Allocution du Président de la République devant le Congrès mondial des jeunes agriculteurs.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, au Congrès mondial des jeunes agriculteurs.

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Paris, le vendredi 13 juin 2003

Monsieur le Ministre, Monsieur le Directeur général de la FAO, Monsieur le Président des jeunes agriculteurs français, une institution à laquelle je tiens à rendre particulièrement hommage.

Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

C’est avec un grand plaisir, Monsieur le Président, que j’ai accepté votre invitation au Congrès mondial des jeunes agriculteurs.

Vous tous, jeunes agricultrices et agriculteurs du monde entier qui venez de plus de 120 pays différents, soyez les bienvenus en France. Nous avons pour vous beaucoup d'estime, de reconnaissance et d'amitié.

Ce congrès mondial est un rendez-vous important. Car le métier d’agriculteur, le plus universellement répandu, est aussi, trop souvent, mal compris. Il est essentiel de rappeler que l’agriculture ne se réduit pas au cadre commercial dans lequel les négociations internationales prétendent trop souvent l’enfermer. Parler d’agriculture, c’est d’abord être confronté aux grands enjeux sociaux et éthiques de notre monde, confronté à la dignité de la personne et au développement humain.

Il n’y a pas de dignité de la personne lorsque la subsistance de chacun n’est pas assurée. La lutte contre la pauvreté et contre la faim nécessite l’adoption au niveau national et international de politiques économiques, environnementales et sociales appropriées. A Evian, il y a quelques jours, nous avons réaffirmé notre détermination à travailler à l’élimination des problèmes de sous-alimentation à l’horizon 2015. Avec le Président du Brésil, dont je salue les propositions généreuses, nous avons eu, sur ce sujet, des débats très riches qui ont encore renforcé notre détermination.

Dans la lutte contre la malnutrition, les agricultrices et les agriculteurs tiennent un rôle central.

La noblesse du métier du métier de paysan tient à sa fonction première, celle de nourrir les hommes. Elle tient aussi à la relation particulière qu’entretiennent les agriculteurs avec la nature et à leur capacité à s’y adapter partout dans le monde. Il n’y pas une agriculture, mais des agricultures très diverses selon les climats et les sols, les cultures.

Dans toutes nos sociétés, le métier d’agriculteur tient une place essentielle. Il bénéficie d’une estime particulière, qui est justifiée et qui doit être entretenue. Au-delà de sa fonction productive, l’agriculture contribue, dans les pays développés, à la mise en valeur de l’espace. Dans les pays en développement, elle demeure la base de l’organisation sociale et économique, sans laquelle tout développement est voué à l’échec.

Aucun pays n’est sorti du sous-développement sans s’appuyer d’abord sur ses paysans. Avant de porter sur le commerce international, les débats sur l’agriculture, à l’échelle mondiale, sont bien, fondamentalement, des débats sur la souveraineté alimentaire - une souveraineté qui passe par le développement agricole.

Je suis surpris de constater combien cette évidence a disparu progressivement des discours et des actions en matière de développement au cours des vingt dernières années.

Les agronomes de la faim ont été remplacés par d’autres experts qui, trop souvent, ont négligé ou mal compris la question agricole. Or, avec les infrastructures de transport, l’agriculture constitue encore la base d’un développement économique durable notamment dans les pays les plus pauvres.

Certes, les institutions internationales, au premier rang desquelles la F.A.O., conduisent des actions utiles et importantes. Nous nous sommes engagés à augmenter les crédits d’aide au développement qui étaient tombés à des niveaux inacceptables. Mais certaines actions doivent être reconsidérées, car elles s’accompagnent d’effets pervers que l'on ne peut plus ignorer. Ainsi, par exemple, l’aide alimentaire, si nécessaire, si indispensable dans les cas d’urgence, empêche ou freine le développement agricole lorsqu’elle devient systématique. Il est dès lors légitime que les pays qui en bénéficient veuillent sortir de cette dépendance.

Mais la souveraineté alimentaire est difficile à garantir pour chaque pays parce qu’elle est contrariée par de fortes contraintes agronomiques, climatiques ou démographiques. Ainsi, chaque année dans le monde, quinze millions d’hectares sont gagnés pour l’agriculture, mais huit disparaissent par la dégradation des sols et l’urbanisation. De même, l’accès à la ressource en eau constitue souvent un obstacle souvent insurmontable. D’où l’importance des engagements pris, cette année, à Kyoto, puis à Evian pour mobiliser l’aide internationale et les investissements privés dans le domaine de l’eau.

Toutes ces contraintes confèrent à l’agriculture sa singularité dans les économies locales et dans le commerce international.

L’agriculture n’est pas une activité économique banale. Elle est, plus que toute autre, contrainte par des phénomènes naturels difficilement maîtrisables. Les rythmes biologiques règlent les cycles de production, qui sont longs et nécessitent des capitaux importants au regard des revenus attendus. En dépit des progrès réalisés dans la lutte pour la protection des animaux et des cultures, l’activité agricole demeure très sensible aux attaques d’agents pathologiques extérieurs. Cette incertitude permanente sur les volumes de production et sur leur qualité crée l’insécurité alimentaire.

J’ajoute qu’un aliment n’est pas et ne peut pas être un produit banal. Il touche à la fois aux équilibres biologiques et aux traditions culturelles d’un pays.

Cela justifie que les produits alimentaires soient traités avec une attention particulière dans les débats sur la mondialisation des échanges. Nous devons adopter une approche équilibrée, respectueuse des cultures et des niveaux de développement de chacun des pays.

Chacun reconnaît l’utilité économique et sociale du développement des échanges mondiaux, chacun s’accorde à vouloir leur donner des bases plus stables. Mais il faut aussi admettre que l’histoire et la réalité géographique et sociale de chaque pays nécessitent des processus de développement longs et différenciés. Ce sont ces processus qui justifient que des "préférences commerciales" continuent d’exister et soient encouragées pour tel pays ou pour tel groupe de pays.

Je propose donc une démarche pragmatique et volontariste. Conforme aux engagements pris par la France et ses partenaires à Monterrey et à Johannesburg, elle consiste d’abord à bien clarifier nos objectifs.

L’objectif que nous devons poursuivre, en matière agricole, c’est d’assurer la sécurité alimentaire pour tous. Les négociations commerciales internationales ne doivent pas le perdre de vue.

Lors du lancement du "cycle du développement" nous nous sommes engagés à réduire les aides agricoles, notamment les aides à l’exportation. Les progrès dans ce domaine seront l’une des clés de la réussite de la réunion ministérielle de Cancun, dont parlait tout à l'heure le Président, et qui aura lieu en septembre prochain. Nous ne pourrons progresser dans cette voie, par ailleurs nécessaire, qu’à trois conditions :

La première est l’engagement et la sincérité de tous dans une telle démarche. Tous les pays concernés doivent y participer et toutes les aides à l’exportation doivent être prises en compte, quelles que soient leur forme et leur niveau.

La deuxième condition est de réduire les aides de manière progressive. Cette phase de transition est essentielle pour les producteurs qui bénéficient de ces soutiens, mais aussi pour les consommateurs. En effet, les aides à l’exportation jouent aujourd’hui comme des subventions aux consommateurs des pays pauvres. Toute augmentation brutale des prix ferait courir des risques économiques et sociaux importants aux pays importateurs.

La troisième condition, conséquence de la précédente, est de cibler en priorité les soutiens qui ont un effet déstabilisant incontestable pour les pays les plus pauvres, en particulier les pays d’Afrique sub-saharienne.

Méfions-nous, en effet, des approches théoriques et globales qui, en définitive, n’auraient pas le résultat escompté. C’est tout le sens des propositions que j’ai présentées lors du sommet Afrique-France en février dernier et que j’ai défendues à Evian, qui ont été par ailleurs adoptées par l'Union européenne :

· Un régime commercial préférentiel spécifique pour les pays africains qui soit simple, clair, durable, et consenti par tous les pays industrialisés.

· Une réflexion sur les moyens de protéger les producteurs pauvres de la volatilité des marchés de matières premières. C’est un sujet compliqué, mais sur lequel l’indifférence n’est plus permise.

· Enfin, un moratoire sur tous les soutiens à l’exportation, quels qu’ils soient qui ont pour effet de déstabiliser les productions vivrières africaines. L’objectif est clair. Il y a des producteurs locaux, qui n’exportent pas, mais qui vivent grâce aux débouchés locaux. Il faut éviter de les déstabiliser par des vagues d’importations imprévisibles.

Et au fond de tout cela, comme le disait tout à l'heure le Président, il y a la nécessité de faire en sorte que chaque paysan puisse vivre dignement du résultat de son travail.

Cette proposition qui n’a pu recevoir l’accord de tous à Evian, l’Europe la maintient dans la perspective de Cancun car ce cycle commercial doit être le "cycle du développement".

Dans le même sens, la mise en cause permanente de la Politique agricole commune européenne nécessite que soit rétablie la vérité. La PAC n’est pas responsable de tous les malheurs du monde.

La PAC est une bonne politique. Elle est le tronc autour duquel l’Europe a grandi, et elle constitue toujours un élément essentiel de son identité. Elle a permis à l’Europe d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et de construire une agriculture moderne. Les débats sur l’élargissement à dix nouveaux pays ont bien montré son rôle intégrateur, un rôle central pour l’Union européenne. Quatre millions d’agriculteurs supplémentaires en bénéficieront dès l’an prochain.

La Politique agricole commune n’est pas l’ennemie de l’agriculture des pays en développement. Les accusations de dumping commercial, de fermeture des marchés sont, des accusations fausses ou de mauvaise foi. Il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, de constater que les cultures les plus déterminantes pour le revenu des agriculteurs des pays en développement sont le coton, le riz, l’arachide, le café ou le cacao dont l’Europe n'est pratiquement pas productrice.

En réalité, nombre de critiques faites à la PAC sont dépassées. Partiellement vraies il y a vingt ans, elles ne le sont plus aujourd’hui, parce que la PAC a beaucoup évolué, qu’il s’agisse du niveau des dépenses ou des aides à l’exportation.

Les dépenses agricoles européennes ont été stabilisées depuis quelques années et sont maintenant plafonnées. Au contraire, les dépenses agricoles américaines ont fortement augmenté et vont continuer d’augmenter.

Quant aux aides européennes à l’exportation, elles ont été considérablement fortement réduites. Le montant des restitutions a été divisé par trois depuis 10 ans et ne représente plus aujourd’hui que 5% des dépenses agricoles. C'est marginal.

Enfin, s’agissant des relations commerciales avec les pays en développement et les pays les moins avancés, l’Union européenne n’a de leçons à recevoir de personne. Elle est aujourd’hui leur premier client pour les produits agricoles. Elle absorbe 85% des exportations agricoles africaines et près de 50% des exportations agricoles sud-américaines. Au total, l’Union européenne importe plus des pays en développement que les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon réunis. Ce qui la dispense d'avoir des complexes. Ce qui ne la dispense pas de faire des efforts.

Voilà pourquoi je continuerai de défendre la PAC. Je le ferai par respect pour les producteurs, les agriculteurs européens comme les autres, qui ont droit à une rémunération équitable de leur travail, et pour les pays qui veulent conserver leur souveraineté agricole et garder à leurs paysans la capacité de vivre, je le répète, dignement du revenu de leur travail.

L’agriculture est une question politique. Je ne serais pas ici, parmi vous, si je n’en étais pas convaincu. Les politiques agricoles ont toute leur légitimité. Défendre la PAC ce n’est pas seulement agir pour l’Union européenne, c’est aussi permettre aux pays qui le souhaitent de développer des politiques agricoles originales, répondant aux besoins de leur population.

Mais, paradoxalement, il faut aussi défendre la PAC au sein de l’Union européenne. La France s’y emploie sans relâche avec les Etats membres qui sont convaincus, comme nous, qu’elle constitue un atout et non pas un handicap. C’est tout le sens de nos positions dans les débats actuels. C’est pour cela aussi que nous n’accepterons pas n’importe quel accord à Bruxelles et que nous refuserons tout risque de payer deux fois, une fois en juin à l'occasion d'un accord et une autre fois à Cancun.

On oublie trop souvent que derrière tous ces débats, il y a des hommes, des femmes, des familles dont le revenu dépend de nos choix. C’est particulièrement vrai pour les paysans des pays en développement.

Il y a deux manières de répondre à l’impératif de sécurité alimentaire dans les pays en développement. La première consiste à considérer qu’il suffit de fournir des produits alimentaires au plus bas coût sur le marché mondial afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. La seconde repose sur le développement des agricultures locales afin de permettre à un maximum de pays d’acquérir leur souveraineté alimentaire.

Cette seconde voie est beaucoup plus exigeante. Mais, à l’expérience, c’est la voie la plus responsable et la plus durable. Elle ne se contente pas de donner aux pays pauvres les moyens de survivre. Elle leur confère la maîtrise de leur développement. Elle permet de pallier les insuffisances d’une libéralisation du commerce des produits agricoles qui ne bénéficie pas aux pays les moins favorisés. Au cours des dernières années, la part de l’Afrique sub-saharienne dans le commerce mondial a été réduite de moitié. L’approche purement commerciale de l’OMC est une approche insuffisante pour engager une réelle dynamique de développement agricole dont la population croissante de notre planète et les pays les plus pauvres ont le plus grand besoin.

Il faut dès lors aborder cette question différemment. Replacer l’agriculture au coeur des enjeux du développement économique des pays les plus pauvres. Redonner du sens aux politiques agricoles et renforcer l’aide au développement et l’appui technique partout où cela est nécessaire. Les pays en développement ont droit à des agricultures modernes. Ils ont le droit, comme nous, de poursuivre l’objectif d’une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable.

Améliorer la productivité technique, organiser les circuits de transformation, développer les services financiers nécessaires, soutenir l’organisation professionnelle des paysans, mieux former les hommes et les femmes, assurer le renouvellement des agriculteurs sont autant de défis que nous devons relever ensemble.

A cet égard, l’accès au progrès technique est déterminant. Il faut mettre le progrès technologique au service du développement des pays pauvres. C’est dans cet esprit que nous devons aborder la question des organismes génétiquement modifiés. Il faut s’assurer qu’ils répondent à de réels besoins et que le principe de précaution, qui est essentiel, est bien respecté. Il faut s’assurer également que les OGM ne deviennent pas un facteur de dépendance supplémentaire des agriculteurs des pays en développement, notamment à l’égard des entreprises productrices de semences.

Toutes ces conditions ne me paraissent pas remplies aujourd’hui. Par ailleurs, chaque pays doit pouvoir faire ce choix en toute souveraineté et dans un esprit de responsabilité.

Les stratégies de développement agricole nécessitent une mobilisation politique forte. A ce titre, je salue, amicalement et respectueusement, l’initiative du NEPAD, prise par les Africains : ils ont su construire un plan d’action mobilisateur et ambitieux auquel, pour ma part, j’apporte tout mon soutien, comme les dirigeants des pays du G8 réunis il y a quelques jours à Evian.

Au-delà des décisions importantes déjà prises, annoncées et mises en oeuvre, telle l’augmentation de l’aide au développement, je tiens ce matin à vous présenter une initiative que je souhaite promouvoir au cours des prochains mois, la création en France d’une Fondation pour l’agriculture et le développement rural dans le monde.

Une telle Fondation permettra de promouvoir un modèle d’agriculture et de ruralité, qui soit à la fois moderne et humain. Elle s’appuiera sur les professionnels et sur nos centres de recherche français dont la qualité est reconnue par tous. Son statut lui donnera toute la souplesse nécessaire pour mettre en oeuvre les projets concrets que réclame une politique de coopération efficace notamment en faveur des pays en développement.

Nous pourrons ainsi apporter un appui technique de haut niveau aux pays les plus pauvres et organiser la réflexion sur les stratégies agricoles de développement.

Ce projet, je le conçois ouvert à tous les pays partenaires qui seraient intéressés par cette démarche pragmatique et ambitieuse.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Notre devoir est de faire de tous les agriculteurs, dans tous les pays, de véritables acteurs économiques et sociaux en mesure d'assumer leur responsabilité. J’ai bon espoir, tant il y a de ressources en chacun d’entre vous. Vous êtes l’agriculture du XXIe siècle et c'est en cela que je tenais à vous rendre hommage.

Nous vous devons le respect parce que vous produisez notre alimentation. Sur tous les continents, votre ardeur et votre détermination constituent un véritable motif d’optimisme pour notre avenir commun. Cet optimisme, je veux le partager avec vous.

Je vous remercie.





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