Allocution du Président de la République lors du Ier sommet France-Océanie.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République lors du Ier sommet France-Océanie.

Imprimer

Papeete (Polynésie), le lundi 28 juillet 2003.

Messieurs les Présidents,
Messieurs les Premiers ministres,
Madame et Messieurs les Ministres,
Madame la Directrice générale de la Communauté du Pacifique,
Monsieur le Secrétaire Général Adjoint du Forum des îles du Pacifique,
Mes chers collègues et amis,

Je voudrais tout d'abord, Monsieur le Président du gouvernement de la Polynésie française, me faire l'interprète de tous en vous remerciant pour vos paroles de bienvenue et pour avoir organisé ici, à Tahiti, ce rassemblement exceptionnel de la famille océanienne.

Ce rassemblement, cher Gaston FLOSSE, vous doit beaucoup. Nous en avions évoqué l'idée pour la première fois, il y a quelques mois, au coeur de l'hiver parisien. Le contexte international était difficile et nous invitait, plus que jamais, à insuffler dialogue et coopération dans la vie internationale. Nous incitait à mettre en avant l'amitié entre les peuples.

Quelle région du monde pouvait être plus propice pour un tel message que les îles du Pacifique, où se sont installés, au cours des millénaires, tant de peuples, tant de civilisations, tant de cultures. La diversité des identités mélanésiennes, polynésiennes, micronésiennes se conjuguent aujourd'hui dans une même communauté de destin dans le cadre du Forum des îles du Pacifique et de la Communauté du Pacifique, dont je salue amicalement les représentants.

Message d'amitié et de dialogue, notre réunion est aussi une occasion unique de marquer la solidarité entre le Pacifique et la France, comme de réfléchir aux questions essentielles pour notre avenir commun.

Depuis plus de deux siècles, depuis qu'à l'horizon se sont dessinées les voiles des vaisseaux de La Pérouse, Bougainville, d'Entrecasteaux ou Dumont d'Urville, l'histoire de la France et celle des peuples du Pacifique sont intimement liées. Depuis plus de deux siècles, rien de ce qui touche le Pacifique et ses habitants n'est indifférent à la France.

De nombreux français de métropole, célèbres ou anonymes, ont choisi le Pacifique comme seconde patrie. De Gauguin à Paul-Emile Victor, nombreux sont ceux qui ont aimé passionnément cette région jusqu'à y faire souche, jusqu'à y consacrer l'essentiel de leur talent et de leur oeuvre, jusqu'à en faire leur dernière demeure. * Longtemps isolée du reste du monde, l'Océanie est aujourd'hui au coeur du nouveau bassin de développement mondial. Mais elle ne bénéficie que trop marginalement de son dynamisme, alors qu'elle doit relever de nouveaux et graves défis. Ici aussi, la maîtrise de la mondialisation est pour chacun une question de survie.

Je pense bien sûr au défi du réchauffement climatique qui, entraînant l'élévation du niveau des océans et la dégradation des récifs coralliens, menace jusqu'à l'existence physique de certains Etats. Je pense au défi que constitue l'exploitation des ressources naturelles ou du patrimoine touristique dans le respect d'équilibres qui sont des équilibres fragiles.

Je pense également aux questions de sécurité. Depuis le 11 septembre, depuis l'attentat de Bali, qui a si cruellement frappé la jeunesse, en particulier australienne, chaque pays se sait désormais la proie potentielle du terrorisme. Certains pays du Pacifique subissent actuellement des tensions, des crispations identitaires, qui menacent la stabilité régionale. Il est de notre responsabilité commune de réagir pour éviter que ne se développe les ferments propices à cette instabilité : l'intolérance, la grande pauvreté, mais aussi la corruption et le manque de rigueur des élites.

Une présence militaire internationale est parfois nécessaire pour favoriser le retour à la paix civile et consolider les institutions. Le rôle des organisations régionales est alors souvent essentiel. A cet égard, la France se félicite des décisions prises par les Etats du Forum des îles du Pacifique pour assister le gouvernement des îles Salomon. Ce serait cependant une erreur d'opposer la logique régionale à celle des Nations Unies. * L'Océanie doit prendre toute sa place dans les grands débats du monde contemporain. Elle doit y apporter son expérience, ses ambitions, son génie, son originalité. Les Etats du Pacifique peuvent faire entendre leur différence. Dans un monde à la recherche de dialogue des cultures et des civilisations, où, mieux qu'ici, peut-on parler d'expérience, des difficultés et des promesses d'un tel dialogue, exalter les valeurs de tolérance, de solidarité, de respect de l'autre ?

Nos travaux porteront dans un instant sur trois thèmes majeurs pour l'avenir de la région pacifique : « coopération régionale et accroissement des échanges » ; «développement durable et petites économies insulaires » ; « sécurité régionale et bonne gouvernance ». A travers ces débats, nous chercherons à répondre à une question centrale : quelle place les peuples du Pacifique veulent-ils occuper dans le monde de demain ?

