Allocution du Président de la République à l'occasion du dîner d'État offert par le Président de l'Algérie.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du dîner d'État offert par M. Abdelaziz BOUTEFLIKA, Président de la République algérienne démocratique et populaire.1

Alger, Algérie, le dimanche 2 mars 2003

Monsieur le Président de la République,

Au soir de cette première journée en Algérie, je ressens une vraie et grande émotion. Emotion après l'accueil exceptionnellement chaleureux que m'ont réservé cet après-midi les Algéroises et les Algérois sur le front de mer et à Bab el Oued. Emotion et honneur d'être parmi vous ce soir, dans ce lieu chargé d'histoire. Emotion d'être l'hôte d'un ami, d'un ami cher, mais aussi d'un homme d'Etat qui incarne l'Algérie d'aujourd'hui et qui donne à ce grand pays toute sa place dans le concert des nations. D'un chef d'Etat, le Président Abdelaziz Bouteflika, dont je salue le courage et la détermination.

Je mesure la dimension historique de notre rencontre : la première visite d'Etat d'un Président de la République française depuis l'indépendance de votre pays en 1962 ! C'est dire la puissance symbolique de cette invitation dont mon épouse et moi-même vous remercions chaleureusement et de tout coeur, Monsieur le Président de la République.

Peu de pays entretiennent des relations aussi profondes, charnelles, complexes, que l'Algérie et la France. Cette histoire riche est gravée dans la mémoire de nos deux peuples. Elle fut heurtée, parfois cruelle, tragique, douloureuse. Je pense, bien sûr, aux déchirements et aux plaies de la guerre d'Algérie, votre guerre d'indépendance. Le général de Gaulle a eu l'intuition et l'ambition de la "paix des braves". Il a voulu très tôt que la France, dans l'honneur et dans la dignité, coopère avec l'Algérie nouvelle pour le bien de nos deux peuples. Et cette volonté fut partagée par les Algériens. Plus de quarante années se sont écoulées. Le temps est venu, avec l'amitié et la confiance retrouvées, de regarder l'avenir avec sérénité.

Mais j'ai aussi à l'esprit la tragique décennie écoulée, au cours de laquelle l'Algérie a souffert au plus profond de sa chair, face aux assauts du terrorisme. Et je veux dire au peuple algérien qu'au cours de cette période, le peuple français a partagé sa douleur, qu'il a admirée, et que, pour ma part, j'ai beaucoup admiré son courage et sa dignité.

Nos destins sont liés. Nos deux peuples sont proches. Par la géographie, mais aussi par un attachement profond à leurs propres racines, à leur identité, à leur culture commune à leur environnement méditerranéen. L'un et l'autre ont forgé, dans leur histoire, un caractère farouchement indépendant. Nos deux peuples aspirent également à vivre côte à côte, dans la paix, le respect mutuel, la confiance et l'amitié.

La France, aujourd'hui, suit avec attention, amitié et espoir les évolutions de votre pays. Partout, en Algérie, comme en France, les sociétés doivent gagner en dynamisme et en audace, libérer les énergies, susciter l'engagement de chacun, s'affranchir des rigidités pour inventer une nouvelle relation de l'homme à la société, à son environnement et au monde. C'est pourquoi la France veut accompagner les grands chantiers que votre pays a lancés pour tirer le meilleur parti de son ouverture au monde, pour moderniser l'Etat, pour définir un nouveau projet de société où se développe l'initiative individuelle et s'épanouisse ce formidable atout que représente votre jeunesse.


Monsieur le Président de la République,

Quel meilleur socle que la diversité et la singularité de nos liens culturels et humains, pour bâtir un authentique partenariat, résolument tourné vers l'avenir ?

Partenariat politique d'abord. Votre pays occupe toute sa place, beaucoup grâce à vous, Monsieur le Président, sur la scène internationale. Il est présent et actif dans de nombreuses enceintes, où sa voix est écoutée, qu'il s'agisse du système des Nations Unies ou de la Ligue arabe, de l'Organisation de la conférence islamique, de l'Union africaine, du processus euro-méditerranéen. A travers le NEPAD, vous jouez un rôle majeur, Monsieur le Président, dans la définition d'une nouvelle approche du développement du continent africain. Et je me réjouis que, sur l'essentiel, l'organisation et l'équilibre du monde dans un cadre multipolaire, le rôle central des Nations Unies, la lutte contre le terrorisme, le dialogue entre les cultures et les civilisations, nos positions se rejoignent si souvent.

Nous partageons le même rêve d'une Méditerranée qui soit un véritable espace d'échanges, de solidarité, de dialogue, de paix, de prospérité. La relation de l'Algérie avec la France, c'est aussi une relation de l'Algérie avec l'Union européenne. C'est pourquoi nous avons fortement appuyé la signature de votre accord d'association. Cet ambitieux partenariat doit produire tous ses effets, en termes de progrès économique et social. Et la France vous apportera tout son soutien, comme elle veillera à ce que l'Union européenne, en cours d'élargissement, sache proposer à l'Algérie et à ses partenaires du Maghreb et de la Méditerranée une relation toujours plus étroite.

Nous croyons à l'intégration régionale, aux solidarités de voisinage. C'est le sens de notre démarche en Europe, qui participe pleinement de notre vision d'un monde multipolaire. C'est ce à quoi aspire l'Union du Maghreb arabe. Et j'accueille avec espoir la perspective d'un sommet de cette enceinte de coopération.

La crise internationale très grave qui s'est ouverte sur la question de l'Iraq a vu la France, comme l'Algérie, choisir la voie du désarmement dans la paix. Nous voulons la mise en oeuvre de la résolution 1441, dont toutes les possibilités doivent être explorées. L'usage de la force ne peut constituer qu'un ultime recours. Il y a une alternative à la guerre. Il est indispensable que l'Iraq coopère pleinement et activement avec les inspecteurs et réponde aux exigences de la communauté internationale, exprimées dans le cadre des Nations Unies, cadre qui est le seul légitime pour toute action.

Au Proche-Orient, l'Algérie et la France partagent la même vision de la paix. Fondée sur le respect du droit international, elle doit aboutir, pour être juste et durable, à la création d'un Etat palestinien viable et en paix avec un Etat d'Israël lui-même en sécurité et pleinement reconnu par l'ensemble du monde arabe, comme celui-ci l'a proposé à l'occasion du sommet de Beyrouth. La communauté internationale doit agir avec détermination pour trouver enfin les voies d'une solution à cette crise qui nourrit la frustration, l'humiliation, le sentiment d'injustice.

En Afrique également, nos efforts conjoints peuvent faire progresser la paix et l'intégration régionale. Il y a quelques jours, au sommet Afrique-France, nous avons exploré ensemble, Monsieur le Président, les réponses aux crises qui secouent cette région du monde et auxquelles des populations désemparées paient un très lourd tribut.


Monsieur le Président de la République,

Nous voulons donner une impulsion historique à notre relation, la porter à un très haut niveau de confiance et de densité. Pour cela, multiplions les concertations. Amplifions les relations entre nos Parlements et entre nos collectivités territoriales. Appuyons-nous davantage sur l'enthousiasme et le dynamisme de nos sociétés civiles. C'est dans cet esprit, Monsieur le Président, que nous avons adopté une Déclaration commune qui marque solennellement notre volonté refondatrice et qui est le prélude à notre Traité.

Appuyons-nous sur cette formidable richesse humaine qui lie nos deux pays. La présence en France d'une nombreuse communauté algérienne constitue un atout majeur. Ces Algériens de France, et les Français qui vivent dans votre pays, ont développé entre les deux rives de la Méditerranée des intérêts, des projets ou des rêves communs. Le puissant élan de solidarité qui s'est manifesté de part et d'autre, au lendemain de la catastrophe de novembre 2001, a illustré la force de ce lien. Et j'ai toujours en mémoire, vous l'avez évoqué tout à l'heure, ces moments bouleversants vécus à vos côtés lors de ma visite à Bab El Oued, où je me suis rendu à votre initiative à nouveau, tout à l'heure, avec la même émotion.

La confiance que nous avons en l'Algérie et en son peuple nous incite à aller plus loin dans notre partenariat économique. La France est déjà, vous l'avez dit, le premier partenaire commercial de l'Algérie, dans une relation équilibrée et dense. Mais nous voulons susciter un élan d'investissements français et internationaux vers l'Algérie. Déjà, la France, au tout premier rang des investisseurs, contribue à l'effort de diversification de votre économie et à la création d'emplois comme à la formation des travailleurs. La présence parmi nous, ce soir, de nombreux acteurs de la vie économique française, et parmi les plus éminents, témoigne de notre volonté de nous engager plus résolument à vos côtés, pour contribuer à vos grands projets d'infrastructure et de développement, mais aussi participer aux privatisations que vous déciderez. Je ne doute pas de votre détermination à faire bénéficier les entreprises de l'environnement économique et de la sécurité juridique qui leur sont nécessaires.

Monsieur le Président de la République,

Votre présence au sommet de la Francophonie, à Beyrouth, a souligné votre engagement en faveur de la diversité culturelle et votre attachement au dialogue des cultures. La famille francophone vous a accueilli avec enthousiasme. Elle respecte profondément l'identité algérienne, comme elle respecte celle de chacun de ses membres. L'affirmation de la richesse culturelle nationale est compatible avec l'acquisition d'autres langues. Dans cet esprit, la France est disposée à contribuer au renforcement de l'enseignement du français dans votre pays, comme je souhaite qu'elle encourage, chez elle, l'apprentissage de la langue arabe qui est, à l'heure de la mondialisation, un atout tout à fait essentiel.

L'éducation, dont dépend la force de nos pays dans l'avenir, a vocation à occuper une place de choix dans notre coopération. Des milliers de jeunes Algériens étudient en France. Des dizaines d'accords rapprochent nos universités et nos centres de recherche. D'importants programmes de bourses et de formations facilitent les échanges. Ils peuvent être encore considérablement développés.Notre dispositif de Centres culturels remonte en puissance et s'élargit à de nouveaux publics. Nous devons poursuivre dans cette voie.

Nous avons décidé ensemble d'ouvrir, à Alger, une Ecole supérieure algérienne des affaires pour offrir le meilleur de nos formations à vos cadres de demain. Par ailleurs, nous avons décidé ensemble de créer un Haut-Conseil franco-algérien de coopération universitaire et de recherche. Il nous permettra de fédérer les initiatives communes et de multiplier les actions concrètes en vue de la rénovation de l'Université algérienne et de l'Université française, rénovation toujours nécessaire. Dans tous les secteurs, nous mettrons ainsi notre outil éducatif au service de l'Algérie.

Ce sont les échanges humains qui irriguent notre relation. C'est pourquoi, nous attachons à la question de la circulation des personnes toute l'importance qu'elle mérite. Après la réouverture du Consulat général d'Annaba, nous inaugurerons en 2004 le nouveau Consulat général d'Oran. Nous sommes déterminés à mettre en place tous les moyens qui faciliteront, dans un esprit de responsabilité partagée, la délivrance des visas.

Monsieur le Président de la République,

En 2000, lors de votre visite d'Etat, nous avons décidé d'un grand rendez-vous entre nos deux pays. Depuis deux mois, la France célèbre avec éclat l'Année de l'Algérie. Son succès, je vous l'ai dit, va bien au-delà de nos espérances. Partout en France, votre patrimoine et l'effervescence créatrice de votre pays se déploient pour faire connaître les mille visages de la culture et de la personnalité algériennes.


Je crois dans l'avenir de l'Algérie et dans celui de nos relations. Puisse ce message de confiance et d'amitié nous permettre de construire ensemble notre destin. Comme nous l'avons décidé, sachons désormais privilégier tout ce qui nous unit. Sachons rassembler nos forces pour refonder la relation d'exception qui existe tout naturellement entre l'Algérie et la France.

Vive la grande amitié entre nos deux peuples et nos deux pays !

Vive l'Algérie et vive la France !





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