries extractives, à laquelle ont déjà adhéré de nombreux pays d'Afrique, et aussi l'extension de ses principes à d'autres secteurs d'activités, tels que le commerce des bois tropicaux, qui sont l'objet de dangereux abus. C'est pourquoi je reviendrai à Gleneagles sur le problème posé par les paradis fiscaux et bancaires, où s'entrecroisent aujourd'hui, dans une opacité complaisante, les réseaux de la corruption, du crime et du financement du terrorisme.

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Il nous faut aujourd'hui rétablir l'équilibre rompu par la première mondialisation, celle de l'économie, en la complétant par une mondialisation de la solidarité et de la responsabilité. C'est ainsi que nous établirons les fondations d'un véritable développement durable.

En s'engageant, sur une base volontaire, à respecter les principes fondamentaux de la responsabilité sociale et environnementale, les entreprises adhérentes du Pacte mondial ont fait un acte pionnier. Et je souhaite que les chefs d'entreprise ici présents, mais aussi l'ensemble des entreprises notamment françaises, aillent plus loin dans cette voie.

Quand elles s'implantent dans un pays en développement, quand elles font appel à un sous-traitant local, les entreprises devraient se fixer des normes exigeantes, et en assurer le respect : qu'il s'agisse de droit du travail, de protection de l'environnement, ou tout simplement de respect de la dignité humaine, les entreprises occidentales devraient être exemplaires.

A l'instar du Pacte mondial, les mécanismes d'engagements volontaires se sont multipliés. Mais la question se pose du respect et de la crédibilité de ces engagements. La certification des entreprises socialement et écologiquement responsables constitue l'une des pistes pour répondre à cette interrogation légitime. Des travaux ont été engagés en France, par l'AFNOR et, au niveau international, par l'ISO. Je souhaite qu'ils se poursuivent en liaison avec les partenaires sociaux et l'Organisation internationale du travail.

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Mais, les engagements des entreprises ne sauraient se substituer à la responsabilité des pays eux-mêmes. Le moment est venu d'approfondir le dialogue avec les pays émergents sur le respect effectif des normes fondamentales du travail, reconnues dans les conventions de l'OIT. Le moment est venu de relancer les propositions sur une convention internationale relative à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Le moment est venu également d'avancer dans les grandes enceintes multilatérales, et notamment au G8, au FMI et à la Banque mondiale, dans la recherche des moyens d'aider les pays du Sud à instaurer des filets de protection sociale minimum, afin de permettre aux plus pauvres de se projeter au-delà de l'horizon quotidien de la survie. Je porterai cette exigence lors des prochains sommets du G8 et des Nations Unies -nous en avons souvent parlé et nous partageons les mêmes soucis et préoccupations avec Tony BLAIR pour ce qui concerne le G8. Je ferai également des propositions en ce sens lors de la conférence internationale de Paris sur la microfinance, le 20 juin prochain.

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Intégrer dans la dynamique d'une mondialisation positive des femmes et des hommes qui épuisent aujourd'hui leur énergie et leur talent dans le combat quotidien pour la survie, c'est aussi l'ambition du commerce équitable. Le succès remarquable de cette démarche, fondée sur un contrat éthique entre le consommateur du Nord et le producteur du Sud, doit être encouragé. C'est pourquoi la France mettra en place un système d'agrément des labels, afin de garantir que les produits vendus sous cette appellation en respectent bien les critères, en particulier ceux du respect de la dignité humaine et de la juste rémunération des producteurs. Nous nous en sommes encore entretenus tout récemment avec le Père Van der HOFF.

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L'insertion des pays les plus pauvres dans la dynamique d'une mondialisation positive passe également par un succès du cycle de Doha. Le Premier ministre britannique l'a souligné à juste titre tout à l'heure. La conférence de Hong-Kong, en décembre, devrait marquer une étape décisive vers la conclusion des négociations en 2006. Nous ne devons pas perdre de vue que ce cycle est d'abord celui du développement. Cela implique que tous les pays développés fassent, en matière agricole, des efforts strictement équivalents. L'Europe a, à juste titre,montré la voie. Aux autres maintenant, et notamment aux Etats-Unis, de la suivre.

