Discours de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la remise de la médaille de la famille.

Discours de M.Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la remise de la médaille de la famille.

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Palais de l'Élysée, Paris le mardi 15 juin 2004.


Madame la Ministre,

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais vous dire, tout d'abord, que je suis heureux de vous accueillir à l'occasion de cette cérémonie traditionnelle, Monsieur le Président, de la remise de la médaille de la famille. Elle récompense l'amour, le dévouement, la générosité, la fraternité. Cette fraternité que notre République s'attache à faire vivre entre tous ses enfants et dont la famille est évidemment le lieu par excellence, et je dirai le berceau. Celui où la fraternité s'apprend, se transmet et s'éprouve au long des jours, dans le sourire et parfois dans les larmes.

Ce sont ces valeurs, c'est la force de ses liens qui placent la famille au coeur des préoccupations et des projets d'une nation et de notre nation. Aujourd'hui, en rendant hommage à celles et à ceux qui se sont lancés dans cette belle aventure, qui comme vous ont construit une grande famille, je veux bien sûr rappeler toute l'importance de la famille, son poids dans notre société et dans notre nation et qui justifient, comme l'a très justement dit le Président BRIN à l'instant, l'action de l'Etat est une action concertée.

Je tiens à rendre très sincèrement hommage au Président BRIN, si actif pour défendre les familles, si attentif à leurs difficultés, si imaginatif pour promouvoir une politique familiale moderne et dynamique. Et je dirai que mon seul regret c'est que l'on ne puisse pas toujours accepter ces propositions et ces suggestions et que l'on doive parfois attendre un peu pour les mettre en oeuvre.

Depuis 1945, l'UNAF a contribué à la construction de notre modèle social avec les familles et pour les familles et à contribuer de façon exemplaire. Je vous remercie, Monsieur le Président, de la part essentielle que vous avez prise, l'an dernier encore, à la conférence de la famille. Elle a permis de préparer une refonte des instruments de la politique familiale, avec la création de la prestation d'accueil du jeune enfant. Vous contribuez aussi très largement et très légitimement, à la préparation de la conférence de cette année qui sera, comme nous l'avons ensemble souhaité, consacrée à l'adolescence dont vous avez remarquablement parlé à l'instant.

Depuis deux ans, l'action du Gouvernement a essayé, permis de renouveler la politique familiale. Je souhaite qu'elle se renforce encore pour apporter aux familles un cadre toujours plus propice à leur épanouissement et qu'elle assume avec le plus de volontarisme possible le défi majeur qu'a évoqué à l'instant le Président et qui est celui de notre renouveau démographique.


Lever les obstacles qui freinent la réalisation des projets familiaux des Françaises et des Français répond, sans aucun doute, chez nos concitoyens à des attentes profondes. Trop longtemps, ces attentes ont été sous-estimées, comme si le développement des familles ne regardait pas les pouvoirs publics. Depuis toujours, je me suis inscrit en faux contre cette approche si éloignée des aspirations réelles de nos concitoyens.

Encourager les familles est, en effet, une exigence primordiale pour l'accomplissement personnel et pour le bonheur de chacun, parents et enfants. Et c'est aussi, pour chacun des pays européens, une question d'avenir, je dirai une question de survie, une question au sens le plus noble du terme d'intérêt national.

Dans les toutes prochaines années, les pays de l'Union européenne verront leur population vieillir, et ils la verront reculer si les tendances actuelles se confirment. En s'en tenant aux données déjà inscrites dans notre pyramide des âges, l'on sait que, par exemple, et le rapport que vous évoquiez le soulignait aussi, les jeunes adultes en France seront, dans quinze ans, moins nombreux que les adultes de plus de cinquante ans.

Au-delà des chiffres, ce qui est en jeu, c'est le dynamisme de nos sociétés, leur créativité, leur capacité à regarder l'avenir avec ambition, avec audace et avec confiance. Un pays qui a des enfants est un pays qui grandit, qui progresse, qui s'adapte et qui innove. En revanche, toute l'histoire des nations le montre : un pays qui tourne le dos à sa jeunesse, qui se replie sur lui-même, qui donne systématiquement la préférence au présent sur l'avenir, c'est un pays qui se ferme inexorablement les voies du progrès.

Ce qui est en jeu aussi, c'est la croissance, en France comme en Europe. Nous ne pouvons plus ignorer l'influence des facteurs démographiques dans la progression du revenu national. Comment ne pas faire le lien entre le dynamisme des Etats-Unis en matière de création de richesses et l'augmentation de leur population qui est nettement plus rapide qu'en Europe ?

Partout où la population s'accroît, la création d'emplois est forte et dynamique. La demande est soutenue. Au contraire, les pays qui ne sont plus portés par la vague démographique voient leur croissance se ralentir pour longtemps.

La France et ses partenaires doivent naturellement continuer à accueillir dans de bonnes conditions les personnes de nationalité étrangère qui sont en droit de la rejoindre. Mais c'est en privilégiant notre vitalité démographique que nous trouverons la voie du dynamisme, de l'intégration et de l'équilibre social. Je sais que pendant longtemps, Monsieur le Président, nous avons, aussi bien les autorités gouvernementales que les autorités des associations familiales, été réticents à l'idée de confondre démographie et famille. Tout simplement, parce que l'ambition, l'idéal de la famille était un idéal en soi valable en lui-même et qui, par conséquent, n'avait pas à être raccroché à d'autres considérations. Et puis, on est bien obligé aujourd'hui de constater que si, s'en rien enlever à l'importance de l'idéal familial, la situation démographique exige que l'on fasse tout de même aussi un lien entre ces deux concepts.

Et c'est à ce défi démographique que la France et l'Europe sont aujourd'hui confrontées.

Il ne s'agit pas naturellement de dramatiser la situation : en matière de démographie, la principale leçon de l'histoire est qu'il n'y a pas de situation irréversible. Les projections sont généralement incertaines : elles ne prennent en compte ni la volonté politique, ni les changements de comportement, ni surtout la vitalité profonde de la famille.

Tout montre aussi que la situation présente ne correspond pas, vous l'avez dit tout à l'heure, Monsieur le Président, aux attentes des Françaises et des Français, et qu'elle est, par conséquent, plus subie que voulue. Les familles, en France, souhaitent avoir, en moyenne, un enfant de plus. Mais elles y renoncent en raison des charges financières, des difficultés de logement, des contraintes de carrière. Elles y renoncent parce qu'une nouvelle naissance est trop souvent synonyme de baisse du niveau de vie, parce que la société dans son ensemble ne participe pas suffisamment à l'effort que représente l'arrivée d'un enfant.

Tout montre aussi que la volonté politique joue un rôle. Grâce notamment à des prestations familiales qui, en France, sont globalement supérieures à la moyenne européenne, la France garde une situation démographique meilleure que celle de ses principaux partenaires. Il ne faut pas se faire d'illusion, la politique familiale française depuis 45, cette politique soutenue activement par l'UNAF est la raison de notre démographie moins détériorée, moins dégradée que celle de nos voisins. C'est vrai qu'avec l'Irlande, sur le plan démographique, nous nous situons dans les premiers rangs.

Mais, pour assurer le renouvellement des générations, il faut consentir un effort supplémentaire, en France comme en Europe. C'est pour répondre à cet enjeu, c'est pour faire face à cette urgence que je pense que le renforcement de notre action en faveur des familles doit être considérée comme une priorité par les autorités publiques.


Cette action doit d'abord s'affirmer dans le cadre de l'Europe. C'est vrai. C'est une évidence parce que nos partenaires sont confrontés à la même situation que la nôtre.

Certes, les traditions historiques et culturelles des pays de l'Union européenne font que les politiques familiales ne s'y expriment ni avec la même intensité, ni avec des instruments identiques. Et nous ne saurions imposer à quiconque notre modèle de politique familiale. Mais nous avons engagé, avec nos partenaires, la construction de l'Europe sociale et nous travaillons ensemble à l'adaptation de nos systèmes économiques et sociaux aux effets du vieillissement. Le moment est venu pour les pays de l'Union européenne de développer aussi des politiques ambitieuses dans le domaine familial. C'est ce message que j'ai porté, le 18 février dernier à Berlin, lors d'un sommet avec le Premier ministre britannique et le Chancelier allemand. Et je prendrai, dans les tous prochains mois de nouvelles initiatives pour que l'Europe prenne mieux conscience du défi démographique auquel elle est confrontée et y réponde avec plus de détermination.


Au niveau national, nous devons naturellement, vous l'avez dit, Monsieur le Président, poursuivre notre effort.

Depuis deux ans, le Gouvernement a agi comme il est naturel. Réforme des retraites pour garantir le niveau des pensions pour éviter que les actifs ne soient exagérément mis à contribution, c'est-à-dire pour maintenir cette solidarité des générations qui fonde notre système. Création d'une nouvelle branche de la protection sociale pour mieux aider les personnes dépendantes qui, hélas, sont toujours plus nombreuses. Réforme de l'assurance maladie qui permettra, je le souhaite, à tous d'avoir accès à des soins de qualité et au progrès médical.

Ces réformes étaient indispensables pour adapter notre système de protection sociale aux réalités d'une France dont la structure démographique et les besoins ont changé. Mais elles resteraient incomplètes et déséquilibrées pour l'avenir de la nation si nous ne tendions la main aux familles et à la relève qu'elles préparent.

C'est pourquoi j'ai souhaité la création d'une prestation d'accueil du jeune enfant après une longue concertation avec l'UNAF, naturellement. Au-delà de l'effort financier qu'elle représente, elle reflète surtout une nouvelle vision de la politique familiale. Une politique pour aider toutes les familles et une politique respectant le libre choix.

Si la décision d'avoir un enfant est d'abord une responsabilité individuelle et de couple, la politique familiale doit permettre à toutes les familles de réaliser leur projet dans les meilleures conditions. Elle doit aider les très jeunes couples à avoir leur premier enfant dès qu'ils le souhaitent, en tenant compte de la réalité d'aujourd'hui qu'est le travail généralement des deux parents. Elle doit aider les familles au moment de la naissance et pendant la toute petite enfance, car tous les parents doivent faire face à un surcroît de dépenses évident pendant cette période. Elle doit enfin donner à toutes les familles les moyens de choisir librement la façon dont elles feront garder leur enfant, que ce soit à la crèche ou par une assistante maternelle.

Depuis cette année, ces objectifs sont en voie d'être atteints avec la création de la prestation d'accueil du jeune enfant, le crédit d'impôt famille pour les entreprises et le programme de construction de crèches qui a été lancé.

L'effort accompli doit désormais se poursuivre dans deux directions prioritaires, me semble-t-il, Monsieur le Président : favoriser la conciliation entre vie professionnelle et responsabilités familiales et permettre aux familles d'avoir le nombre d'enfants qu'elles souhaitent. Je vous l'ai souvent entendu dire, Monsieur le Président, et je crois que c'est dans la nature des choses.

Aider les parents, et en particulier les femmes, dans la conduite de leur carrière doit être un souci constant, parce qu'il n'est pas aujourd'hui de politique familiale ambitieuse sans prise en compte de l'activité professionnelle des deux parents.

En prenant appui sur l'accord conclu entre les partenaires sociaux -conclu récemment entre les partenaires sociaux-, tous les moyens seront mis en oeuvre pour mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. En neutralisant, dans le cadre d'accords de branche ou d'entreprise, les incidences de la maternité sur la carrière professionnelle. En faisant par exemple bénéficier les femmes des augmentations salariales pendant leur congé de maternité. En aidant aussi les petites entreprises à faire face aux congés de maternité, pour les amener à embaucher plus facilement des femmes.

Parallèlement à cet effort en faveur des parents au travail, il faut aider les familles à avoir le nombre d'enfants qu'elles désirent. Je souhaite que la conférence de la famille, en 2005, propose des mesures nouvelles pour faciliter l'accueil du troisième, voire du quatrième enfant. Si la fécondité a baissé, ce n'est pas en effet, vous l'avez dit, Monsieur le Président, parce que plus de couples demeurent sans enfants, c'est parce que nous comptons moins de familles nombreuses que par le passé.

L'effort en faveur des familles nombreuses contribuera aussi à répondre aux situations de précarité. Chacun le sait, nos systèmes d'aide ne parviennent pas à éviter une dégradation de la situation matérielle des familles lorsqu'elles ont un troisième ou un quatrième enfant.

Nous devons enfin intégrer pleinement le soutien aux familles dans notre politique de cohésion sociale. Par les valeurs qu'elle porte et transmet, par cette solidarité qui l'anime, la famille est essentielle à l'équilibre de notre société. Si la famille est un lieu privilégié d'épanouissement et de bonheur, elle est aussi en première ligne pour affronter les tempêtes de la vie. Si la famille n'est pas confortée dans l'exercice de ces missions, c'est notre cohésion sociale qui se délite.

Ruvrer en faveur des familles, pour la cohésion sociale, c'est naturellement dégager des moyens supplémentaires. Mais c'est aussi rompre avec l'immobilisme et un certain fatalisme qui font que nous consacrons toujours plus d'énergie et de crédits pour réparer des dégâts sociaux et économiques qui auraient pu être évités par une meilleure prévention.

Beaucoup de familles sont encore confrontées à la perspective ou à la réalité du chômage. Et un million d'enfants vivent dans des familles où les parents ne disposent que d'un revenu d'assistance. Pour permettre à tous les enfants de prendre un bon départ dans la vie, nous devons d'abord aider les parents à être toujours en mesure d'occuper un bon emploi. Il faut aussi, dès le plus jeune âge, garantir l'égalité des chances. Trop souvent encore, l'attention portée aux enfants en difficulté est tardive, et ne se manifeste réellement que lorsque l'échec scolaire est patent. Enfin, nous avons le devoir de rendre effectif le droit au logement. Il est inscrit dans nos lois depuis 1989, mais pas dans la réalité de beaucoup de familles, et pas seulement les plus pauvres.

Le plan de cohésion sociale que présentera prochainement le Gouvernement apportera des réponses concrètes aux difficultés des familles, je l'espère, en favorisant l'emploi pour tous, en mobilisant tous nos efforts pour la prévention des difficultés scolaires et sociales des enfants et en renouvelant notre politique du logement pour la mettre au service de toutes les familles.


A travers la politique familiale, c'est la vitalité de notre pays qui est en jeu. C'est aussi le développement et l'épanouissement individuels de chaque Français au sein de cet espace privilégié que constitue la famille.

C'est pourquoi notre conception de la famille ne peut qu'être ouverte, moderne et généreuse. La famille est de plus en plus diverse : chaque famille est différente et toutes se rejoignent dans la même expérience. Toutes offrent à l'individu cette somme d'amour et d'attentions qui le protègent, lui permettent de se construire et de se développer, à travers les liens de l'affection, le partage du quotidien, la solidarité face aux épreuves de la vie. La transformation des rapports sociaux, l'importance des familles monoparentales, la progression du nombre de divorces et de séparations redessinent le visage de la famille sans modifier sa signification ni remettre en cause sa vitalité. Notre politique familiale s'est adaptée à ces évolutions pour garantir à la famille les conditions de son développement. Il doit en être de même de notre droit de la famille.

La loi sur le divorce vient d'être adoptée. Comme je l'ai souhaité, elle vise à dépassionner autant que possible et à rendre plus rapides les procédures de divorce, pour qu'elles ne viennent pas ajouter du conflit au conflit. J'attache aussi beaucoup d'importance aux travaux qu'a engagé le Garde des Sceaux pour mettre un terme aux différences de statut qui subsistaient en matière de filiation entre famille naturelle et famille légitime. Je souhaite enfin que le droit des successions soit modernisé, pour simplifier les petites successions et mieux protéger le conjoint survivant.


Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je vais maintenant remettre la médaille de la famille à chacune et à chacun d'entre vous. Toutes et tous, vous connaissez la fierté d'avoir fondé une famille et de l'avoir menée à bon port, dans les moments de joie comme dans les moments difficiles. Par cette distinction, c'est, en réalité, la France tout entière qui rend hommage à chacune et à chacun d'entre vous.

Au nom de la République, je vous adresse mes plus vives, mes plus sincères félicitations et je vous remercie.





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