Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration du viaduc de Millau

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration du viaduc de Millau.

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Millau - (Aveyron) - Mardi 14 décembre 2004.

Monsieur le Député-Maire de Millau, Cher Jacques Godfrain,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les Elus,
Monsieur le Président du Groupe Eiffage,
Mesdames et Messieurs,

Je suis naturellement particulièrement heureux d'inaugurer avec vous, aujourd'hui, le viaduc de Millau.

Cet ouvrage exceptionnel va marquer notre histoire industrielle et technologique. Ses concepteurs et ses pères signent là un prodige d'art et d'architecture, nouvel emblème du génie civil français.

C'est aussi un atout de premier ordre pour notre pays. Un atout pour la région millavoise, bien sûr, et un atout pour l'aménagement du territoire. Un atout pour la réputation d'excellence des entreprises françaises et un atout pour l'image d'une France moderne et conquérante.

Le viaduc de Millau s'inscrit magnifiquement dans cette longue et grande tradition française d'ouvrages d'art audacieux, tradition ouverte au tournant des XIXe et XXe siècles par le grand Gustave Eiffel, auteur, à quelques dizaines de kilomètres d'ici, du viaduc de Garabit. Tradition poursuivie, plus près de nous, avec les ponts de Tancarville, de l'île de Ré et de Normandie.

Toutes celles et tous ceux qui le découvrent sont frappés par son élégance, par sa simplicité. Son ampleur et en même temps sa légèreté.

Ce miracle d'équilibre est le fruit de la collaboration entre des hommes d'exception, des hommes de grand talent, aux compétences profondément complémentaires : l'ingénieur, Michel Virlogeux, l'architecte, Lord Norman Foster et le chef d'entreprise, Jean-François Roverato.

Plus de mille personnes, issues de tant de corps de métiers, ont participé à la construction du viaduc, dans des conditions de travail souvent très difficiles et parfois risquées. Je veux leur rendre tout d'abord et très particulièrement hommage. Si l'ouvrage qui s'offre aujourd'hui au regard est un ouvrage exceptionnel, le chantier de sa construction le fut tout autant. Un véritable défi aux lois de la gravité et aux vents violents qui s'engouffrent dans la vallée.

Toutes celles et tous ceux, quel que soit le poste qu'ils occupaient, qui ont oeuvré à cette magnifique réalisation et qui lui ont donné le meilleur d'eux-mêmes, peuvent aujourd'hui être fiers du fruit de leurs efforts conjugués. J'ai eu un particulier plaisir à les saluer tout à l'heure sur le viaduc. La ligne fluide de ces 2 460 mètres, rythmée à intervalles réguliers par les sept pylônes haubanés, relie maintenant le Causse Rouge au Plateau du Larzac en survolant avec majesté la monumentale vallée du Tarn.

La finesse du viaduc de Millau ferait presque oublier qu'il est le plus haut du monde. Le fameux pylône P2 dépasse de dix-neuf mètres la tour Eiffel. C'est précisément à la société Eiffel, spécialiste mondial de la construction métallique, héritière d'un savoir-faire plus que séculaire, que la France doit ce nouveau symbole de sa capacité à innover.

Ces prouesses techniques témoignent de la force de l'ingénierie française, du savoir-faire qu'elle exporte partout dans le monde. Je ne citerai qu'un exemple récent, celui du pont de Rion-Anti-Rion en Grèce, qui est l'oeuvre d'une autre société qui incarne aussi l'excellence française : Vinci. Il a ouvert le 8 août dernier pour permettre à la flamme olympique de franchir le détroit de Patras.

Cette réputation de haut niveau des ouvrages d'art français doit aussi beaucoup à la formation dispensée dans nos écoles d'ingénieurs. A cette occasion, je veux rendre un particulier hommage au prestigieux corps national des ponts et chaussées dont le Conseil général célèbre cette année le bicentenaire.

Au-delà de la technique, ce qui est aussi particulièrement remarquable, s'agissant du viaduc de Millau, c'est la façon dont a été conduit ce grand projet. Après 10 ans d'études, il a été décidé en 1998 que le viaduc ferait l'objet d'une concession de plein exercice pour la conception, la construction et l'exploitation. L'accord signé entre l'Etat et la compagnie Eiffage, concessionnaire pour 75 ans, prévoyait 39 mois de travaux, c'est-à-dire des délais très courts. Défi brillamment relevé ! Et je salue ici Monsieur Gayssot. Le pari a été tenu, Monsieur le Président, avec un mois d'avance !


