Discours du Président de la République, lors du dîner offert par le Président de la République de Madagascar.

Discours de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République, lors du dîner offert en son honneur par M. Marc RAVALOMANANA, Président de la République de Madagascar.

Imprimer

Antananarivo- Madagascar, jeudi 21 juillet 2005

Monsieur le Président de la République,
Permets-moi de dire, du fond du cœur, Mon cher Marc,
Madame,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,

Un mot d'abord pour dire combien je suis sensible à l'accueil que je reçois ici, et je vous le dis, du fond du cœur. L'accueil du Président, depuis ce matin, chaleureux, toujours si intéressant par les analyses qu'il fait sur son pays, sur la région, sur le monde. Votre accueil, cher Madame, toujours si distingué et si agréable.

Et puis, Monsieur le Président, cet accueil si inoubliable de Mahajanga et ce soir d'Antananarivo. Un accueil qui restera profondément ancré dans mon cœur. Le nombre de gens, le nombre de jeunes souriant, qui nous ont reçus aujourd'hui, vous et moi, a été quelque chose qui m'a profondément ému et qui donnait une si belle image de Madagascar. Cette image que j'essaye moi aussi, à ma place, de porter dans le monde d'aujourd'hui. Mais cette image qui est la vôtre, celle que vous avez su générer, créer, imposer et qui est tout simplement l'image d'un peuple qui, conscient de ses qualités, a pris confiance dans ses efforts.

Alors, pour cela, je vous exprime toute ma reconnaissance. Une reconnaissance que j'exprime également à l'égard du Président qui vient de me remettre la plus haute distinction de Madagascar, de ce grand et beau pays. Et j'en suis très fier. C'est un moment que je garderai également dans mon cœur avec bonheur et avec fierté.

J'aurai, tout à l'heure, l'occasion également de vous remettre les insignes de Grande Croix de l'Ordre national de la Légion d'honneur. Une décoration qui a été créée par Napoléon et à laquelle les Français sont attachés. Mais je serais également fier de savoir que, le cas échéant, et lorsque vous ferez un voyage en France, vous la porterez. C'est un signe d'estime, de reconnaissance, d'amitié, et permettez-moi de trancher le mot, d'admiration à l'égard de votre action. De votre action à Madagascar, de votre action pour la région africaine et malgache, de votre action de plus en plus reconnue, entendue, estimée dans le monde en général.

Vous me permettrez de dire quelques mots sur mes réflexions au moment de ce voyage que j'apprécie tout particulièrement.

Ces témoignages de sympathie qui nous ont été donnés, à vous, bien sûr, mais à moi qui étais avec vous, toutes les dispositions qui ont été prises par vous pour notre accueil, nous font vraiment vivre des moments inoubliables, dans votre si beau pays qui est le vôtre, et dont je dirais, comme je l'évoquais récemment au G8 en Ecosse, qu'il est à nul autre pareil.

Monsieur le Président, mon cher ami,

L'amitié entre Madagascar et la France s'est enracinée dans une histoire partagée qui a établi entre nos deux pays et entre nos deux peuples des liens humains, économiques et culturels d'une force exceptionnelle.

Je tiens à évoquer en particulier la fraternité d'armes qui s'est manifestée quand la France en guerre a reçu, par deux fois, le renfort de vos tirailleurs qui ont versé leur sang pour elle. Nous gardons en mémoire la reconnaissance que nous leur devons et qui leur est due.

Mais il faut, nous en avons parlé, aussi évoquer les pages sombres de notre histoire commune -il y en a eu- et donc il faut avoir conscience du caractère inacceptable des répressions engendrées par les dérives du système colonial. En 1947, le sentiment national montait sur la Grande Ile où s'enchaînèrent des événements tragiques. Rien ni personne ne peut effacer le souvenir de toutes celles et de tous ceux qui perdirent injustement la vie et je m'associe avec respect à l'hommage qu'ils méritent.

Nous ressentons aussi ce désir profond que nous avons tous, Malgaches et Français, de vivre en paix avec le passé. Poursuivons, car il est nécessaire, un travail de mémoire qui retrace les faits et qui puisse apaiser les cœurs.