Le moment est aussi venu pour tous, y compris les pays émergents, d'ouvrir davantage et sans conditions leurs marchés aux pays les plus pauvres. Il faut pérenniser et renforcer les préférences commerciales existantes afin de garantir, notamment aux pays africains, leurs débouchés dans les pays du Nord. Et je plaiderai, dans cette perspective, à Gleneagles, pour que tous les membres du G8 s'alignent, dans les préférences qu'ils accordent aux pays pauvres d'Afrique subsaharienne, sur le régime européen « Tout sauf les armes ».

Je pense que l'Union européenne, dans l'établissement de ses relations commerciales avec les pays pauvres d'Afrique, doit également réfléchir à une meilleure prise compte de la fragilité de leurs économies en leur garantissant, sur une base pérenne, et sans contrepartie, un degré d'ouverture de ses marchés au moins équivalent à celui dont ils bénéficient aujourd'hui.

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La réussite du développement nécessite également d'aider davantage, et mieux, les pays pauvres à vaincre les obstacles structurels -les grandes pandémies comme le sida ou le paludisme ; les carences des systèmes de santé et d'éducation ; l'insuffisance des infrastructures- des obstacles qui les empêchent de prendre en réalité leur essor.

L'accord conclu samedi dernier par les ministres des Finances du G8, dont Tony BLAIR vient de nous parler, sur l'annulation de la dette multilatérale des pays pauvres très endettés constitue une avancée importante, le Premier ministre britannique l'a souligné à juste titre et il a eu un rôle important dans cette décision. La France, qui a été, en 1996, lors du G7, à l'origine du traitement de la dette des pays les plus pauvres et qui est, avec 13 milliards d'euros d'annulation de créances bilatérales à ce jour, le premier contributeur à l'initiative "Pays Pauvres Très Endettés", a joué tout son rôle dans cette décision et se réjouit du succès auquel on est arrivé. Pour tenir ses promesses, cet accord doit absolument être financé par des ressources nouvelles et non par une simple réallocation des moyens actuels du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement, afin de ne pas affecter la capacité de financement des projets de ces institutions dans les pays pauvres, ce qui consisterait à donner d'une main pour, en réalité, reprendre de l'autre. La France a insisté pour que l'accord conclu samedi dernier comporte des garanties significatives à cet égard. Je remercie la Grande-Bretagne d'avoir appuyé ce point de vue. Ces décisions devront être consacrées lors du sommet de Gleneagles.

L'accord sur la dette, qui devrait soulager les pays bénéficiaires de plus d'un milliard de dollars par an de remboursements, ne constitue cependant et évidemment qu'une première et relativement modeste étape. Ce sont en effet chaque année quelque 50 milliards de dollars supplémentaires d'aide publique au développement, dont la moitié pour l'Afrique, qu'il faudra mobiliser d'ici 2015, en complément des financements privés, si nous voulons avoir une chance d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés pour le Millénaire. Nous devons maintenant concentrer tous nos efforts, dans les semaines qui nous séparent du sommet de Gleneagles, pour obtenir de nouvelles avancées dans cette voie.

La France assumera ses responsabilités en poursuivant, dans le calendrier que j'avais fixé, l'effort d'augmentation de son aide publique au développement. L'objectif de 0,5% du PNB en 2007 sera tenu, en vue de parvenir aux 0,7% en 2012. Dans ce contexte, la France doublera en deux ans sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, pour la porter de 150 millions d'euros aujourd'hui à 300 millions d'euros en 2007, consolidant ainsi sa position de deuxième contributeur après les Etats-Unis. Un effort supplémentaire sera également consenti pour l'éducation et l'accès à l'eau dont Tony BLAIR a souligné tout à l'heure à juste titre l'importance.