Cette réalisation impressionnante est un formidable atout pour Millau et le Sud Aveyron. Elle offre à toute la région la chance d'un nouveau développement. Car un soin particulier a été apporté pour que cet ouvrage d'intérêt national soit ouvert à son environnement et aussi à la vie de la vallée.

L'image de Millau a déjà changé, Monsieur le Maire. Dès l'été prochain, au moment du grand chassé-croisé des vacances, le viaduc, et ses 40 km d'autoroutes supplémentaires, soulageront naturellement Millau. La ville sera enfin rendue à ses habitants, à ses visiteurs et à ses jeunes enfants.

La construction du viaduc a déjà joué un rôle moteur dans l'activité économique de Millau. Et son exploitation créera des emplois, notamment avec le péage et le siège de la société gestionnaire de l'ouvrage, auxquels il faut ajouter le renforcement des services de gendarmerie et de douane.

Mais il y a surtout l'engouement exceptionnel qu'a engendré le viaduc, puisque 500 000 visiteurs se sont déjà succédés sur le site au fur et à mesure de sa construction. On peut penser que le mouvement va se poursuivre, tant l'ouvrage suscite à la fois la curiosité et l'admiration. Millau et sa région vont pouvoir compter sur cette forme nouvelle, une forme moderne du tourisme.

Millau va devenir une véritable destination, choisie pour elle-même et pour les attraits d'une région qui, par ailleurs, n'en manque pas.

Ses splendeurs naturelles, celles notamment du Parc régional des Grandes Causses : ses grottes et les spectaculaires gorges du Tarn, une flore de plus de 2 000 espèces, une faune protégée parmi laquelle le grand vautour fauve, réintroduit il y a une vingtaine d'années.

Patrimoine historique et architectural aussi : les fouilles romaines de la Graufesenque, les châteaux ou les simples bergeries aux toits de lauzes, les abbayes et les cités templières et hospitalières du Larzac témoignent de millénaires d'histoire.

Attraits économiques enfin. Avec un artisanat réputé, mondialement réputé. Avec les produits du terroir, issus de l'élevage de la brebis : le Roquefort et l'industrie du gant dont Millau est la capitale, et que célèbre le musée de France du gant et de la peau.

Tout cela, les visiteurs vont le découvrir. Et des entreprises seront intéressées, je n'en doute pas, à s'implanter sur ce qui va devenir un axe majeur d'échanges. Il faut investir pour les accueillir.

Les élus ont mené, depuis 3 ans, une importante réflexion en ce sens et un plan d'accompagnement de quelque 33 millions d'euros a été élaboré avec l'Etat pour financer notamment des projets de rénovation hôtelière ou de réhabilitation industrielle, pour la création du centre d'interprétation des grands ouvrages d'art et l'accueil des visiteurs au pied du viaduc.

Et conformément à ses engagements, l'Etat réalisera les travaux prévus entre Saint-Germain et la Cavalerie pour améliorer l'alternative gratuite au viaduc. Il aménagera, avant l'été 2006, l'aire de repos du viaduc pour en faire une véritable vitrine de Millau et de ses environs.

Le viaduc de Millau est aussi un atout pour l'Aménagement de notre Territoire. Il permettra de franchir la vallée du Tarn en quelques minutes au lieu des 3 heures qui étaient parfois nécessaires. L'ouverture de cette voie, la plus directe entre Paris et la Méditerranée, soulagera aussi l'axe rhodanien.

Le viaduc s'inscrit ainsi dans une politique constante de désenclavement du Massif central, une politique constante et nécessaire, une politique qui s'est concrétisée par la construction de l'A 89 et de l'A 75 Clermont-Ferrand-Béziers. Mais pour faire face au trafic que le viaduc devrait induire au sud, l'Etat doit encore réaliser des aménagements : le contournement de Lodève, la section Pézenas - autoroute A 9 près de Béziers et l'A 750 jusqu'à Montpellier.

