Allocution à l'occasion du dîner offert en l'honneur de Leurs Majestés Albert II roi des Belges et de la reine Paola.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en l'honneur de Leurs Majestés Albert II roi des Belges et de la reine Paola.

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Palais de l'Élysée, Paris, le lundi 27 octobre 2003

Sire, Madame,

La France est heureuse et fière de Vous recevoir et d'honorer, à travers la personne de ses souverains, le Royaume de Belgique. Je veux être ce soir l'interprète de toutes les Françaises et de tous les Français en vous souhaitant très chaleureusement la bienvenue.

Votre visite d'Etat en France, la première depuis Votre accession au trône, intervient à un moment particulier de l'histoire de l'Europe, où nos deux pays, comme si souvent depuis 1830, se retrouvent côte à côte pour porter les valeurs qui nous unissent. Elle m'offre l'occasion de témoigner, à travers Vos personnes, à la Belgique et aux Belges le respect, la reconnaissance et l'affection de mes compatriotes.


La Belgique est certainement le pays qui nous est le plus proche, par la géographie bien sûr, par l'Histoire et les épreuves endurées, par l'esprit et par le coeur, et aujourd'hui par notre vision du progrès des nations et notre ambition pour l'Europe. Recevant à Paris le Roi Baudouin et la Reine Fabiola, le Général de Gaulle évoquait "les courants -ô combien puissants- qui entraînent, d'un pays à l'autre, tout ce qui est des personnes et tout ce qui est des choses (...), ce lien exceptionnel qui remonte au fond des âges et qui attache les uns aux autres les Belges et les Français".

Entre nous, il y a plus qu'une fraternité, il y a une communion d'âme. Que les Belges souffrent, et la France partage leur douleur. Quand, voici tout juste sept ans, Bruxelles et toute la Belgique ont défilé dans la " marche blanche " pour pleurer Julie et Mélissa, les Français ont eu le coeur serré. Le drame de tout Votre peuple était aussi le nôtre.

Que Vos compatriotes se réjouissent, et nous, Français, partageons leur bonheur. Vous-même, Sire, avez été cette année à Roland Garros le témoin de cet engouement des Français pour les extraordinaires succès de la Belgique et de ses grandes championnes.

Que les Belges se distinguent, dans tous les domaines, de l'art, de la littérature, de la musique, de la communication et des médias, du sport, de l'entreprise et de l'industrie, et nous, Français, n'hésitons pas à nous les approprier un peu, inconsciemment mais de tout coeur. Pour n'en citer que quelques-uns, avec Maurice Maeterlinck et Emile Verhaeren, en passant aussi par Georges Simenon, Henri Michaux, César Franck, Jacques Brel, Henri Magritte ou Paul Delvaux, tant d'autres, ce territoire de l'esprit qui nous est commun n'a jamais cessé de s'étendre et de s'élargir.

Depuis des générations, il y a aussi Hergé qui nourrit notre imagination. Aujourd'hui, Françoise Mallet-Joris, Pierre Alechinsky, Jean-Michel Folon, les frères Dardenne dont la Palme d'or à Cannes nous a réjouis, et bien d'autres encore, tous incarnent cette connivence du coeur et de l'esprit.


Cette intimité, nous l'avons tout naturellement mise au service de notre projet européen.

Pays carrefour, à la confluence des routes de l'Europe qui firent jadis la fortune et la splendeur de la Flandre, la Belgique, avant même que d'exister sous sa forme actuelle, fut traversée par cette histoire européenne que mettaient en mouvement l'esprit de conquête et aussi les rivalités. La Révolution française, puis l'Empire, puis l'éveil au sentiment national l'ont tour à tour balayée de leur souffle. Puis enfin, la Belgique du " Roi chevalier " a éprouvé sur son sol et dans sa chair le malheur des deux grandes guerres. Votre pays, comme la France, en garde les cicatrices.

Alors, s'il est bien une nation européenne entre toutes, c'est la Belgique. S'il est bien un pays pour lequel la construction européenne a un sens, c'est le Vôtre. La Belgique représente la pierre angulaire de l'idée européenne. Et c'est toujours une voix européenne qu'elle fait entendre, comme au début de ce mois, à Rome, en rappelant avec force à nos partenaires de la Conférence Intergouvernementale que "l'Europe, c'est d'abord un projet politique".

Telle est la vision de la Belgique, celle aussi de la France et de leurs quatre partenaires signant ensemble à Rome, le 25 mars 1957, le Traité fondateur. C'est la vision qui animait Paul-Henri Spaak, avec Jean Monnet, Konrad Adenauer, Robert Schuman, Alcide de Gasperi, ces grands artisans de la réconciliation et de l'union de l'Europe. Tous nourrissaient le rêve d'une Europe fraternelle, où soufflerait l'esprit de liberté et de justice, où s'enracineraient la démocratie et la paix. Une Europe capable de taire ses divergences, de transcender les intérêts nationaux pour que triomphe l'intérêt supérieur de notre Union.

