Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République lors de sa visite à la Marine nationale (Brest)

Discours de M. Jacques CHIRAC Président de la République lors de sa visite à la Marine nationale (Brest)

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Brest, Finitère, le mardi 17 février 2004.


Madame la Ministre, Amiral, Mesdames et Messieurs,

Je me réjouis d'être ici pour rendre visite à la Marine nationale. Et je suis heureux de le faire à Brest, port du Ponant et de l'ouverture de la France vers le large.

En tant que chef des Armées, j'ai tenu à vous rencontrer, dans une période où nos forces sont, chacun le sait, particulièrement sollicitées. Cette visite me donne également l'occasion de rappeler que vous n'êtes pas seulement "l'armée de mer", mais que vous participez aussi de manière essentielle et permanente à l'action de l'Etat en mer, c'est-à-dire à l'exercice de la souveraineté de la France.

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La mer attire sans doute des hommes de tempérament, des esprits curieux et passionnés. Elle est aussi, malheureusement, le lieu de tous les excès. L'action de l'Etat et les missions de service public sont donc tout à fait indispensables. Vous le savez, vous qui y consacrez le quart de votre activité, dans le deuxième domaine maritime du monde, avec 11 millions de km2.

La tenue, en moins d'un an, de deux Comités interministériels de la mer - le dernier a eu lieu hier - montre l'importance que le pays attache à sa politique maritime. Les travaux conduits sous l'impulsion du Secrétaire général de la mer ont déjà débouché sur des mesures concrètes : surveillance et contrôles renforcés, interdiction des pétroliers hors d'âge, et bientôt schéma directeur général des moyens.

Votre perception de l'ensemble des menaces, des risques et des actions à mener en et hors de nos zones économiques exclusives, a conduit votre chef d'état-major à formuler le concept de "sauvegarde maritime", synthèse de vos missions de défense et de service public.

Je suis venu à Brest pour me rendre compte par moi-même de son application pratique.

Les domaines à couvrir sont nombreux.

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Les pêches d'abord et la protection de nos ressources halieutiques. Votre domaine privilégié est à l'évidence le grand large, pour lequel vos moyens sont adaptés. Votre action, conjuguée avec celle des Affaires maritimes et de la Gendarmerie maritime, participe à la préservation de notre patrimoine. A ma demande, un effort particulier a été fait sur le dispositif maritime outremer et j'en remercie l'Amiral. Les moyens des administrations, les vôtres en particulier, ont été renforcés et leur action réorientée. En Guyane, en Polynésie, en Nouvelle Calédonie comme dans les Terres australes, des résultats réguliers sont obtenus. Il faut persévérer. Cela passe aussi par la coopération avec les pays riverains. L'accord récent avec l'Australie pour la surveillance et l'assistance mutuelle dans le sud de l'océan Indien est un accord à cet égard exemplaire.

Je note aussi avec satisfaction que l'engagement d'entraide pris par la France, lors du sommet informel France-Océanie à Papeete, a été honoré : il y a deux mois a eu lieu le premier vol de Gardian de surveillance maritime au profit de l'Etat du KIRIBATI. Nous sommes prêts à aider les Etats les moins bien équipés pour que leurs droits soient respectés.

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Vos moyens participent à la lutte contre le narco-trafic, dans les Caraïbes notamment. Là encore, c'est par la coopération entre les administrations, les Douanes, la gendarmerie et la police, mais aussi avec nos partenaires étrangers que nous obtenons des succès. Il y a un mois, ce sont ainsi 260 kilos de cannabis qui ont été saisis à bord du chalutier Captain Winston, au large de la Guadeloupe.

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L'immigration clandestine et le trafic des êtres humains sont deux fléaux abominables et inacceptables de notre temps. En Méditerranée orientale, vous conduisez la mission Amarante en coopération étroite avec les marines riveraines, celle de l'Italie en particulier. Votre présence dissuasive soutient les pays de transit dans leur lutte : le Liban, par exemple, s'intéresse de près à nos méthodes et à nos structures pour améliorer notre interopérabilité.