Au-delà du désenclavement du Massif central, la Nation investit dans ses infrastructures et renforce ainsi l'un de ses atouts essentiels pour l'avenir. Car la qualité et la densité de nos liaisons routières et ferroviaires contribuent à faire de la France l'un des premiers pays d'accueil pour les investissements étrangers. A l'heure de la construction européenne, nous devons conforter ces atouts. C'est tout le sens du grand programme d'infrastructures lancé par le gouvernement, à l'initiative de Gilles de Robien, pour l'horizon 2025. Avec ce programme, la France lancera 35 projets d'infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et fluviales. Ce sont 20 milliards d'euros qui seront engagés à l'horizon 2012. Effort, on peut le dire, sans précédent.

La Nation s'est, en effet, donné les moyens de sa politique, avec la création de l'Agence pour le Financement des Infrastructures de Transport en France qui bénéficiera des dotations budgétaires nécessaires et des dividendes versés par les sociétés d'autoroute. Elle pourra aussi s'appuyer sur des techniques modernes de financement, notamment les partenariats public-privé, pour lesquels un cadre clair vient d'être arrêté.

Une grande politique d'investissement dans les infrastructures doit aussi prendre en compte les nécessités du développement durable. Je n'évoquerai que certains des aspects de cette exigence, les plus significatifs ou les plus actuels.

En matière de sécurité routière, nous enregistrons depuis deux ans une baisse historique du nombre de morts et de blessés. Ce recul nous montre qu'en ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, il n'y a pas de fatalité. C'est d'abord le résultat d'une véritable prise de conscience de nos compatriotes, qui ont incontestablement modifié leur comportement. C'est aussi le fruit de l'engagement de tous les acteurs. Et je tiens à saluer la mobilisation des membres du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin dans ce combat pour la sécurité des Français.

Bien sûr, rien n'est définitivement joué. Je le dis solennellement : nous ne baisserons pas la garde ! La mobilisation pour sauver les vies sur la route doit être toujours plus forte. Et pour cela, j'ai fixé de nouvelles priorités, au premier rang desquelles la prévention des accidents des jeunes, des deux roues et la lutte contre la conduite sans permis ou sans assurance. Dans ce cadre, j'ai demandé à ce qu'un dispositif soit mis en place pour aider les jeunes à financer leur apprentissage de la conduite. Je suis notamment favorable à ce qu'une partie du produit des infractions relevées par les radars automatiques puisse venir soutenir ce dispositif.

Ces derniers mois, dans un autre domaine, nous avons eu à subir une forte hausse du prix du pétrole. Le secteur des transports est particulièrement dépendant de cette source d'énergie. Nous devons absolument réduire cette vulnérabilité. De plus la consommation de produits pétroliers augmente l'émission des gaz à effet de serre. Les politiques publiques ne peuvent plus ignorer la question du changement climatique. Elle devient une priorité mondiale. Le protocole de Kyoto entrera en vigueur le 16 février prochain, grâce à sa ratification par la Russie. Geste dont nous lui avons été particulièrement reconnaissants. La France s'est engagée quant à elle à stabiliser d'ici 2012 ses émissions au niveau de 1990. Or les transports routiers et les transports aériens produisent aujourd'hui près d'un tiers des gaz à effet de serre et, si rien n'est fait, cela ira en s'aggravant avec l'augmentation prévisible du trafic.

Inscrire la croissance des transports dans une perspective de développement durable impose donc d'agir sur tous les leviers pour réduire la consommation de pétrole. Il faut éviter les transports inutiles par un meilleur urbanisme et une meilleure organisation industrielle. Il faut développer des carburants alternatifs, comme les biocarburants ou l'hydrogène. Il faut améliorer les véhicules pour qu'ils soient plus économes. Il faut mieux gérer les infrastructures pour éviter les congestions. Il s'agit là d'un champ stratégique pour notre recherche technologique et nos politiques industrielles.

Mesdames, Messieurs,

Le viaduc de Millau prend place parmi les plus brillants ouvrages de notre génie civil. Il incarne avec éclat l'élan de notre recherche et de notre technologie. Il traduit le dynamisme et la puissance de notre industrie. Il symbolise l'audace maîtrisée et la performance, mise au service du plus grand nombre.

Les Françaises et les Français sont fiers, à juste titre, des prouesses accomplies ici, et qui parlent pour la France. Une France moderne. Une France entreprenante et qui réussit. Une France qui investit dans l'avenir. Une France aux avant-postes du progrès mondial. Une France à la pointe de l'excellence scientifique et technique.

C'est tout cela que représente le viaduc de Millau, un modèle, une tradition, une exigence, une ambition pour la France.

Je vous remercie.





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