Monsieur le Président,

Depuis l'indépendance, à l'inspiration du général de GAULLE et du Président TSIRANANA, nos deux pays ont su construire une relation d'exception parce que fondée sur des valeurs communes. Cette relation, vous et moi avons voulu lui donner une impulsion décisive, à la mesure de notre ambition pour Madagascar.

Depuis votre voyage officiel à Paris en 2003, nos rencontres se sont multipliées.

Après avoir été votre hôte en juillet 2004 pour une visite de travail -et j'en ai gardé un merveilleux souvenir-, une visite qui a confirmé le renouveau de notre coopération, nous étions réunis en septembre, à New York, à l'ONU, pour rechercher ensemble les solutions nouvelles au financement du développement et des Objectifs du Millénaire.

Puis nous nous sommes retrouvés à Ouagadougou, en novembre, pour le Sommet des chefs d'Etat de la Francophonie, où vous avez exprimé de façon très forte et qui a provoqué l'admiration de tous, que le choix francophone n'était, pour Madagascar, ni un renoncement à sa langue, ni une perte d'identité culturelle mais un atout supplémentaire dans la mondialisation.

En janvier dernier, vous avez bien voulu répondre à l'invitation de l'UNESCO et de la France pour présenter à la communauté scientifique internationale, réunie à Paris, la démarche originale dans laquelle vous avez engagé Madagascar, pour inscrire sa biodiversité singulière et superbe dans une vision d'avenir. Et vous aurez remarqué, Monsieur le Président, avec quel silence et respect, vous avez été entendu par tous les responsables scientifiques ou politiques réunis à l'UNESCO.

Aujourd'hui, nous avons eu de nouveaux entretiens et demain nous serons ensemble au Sommet de la Commission de l'Océan indien, notre instance régionale commune, dont vous assumez la présidence.

Ces rencontres répondent d'abord à une volonté commune, celle d'avoir des relations suivies, empreintes de confiance, dans un esprit de partenariat et d'intérêts partagés.

C'est bien le modèle de relations que la France veut entretenir avec les pays africains qui le souhaitent. Elle est profondément unie à l'Afrique par des liens enracinés dans l'histoire et une ambition tournée vers l'avenir. Rompant avec les logiques anciennes de l'assistance, la France a engagé, ces dernières années, un renouvellement profond de sa politique africaine, afin d'établir avec ce continent un partenariat authentique et moderne, respectueux des choix de chacun. Car la liberté de choix, celle qu'avait exprimée le général de GAULLE au moment des indépendances, la France la laisse toujours ouverte, en tous domaines, politique, économique ou militaire. C'est le sens de sa présence chaque fois qu'elle est appelée, au service de la paix, du progrès démocratique, de la croissance économique et du développement humain.

Monsieur le Président, mon cher ami, je devrais dire « mon très cher ami », vous avez choisi d'ouvrir Madagascar sur le monde, de sortir votre pays de l'isolement en donnant le signal du changement, en ravivant des amitiés et aussi en les diversifiant. Voilà qui conduisait tout naturellement à nous retrouver : décentralisation, démocratie, développement.

La deuxième raison de cette proximité que nous avons pu établir tient à la convergence de nos vues et des orientations que nous défendons au-delà même de nos intérêts bilatéraux.

La vision générale qui inspire la politique étrangère de la France, agir pour un monde plus solidaire, plus sûr, plus prospère, l'attachement ancien que nous avons pour l'Afrique, la confiance que nous avons dans son avenir, nous font souhaiter pour une région aux besoins et aux capacités immenses, plus d'attention, plus d'engagement, mais surtout plus de moyens.