Grâce à l'engagement de la France, aux côtés notamment de l'Allemagne et du Royaume-Uni, l'Europe s'est enfin résolue à porter son effort global d'aide publique au développement à 0,56% de son PNB en 2010. Cela représente un effort de solidarité supplémentaire de quelque 20 milliards d'euros par an. Nous sommes donc bien dans l'échelle. Je souhaite que, d'ici le sommet des Nations Unies en septembre, d'autres suivent cet exemple.

Mais l'augmentation de l'aide publique au développement classique ne suffira pas sans recours à des financements innovants. Avec le Brésil, le Chili, l'Espagne et l'Allemagne, et bien d'autres pays du Nord et du Sud, nous avançons actuellement pour lancer un premier prélèvement international de solidarité, à titre expérimental, sur les billets d'avion, d'ici au sommet des Nations Unies de septembre. La France propose que le produit de ce premier prélèvement soit consacré d'abord à l'achat de médicaments contre le sida, la tuberculose et le paludisme afin de garantir aux millions de malades qui attendent cet espoir, un accès durable aux traitements dont dépend leur vie.

Je vous appelle aujourd'hui à accompagner cet effort par de nouveaux partenariats public-privé, afin notamment de mettre en place les capacités pharmaceutiques pour la fabrication des médicaments dont l'Afrique a besoin et qui, grâce à ce nouveau mécanisme, bénéficieront, avec un financement pérenne, d'un marché garanti.

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Mesdames et Messieurs,

La France est profondément attachée au principe de la liberté économique et de la liberté des échanges. Mais la liberté sans règle, la liberté sans solidarité, la liberté sans justice, risque à tout moment de se retourner contre le progrès, de se retourner contre le développement.

En répondant, toujours plus nombreux, à l'appel du Secrétaire général des Nations Unies à rejoindre le Pacte mondial, vous avez fait preuve de générosité mais aussi d'intelligence et de vision. Car le chemin que vous avez choisi, le chemin de la responsabilité, est en définitive le seul chemin vers un avenir de paix et de prospérité, de justice aussi. Un avenir conforme aux principes de morale et d'éthique qui sont les nôtres.

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Mesdames et Messieurs,

Mes chers amis,

Avant de nous séparer, je voudrais rendre un hommage particulier à un homme d'exception. Il a accepté d'être des nôtres, et j'en suis particulièrement heureux. Né en Hollande, en 1939, le père Francisco VAN DER HOFF est une des grandes figures morales de notre temps.

Après des débuts comme prêtre ouvrier, il s'est installé, voici une trentaine d'années, au Mexique, auprès des communautés indiennes de l'isthme de Tehuhantepec. Docteur en théologie mais aussi en économie, il a d'abord aidé ces communautés à se constituer en coopératives, avant de fonder, en 1992, le premier label du commerce équitable, aujourd'hui universellement connu : « Max Havelaar », du nom d'un personnage de roman du 19e siècle, qui s'était élevé contre l'exploitation des cultivateurs de café indonésiens du temps de la colonie néerlandaise.

Aujourd'hui, les produits du commerce équitable rencontrent un intérêt croissant de la part des consommateurs. Pour vous donner une idée, nous avons en France une progression de 30% des ventes de ces produits au cours des trois dernières années.

Le succès rencontré par cette forme nouvelle de contrat moral et éthique entre le consommateur du Nord et le producteur du Sud témoigne de l'aspiration croissante des citoyens à une économie plus humaine et à une mondialisation plus solidaire. Cette aspiration nous ne pouvons plus l'ignorer. Et c'est dans cet esprit que je vais me retourner maintenant vers le père Francisco VAN DER HOFF.

Francisco VAN DER HOFF, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de la Légion d'Honneur.





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