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L'accroissement des risques liés au transport maritime de matières dangereuses a conduit la France à faire des propositions aux niveaux européen et mondial. A son initiative, des zones de protection écologique ont été décrétées le long de nos côtes méditerranéennes au début de cette année, et des zones maritimes particulièrement vulnérables seront bientôt reconnues par la communauté internationale. Les contrôles dans les ports ont été renforcés, le taux de 30% est maintenant dépassé et continuera à augmenter. La surveillance du trafic en mer, depuis la terre comme à partir des airs, s'est intensifiée avec succès : les trois navires récemment interceptés et conduits à Brest en témoignent. La conjonction d'un arsenal juridique et de moyens d'intervention pleinement utilisés montre sa pertinence, face aux navires poubelle, aux dégazages sauvages et aux comportements criminels, à l'action de tous les voyous de la mer.

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Enfin, dans les situations de détresse, vous portez assistance aux marins en péril.

La mer est un milieu dangereux, c'est un fait. Et je salue ici la mémoire de nos pêcheurs récemment disparus. A travers eux, c'est toute la communauté maritime qui a été touchée. Je sais la part que vous avez prise dans les recherches et j'y vois un bel exemple de la solidarité légendaire des gens de mer.

Sur la façade atlantique, vous conduisez chaque année plusieurs dizaines d'interventions majeures. Directement ou par les remorqueurs que vous affrétez, votre présence rassure, votre action soulage et sauve.

Vos moyens se renforcent, avec l'arrivée de nouveaux navires spécialisés tels l'Argonaute, et de remorqueurs d'assistance et de sauvetage supplémentaires l'an prochain.

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C'est pour toutes ces raisons que le rôle des Préfets maritimes vient d'être étendu. Ils exercent désormais leur pouvoir de coordination des administrations en tout temps, sans attendre le déclenchement d'une alerte. La cohérence et l'efficacité opérationnelle des actions de l'Etat sont ainsi améliorées. Outre la marine, les autres administrations et les bénévoles de la Société nationale de sauvetage en mer lui apportent leur savoir-faire et leur concours, sans barguigner.

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Les opérations militaires restent à l'évidence au coeur de votre métier. Aujourd'hui, 3 500 d'entre vous sont déployés en opérations depuis la métropole, sur mer comme à terre. Avec l'appareillage prochain du groupe aéronaval, vous serez 6 000. L'armée de mer joue un rôle essentiel aussi bien pour la dissuasion que pour la projection.

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La dissuasion demeure le fondement de notre défense et la garantie de la préservation de nos intérêts vitaux. La marine y tient, chacun le sait, une place éminente.

C'est pourquoi vos moyens continuent à être modernisés : le VIGILANT va bientôt commencer ses premiers essais à la mer et les programmes de missiles balistique M51 et air-sol moyenne portée amélioré se déroulent normalement.

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Le groupe aéronaval, par ses capacités, sa souplesse et sa réactivité est par excellence l'outil de la projection de puissance. Autour du porte-avions CHARLES DE GAULLE, il va bientôt appareiller pour l'océan Indien et le golfe arabo-persique, avec une frégate britannique. Il y retrouvera nos alliés et amis de la région, et nos navires participant à l'opération Enduring Freedom de lutte contre le terrorisme. La France, on l'oublie trop souvent, apporte la deuxième contribution maritime à cette opération, après la marine des Etats-Unis.

Nos bâtiments participent à deux "task forces" internationales qui contrôlent le golfe d'Aden à la corne de l'Afrique et la mer d'Oman devant le détroit d'Ormuz. Jusqu'à ces derniers jours, un amiral français commandait l'une d'entre elles, la "task force" 150. Il y a montré tout le professionnalisme de la marine.

La lutte contre le terrorisme est une lutte de longue haleine, sur mer comme à terre. Je salue à cette occasion nos commandos marine du Commandement des opérations spéciales qui participent régulièrement aux opérations contre les talibans et Al Qaïda en Afghanistan. Nos alliés sont particulièrement élogieux à leur égard.

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Je sais également la part que vous prenez aux missions de protection et à celles de prévention, dans le cadre du plan Vigipirate Mer, des bâtiments stationnés outre-mer et des déploiements lointains. Votre vigilance dans les sémaphores, votre surveillance depuis vos passerelles et vos aéronefs sont un élément important du dispositif général de sécurité dont la France a besoin en ces temps troublés.

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De plus en plus, les interactions entre les environnements maritime, terrestre et aérien deviennent déterminantes pour le succès des missions des armées. Il faut donc rechercher les synergies et se soutenir mutuellement. A cet égard, je note avec satisfaction l'embarquement régulier d'hélicoptères des autres armées lors de vos déploiements, sur le porte-avions par exemple pour le sauvetage de combat, ou sur les TCD en mission CORYMBE dans le golfe de Guinée. Il s'agit là d'un exemple de partage des ressources entre les trois armées, qui doit être multiplié parce qu'il permet une utilisation plus rationnelle des crédits que le pays consacre à sa défense.

