Discours du Président de la République à propos de la présidence française du sommet d'Evian.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la Républiqueà propos de la présidence française du sommet d'Evian.1

Palais de l'Élysée, le mercredi 21 mai 2003

Mesdames et Messieurs les Ministres, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames, Messieurs,

Dans quelques jours, la France accueillera à Evian le sommet du G8 et une réunion élargie de chefs d'Etat et de Gouvernement du Nord et du Sud. Les autorités françaises préparent ces rencontres en étroite concertation avec leurs partenaires, et ceci naturellement dans un esprit d'ouverture. Et je remercie particulièrement nos voisins et amis suisses pour l'excellente coopération qu'ils nous apportent dans l'organisation de ce sommet. Je tiens à leur exprimer ma très profonde reconnaissance.

A vous qui représentez à Paris les Etats et les organisations internationales, à vous qui représentez ici le monde politique, la société civile ainsi que les entreprises et les syndicats, je souhaite dire à quel point le dialogue étroit que nous avons entretenu, directement ou par l'intermédiaire des membres du Gouvernement ou de mes collaborateurs, a été un dialogue précieux. Les consultations auxquelles vous avez activement participé ont permis de préciser et d'enrichir la position française ainsi que les discussions préparatoires entre les représentants des pays du G8.

Je souhaite vous dire également comment la France envisage ce rendez-vous, comment Evian peut contribuer à l'essentiel aujourd'hui, c'est-à-dire au retour de la confiance et de la confiance dans la croissance.

Car le monde doute, partagé, tiraillé entre l'espérance et la crainte. Admiratif devant des progrès scientifiques et techniques sans précédent dans l'Histoire, avec leurs extraordinaires perspectives, leurs formidables promesses. Mais inquiet de la puissance accrue que ces progrès lui confèrent.

Rasséréné de voir le commerce mondial démultiplier les liens entre les économies. De vérifier, dans les faits, que le développement arrache à la misère des millions d'hommes et de femmes. Mais révolté par la dureté de certaines conséquences de la compétition économique et par l'écart croissant entre les pauvres et les riches.

Un monde enthousiaste devant le progrès des libertés, de la démocratie, d'un accès sans limite aux cultures. Mais un monde qui craint de se perdre dans un mouvement incontrôlé où les peuples abdiqueraient leurs identités et risqueraient l'uniformisation.

Voilà pourquoi le monde doute. Voilà pourquoi il est urgent de dissiper les craintes, de désamorcer les violences, de dégager l'horizon.

Après des mois difficiles, Evian est l'occasion de démontrer que les nations peuvent et veulent s'entendre, agir ensemble au service de l'homme, par la croissance de leurs économies et par la réalisation des engagements du millénaire et ceux de Johannesburg.

Le G8 n'est certes pas un directoire du monde. Cependant, par le poids économique et les responsabilités de ses membres, cette enceinte de libre discussion entre pays amis et alliés dispose d'une capacité d'impulsion et de mobilisation autour d'objectifs communs et de responsabilités.

Je souhaite que nous portions à Evian un message de volonté et de confiance : - confiance en notre aptitude à créer les conditions d'une croissance économique forte. C'est notre responsabilité. - confiance en notre aptitude à réussir un développement durable. C'est le devoir de solidarité. - confiance en notre aptitude à répondre aux défis du terrorisme et de la prolifération. C'est l'exigence de sécurité.


Nous venons de subir, ces deux dernières années, un ralentissement très significatif de la croissance mondiale, aggravé par les incertitudes internationales. Il a touché toutes les grandes zones économiques. Dans la plupart des pays développés, le chômage a repris, les déficits publics se creusent, les entreprises, grandes et petites, connaissent des temps difficiles et les ménages sont inquiets. Cette situation est préjudiciable à la croissance mondiale et aussi au développement du Sud.

Pourtant, toutes les conditions sont maintenant réunies pour un rebond de l'économie. Il ne faut pas rater ce tournant. Des incertitudes se sont levées. La bulle boursière a éclaté et l'instabilité financière s'atténue. Le prix du pétrole est redevenu raisonnable. Les taux d'intérêt sont bas et peuvent continuer de baisser. Les stocks des entreprises doivent être reconstitués. La consommation et l'investissement doivent pouvoir redémarrer. La confiance peut revenir.