C'est une politique pour l'Afrique que nous nous réjouissons de voir de mieux en mieux prise en considération dans les grandes enceintes internationales, et que vous avez toujours soutenue pour des raisons humaines, Monsieur le Président. C'est l'enjeu des Objectifs du Millénaire, du NEPAD, mobilisation sans précédent des pays africains et de leurs partenaires pour le recul de la pauvreté et pour promouvoir la croissance. Comme je le souhaitais depuis longtemps, les pays du G8 se sont mis à l'écoute de l'Afrique. Ils l'ont entendue, par la voix de chefs d'Etat africains, prendre les responsabilités qui lui incombent. Ils se sont engagés dans un plan pour l'Afrique. Lors du récent Sommet du G8 de Gleneagles, la mobilisation pour l'Afrique s'est confirmée, renforcée avec le doublement de l'aide de 25 à 50 milliards de dollars d'ici 2010 pour l'Afrique et l'annulation de la dette multilatérale de 14 pays africains, dont Madagascar, et la France plaide pour que les autres suivent le plus rapidement possible. Je pense que c'est un bon résultat mais qu'il faut aller plus vite et plus loin pour tenir les Objectifs du Millénaire et rechercher des ressources nouvelles. Vous le savez, la France a élaboré un projet de Prélèvement de solidarité internationale assis sur les billets d'avion. Tout doit être fait pour qu'il soit mis en œuvre à New York en septembre prochain. Nous verrons cela ensemble à l'ONU. L'amélioration du sort de centaines de millions de personnes et d'enfants, dont nous connaissons les besoins, les attentes, les souffrances, impose indubitablement un élan supplémentaire de solidarité.

Nous vous rejoignons également, Monsieur le Président, quand vous militez pour une politique de développement durable et maîtrisé. A Ouagadougou, vous avez fait valoir que le caractère "durable" ne doit pas dispenser d'agir de manière "rapide", car le temps est compté, avez-vous dit, pour réduire les fractures économiques, sociales et les drames humains qu'elles engendrent. Vous avez été entendu.

Troisième raison qui s'ajoute à notre volonté de rapprochement, la vision commune des actions de coopération que nous pouvons mener en faveur de Madagascar, de ses populations et de nos échanges culturels.

Le mouvement, Monsieur le Président, est déjà bien engagé.

Ainsi que je vous l'avais promis, nous avons très fortement appuyé Madagascar pour que la charge de sa dette soit allégée par le Club de Paris et que les montants correspondants soient transformés en ressources pour la réduction de la pauvreté dans votre pays. C'est ce que vous souhaitiez et c'est chose faite depuis novembre dernier. Aussitôt après cet accord, la France, comme il était normal, a annulé la totalité de ses créances sur Madagascar. Et votre pays bénéficiera également de l'annulation de la dette multilatérale que les pays du G7 viennent de décider et je m'en félicite. C'était dû, c'était légitime, il était normal de le faire.

Voilà qui donne des chances accrues à votre stratégie de développement qui s'exprime dans cette belle formulation "Madagascar, naturellement !". Elle résume les convictions qui l'inspirent et qui vous inspire : la foi dans votre terre, terre généreuse pour tous les Malgaches, attractive pour celles et ceux qui, venus d'ailleurs, peuvent contribuer à la valoriser. Votre pays, Monsieur le Président, a les moyens de cette ambition, grâce à ses ressources naturelles, grâce à son potentiel agricole, grâce à son potentiel touristique, à ses capacités industrielles, à une main-d'œuvre experte et disponible pourvu qu'elle est les moyens de l'information.

La France vous soutient dans cet effort pour sortir votre pays de la spirale de l'appauvrissement qui l'a enserré pendant trop longtemps. Vous prenez les mesures pour y parvenir. Réhabiliter et moderniser les infrastructures, y compris la route de Majunga, en quinze jours, stimuler le monde rural, dynamiser l'économie, assainir les finances publiques, rapprocher les pouvoirs publics des administrés par la décentralisation, autant de réformes indispensables et de réformes courageuses. Nous savons qu'elles demanderont du temps pour produire tous leurs effets, qu'il y faudra une volonté politique soutenue. L'essentiel, c'est que la voie soit clairement tracée et vous le savez, toute l'estime de la communauté internationale s'est mobilisée pour reconnaître la qualité de vos efforts et de votre politique.

C'est elle qui crée la confiance des investisseurs qui sont les piliers d'une croissance robuste. La délégation de chefs d'entreprises qui m'accompagne vous connaissez personnellement un certain nombre d'entre eux-, témoigne de l'intérêt qu'ils portent à votre grand et beau pays. Des signaux positifs forts ont déjà été donnés, notamment un dispositif de lutte anti-corruption parmi les plus complets qui soient, et reconnu comme tel par la communauté internationale, ou encore la condamnation des pratiques destructrices de l'environnement.

La coopération française s'ordonne autour de vos priorités : la bonne gouvernance, l'éducation et la santé, les équipements urbains, le développement rural. C'est en commun que nous traçons le "document cadre de partenariat" qui définit nos engagements pour les années à venir.

Madagascar est également assurée de l'appui de nos institutions universitaires et de recherche, de la coopération de collectivités territoriales françaises, et tout spécialement les plus proches, la Réunion et Mayotte, qui a été, pour la Réunion, si heureuse de vous accueillir et qui en a gardé un souvenir très, très fort. Les élus réunionnais, comme moi-même, avons été très sensibles à la récente visite que vous leur avez rendue pour renforcer encore ces relations.

Oui, Monsieur le Président, vous pouvez compter sur l'appui de la France. Faute de bons choix, des années et même des décennies ont été perdues. La page est tournée, le redressement est engagé. Regardons l'avenir en pensant à la jeunesse malgache, si nombreuse, si enthousiaste, si impatiente, si belle, à qui il faut donner toutes ses chances. C'est la nourrir, la soigner, l'éduquer, la former à hauteur des exigences du monde actuel, pour en faire demain des citoyens responsables d'un pays démocratique, les acteurs d'une économie compétitive, créatrice d'emplois et de richesses. Je ne m'étonne pas que vos collègues, chefs d'Etat et de gouvernement, à Syrte, vous aient confié la mission difficile et si essentielle pour l'avenir de définir une politique pour l'ensemble africain, au sens large du terme, pour ce qui concerne la jeunesse et sa formation. Bien des pays africains ont à assumer ces exigences et le sommet Afrique-France de Bamako, en décembre prochain, sera consacré à la jeunesse et à son avenir. Nous nous inspirerons très largement, Monsieur le Président, de vos propres réflexions. Madagascar, sa jeunesse, doivent être confiants : les atouts du pays et tout ce qui est fait dès maintenant pour en tirer le meilleur parti produiront, plus vite qu'on ne le pense, le changement attendu.

Demain, Monsieur le Président, vous présiderez la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement de la Commission de l'Océan indien. L'ouverture de votre pays à l'extérieur, vous l'abordez sans frilosité, confiant à juste titre dans les atouts de Madagascar en termes de compétitivité, mais aussi de culture.

Monsieur le Président,

Ce matin à Majunga, j'évoquais l'illustre figure du père de votre Nation, le Président Philibert TSIRANANA, qui sut mener votre pays à l'indépendance, en préservant l'esprit de fraternité avec les autres.

"Inaltérable sur son socle de déesse,
Immobile au milieu de la rafale et des fracas ".

C'est ainsi que le poète Jacques RABEMANANJARA, récemment décédé en terre française, exprimait la vénération et la fierté qu'il portait à son pays, Madagascar. Ce sont, je crois, Monsieur le Président, les sentiments qui vous animent personnellement et qui, sans aucun doute, inspirent votre action.

C'est pourquoi, au-delà d'un geste protocolaire qui n'aurait pas véritablement de sens, c'est un honneur pour moi de vous remettre les insignes de Grande Croix de la Légion d'honneur. Quand je dis que c'est un honneur, je le ressens ainsi, mais c'est également le légitime hommage que la France rend au chef d'un Etat ami dont les perspectives sont larges et puissantes et qui est, de plus en plus, je voudrais en porter témoignage ici, reconnu dans l'ensemble de la communauté internationale comme l'une des lumières de l'histoire du monde de demain. Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2006-04-04 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité