Discours du Président de la République à l'occasion du Centenaire de la conférence des Bâtonniers.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du Centenaire de la conférence des Bâtonniers.

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La Sorbonne, Paris le vendredi 4 juillet 2003

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Monsieur le Recteur, Mesdames et Messieurs les Bâtonniers, Mesdames et Messieurs,

Je suis, je le disais à l'instant au Président, très heureux de participer avec vous à la célébration du centenaire de la Conférence des Bâtonniers.

Entre la République et votre profession, il y a une longue et vieille relation. Ce cheminement commun, à l'ombre des figures de Léon GAMBETTA ou d'Aristide BRIAND, s'est traduit par la place que beaucoup de vos collègues ont occupée, et occupent encore, au sein de nos institutions républicaines. Il se manifeste dans l'assistance quotidienne que vous apportez aux Françaises et aux Français pour défendre leurs droits. Il trouve également à s'exprimer dans le dialogue que vous entretenez avec le Gouvernement et avec le Législateur pour apporter l'éclairage de votre expérience à la modernisation de notre droit.

Je tiens aujourd'hui à rendre un hommage très sincère à votre profession. Je voudrais saisir cette occasion pour évoquer les enjeux qui me semble liés à son organisation et aux réformes récentes de notre droit.




En un siècle, votre profession a considérablement évolué.

Tout d'abord, elle s'est organisée, sans renoncer à cette indépendance si fortement inscrite dans l'éthique et dans le caractère de ses membres. Plusieurs décennies avant la naissance de syndicats, la création de la Conférence des Bâtonniers a été la première initiative de fédération de la profession, qui s'est structurée autour des barreaux et donc autour des bâtonniers. Le mouvement que vous avez lancé, il y a cent ans, réunit désormais la quasi-totalité des barreaux français, à l'exception notable, il est vrai, de celui de Paris. Il a trouvé une forme d'achèvement, sans doute provisoire, dans la loi du 31 décembre 1990 qui, en créant le Conseil national des barreaux, doté du statut d'établissement public, permet à la profession d'avoir une représentation institutionnelle et unifiée auprès des pouvoirs publics.

Cette volonté d'unité est la seconde caractéristique de l'évolution que vous avez connue. Dans la logique de la création du Conseil national des barreaux, vous avez pris, Monsieur le Président de la Conférence des Bâtonniers, l'habitude d'une expression commune avec le président de cet établissement public et avec le Bâtonnier de Paris, à chaque fois qu'il vous est apparu que les intérêts de votre profession le justifiaient.

Le troisième trait marquant, je crois, de l'évolution de votre profession est votre capacité d'adaptation aux grandes changements de notre société.

Vous avez, notamment, su organiser votre activité professionnelle, en tenant compte de l'extraordinaire variété des conditions dans lesquelles elle s'exerce, du cabinet individuel aux grands regroupements qu'entraînent aujourd'hui la concurrence internationale et la spécialisation du droit.

On dénombre actuellement une dizaine de structures juridiques différentes pour l'exercice en commun de la profession d'avocat. Cette diversité a été un instrument de développement et d'organisation face à la concurrence. Elle est désormais perçue comme un facteur de complexité et de nombreuses voix s'élèvent pour une simplification du droit de l'exercice en groupe.

Il y a là une question importante pour l'avenir, une question à laquelle je sais que vous consacrez vos réflexions. Et je fais confiance à votre profession pour les mener à bien. L'enjeu essentiel me paraît être de concilier aussi efficacement que possible le caractère libéral de la profession d'avocat, auquel vous êtes si justement attachés, et le cadre collectif dans lequel elle est de plus en plus amenée à s'exercer. C'est pourquoi toute réforme devrait, à mon avis, intégrer deux éléments.

Quelle que soit la structure juridique retenue, il faut d'abord qu'elle ne s'interpose pas entre l'avocat et sa profession. Au contraire, chaque professionnel devrait, tout en bénéficiant des avantages du groupement, pouvoir exercer en son nom propre. La société devrait, en quelque sorte, être transparente.

Deuxièmement, la patrimonialisation excessive des cabinets français obère, semble-t-il, aujourd'hui la situation des jeunes avocats, qui sont obligés de s'endetter à l'excès pour acquérir des parts. Il reste donc à imaginer les modalités qui permettront une entrée plus facile dans la profession, une meilleure mobilité professionnelle et la juste indemnisation de l'associé qui quitte le groupement.

De façon plus générale, il faut tout faire pour sauvegarder votre indépendance, notamment en faisant en sorte que le développement de l'assurance de protection juridique ne débouche pas sur un salariat de fait de l'avocat. Le projet de charte entre l'avocat et l'assureur, qui est de nature à permettre le libre choix de l'avocat par l'assuré, est probablement, je pense, une bonne solution. Je souhaite que le groupe de travail mis en place à la Chancellerie puisse rapidement aboutir sur cette importante question.

Autre signe de la capacité d'adaptation de votre profession, vous êtes nombreux à avoir investi les nouveaux domaines du droit. Je pense, par exemple, au droit des affaires et au droit du travail. Je pense aussi au droit de la santé ou à celui de l'environnement. Vous avez considérablement renforcé votre présence dans ces disciplines, sans cesser d'améliorer l'efficacité du service que vous apportez aux justiciables dans des domaines traditionnels, tels que le droit de la famille ou le droit pénal.

C'est le résultat des efforts accomplis par votre profession pour se doter d'outils performants, aussi bien en termes de formation continue que de formation initiale, avec les très dynamiques centres régionaux de formation professionnelle.

Ces centres doivent aujourd'hui répondre aux défis posés par l'ouverture de votre profession dans le domaine international. L'implantation des avocats dans un nombre sans cesse croissant de pays étrangers en a fait les ambassadeurs de notre système juridique. Vous savez que, pour ma part, je suis très attaché à cet aspect de votre activité.

Les avocats sont également de plus en plus présents dans les juridictions internationales. Ils y apportent notre conception, exigeante, des droits de la défense, mais aussi la connaissance de nos formes procédurales, dont on s'aperçoit de plus en plus qu'elles sortent très souvent gagnantes de leur comparaison avec celles des pays anglo-saxons.

L'action dynamique engagée dans ce domaine par le Barreau de Paris et son Bâtonnier peut être, sans aucun doute, citée en exemple.

Des évolutions multiples que votre profession a connues en un siècle, la Conférence des Bâtonniers a été le témoin privilégié, mais aussi l'un des acteurs essentiels. Elle est aujourd'hui un interlocuteur respecté et écouté pour toutes les questions qui intéressent votre profession et, bien au-delà, pour tout ce qui concerne les libertés dans notre pays.




C'est avec intérêt que j'ai entendu les réflexions que vous avez formulées sur les réformes récentes de notre droit. A cette occasion, j'ai bien observé, Monsieur le Président CHAMBEL, avec quel talent, avec quelle force de conviction vous avez su vous faire l'avocat des avocats.

Ces débats touchaient notamment la matière du droit pénal et de la procédure pénale. Le Gouvernement s'est employé, en effet, à répondre aux attentes des Français, des attentes qu'ils avaient très fortement exprimées dans ce domaine.

Disons les choses franchement : vous n'avez pas applaudi toutes les dispositions des projets de loi présentés par le Gouvernement. Un texte de procédure pénale est toujours un compromis entre la recherche d'une nécessaire efficacité et le respect des garanties fondamentales qu'une société démocratique doit offrir à tous, quels que soient les actes incriminés.

La voix de l'avocat, chacun le sait, est essentielle dans la recherche de cet équilibre, même si elle n'est pas la seule et si elle doit accepter de se confronter à d'autres.

Les textes pénaux qui ont été adoptés depuis le début de la législature sont, de ce point de vue, je crois que l'on peut le dire, bien équilibrés, conformes à un temps de notre société.

Ne l'oublions jamais, la sûreté est au premier rang des droits de l'Homme. Si elle doit se concilier avec le respect des autres libertés fondamentales, il importe que chaque citoyen se la voie garantir le mieux possible. Ce n'était plus le cas. Les Français aspiraient à voir leur sécurité mieux défendue, notamment les plus démunis, les plus fragiles de nos compatriotes qui se voyaient, et se voient encore trop souvent, confrontés à une violence quotidienne et croissante. Les textes votés par le Parlement depuis un an permettront, je pense, de mieux assurer l'état de droit. Vous avez su contribuer à leur équilibre et je vous en remercie.

Il y avait urgence à réagir, car lutter contre l'insécurité, c'est aussi créer les conditions nécessaires pour reconstituer le lien social, réduire les préjugés et lutter contre les discriminations. Il fallait renforcer nos capacités à faire respecter les règles de vie en société et à faire reculer la violence, comme cela a été le cas vous l'observerez, dans toutes les démocraties.

La loi donne désormais à la police et à la justice les moyens en personnel et en matériel qui leur manquaient.

La loi a permis aux avocats de défendre dans de meilleures conditions les plus fragiles et les plus démunis dans le cadre d'une aide juridictionnelle qui se renouvelle.

Le législateur a également veillé à ce que les actes de délinquance quotidienne puissent être effectivement punis dans des délais qui ne désespèrent pas les victimes.

Enfin, le texte important que Monsieur le Garde des Sceaux a préparé s'attaque à la criminalité organisée. Dans un contexte fortement marqué par l'internationalisation de la délinquance, la rationalisation du travail de la justice et l'amélioration de la coopération internationale, notamment au sein de l'Union européenne, procèdent d'une modernisation inéluctable et indispensable.

Ces réformes s'inscrivent dans nos traditions judiciaires. Elles respectent les principes auxquels nous sommes attachés et que sait rapporter avec vigilance d'ailleurs la Cour européenne des droits de l'Homme.

De ce point de vue, je voudrais rappeler quelques principes fondamentaux.

Le premier, c'est que le renforcement de l'efficacité de la justice n'est pas antinomique, bien au contraire, avec le respect des droits de la défense. L'intervention de l'avocat pendant la garde à vue, comme à chaque fois qu'il est question de la liberté d'une femme ou d'un homme, est un acquis.

Deuxièmement la présomption d'innocence et son corollaire, le secret de l'instruction, doivent être, en toutes circonstances, scrupuleusement respectés et je déplore que cela ne soit pas toujours le cas. Il ne s'agit pas seulement du bon fonctionnement de notre institution judiciaire, il s'agit du respect des droits des personnes. Il s'agit du respect des valeurs de notre démocratie.

C'est pourquoi je suis très attaché à la défense du secret professionnel des avocats. Je sais que ce secret avait été le thème du colloque que vous aviez organisé en 2000 à l'Assemblée nationale. Monsieur le Président BENICHOU, qui présidait alors votre conférence, avait rappelé que le secret, je le cite : "n'est pas un privilège, mais une nécessité". Je souscris entièrement à cette formule, qui me paraît s'appliquer à toutes celles et à tous ceux qui, par leurs fonctions, sont les dépositaires d'un secret qui ne leur appartient pas.

Troisièmement, nous n'avons pas à rougir de notre modèle procédural. Certes, comme toute oeuvre humaine, il peut être amélioré. Il est sain qu'il emprunte aux systèmes existants ce que chacun a de meilleur. A cet égard, l'introduction dans notre droit de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité me semble une innovation qui va dans le bon sens.

Mais il faut garder à l'esprit les dérives d'autres systèmes procéduraux. L'équilibre auquel nous parvenons avec le projet actuellement débattu par la représentation nationale m'apparaît intéressant. Il est de nature à satisfaire l'une des attentes souvent exprimées par les praticiens, celle de la stabilité du droit pénal et de la procédure.

Je crois aussi que l'amélioration de la sécurité de nos concitoyens, pour s'inscrire dans la durée, doit s'accompagner d'une large diversification des peines. Je sais, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous avez effectué un travail important pour que soient explorées le plus rapidement possible les propositions du rapport très intéressant de M. le député WARSMANN.

La prison n'est pas la seule sanction possible. Les peines alternatives sont déjà nombreuses dans notre Code pénal. Ce n'est donc pas l'imagination qui a manqué, même si la liste de ces peines peut encore être enrichie. C'est la réalisation qui a péché.

Les juges prononceront des peines alternatives lorsqu'ils seront assurés de leur efficacité. Il faut y travailler. Les avocats ont, à cet égard, un rôle essentiel à jouer.




Je voudrais également, avant de clore ce rapide propos, dire quelques mots de la réforme du divorce qui sera présentée au prochain Conseil des ministres.

Notre rencontre d'aujourd'hui a été essentiellement placée sous le signe du droit pénal. L'actualité législative de l'année écoulée, si j'ose le dire, le commandait ainsi. Mais c'est dans le domaine du droit civil, et notamment du droit de la famille, que beaucoup d'entre vous rendent aux justiciables les services les plus nombreux.

La réforme prochaine du divorce vise à simplifier le déroulement de la procédure. La rupture d'un foyer est en effet toujours un traumatisme. Il ne faut pas que le procès ajoute du conflit au conflit, ou fasse naître des sujets de contentieux lorsqu'il n'en existe pas.

La réforme propose donc de réduire le champ des procédures contentieuses, de faciliter le divorce par consentement mutuel et d'assouplir le fonctionnement des mesures accessoires, sans supprimer le divorce pour faute, qui continue à se justifier dans certains cas, bien entendu. Par le passage devant le juge, elles garantissent aussi la sécurité juridique des époux ainsi que la juste prise en compte des intérêts de celui d'entre eux qui se trouve dans la position économique la plus faible.




Monsieur le Garde des Sceaux,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Nous aurons la possibilité au cours des prochains mois d'évoquer plus longuement votre activité en matière civile, à l'occasion notamment des cérémonies du bicentenaire du Code civil qui marqueront l'année 2004.

En attendant ces événements, je suis très heureux de m'associer à l'anniversaire que vous célébrez aujourd'hui. Je vous remercie de m'y avoir invité et je forme le voeu que le deuxième siècle de votre Conférence soit aussi accompli que le premier.

Je vous remercie.





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