De même, le caractère interarmées de vos missions doit toujours être présent dans vos esprits : si la puissance peut venir de la mer et des airs, c'est sur terre qu'elle trouve son application finale.

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Dans un monde où les crises succèdent aux crises, nous oeuvrons pour la paix avec nos Alliés et nos amis.

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Au sein de l'Union européenne d'abord, qui construit pierre à pierre une défense commune. La force maritime EUROMARFOR, qui associe l'Espagne, l'Italie et le Portugal à la France, a participé à l'opération Enduring Freedom, de même que la Force navale franco-allemande. Ces déploiements communs doivent être des précurseurs pour que l'Europe maritime de la défense existe et se développe.

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Cette Europe de la défense est, naturellement, complémentaire et non concurrente de l'OTAN. Le lien transatlantique qui nous unit est un lien ancien, puissant et pérenne. Nous prenons déjà toute notre place dans la force de réaction rapide de l'Alliance, la NRF, pour laquelle nous sommes aujourd'hui le deuxième contributeur. De même, un amiral français va rejoindre l'état-major de Norfolk, l'ACT, chargé du processus de transformation de l'OTAN. Ceci nous permettra de prendre toute notre place dans l'adaptation des structures et l'élaboration des nouvelles doctrines.

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La lutte contre la prolifération vous concerne également. Les exercices auxquels vous avez participé dans le Pacifique en juillet dernier, dans l'Atlantique et en Méditerranée à l'automne ont montré l'importance d'une coopération étroite, passant par la mise au point de procédures communes et d'un arsenal juridique international adapté à l'environnement maritime.

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Ce tour d'horizon montre l'étendue de vos tâches. Le monde change, vous devez être imaginatifs et vous adapter pour conserver réactivité et efficacité ; je sais que vous y êtes prêts.

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Vos équipages constituent naturellement le bien le plus précieux. La professionnalisation exige qu'ils soient employés dans leur coeur de métier. Le personnel militaire et le personnel civil présents sur vos bases et dans vos états-majors vivent en symbiose pour le plus grand succès de vos missions. Votre emploi régulier de réservistes de tout grade y concourt également.

Recruter des hommes et des femmes jeunes, leur offrir un métier passionnant et exigeant, voilà qui vous incite à rester inventifs. Vous menez des campagnes de recrutement originales - je pense au désormais célèbre "rangez votre scooter !", primé en 2003 par les agences de communication. Je souhaite naturellement que les résultats en soient durables.

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Comme pour les autres armées, vos matériels doivent être entretenus, améliorés et renouvelés.

Après avoir pris en main votre destin pour l'entretien de vos matériels et la gestion des pièces de rechange, vous attendez Amiral, vous m'en parliez encore ce matin, le renouvellement de la flotte. La loi de programmation militaire l'a engagé. Le deuxième porte-avions a été décidé, le choix de la propulsion classique vient d'être fait. Ce choix apporte une réponse, je crois, parfaitement adaptée aux besoins opérationnels des décennies à venir et ouvre aussi les meilleures perspectives de coopération utile avec le Royaume-Uni. Il est de bon augure pour l'avenir de constater qu'une majorité de programmes navals se fait déjà en coopération. Naturellement, DCN jouera dans cette entreprise tout le rôle essentiel auquel son formidable savoir-faire la destine.

Pour obtenir un rythme satisfaisant de construction, des voies nouvelles peuvent être explorées. A l'instar d'autres pays de l'Union européenne, les financements que l'on qualifie d'innovants offrent sans doute une solution prometteuse. Le programme des frégates multi-missions franco-italiennes pourrait en bénéficier rapidement.

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Parcelles du territoire national présentes dans le monde là où la situation l'exige, vos unités montrent une nouvelle fois, Mesdames et Messieurs, que les Français peuvent compter sur leur Marine, l'une des seules au monde à maîtriser toutes les facettes de l'action en mer et depuis la mer.

"HONNEUR", "PATRIE", "VALEUR" et "DISCIPLINE", ces quatre mots figurent en plaques de bronze sur tous vos bâtiments, je sais que vous en êtes fiers, comme les Français sont fiers, à juste titre, de leur Marine.

Vous avez mon estime et vous avez ma confiance.

Je vous remercie.





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