Discours de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la cérémonie d'ouverture du Congrès fondateur de l' "Organisation mondiale des Cités et Gouvernements locaux unis"

Discours de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la cérémonie d'ouverture du Congrès fondateur de l' "Organisation mondiale des Cités et Gouvernements locaux unis"

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Palais des Congrès - Paris le dimanche 2 mai 2004

Monsieur le Président de la République du Portugal, cher ami, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur Pierre Mauroy, Mesdames et Messieurs les Ministres, Madame et Messieurs les Présidents, Monsieur le Maire de Paris, Mesdames, Messieurs,

Je remercie Monsieur le Maire de Paris pour ses propos aimables et son initiative heureuse manifestement couronnée de succès. Je suis heureux de vous souhaiter à mon tour une très cordiale bienvenue en France, à Paris. Paris, ville chère à mon coeur, une ville qui se veut dynamique, accueillante, fière de son histoire et de son patrimoine, ouverte sur l'avenir, tenant toute sa place dans le concert international.

Parmi vous, en entrant, je reconnais et je salue avec beaucoup de plaisir de nombreuses hautes personnalités et de visages amis, les élus de villes et de pays où j'ai eu la joie de me rendre.

Les membres de l'A.I.M.F. pour lesquels j'adresse une pensée affectueuse savent l'importance particulière que j'attache aux coopérations décentralisées. Elles permettent à la solidarité internationale de créer des liens toujours plus denses entre citoyens de tous les continents. Nous les renforcerons encore cet automne, à Ouagadougou, lors du Sommet de la Francophonie.

Mais au-delà, en fusionnant pour créer l' « Organisation Mondiale des Cités et Gouvernements Locaux Unis », la Fédération mondiale des Cités Unies, l'Union internationale des Autorités Locales et Métropolis vous avez conféré un poids nouveau à leur action. Ensemble, vous allez pouvoir animer entre villes et régions le dialogue des cultures et la coopération dont notre monde a le plus grand besoin. Ensemble, vous pourrez mieux faire entendre votre voix dans les instances multilatérales, où elles ont toute leur place. Ensemble, vous pourrez mieux relever ces défis auxquels sont confrontés les élus du monde entier. * La ville est l'un des berceaux de la civilisation. Elle est le creuset de la démocratie, le lieu où s'épanouissent les rêves et les cultures. Mais aussi celui où sévissent le plus cruellement les violences et les injustices. C'est pourquoi il est si naturel que penseurs, architectes, urbanistes, hommes d'Etat aient voulu établir les règles de la cité idéale.

Chaque ville est le fruit d'une culture et d'une expérience historique. Chacune vit et change avec sa personnalité, ses humeurs, ses limites et sa grandeur. Chacune est un projet de société inscrit dans une terre, pour avoir reçu de ses fondateurs, mythiques ou réels, antiques ou récents, une fonction sacrée, celle d'apporter bonheur et prospérité à ceux que le destin lui donne d'abriter.

Chaque époque pense la ville à sa façon, enthousiasmée par ses promesses, excédée par les défauts hérités du passé. La Charte d'Athènes fut aux hommes du siècle dernier comme un Manifeste de la modernité. Et nous qui vivons désormais les limites de l'ère industrielle et qui voulons ouvrir celle du développement durable ; nous qui sommes confrontés à l'explosion démographique et urbaine, nous sentons l'urgence d'une refondation. Une certaine ivresse technologique devra céder le pas au souci de l'homme, en inaugurant une relation plus harmonieuse et plus sage avec l'environnement.

Rare et beaucoup moins peuplée naguère, la ville est devenue, en un siècle, l'habitat privilégié de l'humanité. Près de la moitié des hommes, des femmes et des enfants y vivent sur la planète. Le mouvement va s'amplifiant : elle accueille l'essentiel de l'accroissement démographique mondial. Les grandes métropoles se multiplient, les unes les plus prospères, d'autres immensément pauvres, mais toutes plus peuplées désormais que la plupart des Etats du monde. Il serait vain de prétendre arrêter ce phénomène. Mais il dépend de nous qu'il aboutisse à un recul ou au contraire à un surcroît de civilisation. C'est d'abord dans nos villes que se façonne le visage du monde de demain. Les élus locaux le savent bien, eux que leur mandat place au confluent des multiples questionnements.

Questionnements politiques d'abord.

La démocratie est née dans la ville et c'est dans les collectivités locales qu'elle s'accomplit au plus près des citoyens, attachés à cette proximité avec leurs élus. Mais dans les grandes agglomérations modernes, le lien personnel entre l'élu et ses mandants a tendance à se distendre. Le recréer, instaurer de nouveaux modes de participation plus systématiques et plus efficaces, décentraliser pour que les décisions soient prises avec celles et ceux qui en vivront les effets, arbitrer entre les besoins et les désirs du présent et le souci du lendemain, constituent autant d'enjeux où se noue l'avenir de la démocratie. * Questionnements liés aux principes fondamentaux de la vie en société et du respect de l'autre.

Contre la délinquance et l'insécurité, nos concitoyens attendent des élus, exigence première et légitime, qu'ils les protègent efficacement. En imposant à tous, en temps et en lieu, la force de la loi, sans concession. C'est une priorité. Mais aussi dans un souci constant d'insertion, de cohésion, de respect du droit fondamental à l'égalité des chances. C'est donc à juste titre que vous avez placé haut dans vos travaux la réponse des élus locaux aux objectifs de développement du Millénaire, engagement unanime de la communauté internationale contre la faim, contre la pauvreté, contre l'analphabétisme contre les grandes pandémies.

Une autre dimension de votre responsabilité me paraît capitale. Le brassage de peuples et de communautés si caractéristique des cités modernes est perçu parfois comme une menace pour les identités et les cultures. Si nous savons établir dans nos villes les règles d'un savoir-vivre moderne où les nationalités, les religions, les cultures voisineront en harmonie et dans le respect mutuel, notre monde répondra mieux au défi de l'ouverture des frontières, de la coexistence des civilisations.

Pour la France, terre de liberté dont la culture s'est nourrie d'échanges permanents que nous appelons avec le reste du monde depuis deux millénaires, cet idéal se réalise dans le pacte républicain. Chacun y trouve sa place, dans le respect de ses origines, de ses croyances, de ses traditions, de ses aspirations. Ceux qui sont venus d'ailleurs et s'installent doivent être accueillis et aidés. Mais nul ne peut se prévaloir d'une allégeance communautaire pour imposer sa loi à la loi. Chacun doit accepter la liberté de l'autre et les règles communes. Tel est le sens de la laïcité, principe de liberté, de neutralité publique, de tolérance et de cohabitation pacifique empreint de sagesse, qui s'est imposé à notre société instruite par des siècles, hélas, d'affrontements entre nations, entre partis entre religions. * Questionnements économiques et sociaux.

L'économie-monde s'organise en réseaux d'extrême complexité et de souplesse croissante. Les activités s'installent et se déplacent au gré des opportunités. Il appartient à chaque ville, à chaque région, d'attirer, en relais aux politiques nationales, les entreprises les plus prometteuses, les laboratoires les plus dynamiques. Infrastructures, logement, fiscalité, vie culturelle, liens avec le reste du monde, qualité de l'environnement, tout, dans la compétition mondiale, doit être rassemblé pour séduire et retenir les talents, gages de bien-être et de rayonnement.

Il faut aussi des politiques sociales énergiques et volontaires pour prévenir et surmonter les effets des restructurations, pour tisser les solidarités locales d'autant plus nécessaires à la cohésion sociale que cette compétition se déploie presque sans frein.

Le Sud vit aujourd'hui l'exode rural que le Nord connut pendant un siècle et demi. Il voit affluer dans ses villes des populations chassées par la nécessité et peu à peu déculturées. Il voit coexister des métropoles qui irradient richesse et dynamisme et des zones vouées à la misère, ces bidonvilles où sont entassés près d'un milliard de femmes, d'hommes et d'enfants. Confronté à cette explosion urbaine, le Sud a besoin d'appuis, il a besoin de coopération. Le Nord aussi souffre de cette juxtaposition de quartiers riches et de quartiers précaires, de ce mécanisme d'exclusion qui génère l'injustice et l'humiliation. Nous ne pouvons pas nous y résigner. * Questionnements d'urbanisme enfin, qui déterminent la qualité de vie et l'accès aux services essentiels.

Il faut concevoir un urbanisme moderne qui corrige les terribles défauts que fut l'urbanisme du XXe siècle. Tirer parti de toutes les ressources du progrès, sans sacrifier un patrimoine parfois irremplaçable. Assurer à chacun, malgré la pression démographique, l'espace nécessaire pour vivre à l'aise sans gêner l'autre. Trouver le juste équilibre dans la hauteur et la concentration des habitations comme dans l'étalement et la densité du tissu urbain. Concevoir un réseau de transports qui facilite les échanges sans engorger les cités. Donner leur place aux personnes et au commerce, organiser leurs relations avec l'habitat. Répondre aux besoins particuliers des enfants, des personnes âgées, des personnes handicapées, des plus vulnérables. Faciliter l'accès des populations défavorisées à un logement digne, à l'éducation et aux soins de santé. Ménager des espaces verts suffisants pour la respiration des citadins. Autant de choix qui sonnent comme autant de dilemmes.

C'est de vous aussi que l'on attend, avec l'Etat, la construction et l'entretien des réseaux publics d'eau, d'assainissement, d'électricité, de transports et de communications. Pour trouver les ressources nécessaires à leur installation et les exploiter dans les meilleures conditions, les solutions sont multiples. Le Sommet de Johannesburg a justement souligné le potentiel des partenariats entre le secteur public et le secteur privé.

Le choix de chaque cité doit relever d'une libre appréciation, à condition de satisfaire aux exigences de justice, de continuité et d'égalité d'accès au service public. La France a proposé que les principes directeurs de l'accès aux services essentiels soient rassemblés dans un texte qu'adopteraient les Nations Unies, dans l'esprit de Rio et du Sommet d'Istanbul. * * * Ces débats, et bien d'autres encore, il vous faut les aborder en gardant à l'esprit que vos réponses détermineront en partie la pertinence de notre réaction à l'une des crises majeures de notre temps : la crise écologique.

Les villes modernes en sont des protagonistes. Gigantesques émettrices de pollution et de déchets, gigantesques consommatrices d'espace, d'énergie et de ressources naturelles, leur empreinte écologique est considérable et elle fait à leurs habitants un devoir de se soucier de ses conséquences. Conséquences locales, par les nuisances et les maladies, parfois graves, qu'engendrent nos modes de vie. Conséquences globales aussi, par leur impact sur les équilibres naturels.

Pour aider l'État et les pouvoirs publics à prendre pleinement en compte la dimension écologique, j'ai voulu que la France se dote d'une Charte de l'Environnement inscrite au coeur de notre Constitution. Ainsi, le droit à un environnement de qualité sera protégé au même titre que les droits de l'homme et du citoyen énoncés par la Déclaration de 1789 et que les droits économiques et sociaux consacrés par le Préambule de la Constitution de 1946.

Préparée au cours d'un grand débat public national, la Charte, dont le Parlement est saisi, rappelle la place de l'Homme dans son environnement naturel, sans lequel il ne saurait vivre, et les conséquences néfastes d'une pression excessive sur les ressources naturelles.

Elle affirme le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et qui ne nuise pas à sa santé. Elle appelle chacun, et d'abord l'Etat, à une attitude de responsabilité, qui passe par des démarches d'éducation, d'information, de prévention, de précaution et de réparation, dans le souci des générations futures. Ce texte suscite de grands espoirs. J'ai conscience aussi des interrogations qu'un tel pas en avant peut soulever et je les comprends. Mais j'estime que l'adoption de cette charte sera pour la France un grand progrès.

C'est un texte de liberté, de responsabilité et de confiance. Un texte qui stimulera la recherche scientifique et l'innovation technologique pour inscrire la croissance économique dans le cadre d'un développement durable. Un texte de civilisation qui place l'homme au coeur de la préoccupation écologique. Un texte de référence qui inspirera les politiques nationale, européenne et internationale de la France pour les décennies à venir. * Mesdames, Messieurs,

S'il est une tâche urgente pour tous les responsables politiques, c'est de chercher des réponses pour un monde troublé par la globalisation et par la crise du sens que vivent nos contemporains. Des réponses qui concernent les villes et les régions autant que les Etats.

Celles de la France s'inspirent d'une attitude inscrite dans son histoire : la volonté farouche de garder, quoiqu'il arrive, la maîtrise de son destin, de refuser toujours l'empire d'une prétendue nécessité, d'épouser les forces du temps pour les infléchir et en tirer un surcroît de culture, d'avenir et de solidarité. La volonté aussi de faire prévaloir, face au risque du chaos, des exigences fondatrices d'une éthique de la vie internationale.

Une exigence de responsabilité. Qu'il s'agisse de maîtriser les tempêtes financières, de lutter contre le crime organisé ou le terrorisme, de vaincre le sida et les grandes pandémies ou de résoudre la crise écologique, les réponses nationales ou régionales sont désormais insuffisantes. C'est ensemble que nous devons assumer nos interdépendances, mesurer nos actes et organiser notre réaction.

Une exigence de démocratie, pour que cette réponse collective ait la même légitimité que nos politiques nationales. Ceci suppose d'agir dans le cadre des institutions internationales, et d'abord l'ONU. Ceci suppose d'y donner plus de place aux pays du Sud, d'y faire mieux entendre parlementaires, élus locaux, associations. Ceci suppose d'en compléter l'édifice, en créant enfin l'Organisation des Nations Unies pour l'Environnement et en instituant un conseil de sécurité économique et social. La France, avec d'autres, y travaille.

Une exigence de solidarité. A l'heure où les économies s'interpénètrent, le destin des nations se rejoint, une conscience planétaire petit à petit apparaît. C'est pourquoi la France augmente son aide publique au développement et travaille sans relâche à la mobilisation des richesses nouvelles, les richesses engendrées par la globalisation des échanges.

Une exigence de dialogue des cultures. Pour que les nations abordent la mondialisation avec sérénité, pour que toutes acceptent les valeurs universelles de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948, il faut assurer chacune qu'elle est respectée dans son identité et reconnue dans son exemplarité. Le dialogue des cultures est un des antidotes les plus efficaces à la prétendue fatalité d'un choc des civilisations.

Tel est en quelques mots le projet dans lequel s'inscrit votre effort. Un projet pour l'Homme, où vous avez toute votre part, mieux, la part privilégiée que vous confèrent vos responsabilités d'élus locaux.

Je souhaite à votre Fédération longue vie et succès. Je l'assure du soutien entier et enthousiaste de la France. Je propose qu'entre nous s'établisse une concertation permanente dans toutes les enceintes multilatérales. C'est ainsi que, chacun pour notre part, nous contribuerons à l'établissement d'une démocratie planétaire pacifique, juste et solidaire, notre réponse politique à la mondialisation.

Je vous remercie.





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