Discours du Président de la République lors de la clôture de la deuxième conférence de la société internationale sur le sida et la conférence de soutien au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la clôture de la deuxième conférence de la société internationale sur le sida et la conférence de soutien au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

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Palais des Congrès, Paris, le mercredi 16 juillet 2003

Le sida est un fléau puissant et sournois qui ébranle nos sociétés dans leurs profondeurs. Puissant, il se répand partout, et rien jusqu'à présent n'a pu l'arrêter. Sournois, il apparaît là où on ne l'attendait pas et montre une capacité de résistance inouïe.

En moins d'une génération, l'humanité lui a payé un effroyable tribut. En France, ce furent des milliers de destins précocement interrompus. Je pense notamment aux homosexuels et aux hémophiles. Ce furent des femmes et des hommes arrachés, à la vie en plein essor. Dans le reste du monde, et d'abord en Afrique, c'est une tragédie décuplée, une lourde menace sur les efforts de développement. Avec l'expansion rapide de la pandémie, les forces vives des jeunes nations s'affaiblissent. Les orphelins, souvent eux-mêmes contaminés, sont de plus en plus nombreux, et l'angoisse saisit des pays tout entiers que le sida menace de priver d'avenir.

L'épidémie est d'autant plus sévère qu'elle suscite encore l'ostracisme. Des discriminations intolérables perdurent dans la vie quotidienne, notamment pour l'accès ou le maintien dans l'emploi et le logement. 110 pays interdisent aux étrangers porteurs du virus de séjourner sur leur territoire. Au lieu d'entendre la souffrance, de percevoir la menace, trop de sociétés condamnent ou refusent de voir.

C'est pourquoi, au moment de clore les travaux de vos deux conférences, je souhaite avant tout vous remercier.

Merci aux chercheurs, aux médecins du Nord et du Sud qui s'acharnent, avec des moyens souvent insuffisants, à comprendre, à mettre au point des traitements plus efficaces, à construire des politiques sociales, à assister les malades et leurs familles. Merci en particulier à celles et ceux qui se consacrent aux enfants et aux adolescents frappés par un mal trop lourd pour eux.

Merci aux associations, qui incarnent la détermination des malades et de leurs familles à n'être pas des victimes, mais les acteurs de la lutte contre le sida. En se mobilisant, en dialoguant avec les communautés scientifique et médicale, en alertant la représentation politique, en adoptant une attitude de solidarité mondiale, les associations n'apportent pas seulement espoir et réconfort aux malades. Elles font progresser la démocratie et mûrir les sociétés.

Aujourd'hui, je souhaite lancer un appel solennel.

Appel aux gouvernements des pays donateurs du monde entier pour qu'ils fassent preuve, malgré les difficultés budgétaires, de plus de générosité. Ce n'est pas un acte de charité, c'est un acte de responsabilité partagée, contre un fléau mondial.

Appel aux pays en développement et en transition, pour que tous établissent la lutte contre le sida comme une priorité nationale.

Appel aux entreprises, présentes en grand nombre, pour qu'elles se mobilisent davantage encore.

Ce soir, alors que s'achèvent vos travaux, qui ont ouvert tant de pistes d'espoir, je souhaite vous dire comment la France entend poursuivre la lutte contre le sida.

Pour accélérer la recherche de traitements efficaces et d'un vaccin ;

Pour accentuer la prise de conscience, qui reste encore insuffisante ;

Pour rendre universels la prévention et l'accès aux soins.


Comprendre d'abord, afin d'agir efficacement. Il reste encore bien des zones d'ombre. Le bilan des travaux scientifiques que vous avez conduits en témoigne. Qu'il s'agisse des mécanismes même de la transmission ; qu'il s'agisse de la réponse du système immunitaire à l'infection et pendant la période de latence ; qu'il s'agisse de la réaction aux traitements et de la résistance ; qu'il s'agisse des mutations du virus et de leurs conséquences, nous devons intensifier les efforts pour élucider le comportement du VIH et le maîtriser.

Face à des traitements de plus en plus efficaces, qui ont rendu la vie à des milliers de personnes, mais qui sont encore coûteux, lourds et incertains sur le long terme, gouvernements et autorités médicales doivent organiser le dialogue entre les chercheurs, les médecins et les malades. On sait l'attente urgente et douloureuse des patients en situation d'échec thérapeutique et l'espoir que représentent pour eux les molécules nouvelles. Mais on sait aussi l'importance qui s'attache à ce que les traitements aient pu être rigoureusement expérimentés avant d'être distribués. Face à cette épidémie où les chercheurs et les médecins découvrent le mal en même temps que les patients le combattent, c'est ensemble qu'ils trouveront les molécules capables d'éradiquer un jour le virus.

Il est clair que la réponse la plus satisfaisante viendra de la mise au point d'un vaccin, préventif ou thérapeutique. Des efforts particuliers sont indispensables pour financer les travaux en cours. Je salue à ce titre la mobilisation des instituts et des laboratoires publics et privés et l'esprit de collaboration dont témoigne votre conférence.


Mais si les scientifiques et les malades s'organisent de plus en plus au Sud comme au Nord, je crains que la prise de conscience demeure insuffisante et même recule parfois.

Dans les pays développés, l'apparition des multithérapies et une certaine lassitude devant les disciplines de la prévention conduisent à la réapparition de comportements à risque. Face à cette maladie, on ne dira jamais assez combien est indispensable l'exigence de responsabilité, non seulement collective mais aussi individuelle. Le dépistage est souvent trop tardif : la moitié des cas nouveaux est détectée seulement lors des premières manifestations de la maladie. Je voudrais dire ici à quel point l'effort d'éducation s'impose en direction des plus jeunes, et à quel point aussi l'effort d'explication demeure impératif en direction des adultes. Nous devons également adapter sans relâche l'effort de prévention aux nouveaux groupes les plus touchés. Ce sont aujourd'hui, en France, surtout des personnes hétérosexuelles et, parmi elles, beaucoup de jeunes femmes d'origine africaine.

Face à certaines communautés vulnérables, je pense par exemple aux prostituées ou aux usagers de drogue, nous devons trouver le juste équilibre. Frapper très durement les trafiquants, ceux qui se livrent au commerce de la drogue, au proxénétisme, à la traite d'êtres humains. Venir en aide aux victimes de ces trafics, dans un esprit d'humanité et de protection de la santé publique.

La prise de conscience doit aussi être plus forte en Afrique. Aujourd'hui, ce sujet est abordé avec plus de franchise par les gouvernements et par les sociétés. L'engagement des femmes africaines a été exemplaire. Je rends hommage à l'action personnelle du Président Nelson MANDELA, qui nous a fait l'honneur de sa présence, et à celle du Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi ANNAN. Ils font reculer la peur, la honte et le tabou. Mais il reste beaucoup à faire pour que l'on admette que le sida n'est pas une maladie honteuse ou une malédiction, mais un fléau qui menace la stabilité et le développement du continent tout entier.

Cette prise de conscience doit se généraliser. Les études de l'OMS et de l'ONUSIDA le démontrent : l'épidémie s'étend, en Asie, en Russie, dans les pays de la CEI, dans les pays d'Europe centrale et orientale. Il est urgent que les populations de ces pays et leurs dirigeants se mettent en alerte et construisent des politiques efficaces de prévention et de soins, afin d'éviter une tragédie.


Mais chacun comprend que la prévention sans espoir de traitement ne peut pas être efficace. Il faut à cet égard rejeter inlassablement plusieurs idées fausses, voire immorales.

On entend encore dire que le sida serait la maladie de telle ou telle population. A la vérité, nul n'est à l'abri. C'est une pandémie qui menace tous les pays et tous les peuples.

Certains osent plaider publiquement que la distribution de médicaments dans les pays pauvres serait inefficace parce que les malades de ces pays seraient incapables de suivre leur traitement. La logique qui sous-tend ce raisonnement est inadmissible. Les enquêtes démontrent que l'administration des traitements est aussi efficace au Sud qu'au Nord, pourvu évidemment qu'existent des structures médicales appropriées.

Certains prétendent enfin qu'il ne serait pas rentable de distribuer les soins et que l'effort de prévention serait plus efficace. L'argument économique est évidemment à courte vue. Le coût global de l'épidémie l'emporte de très loin sur le coût de l'administration des traitements. Il est démontré que la promesse des traitements renforce l'efficacité des politiques de prévention. Car il s'établit un continuum de la mise en place des systèmes de santé à la mise en place des politiques de prévention et à l'administration des soins. Les politiques nationales de lutte contre le sida agissent comme les catalyseurs des politiques de développement en mobilisant la nation autour d'objectifs de santé publique, d'éducation, de solidarité et de démocratie.

Voilà pourquoi il est urgent de conclure la discussion sur les conditions de l'accès aux médicaments. Nous nous sommes engagés, dans le cadre de l'OMS, à ce que 3 millions de personnes atteintes soient traitées dès 2005, c'est-à-dire environ la moitié de ceux qui en auraient besoin compte tenu de leur état de santé. C'est loin du nécessaire et c'est pourtant un objectif ambitieux. Il rend particulièrement urgente la conclusion, avant Cancun, comme l'a promis le G8, des discussions de l'OMC sur l'accès aux médicaments des pays pauvres non producteurs. Vous connaissez la position de la France : il faut conclure cette discussion dans un esprit de générosité. Des solutions existent pour que ce résultat soit atteint sans restriction inutile et sans remettre en en cause ou en question la propriété intellectuelle qui est le fondement même de la recherche.

Il faut dans le même temps accélérer les discussions et multiplier les expériences sur les prix différenciés. Déjà, les coûts des traitements ont baissé, la viabilité économique de fournitures massives aux plus pauvres à prix coûtant a été démontrée. Il faut aborder cette question en ayant à l'esprit les enjeux du long terme. J'en appelle particulièrement à l'industrie pharmaceutique, qui est par excellence l'industrie de l'espoir. Pour elle, la confiance et le respect de l'opinion mondiale sont en jeu. Mais aussi ses intérêts à long terme et le développement de ses marchés. Il est essentiel qu'elle avance, avec les Etats et tous les acteurs, en établissant un authentique partenariat.

Enfin, nous devons réunir davantage de ressources. Avec le Fonds mondial de lutte contre le sida auquel je voudrais rendre un particulier hommage, la tuberculose et le paludisme, nous disposons avec ce Fonds d'un instrument exceptionnel. Il s'est mis en place dans un délai record. D'ores et déjà, il agit sur le terrain son Directeur nous l'a dit tout à l'heure, il sauve des vies. Naturellement, nous évaluerons avec la plus extrême vigilance son efficacité. Mais je suis convaincu que cette réponse multilatérale exprime mieux que toute autre l'idéal de solidarité et d'action collective qui doit nous animer.

Le Fonds a besoin, dans un premier temps, de 3 milliards de dollars chaque année. L'Union européenne et ses Etats membres, qui apportent plus de la moitié de ses ressources, doivent montrer l'exemple c'est ce que nous a dit tout à l'heure Romano PRODI, c'est ce qu'a confirmé tout récemment Tony BLAIR, nous voulons que la contribution européenne soit d'un milliard de dollars par an. C'est pourquoi la France a décidé de tripler sa contribution et de lui apporter 150 millions d'euros chaque année. J'ai accueilli avec espoir le geste généreux des Etats-Unis et du Président BUSH qui engagent 15 milliards de dollars dans la lutte contre le sida au cours des 5 prochaines années. Je forme le voeu qu'une part importante, un milliard de dollars, en revienne tous les ans au Fonds mondial. Cet engagement européen et américain ralliera les autres Etats donateurs. Nous sommes encore loin du compte. C'est pourquoi je continuerai pour ma part à me battre, dans toutes les enceintes internationales, pour convaincre les gouvernements de s'engager davantage et de pérenniser le Fonds au niveau qui lui est nécessaire.

Au-delà des contributions des Etats, le Fonds travaillera avec les entreprises, dont la contribution peut prendre de multiples formes. Des expériences conduites en Afrique témoignent de l'efficacité des partenariats publics/privés et de politiques de traitement des malades au sein même de l'entreprise. De nombreux chefs d'entreprise ont décidé de mettre le savoir-faire de leurs équipes au service du Fonds. Je remercie également les fondations et les donateurs privés qui se mobilisent en grand nombre.

Nous devons aussi rechercher d'autres sources de financement, comme les prélèvements volontaires sur certaines transactions commerciales privées et, à moyen terme sans aucun doute, le recours à des formes de taxation internationale.

Mesdames et Messieurs,

Depuis que l'épidémie est apparue, au début des années 80, l'humanité a terriblement souffert, mais elle a remporté de belles victoires. Voici vingt ans, avec un certain nombre d'équipes on a identifié le virus. Voici sept ans apparaissaient les premières trithérapies grâce auxquelles des milliers de malades ont retrouvé la vie et des millions de personnes séropositives reprennent espoir. Depuis quelques années, l'exigence de solidarité Nord-Sud est mieux reconnue. Aujourd'hui, nous avons les moyens médicaux et financiers de maîtriser l'épidémie.

Le sida n'est pas seulement une maladie qui attaque le système immunitaire des individus. Face à ce fléau global, l'humanité entière se doit de réagir.

Nous devons aux victimes du sida, nous devons à la jeunesse et aux générations futures de faire preuve d'esprit de responsabilité, d'esprit de partenariat, d'esprit de solidarité, afin que le cauchemar d'une maladie mortelle, massive et irréversible soit enfin écarté.

C'est ce message que vous portez et dont je souhaite, au nom de la France, vous remercier.





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