Membre de la grande famille océanienne, grâce à ses collectivités du Pacifique, la France en partage naturellement les préoccupations. Ensemble, nous voulons construire un Pacifique écologiquement préservé, économiquement efficace et socialement équitable, pour que cette partie du monde soit un havre de paix, un lieu magique où se rejoignent le respect de patrimoines immémoriaux et la quête de la modernité. * Au Sommet de Johannesburg, la France a plaidé pour la protection de l'environnement. Elle en a fait la priorité de sa Présidence du G8. Au Sommet d'Evian, le mois dernier, elle a lancé une initiative internationale pour mettre la science et la technologie au service du développement durable dans trois domaines prioritaires pour notre région : l'observation de la planète ; les changements climatiques ; l'agriculture et la biodiversité.

Notre région Pacifique doit prendre conscience de ses responsabilités et de ses atouts. Elle est l'une des plus riches du monde par la diversité de son milieu et la prodigalité de sa nature. Mais elle est aussi l'une des plus fragiles : consituée d'espaces insulaires, elle est particulièrement vulnérable. Cette réalité nous invite à envisager le développement économique en harmonie avec la protection de l'environnement, de la terre, tout simplement.

Pour lutter efficacement contre les effets du changement climatique, l'Union européenne et ses Etats-membres ont procédé l'an dernier à la ratification du protocole de Kyoto. Les Etats du Pacifique Sud, dont l'avenir est en jeu, doivent être encore plus présents dans ce processus. J'appelle solennellement les pays qui ne l'ont pas encore fait, à ratifier le protocole de Kyoto. C'est pour la planète, et tout particulièrement pour le Pacifique une question de survie.

Le Pacifique Sud abrite, avec le récif corallien, un trésor écologique inestimable, mais dont près de la moitié est menacée. Partie intégrante du patrimoine écologique mondial, refuges de très nombreuses espèces et piliers des équilibres naturels, le milieu corallien est aussi l'un des fondements de l'économie locale. Sachons préserver ce patrimoine ! La France propose de mettre en oeuvre un nouveau projet de coopération avec les Etats de la région, pour mieux protéger ces récifs et développer les formations nécessaires à leur gestion durable.

Dans le même esprit, il nous appartient d'assurer à long terme la protection des ressources naturelles et en particulier des réserves halieutiques, qui sont l'une des principales ressources communes à tous les Etats de la région. Plus de 15% des prises halieutiques mondiales sont d'ores et déjà réalisées dans le Pacifique Sud.

En coopération avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, nous sommes déterminés à lutter plus efficacement contre la pêche illicite. Il s'agit d'une question vitale pour l'avenir économique de la région et qui nous impose de mettre en commun nos moyens de lutte contre toutes les formes de braconnage.

J'ai demandé aux commandants supérieurs des forces armées françaises dans le Pacifique que soient étudiés les moyens de renforcer sensiblement la contribution de la France à la surveillance des zones économiques, y compris en utilisant davantage les moyens satellitaires.

Par ailleurs, la France est prête à apporter, à travers l'expertise scientifique et technologique de ses organismes de recherche de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie, tout son soutien à la mise en oeuvre d'une politique régionale intégrée de gestion durable des ressources. Ses compétences, notamment en matière d'aquaculture et d'énergie solaire, peuvent en effet apporter une contribution importante au développement des Etats insulaires. Renforcer encore la coopération régionale dans le domaine de la recherche, telle est la tâche que nous assignons aux «assises de la recherche française dans le Pacifique», prévues l'été prochain, à Nouméa.

*

La France entend en effet renforcer son effort en faveur du développement de toute la région. Elle est l'un des tous premiers donateurs de l'aide publique dans le monde. La zone Pacifique bénéficiera de l'augmentation de 50%, d'ici 2007, du niveau de son aide publique au développement française.

Dans l'immédiat, j'ai décidé de doubler, dès l'année prochaine, la dotation du « Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique », dont je n'ai pas besoin de souligner le rôle dans le financement de nombreux projets de développement qui intéressent la région tout entière.

Par ailleurs, en dehors de son aide directe, la France est le premier contributeur au Fonds européen de développement, qu'elle abonde à concurrence du quart de ses ressources. Croyez, mes chers amis, que la France continuera de se faire l'avocat de vos pays auprès de la Commission européenne.

La France souhaite, bien évidemment, inscrire son action dans une stratégie régionale. A cet égard, je puis vous assurer qu'elle continuera de soutenir pleinement, politiquement et financièrement, le «Forum des Iles du Pacifique» et la «Communauté du Pacifique».

Pour renforcer encore les liens qui nous unissent, les commandants supérieurs des forces armées françaises dans le Pacifique ont reçu instruction de prendre en compte, de manière prioritaire, la dimension régionale dans leur action. Ils seront ainsi appelés à renforcer les actions de formation et de coopération civilo-militaire qui concourent au développement des Etats insulaires.

