Allocution du Président de la République, à la Maison de la Mutualité (Paris)

Allocution du Président de la République, M. Jacques CHIRAC, à la Maison de la Mutualité.

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Maison de la Mutualité, Paris le 30 septembre 2004.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les préfets,
Mesdames et messieurs les directeurs et chefs de service,
Mesdames, messieurs,

Je suis venu, aujourd'hui, pour vous dire, pour vous confirmer, que vous devez être les fers de lance du Plan de cohésion sociale.

Renforcer notre cohésion sociale est, sans aucun doute, l'un des premiers devoirs de l'Etat. Je sais que vous -préfets, directeurs des services déconcentrés dans les départements et les régions, acteurs du service public de l'emploi-, je sais que vous êtes parfaitement prêts à relever ce défi.

La situation actuelle, vous la connaissez mieux que quiconque.

Bien que la France soit une grande puissance économique, bien qu'elle consacre un tiers de sa richesse à la protection sociale, malgré des décennies d'efforts, malgré des progrès récents, notre pays n'est pas parvenu à résoudre des difficultés qui touchent les fondements mêmes de notre République : le chômage de masse et d'abord le chômage des jeunes, les difficultés à se loger, l'existence sur notre territoire de véritables ghettos, l'égalité des chances qui n'est plus assurée pour tous et partout.

Et nous avons vu, au cours des dernières années, que même des périodes de forte croissance n'ont pas permis d'enrayer ces évolutions.

Mais il n'y a pas de fatalité. Si nous le voulons, nous pouvons briser le cercle vicieux de l'exclusion, du chômage, des discriminations. Ce ne sera pas facile. Cela exigera un engagement collectif probablement sans précédent. Mais aujourd'hui un certain nombre de conditions sont réunies, et même beaucoup de conditions sont réunies pour y parvenir.

Grâce aux choix politiques, je le souligne, qui ont été faits depuis deux ans sous l'impulsion du Premier ministre, la croissance est repartie et nous bénéficions de moyens supplémentaires pour conduire une politique, qui peut être, aujourd'hui, forte et ambitieuse. Et toutes nos énergies sont tendues vers un seul but, faire que cette croissance devienne riche en emplois, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui.

Nous sommes aussi instruits par des décennies d'expérience. Nous savons que se contenter de politiques d'assistance, c'est trop souvent enfermer dans ces dispositifs celles et ceux qui en bénéficient. Nous savons que la clé, c'est l'insertion par la formation et par le travail.

Nous savons aussi qu'il ne sert à rien d'agir de manière segmentée et d'ajouter des dépenses aux dépenses, sans cohérence et sans vision d'ensemble. Car ceux qui ont besoin d'être aidés cumulent en général des difficultés multiples, auxquelles il faut répondre en partant des réalités de chaque personne et non par la seule intervention de guichets anonymes et cloisonnés.

Mais surtout, les esprits, je crois, sont en train d'évoluer.

Les entreprises commencent à prendre conscience qu'avec le retournement démographique inévitable, que nous allons connaître dans les toutes prochaines années, elles ne pourront plus se passer d'une partie des forces vives de la Nation. Elles mesurent le gâchis terrible, un gâchis inacceptable, que représentent tous ces jeunes, et aussi tous ces seniors écartés du travail par des logiques de marché à courte vue.

Sur les questions d'intégration, de lutte contre les discriminations et de laïcité, des débats très forts ont animé notre pays. Quelles que soient leurs origines, quelles que soient leurs convictions, les Français, dans leur très grande majorité, y ont renforcé leurs certitudes. Ils ont redécouvert la force et la modernité des valeurs de la République. Des valeurs qu'ils ont en partage : l'unité nationale, l'égalité des chances, la solidarité.

Je constate aussi que les élus de toutes tendances, confrontés aux mêmes réalités locales, abordent les questions sociales avec beaucoup de pragmatisme et de détermination et, le plus souvent aujourd'hui, sans a priori idéologique ou partisan. Chacun sait qu'il faut avant tout résoudre des problèmes qui sont ceux du quotidien : l'école, le logement, la santé, l'emploi, la formation.

Enfin, par-delà les inquiétudes économiques, et les interrogations sur notre identité qu'elle suscite, la mondialisation nous force à réagir et à nous mobiliser. Pour défendre l'emploi industriel dans notre pays, et c'est tout le sens des mesures fortes prévues au budget et aussi, le sens de l'exonération de taxe professionnelle. Pour aller à la conquête de nouveaux marchés. Pour investir dans ce qui fera l'emploi de demain. C'est l'objet de la mission que nous venons de confier à Jean-Louis BEFFA pour donner un nouveau souffle à notre politique industrielle.

Mais cette mobilisation ne sera possible que si nous savons réunir toutes les forces de notre pays, si nous parvenons à faire s'exprimer toutes les énergies et tous les talents, et d'abord ceux de la jeunesse.

C'est bien là tout le sens du plan de cohésion sociale que j'ai voulu pour la France et qui repose sur une logique de solidarité et une logique de dynamisme. En permettant à tous nos jeunes et à nos concitoyens en difficulté de donner le meilleur d'eux-mêmes et de trouver le chemin de l'emploi, la Nation répond, bien sûr, à une exigence sociale et républicaine. Mais elle crée aussi les conditions de son développement, de la création d'emplois et d'une croissance forte et durable.

Vous connaissez le contenu du Plan de cohésion sociale, et vous allez y consacrer cette journée de travail avec vos ministres.

Sa force et son originalité, c'est en réalité sa globalité, c'est qu'il s'attaque en même temps à chacun des problèmes qui mettent en péril notre cohésion sociale. C'est qu'il porte sur des objectifs chiffrés et financés pour une durée de cinq ans :

- un million de contrats d'avenir pour offrir un travail aux personnes les plus éloignées de l'emploi, avec une formation et un suivi adapté à leurs difficultés. Ça c'est le tremplin dont elles ont besoin pour accéder à l'entreprise ;

- un référent individuel pour accompagner 800.000 jeunes vers l'emploi durable, notamment en développant massivement l'apprentissage en entreprise ;

- 500.000 nouveaux logements sociaux pour rattraper le retard qui s'est accumulé au fil des ans et redonner un nouveau souffle à la politique du logement social ;

- 300 maisons de l'emploi, pour moderniser notre service public et permettre aux personnes privées d'emploi de rebondir rapidement, car plus les délais s'allongent, on le sait, plus il est difficile de retrouver du travail ;

- une action résolue en faveur de l'égalité des chances, et ce dès la petite enfance, à travers notamment la mise en place de 750 équipes de réussite éducative ;

- un rééquilibrage en faveur des villes les plus défavorisées, grâce à une dotation supplémentaire de 600 millions d'euros sur cinq ans.

Donc les moyens sont là, ils sont importants : treize milliards d'euros en cinq ans.

Dans quelques jours, le projet de loi de cohésion sociale sera soumis au Parlement. D'ores et déjà, il faut nous mettre en ordre de marche pour réussir. Ce qui est en jeu, c'est la cohésion nationale et c'est le dynamisme de notre pays. C'est aussi le rôle et l'autorité de l'Etat, qui doit montrer sa capacité à agir efficacement et en partenariat pour résoudre les difficultés de nos concitoyens.

Chacun à sa place, au sein de l'Etat, doit se mobiliser.

D'abord vous, Mesdames et Messieurs les Ministres, sous l'autorité du Premier ministre. De même qu'il existe des urgences législatives, il faut décréter en quelque sorte une ''urgence réglementaire" pour l'application de cette loi. La sortie des décrets, en France, est souvent beaucoup trop longue. Dans les domaines de l'emploi, du logement, de l'égalité des chances, il n'y a pas de temps à perdre. Les acteurs de terrain doivent être mis en mesure d'intervenir dans les meilleurs délais et ne pas être découragés par des attentes injustifiables.


Pour chacun des vingt programmes du plan, le ministère s'est doté d'un responsable, pour en accélérer et surveiller la mise en œuvre pratique. Ces responsables sont les garants de la préparation des futurs textes réglementaires et de la bonne information de toutes celles et de tous ceux qui oeuvreront à l'exécution du plan : les services déconcentrés, naturellement, mais aussi les collectivités territoriales et tous les partenaires avec lesquels vous devrez travailler en réseau.

Je souhaite par ailleurs que le ministère se dote d'un "Comité de vigilance" faisant appel aux acteurs sociaux extérieurs à l'administration qui souhaitent s'y engager. Il aura une mission de suivi et d'alerte pour veiller à la mise en œuvre du plan, tant dans ses objectifs que dans ses moyens et dans son calendrier.

Pour chaque région et pour chaque département, des objectifs chiffrés doivent être fixés. Et j'attends de vous, Mesdames et Messieurs les Préfets, que vous veilliez au respect de ces engagements, et que vous en rendiez compte régulièrement au Ministre. Tout écart éventuel entre les objectifs fixés et les réalisations devra être expliqué pour être rattrapé. Je demande au Ministre de l'Emploi, du travail et de la cohésion sociale qu'il présente deux fois par an l'état d'avancement du plan au Conseil des ministres.

Mesdames et Messieurs les chefs de service régionaux et départementaux, vous allez être, à l'évidence, particulièrement sollicités. C'est une lourde responsabilité. C'est aussi une magnifique perspective que de pouvoir se consacrer au pilotage d'un tel projet en disposant des moyens nécessaires pour agir. Vous serez les maîtres d'œuvre de toutes les coopérations indispensables à la réussite du plan.

Je connais parfaitement votre expérience, votre professionnalisme et votre dévouement. Je sais que vous êtes totalement engagés au service de nos concitoyens, et notamment de celles et de ceux qui ont le plus de difficultés.

Aujourd'hui, j'ai aussi voulu dire mon entière confiance dans les administrations sociales de notre pays. Inspection du travail, services sanitaires et sociaux, services de la formation professionnelle et de l'emploi, services responsables du logement et de la ville, ces métiers sont au cœur de la vie quotidienne des Françaises et des Français et de la défense de leurs droits. Les conditions dans lesquelles ils s'exercent sont parfois mal appréciées ou mal connues. Leur difficulté est souvent sous-estimée. Ils nécessitent à la fois, ces métiers, de l'autorité, de la conviction, du cœur, un engagement et une grande force morale. Celles et ceux qui les exercent doivent être respectés dans leurs missions comme dans leur personne. Et je pense à nos deux responsables du contrôle de la législation sociale qui ont perdu la vie dans l'exercice de leur fonction. A travers moi, c'est la Nation tout entière qui condamne cet acte tragique et qui témoigne à leurs familles et à leurs proches de l'estime et de la solidarité du pays.

Mesdames et Messieurs, il y a une chose que ni les textes de lois, ni les moyens supplémentaires ne peuvent remplacer : c'est l'énergie, c'est l'engagement, c'est l'envie d'agir des responsables locaux et la motivation qu'ils savent créer dans leur service.

Bien sûr, tout ne relève pas de l'Etat. L'aide sociale, l'action contre l'exclusion font une large part à l'engagement des collectivités locales et du secteur associatif, mais aussi à l'engagement de chacune et de chacun d'entre nous.

Mais c'est toujours l'Etat qui donne l'impulsion, pour garantir l'égalité, la continuité, l'efficacité de l'intervention de tous les acteurs. Appuyez-vous sur les initiatives locales, sur les bénévoles, sur l'ensemble des Françaises et des Français : il y a dans notre pays une générosité, un dévouement, une connaissance du terrain et une créativité qui ne demandent qu'à être largement mobilisés. Faites en sorte que l'Etat soit celui qui écoute, qui soutient, qui s'engage. Chacun se tournera naturellement vers vous : vous êtes les plus légitimes pour réunir, pour entraîner, pour arbitrer.

Au premier rang de ces partenaires figurent les collectivités territoriales. Dans le respect de leur autonomie, l'Etat a besoin de leur engagement à vos côtés. Je me félicite qu'à l'occasion de vos déplacements en région, Monsieur le Ministre, un dialogue fructueux ait déjà débouché sur la formulation d'engagements communs. C'est la voie à suivre, avec tous les départements et toutes les régions.

Je voudrais pour finir m'adresser plus particulièrement aux principaux acteurs du service public de l'emploi : l'ANPE, l'UNEDIC et l'AFPA. Au-delà des statuts qui régissent les uns et les autres, j'attends de tous une implication sans faille. J'attends que les multiples initiatives que vous avez déjà prises pour mieux travailler ensemble, en surmontant bien des rigidités réglementaires, soient renforcées pour un meilleur service de nos concitoyens. C'est une question d'efficacité, car nous avons encore beaucoup à faire pour faire reculer durablement le chômage.

Il n'est pas admissible que celles et ceux qui sont en recherche d'emploi, celles et ceux qui ont besoin d'être accompagnés, celles et ceux qui ont besoin de formation se voient renvoyés de guichets en interlocuteurs variés et multiples. Il est navrant que l'énergie et les compétences des personnels de tous les services de l'emploi soient parfois utilisées à faire la même chose, ou à mener des actions qui sont en réalité très voisines. C'est pourquoi il est essentiel que vous vous engagiez, dans les bassins d'emplois concernés, à mettre en place avec détermination et au plus vite les maisons de l'emploi.

Mesdames, Messieurs,

Nos concitoyens ont besoin de cette confiance qu'apportent un emploi, un logement, des perspectives d'avenir, cet avenir que garantit à tous notre principe républicain d'égalité des chances. Ils y ont droit au même titre qu'ils ont droit à la sécurité, notamment à la sécurité des biens et des personnes. Un logement, une formation, un emploi, l'égalité des chances sont aussi des sécurités essentielles.

Je vous fais confiance à toutes et à tous pour réussir ce grand projet qui touche nos compatriotes de si près et qui met en jeu l'avenir, et je dirais l'âme de la Nation.

Vous pouvez compter, quant à moi, sur mon engagement total à vos côtés.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.






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