Côte à côte, nous l'avons été pour mener à bien l'élargissement et les retrouvailles de l'Europe. Côte à côte, nous le sommes maintenant pour faire progresser l'Europe, pour l'approfondir, pour la rapprocher de ses citoyens. Pour lui donner ce supplément d'âme, lui permettre d'acquérir toute sa dimension politique et au-delà, d'accomplir sa vocation humaniste. Pour défendre ce nouveau projet fondateur, ce traité constitutionnel qui consacrera le dessein politique de l'aventure européenne. Ensemble, nous voulons réussir la Conférence Intergouvernementale avant la fin de l'année, en appelant nos partenaires à préserver l'équilibre général du projet proposé par la Convention.


Dans cette négociation permanente, souvent délicate et émaillée de crises, c'est normal, qu'est la construction européenne, la Belgique joue un rôle à la fois exemplaire et crucial. Exemplaire, parce qu'elle a compris avant beaucoup d'autres que partager la souveraineté, c'est la conforter et l'accroître dans un univers où s'estompent les frontières, où les distances ne comptent plus, où l'horizon des êtres et le champ du politique s'élargissent au monde tout entier.

Votre pays, fondé sur un réseau de cités si puissantes qu'elles ont subi l'invasion sans jamais se défaire, a su organiser, selon un modèle original, la coexistence de plusieurs espaces linguistiques et inventer en permanence des solutions imaginatives et équilibrées pour surmonter les différends.

Dans l'Union, forts de cette expérience, de votre dialogue approfondi aussi avec les Pays-Bas et le Luxembourg, vous êtes souvent à même de trouver les passerelles entre les intérêts nationaux, de désamorcer les méfiances, de dépasser les clivages. La construction européenne a besoin de ce rôle de médiateur qu'y joue la Belgique, en même temps que celui de gardienne vigilante et exigeante des principes et du sens de l'aventure européenne.

La construction européenne progresse par la volonté des Etats membres les plus résolus à aller de l'avant. Et c'est bien souvent de Bruxelles, que viennent les initiatives originales et hardies, comme en a témoigné récemment l'invitation du Premier ministre, M. Guy Verhofstadt, à développer l'Europe de la Défense. Cette Europe de la Défense, la Belgique et la France, lui donnent depuis quelques années déjà une réalité en participant à l'Eurocorps. Ainsi l'Europe, plus crédible, en particulier au sein de l'Alliance atlantique, s'affirme aussi dans le monde pour y faire entendre son message de démocratie et de paix.


Ce monde, Sire, Madame, sur lequel Belges et Français portent souvent le même regard.

Notre approche identique de la crise iraquienne et de la situation au Proche-Orient a montré notre attachement aux Nations Unies et au système multilatéral, et notre refus d'une société internationale sans règles.

Pour vous et nous, il n'y a pas d'alternative aux Nations Unies. Elles seules assurent la participation de tous à la gestion des affaires du monde. Elles seules garantissent la légitimité et la démocratie, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de décider du recours à la force ou d'édicter des normes universelles. Ensemble, nous avons milité en faveur de la Cour Pénale Internationale, à vocation universelle, et dont l'installation constitue un progrès considérable de l'état de droit international et de son exigence éthique.

La Belgique et la France se retrouvent pour plaider en faveur du développement durable et de ce continent africain dont nous avons parlé Sire, tout à l'heure et qui nous tient tant à coeur. A Monterrey puis à Johannesburg, la communauté internationale a ouvert la voie de nouveaux partenariats porteurs d'espoir et qui répondent à notre souci commun d'enrayer en Afrique l'enchaînement fatal de la pauvreté, de la violence et de l'exclusion.

Enfin, c'est ensemble que nous menons le grand combat pour la diversité culturelle. Car nous revendiquons l'égale dignité des cultures et la valeur du dialogue. Car nous récusons la prétendue fatalité d'un choc des civilisations. Nous le faisons dans la Francophonie dont la Belgique s'est faite un ardent défenseur.

Chaque jour, la Belgique fait vivre en son sein la diversité des cultures et des talents, comme en témoigne l'intense créativité de la littérature flamande que le dernier Salon du Livre à Paris a mis à l'honneur. La Belgique incarne bien l'ambition de la Francophonie qui n'est pas seulement la défense de la culture francophone, qui ne se bat pas pour la seule langue française mais qui se veut le porte-parole, sur la scène mondiale, de toutes les cultures et de toutes les langues.


Sire, Madame, c'est fort de cette profonde unité de pensée et d'action, de cette vision commune que nous poursuivons la main dans la main pour l'Europe et pour un monde où règnent le droit, le respect mutuel, l'esprit de dialogue, la solidarité et donc la paix, que je vais maintenant lever mon verre.

Je le lève, Sire, en Votre honneur et en l'honneur de Sa Majesté la Reine Paola, à qui je présente mes très respectueux hommages. Je le lève à la santé et au bonheur de la famille royale de Belgique, de Leurs Altesses Royales le Duc et la Duchesse de Brabant que mon épouse et moi-même avons eu grand plaisir à recevoir, il y a quelques mois. J'y ajoute une pensée toute particulière et affectueuse pour leurs enfants, la Princesse Elisabeth et le Prince Gabriel dont la naissance est venue marquer cet été le dixième anniversaire de Votre règne.

Je le lève en l'honneur des hautes personnalités belges et françaises qui nous entourent ce soir, et en l'honneur de la Belgique, à son avenir, à son destin si étroitement et à jamais mêlés aux nôtres.





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