A Evian, il appartiendra à tous les participants d'adresser au monde ce message de confiance : nous sommes décidés à tout faire pour que l'économie mondiale redémarre. Déterminés à poursuivre des réformes structurelles qui accroissent l'efficacité et la productivité de nos économies. Résolus à baisser les impôts et les charges pour libérer les énergies créatrices, pour la croissance et pour l'emploi.

Au-delà, une croissance forte n'est possible qu'avec une confiance renouvelée dans notre système économique. Elle a été sérieusement ébranlée, dans un passé récent, par des scandales financiers et comptables aux lourdes conséquences. Elle est affectée aussi par l'impression que la mondialisation sert d'alibi à des opérations de dumping social ou environnemental préjudiciables au bien-être présent et futur des populations.

Le G8 entend apporter une réponse à ces craintes en affirmant les principes d'une économie de marché responsable. Nous confirmerons notre confiance dans l'économie de marché, pourvu que des garde-fous existent en matière financière, sociale et environnementale. Pourvu que tous les acteurs économiques -les entreprises bien sûr, petites et grandes, mais aussi les acteurs financiers et les Etats eux-mêmes- adoptent un comportement responsable au regard de ces principes.

En affirmant ainsi l'éthique de l'économie de marché responsable, nous manifesterons une conviction, dont je sais -votre présence en témoigne-, qu'elle est partagée par la plupart des chefs d'entreprises et de plus en plus d'investisseurs financiers.

Le renouvellement de la confiance passe aussi par la prévention et le traitement des crises financières régionales. On ne dit pas assez le chemin parcouru depuis la crise asiatique. La situation a été profondément assainie. Grâce aux évolutions du Fonds Monétaire International, en particulier par une meilleure prise en compte de la dimension sociale des crises, grâce à l'élaboration de codes de conduite et de règles prudentielles, nous sommes désormais mieux armés, sinon pour anticiper toutes les crises, du moins pour en prévenir la contagion. Cela reste l'un des dossiers prioritaires du G8.

Notre message de confiance dans l'économie viendra enfin de ce que nous dirons sur les perspectives du commerce mondial. Nous tenons à tel point pour acquise la liberté des échanges commerciaux que nous avons oublié les ravages du protectionnisme des décennies passées. L'exemple de nombreux pays en Asie ou en Amérique latine, démontre que la croissance économique est amplifiée par le développement des échanges internationaux.

Mais le libre échange n'est pas le laisser-aller. Il faut que l'ouverture des échanges, définie dans le cadre de l'OMC, s'accompagne de règles du jeu précises. Nous disons oui à l'ouverture accrue, dans le respect des droits de l'homme, des droits sociaux, de la protection de l'environnement. Nous disons oui à l'ouverture des services, dans le respect de l'exception culturelle et des grands services publics que sont notamment la santé et l'éducation. Nous disons oui à l'ouverture de l'agriculture, dans le respect de la politique agricole commune et de l'objectif de sécurité alimentaire que poursuivent légitimement les pays en développement.

Pour que le cycle de Doha aboutisse, il faut qu'il soit tourné vers l'accès des produits des pays pauvres aux marchés des pays riches. D'où les propositions que j'ai présentées en février dernier en faveur de l'Afrique, notamment sur l'agriculture, et que la Commission européenne a fait siennes, ce dont je me réjouis.

Car l'Afrique a besoin d'un régime particulier dans le commerce international : un régime de préférences harmonisées ; un régime qui assure la prévisibilité des recettes tirées de l'exportation des matières premières ; un moratoire sur toutes les formes déstabilisantes de soutien aux exportations agricoles.

Des politiques macro-économiques résolument dynamiques, un consensus sur les principes d'une économie de marché responsable, des marchés financiers internationaux plus stables, un commerce mondial plus ouvert et mieux régulé, voici les perspectives qui s'offrent à nous, voici à quoi nous travaillerons à Evian, pour la croissance.


La croissance, indispensable pour arracher à la misère cette moitié de l'humanité qui vit en dessous, et souvent largement en dessous, du seuil de pauvreté. La croissance, accompagnée d'une révolution écologique afin de mettre un terme à l'aberration par laquelle le monde prélève sur les ressources naturelles au-delà, souvent bien au-delà, des capacités de reconstitution de la planète.

Nous annoncerons à Evian des décisions qui manifesteront la détermination des pays industrialisés à mettre en oeuvre les engagements de Monterrey et les engagements de Johannesburg.

Je pense d'abord à l'Afrique. Ce continent est marginalisé. Mais ses dirigeants veulent changer la donne. Nous avons décidé de participer à ce changement, de travailler en partenariat avec eux, partenariat entre les gouvernements mais aussi partenariat entre les citoyens. Le Sommet d'Evian sera celui de la mise en oeuvre du plan d'action pour l'Afrique adopté à Kananaskis. D'importantes décisions seront prises : lutte contre la famine, préparation d'une force africaine de maintien de la paix, accès au marché, mobilisation de ressources publiques et privées au service de la croissance et des infrastructures, lutte contre la corruption, lutte contre le pillage des ressources naturelles.

Notre solidarité, nous la démontrerons ensuite à propos de l'eau. Nous nous sommes engagés à réduire de moitié d'ici 2015 le nombre de personnes privées d'accès à l'eau potable et à l'assainissement. C'est très ambitieux, notamment en Afrique, mais c'est à notre portée en combinant, sans préjuger des choix souverains de chacun, de bonnes politiques nationales, des modes de gestion démocratiques et décentralisés, des moyens de financement et une approche écologique. Et la France appuie la proposition du Président de la Commission européenne d'affecter 1 milliard d'euros à des actions dans ce domaine.

Il n'est pas de développement humain sans réponse planétaire aux grandes pandémies. Je pense au SIDA, à la tuberculose, au paludisme, qui ravagent des populations entières. Il y a deux ans est né le Fonds mondial. A Evian, nous lancerons le processus qui assurera ses ressources. Je salue, à cet égard, l'ampleur de l'engagement américain. Nous chercherons un accord sur la difficile question de l'accès aux médicaments des pays pauvres non producteurs. Nous renforcerons la recherche contre les maladies que l'on appelle négligées. Nous nous mobiliserons contre la propagation de la pneumopathie atypique, épidémie qu'il faut contrôler au plus vite, par des disciplines internationales renforcées.

Le développement économique passe par cet effort de solidarité, un effort que la France assume en augmentant son aide publique au développement. Mais il doit surtout s'appuyer sur la capacité des pays pauvres à attirer l'investissement privé, notamment en Afrique. Il est fondamental que leur épargne nationale s'investisse chez eux et que les entreprises y reviennent. Pour cela, la bonne gouvernance est évidemment essentielle. Il leur faut également des finances saines. Pour les plus pauvres, l'exécution plus rapide de l'initiative d'annulation de la dette ainsi que des mécanismes financiers innovants sont nécessaires. Je pense à des systèmes de garantie ou à des propositions comme l'initiative financière internationale, présentée par le Royaume-Uni, et à laquelle la France s'est associée.

Le G8 a toujours été un lieu de vifs débats sur la protection de l'environnement. Les travaux n'y ont jamais été faciles, tant les approches sont différentes, mais c'est là qu'ont été prises les décisions qui ont rendu possible la lutte, ou le début de lutte, contre le changement climatique. C'est là que s'est produite une prise de conscience au plus haut niveau des menaces de la déforestation et de l'appauvrissement de la biodiversité. C'est là qu'a été conduite une réflexion sur l'impératif de précaution.

La France, qui adoptera bientôt sa charte constitutionnelle de l'environnement, entend pour sa part être exemplaire.

Face au problème urgent du réchauffement climatique, elle est convaincue, comme la plupart de ses partenaires, que la voie la plus sûre, la plus efficace, la plus nécessaire est la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto. Je le redirai avec force.

Mais sans attendre que ce texte fondamental devienne universel, et pendant que nous en appliquons les dispositions, il faut construire des systèmes durablement économes en gaz à effet de serre. Evian adoptera un plan d'action destiné à mettre l'innovation scientifique et technologique au service de la lutte contre le changement climatique.

Cette même volonté de protéger l'environnement inspire les décisions que nous adopterons, à l'initiative du Royaume-Uni et de l'Allemagne, pour une meilleure gestion des ressources halieutiques, pour mieux protéger nos côtes contre les navires-poubelles et pour en accélérer l'élimination.

La santé, l'alimentation, l'accès à l'eau, un environnement sain constituent pour la France des droits fondamentaux. En agissant pour leur réalisation à l'échelle mondiale, en partenariat avec le Sud, le G8 adresse un message de confiance dans notre aptitude à construire ensemble un monde uni et solidaire.


La confiance exige enfin davantage de sécurité. L'envers de la mondialisation, c'est une plus grande vulnérabilité face à des fléaux globaux comme le terrorisme, la prolifération d'armes de destruction massive, le trafic de drogue ou le crime organisé sous toutes ses formes. Nous avons besoin, au niveau mondial, de systèmes de police efficaces pour conforter les efforts nationaux de lutte contre toutes les formes de crime.

Le G8 a une longue expérience dans ce domaine. Il a adopté à Lyon, en 1996, un programme ambitieux de lutte contre le crime organisé, le crime financier et le terrorisme. C'est aussi dans ce cadre qu'ont été préparées bien des initiatives communes qui ont abouti à l'adoption par les Nations Unies de conventions et de régimes de contrôle.

Dès le lendemain des tragiques attentats du 11 septembre, le G8 a pris toute sa part au combat contre le terrorisme. Les décisions de Kananaskis ont été appliquées avec détermination. Mais l'actualité nous montre chaque jour la réalité de la menace. Cette année, nous améliorerons notre dispositif en offrant aux pays qui en ont besoin une coopération internationale et institutionnelle destinée à renforcer leurs capacités nationales.

Dans le même esprit, un travail considérable a été accompli pour assurer la mise en oeuvre de l'initiative de prévention de l'accès des terroristes aux armes de destruction massive, en particulier celles entreposées sur les territoires de l'ex-Union soviétique. La France, comme ses partenaires, prépare avec la Russie de nombreux projets.

De façon plus générale, nous discuterons à Evian de la question essentielle de la non-prolifération. Plusieurs pays développent des programmes prohibés. Nous ne sommes pas prêts à l'accepter et nous agissons dans le cadre légitime du droit et de la loi internationale.


Mesdames et Messieurs,

Au coeur des discussions d'Evian, il y a notre volonté de contribuer à la sécurité, la croissance et la stabilité. Mais il y a aussi la conviction que nous participons à une entreprise plus ambitieuse, à la construction d'une gouvernance mondiale, à l'affirmation de valeurs universelles, d'autant plus fortes qu'elles seront revendiquées par tous.

Voilà pourquoi j'ai tenu à ce qu'un dialogue étroit soit conduit avec toutes celles et tous ceux qui sont partie prenante à la mondialisation. Et je compte sur ceux qui se rassembleront autour d'Evian, en Suisse comme en France, afin de dire leurs espoirs et leurs craintes, pour le faire dans l'esprit de sérénité et de respect de l'autre qui donnera toute sa légitimité à leur action.

La mondialisation appelle le dialogue. C'est pourquoi j'ai souhaité, prolongeant les initiatives déjà engagées par le Japon, l'Italie et le Canada, réunir à Evian le 1er juin des responsables de pays émergents et de pays pauvres, afin que nous évoquions ensemble, et très librement, les grands enjeux du monde contemporain.

Si nous voulons que la mondialisation déploie ses effets au bénéfice du plus grand nombre, de tous, ce qui est souhaitable, qu'elle soit abordée par chacun dans un esprit de responsabilité, il faut impérativement que tous soient assis d'une façon ou d'une autre à la table et participent aux discussions nécessaires à sa maîtrise et à son humanisation.

J'ai confiance dans l'aptitude de l'humanité à trouver, par sa volonté, son intelligence et sa capacité d'adaptation, des réponses aux défis du monde moderne. Et j'ai la conviction que notre génération saura créer les institutions et les règles d'une démocratie planétaire ouverte et solidaire. Tel est le grand chantier auquel Evian doit et peut apporter sa pierre. Je vous remercie.





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