Cette politique s'inscrira bien évidemment dans un partenariat sans cesse renforcé avec nos amis de Nouvelle- Zélande et de l'Australie. Nous souhaitons en effet agir en étroite liaison avec ces deux partenaires majeurs, avec lesquels nous pouvons élaborer de nombreux projets de coopération conjoints, à l'image de l'accord FRANZ dans le domaine de l'action humanitaire et de l'aide d'urgence. Je souhaite que le développement d'un système d'alerte préventif de nos moyens militaires permette, dans l'avenir, à nos pays d'agir avec davantage d'efficacité et de rapidité face à des situations de catastrophe naturelle.

En matière de santé, je puis ainsi vous confirmer le lancement d'un projet de coopération régionale avec l'Australie, sur la lutte contre le SIDA ; nous sommes par ailleurs à la veille de concrétiser, en association avec la Nouvelle-Zélande, un projet de soutien à la santé publique en Océanie. * Conformément à la volonté de leurs populations, les Collectivités françaises du Pacifique acquièrent progressivement davantage d'autonomie au sein de la République.

Mandatés par le Forum des Iles du Pacifique, certains d'entre vous viennent régulièrement en Nouvelle-Calédonie suivre le développement et la mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa. Ils ont pu constater l'évolution positive de la situation. Il y a quelques jours, j'ai eu l'occasion de rappeler l'importance fondamentale que j'attache au dialogue entre tous les acteurs de Nouvelle-Calédonie. M. Jean-Marie TJIBAOU, dont je salue la mémoire avec émotion et avec respect, et M. Jacques LAFLEUR, que je remercie pour son amicale présence, ont su ensemble, tous les deux nous montrer le chemin. Leur sens des responsabilités, leurs qualités de visionnaires nous obligent aujourd'hui.

La France souhaite accompagner l'intégration la plus large possible de la Nouvelle-Calédonie, de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française dans leur environnement régional. La Nouvelle-Calédonie est d'ores et déjà observateur au Forum des îles du Pacifique. Nous souhaitons que la Polynésie française puisse accéder également à ce statut.

La France entend également engager avec les Etats insulaires un partenariat exemplaire, dans le domaine économique et commercial, comme dans celui de la coopération culturelle, scientifique et technique.

A cette fin, j'ai souhaité que les exécutifs des collectivités françaises du Pacifique soient désormais vos interlocuteurs privilégiés et qu'ils assurent, en alternance, la Présidence du « Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique ». En effet, qui mieux que les élus d'outre-mer peut comprendre vos attentes ? * Enfin, je veux évoquer l'Océanie, berceau d'immenses et fortes cultures, vivaces mais en danger comme beaucoup de cultures dans le monde. Les hommes veulent accéder au progrès et au mieux vivre, mais ils ne veulent pas perdre leur âme.

Notre devoir est de faire connaître et protéger le patrimoine des peuples du Pacifique Sud. Rien n'est plus essentiel à la personne humaine que de conserver et de valoriser son héritage culturel et linguistique, ses traditions ancestrales et ses valeurs.

Le Musée du quai Branly, dont j'ai souhaité la création à Paris, rendra compte, dans un esprit de dialogue et de partage, du génie de tous les peuples premiers. Cette nouvelle institution offrira à vos cultures un espace où elles pourront donner la pleine mesure de leur profondeur et de leur sensibilité.

Je souhaite que ce grand musée soit la vitrine en Europe des immenses richesses des cultures océaniennes et de la beauté de leurs traditions. Je propose que nous puissions conclure des accords bilatéraux de coopération pour faire véritablement de ce lieu notre maison commune, le lieu de coopérations scientifiques et culturelles exceptionnelles, où s'exposeront et rayonneront la musique et la danse du Pacifique, comme ces objets d'art ou de la vie quotidienne qui font partie de notre patrimoine universel.

Enfin, je souhaite que l'ouverture du Musée du quai Branly en 2006 soit un grand jour pour toute la famille océanienne. Je vous propose que son inauguration soit l'occasion de nous réunir, à nouveau tous ensemble, à Paris pour rendre hommage aux cultures du Pacifique et poursuivre notre dialogue amical et confiant. * Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaite pour notre première réunion, les enjeux de notre concertation, ce nouvel élément de la vie internationale dont j'espère qu'il pèsera de tout son poids sur la scène mondiale pour faire entendre les préoccupations des femmes et des hommes, des jeunes du Pacifique.

Dans l'ordre international, fondé sur le droit et la justice, un ordre que la France appelle de ses voeux, tous les grands pôles de civilisation doivent pouvoir apporter leur contribution. Les peuples du Pacifique, fiers de leurs cultures, de leurs héritages, de leurs traditions peuvent contribuer à l'émergence de ce monde reposant sur une relation harmonieuse et équilibrée entre grands ensembles régionaux.

Une nouvelle fois, je veux vous remercier toutes et tous d'avoir répondu à l'invitation de la France et vous dire mon plaisir de vous accueillir aujourd'hui. Je forme le voeu que nos travaux soient fructueux, sans formalisme, à la mesure de ce que nous sommes, une grande famille qui se comprend, se soutient et éprouve le plaisir chaleureux d'être ensemble.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2006-06-22 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité