Discours du Président de la République, en ouverture du Forum Dakar agricole

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, en ouverture du Forum Dakar agricole.

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Dakar (Sénégal) - vendredi 4 février 2005 .

Monsieur le Président de la République du Sénégal, très cher ami,
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Premiers Ministres et Ministres,
Mesdames, Messieurs,

C'est avec un très grand plaisir, Cher Président WADE, que j'ai accepté votre invitation, cher Président WADE, d'être présent pour l'ouverture de ce premier "Dakar agricole" qui était une initiative nécessaire et dont je souhaite qu'elle soit un premier pas vers une appréhension de l'ensemble de ces problèmes, par la communauté internationale, et notamment par la communauté africaine.

Permettez-moi, de vous exprimer toutes mes félicitations pour cette initiative. Vous l'aviez évoquée, il y a deux ans, à l'occasion de votre visite au Salon de l'agriculture à Paris et vous l'avez mise en œuvre.

Avec le "DAKAR agricole", vous voulez créer un nouveau lieu d'échanges, de réflexion et de débat sur le développement des agricultures dans pays les plus pauvres. Je vous rejoins totalement dans cette approche : au-delà des grandes organisations internationales, auxquelles je rends hommage et qui sont les lieux du débat entre Etats, il faut élargir le cercle de réflexion dans ce domaine particulier et vital de la production et des échanges agricoles.

Parler d'agriculture et de développement, c'est, au-delà des enjeux commerciaux, accepter de prendre en compte les enjeux sociaux et les enjeux éthiques de notre monde. C'est accepter de porter ce débat sur le plan de la dignité de la personne humaine et du progrès humain.

Qui peut soutenir que le seul jeu du marché apportera les solutions à ces questions essentielles pour l'avenir de notre planète ? Personne.

La lutte contre la pauvreté et contre la faim nécessite, dans les pays pauvres comme à l'échelle internationale, des politiques adaptées.

Dans toutes les sociétés, le métier d'agriculteur, le métier de paysan, tient une place particulière. Aucun pays n'est sorti du sous-développement sans s'appuyer d'abord sur ses paysans. Avant de porter sur le commerce international, les débats sur l'agriculture, à l'échelle mondiale, sont bien, fondamentalement, des débats sur la capacité de tous les pays à nourrir leur population.

Au cours des dernières décennies, cette évidence a presque disparu des discours et des actions en matière de développement. Les experts, généralement plus financiers qu'agronomes, ont négligé ou ont mal compris la question agricole alors que dans les pays les plus pauvres, avec les infrastructures de transport, l'agriculture constitue la base d'un développement économique durable.

Les institutions internationales, au premier rang desquelles la F.A.O., dont je salue ici le Directeur général, mon ami Jacques DIOUF, conduisent des actions indispensables, utiles et importantes. Je salue, à cet égard, l'évolution de la Banque Mondiale, sous l'impulsion du Président WOLFENSOHN. Mais nous avons encore à faire plus et mieux.

Faire mieux, c'est savoir reconsidérer certaines politiques, celles qui s'accompagnent d'effets pervers que l'on ne peut plus ignorer aujourd'hui. Ainsi, par exemple, l'aide alimentaire, si nécessaire, dans les cas d'urgence, contrarie le développement agricole lorsqu'elle devient systématique. Il est légitime alors que les pays qui en bénéficient veuillent sortir de cette dépendance. Une négociation internationale est engagée pour définir les conditions d'une aide alimentaire respectueuse des productions et des marchés locaux. Elle doit être conclue dans cette perspective.

Faire mieux, c'est aussi actionner de nouveaux leviers en s'appuyant sur les initiatives privées et sur les entreprises. C'est dans ce sens qu'a été créée, fin 2004 à Paris, la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde. J'en avais émis le souhait et dix grandes entreprises françaises ont déjà accepté de s'engager. Cette Fondation qui devra travailler la main dans la main avec le Forum de Dakar, aujourd'hui associée à vos travaux, saura répondre aux besoins des pays en développement dans un partenariat renouvelé et très opérationnel.

Faire mieux, c'est aussi affirmer un objectif, celui de la souveraineté alimentaire. C'est une voie nécessaire mais difficile. Au-delà des conflits et des problèmes de gouvernance qui peuvent exister, qui existeront toujours, l'agriculture, dans les pays du sud, est soumise à des données agronomiques, logistiques, climatiques ou démographiques particulièrement contraignantes. Ainsi, par exemple, l'accès à la ressource en eau constitue un obstacle souvent insurmontable. Et je voudrais, à ce sujet, souligner l'importance qui a été donnée à cette situation et les solutions qui y ont été apportées. Au Maroc, pays qui avait besoin d'eau et qui, grâce à une politique systématique et une prévision des investissements et des équipements, sous l'impulsion de sa Majesté le Roi HASSAN II qui était un visionnaire et qui a réussi, est l'un des premiers pays confronté à ces problèmes, à avoir apporté une solution et peut, ainsi, servir d'exemple. L'ensemble de l'accès aux autres ressources que l'eau doit être également privilégiée.

L'insuffisance des infrastructures de transport, notamment de desserte rurale, se traduit aussi par une fragmentation des marchés où peuvent coexister, parfois à quelques dizaines de kilomètres de distance, des situations de surplus et des situations de pénurie.

De même, en dépit des progrès réalisés, l'activité agricole demeure très sensible aux attaques de pathogènes extérieurs, comme c'est le cas actuellement avec les criquets qui détruisent les récoltes dans de nombreux pays.

Un aliment n'est pas et ne peut pas être un produit banal. Essentiel aux équilibres biologiques, il est aussi un élément indissociable des traditions culturelles d'un pays.

Faire mieux, c'est enfin, dans les débats sur la mondialisation des échanges, accepter de traiter de manière particulière les questions agricoles et alimentaires. Une approche plus équilibrée et plus respectueuse des traditions et des niveaux de développement de chacun des pays est absolument indispensable.

La libéralisation des marchés agricoles a un impact inégal et, dans certains cas, négatif sur les pays en développement. Au cours des dernières années, la part de l'Afrique subsaharienne dans le commerce mondial a été réduite de moitié. Et pour l'avenir, contrairement aux idées reçues, et si rien ne change, la poursuite de la libéralisation des marchés profitera d'abord aux pays riches et aux pays en développement du groupe de CAIRNS. Les pays pauvres seront perdants. Perdants parce qu'ils ne pourront pas augmenter leurs exportations. Perdants à cause de la dégradation constante des termes de l'échange.

Pour autant, un tel constat ne doit pas exclure toute évolution des règles commerciales car il est nécessaire de donner des bases plus appropriées au commerce international des produits agricoles. C'est ce processus qui justifie, comme je l'avais souligné lors du Sommet Afrique-France de février 2003, que des "préférences commerciales" continuent d'exister et soient encouragées pour tel pays ou pour tel groupe de pays.

De même, lors du lancement du "cycle du développement" à DOHA, nous, européens, nous sommes engagés à réduire les aides agricoles, notamment les aides à l'exportation. Mais nous ne pourrons progresser dans ce sens qu'à trois conditions qui correspondent aux propositions que j'avais présentées lors de ce même sommet :

La première, c'est l'engagement, la sincérité et la participation de tous les pays concernés dans une telle démarche en prenant en compte toutes les aides à l'exportation, quelles que soient leur niveau et leur forme. Je pense en particulier à l'aide alimentaire et au crédit-export. Et nous devrons, par ailleurs, veiller à ce que les mouvements monétaires ne créent pas eux-mêmes des effets pervers sur les marchés.
La deuxième condition, c'est d'éliminer ces aides de manière progressive. C'est essentiel pour les producteurs qui bénéficient encore actuellement de ces soutiens et, d'un autre côté, pour les pays importateurs où toute augmentation brutale des prix ferait courir des risques économiques et sociaux importants.
La troisième condition, c'est d'engager ce processus en ciblant en priorité les soutiens qui ont les effets les plus déstabilisants pour les pays les plus pauvres, en particulier dans l'Afrique subsaharienne.
S'agissant toujours des aides à l'exportation, la France s'est attachée à faire évoluer les positions prises par la Commission européenne sur le coton ; secteur où les aides des pays développés ont un rôle catastrophique sur les cours et donc sur les revenus des producteurs des pays en développement. Et, parallèlement, la France, soutenue par le Royaume Uni, que je tiens dans ce domaine à remercier, a fortement contribué à l'élaboration d'un partenariat Europe-Afrique pour le développement de ce secteur en accueillant le forum coton de Paris en juillet dernier. Le problème est, hélas, loin d'être réglé. Il devra l'être, car la pratique actuelle du marché est traumatisante et profondément injuste pour les producteurs de coton africains.

Je rappelle, tout de même que l'Union européenne, sur ce plan, malgré la présence de quelques producteurs de coton, notamment en Grèce et en Espagne, a été unanime pour soutenir cette position qui reste maintenant, à être confirmée sur le plan international, en convaincant nos amis américains de s'y associer.

De manière plus générale, nous nous sommes engagés à promouvoir la mise en place de mécanismes financiers de soutiens contre les effets négatifs de la volatilité des prix.

Et puisque j'ai évoqué la Politique agricole européenne en indiquant les évolutions auxquelles nous sommes prêts au niveau communautaire sur les aides à l'exportation, je tiens à affirmer que la politique agricole commune n'est pas l'ennemie de l'agriculture des pays en développement. Les accusations de dumping commercial, de fermeture des marchés sont des accusations souvent infondées et toujours de mauvaise foi lorsqu'elles émanent d'un certain nombre de g rands producteurs internationaux.

L'Union Européenne est en effet le premier client des pays en développement, le premier. Elle absorbe 85% des exportations agricoles africaines et 50% des exportations agricoles sud-américaines. Au total, l'Union européenne importe plus des pays en développement que les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon réunis.

J'ai dit qu'il faut faire mieux. J'ai montré comment nous pouvons le faire. Mais il faut aussi faire plus et mobiliser davantage de moyens pour l'aide au développement.

J'ai personnellement pris de nombreuses initiatives et j'en ai accompagné d'autres pour augmenter ces moyens : le plan d'action du G8 contre la faim, l'initiative NEPAD et le programme de développement de l'agriculture en Afrique, initiative commerciale pour l'Afrique subsaharienne, initiative conjointe avec les Présidents LULA, LAGOS et ZAPATERO sur la lutte contre la faim et la recherche de ressources nouvelles pour le financement du développement.

Sur ce point, je voudrais souligner le climat optimiste qui s'est créé grâce à l'initiative de la présidence britannique du G8, à l'initiative de Tony BLAIR, qui a fait du développement et de l'Afrique, le sujet principal du G8 qui se tiendra au mois de juin, à Gleneagles, en Ecosse, et je m'en réjouis. La France soutient, sans réserve, les propositions de la présidence britannique.

Alors il n'est pas trop tard pour atteindre partout, y compris en Afrique, les objectifs du Millénaire, et c'est bien là aussi, l'un de nos soucis et l'un de nos défis. Mais pour vaincre la pauvreté, comme le souligne le rapport SACHS, la communauté internationale doit s'engager sur la voie d'un doublement de l'effort de solidarité des pays riches d'ici à 2015. J'ai présenté la semaine dernière des propositions concrètes devant le Forum Economique Mondial de Davos, qui reprenaient des propositions que je fais depuis un certain temps. Je suis convaincu que nous pouvons progresser rapidement. Le prochain G8 de Gleneagles marquera une étape décisive dans la préparation du sommet des Nations Unies de septembre qui devra prendre les décisions qui s'imposent.

N'oublions pas que derrière tous les débats à l'OMC ou aux Nations Unies, il y a des hommes, des femmes, des enfants, des familles. Leur vie dépend de nos choix. C'est une très lourde responsabilité vis-à-vis des paysans des pays en développement.

Il faut dès lors replacer l'agriculture au cœur des enjeux du développement économique de ces pays. Redonner du sens aux politiques agricoles et renforcer l'aide au développement et l'appui technique partout où cela est nécessaire.

Améliorer la productivité technique, renforcer les moyens de stockage et de transport, organiser les circuits de transformation, développer les services, notamment par le crédit-bail, le micro-crédit, soutenir l'organisation professionnelle des paysans, leur assurer une couverture sociale appropriée, soutenir l'organisation professionnelle des paysans, mieux former les hommes et les femmes, assurer le renouvellement des agriculteurs. Autant de défis que nous devons aider les pays les plus pauvres à relever.

C'est pourquoi le développement agricole est redevenu une priorité de la politique européenne et française de coopération.

Les stratégies de développement ne peuvent être mises en œuvre qu'avec une très forte volonté politique comme celle dont vous avez fait preuve, Monsieur le Président WADE, pour conduire à bien votre projet de loi d'orientation agricole, et comme celle dont ont fait preuve tous les dirigeants africains qui ont mis en place le NEPAD.

Monsieur le Président de la République du Sénégal,
Mesdames, Messieurs, Mes Chers Amis,

Notre devoir est d'aider tous les agriculteurs, dans tous les pays, à devenir de véritables acteurs économiques et sociaux en mesure d'assumer leur responsabilité.

Je vous encourage lors des travaux de ces prochains jours à suivre cette idée car ce n'est plus d'assistance au sens traditionnel que les pays en développement ont besoin, c'est de nouveaux partenariats respectueux de leurs capacités d'initiative, de leur identité, de leur culture, de leurs ambitions.

Soyez convaincus que sur ce chemin difficile mais nécessaire, chemin plein d'espoir, je serai, pour ma part, à vos côtés pour atteindre les objectifs que nous nous sommes tous fixés et que grâce à ce Forum, le Président WADE vient de remettre en pleine lumière. Il en va de la dignité de tous les habitants de notre planète et ceux-ci sans exception.

Je vous remercie.





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