Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC Président de la République devant le Conseil Economique et Social Tunisien.

Allocution prononcée par M. Jacques CHIRAC Président de la République devant le Conseil Economique et Social Tunisien.

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Tunis, le jeudi 4 décembre 2003.


Monsieur le Ministre, Monsieur le Président du Conseil économique et social, Mesdames et Messieurs les Conseillers, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,

Au moment de m'adresser à votre honorable assemblée et à vos invités, Monsieur le Président, permettez-moi tout d'abord d'exprimer de nouveau ma plus vive gratitude au peuple tunisien et au Président de la République, Ben Ali. Mon épouse, les personnalités qui m'accompagnent et moi-même sommes très sensibles à l'accueil si chaleureux qui nous a été réservé depuis notre arrivée sur le sol tunisien. L'éclat de votre hospitalité témoigne de l'intimité et de la confiance qui marquent les relations, depuis longtemps, entre nos deux pays.

Vous savez toute l'importance pour la France de ses liens avec le Maghreb, où se bâtit votre avenir, mais aussi en partie le nôtre. Liens à la fois de l'histoire, du coeur et de la raison. Liens tressés par tant de destins et d'histoires personnels, et qui forment la trame de la relation si singulière qui unit les deux rives de la Méditerranée..

Ouverte et dynamique, la Tunisie s'incarne pleinement dans ce technopôle de l'Ariana où nous nous rencontrons aujourd'hui. Ce site, consacré aux techniques de la communication, est le symbole même d'un pays moderne et entreprenant, porté par l'ambition de tenir toute sa place dans le monde d'aujourd'hui et de poursuivre résolument la construction d'un avenir de savoir et de progrès. Sont rassemblés ici des filières de formation, des entreprises, des laboratoires de recherche auxquels la France est fière de participer par le concours de ses experts ou de ses industriels. Je sais qu'au titre du Xe plan économique et social, que vous avez eu le privilège d'inspirer, d'autres cités de la science et de l'entreprise sont en projet ou en début de réalisation dans votre pays, et je m'en réjouis.

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil économique et social, votre assemblée, l'une des plus anciennes institutions tunisiennes de concertation et de débat, est ouverte aux organisations professionnelles, au monde associatif, aux représentants des autorités locales, aux partis politiques. A travers vous, c'est donc bien aux forces vives de la nation tunisienne que je m'adresse.

Vous avez pour mission d'anticiper les grandes évolutions de notre monde et de votre société, d'accompagner les générations nouvelles et d'orienter les choix de vos gouvernants. L'histoire et la composition même de votre Conseil vous placent au coeur de la construction nationale tunisienne dont l'élan, depuis l'indépendance, force l'admiration de tous. Votre assemblée, à laquelle chacune et chacun d'entre vous apporte son expérience et sa compétence, est à l'image de cette identité forte qui rassemble votre pays dans une diversité parfaitement assumée. Je voudrais saluer la place qu'y occupent les femmes. Elles affirment ainsi le rôle qui doit être le leur dans toute société moderne et juste.

Vos succès d'aujourd'hui qui sont indiscutables, trouvent en partie leurs fondements dans le mouvement moderniste qui a pris racine en Tunisie, de manière remarquablement précoce, il y a environ un siècle et demi. Toujours défendu avec conviction, ce mouvement de modernisation s'est opéré sous le signe de la maturité sociale et politique, dans cet esprit de conciliation et de pondération caractéristique de votre peuple.

Permettez-moi, à cet égard, d'évoquer le rayonnement de la Zitouna, cette institution multi-séculaire, emblématique, s'il en est, de votre culture. Son influence réformatrice a suscité des débats passionnés. Elle a été à l'origine d'évolutions majeures dans la politique de l'enseignement, et elle a permis d'adapter les programmes ou les méthodes à leur temps et à leur environnement.

Chacun garde aussi en mémoire l'action du ministère Kheireddine qui, peu avant l'avènement du Protectorat, militait déjà en faveur d'un nécessaire équilibre entre enseignement moderne et tradition musulmane. J'ai aussi à l'esprit la vision d'un Tahar Haddad qui, voici soixante-dix ans déjà, prônait, avec un courage inouï dans le contexte de l'époque, l'émancipation de la femme. Tous ces progrès, l'adoption du code du statut personnel les a consacrés avec un éclat particulier. Bien des pays de cette région du monde peuvent envier cette avancée majeure, réalisée à l'aube de l'Indépendance sous l'égide éclairée du Président Habib Bourguiba, cette grande et forte figure de notre histoire contemporaine.

Mesdames et Messieurs, à vous qui êtes les dépositaires de ce brillant héritage, il vous revient de continuer à en développer les acquis. Ils sont vos atouts pour l'avenir. Les performances de la Tunisie contemporaine en matière de développement économique et social sont, à l'évidence, impressionnants.

- une transition démographique maîtrisée, à la faveur de mesures déjà anciennes et courageuses, notamment en matière de planning familial, permet de conserver et de préserver les équilibres sociaux ;

- les efforts soutenus de la collectivité en faveur de la santé ont particulièrement fait progresser l'espérance de vie ;

- l'instruction obligatoire et la généralisation de l'éducation ont permis d'atteindre un taux de scolarisation tout à fait remarquable ;

- la lutte contre la pauvreté et la politique de croissance ont favorisé l'émergence d'une large classe moyenne, entreprenante et dynamique. Elles ont entraîné une réelle atténuation, une considérable atténuation des inégalités sociales et ont conféré à votre développement son harmonie et sa force.

- enfin, l'aménagement équilibré de votre espace national permet de conjurer le risque d'un progrès à plusieurs vitesses. Des équipements et des infrastructures en constante amélioration offrent les garanties d'un service public toujours plus performant.

Ces succès, Mesdames, Messieurs, assoient cette stabilité sociale et ce progrès économique qui permettent à la Tunisie d'enregistrer, depuis une quinzaine d'années, une croissance très élevée et de projeter une image de réussite. Oui, le modèle tunisien, votre modèle, suscite notre admiration et vous permet d'occuper une place à part dans cet espace maghrébin dont vous poursuivez l'intégration et le rapprochement avec l'Union européenne. Car la Tunisie, c'est évident, a fait le choix de l'ouverture.

Ouverture sur son environnement régional d'abord, avec une détermination exemplaire pour faire progresser l'intégration maghrébine, afin que les peuples d'Afrique du Nord puissent former ensemble un pôle d'influence cohérent, rassemblé, et donc puissant.

Ouverture vers l'Europe aussi, avec la volonté pionnière, manifestée dès 1993 par le Président Ben Ali devant le Parlement européen, lorsqu'il se prononça en faveur d'un contrat euro-méditerranéen pour le développement et pour la solidarité. Deux ans plus tard, votre association avec l'Europe, la première au Maghreb, devenait une réalité.

Autant de réalisations qui nourrissent légitimement la fierté des Tunisiens et vous placent en bonne position pour relever les défis de l'avenir.

Je pense notamment au défi redoutable auquel tous nos pays sont confrontés : celui de l'emploi, qui, en favorisant l'intégration de la jeunesse, constitue le ciment de la cohésion sociale. Je pense également aux investissements privés qui, pour prendre plus massivement le chemin de la Tunisie, ont besoin d'un environnement juridique solide. Le progrès économique devra aussi connaître la consécration d'une authentique ouverture, sans laquelle ses succès ne pourront pas assurés dans la durée.

La Tunisie doit également faire face aux changements engendrés par la mondialisation. Consciente des réformes économiques et sociales souvent coûteuses qu'impliquent ces mutations, elle s'est pourtant engagée dans cette voie nouvelle et difficile avec courage et avec détermination. C'était son intérêt et elle sait qu'elle peut compter sur le soutien, la solidarité et la disponibilité de la France.

Déjà, main dans la main, nous accompagnons votre modernisation : amélioration de l'environnement économique, appui à la modernisation des entreprises, soutien du financement bancaire local, promotion des échanges culturels qui donnent leur pleine signification à nos politiques de rapprochement. La France, vous l'avez dit, Monsieur le Président, premier partenaire financier bilatéral de la Tunisie, met à sa disposition toute une panoplie d'outils, de mécanismes et d'instruments financiers. Elle en est heureuse et elle en est fière..

Cet effort sera poursuivi et adapté pour en accroître l'efficacité, est l'objet d'ailleurs de nos entretiens aujourd'hui avec le Président Ben Ali. Il s'organise, cet effort, autour d'axes prioritaires que nous avons adoptés en commun et qui privilégient les institutions, l'emploi, le développement durable et l'aménagement du territoire, les services publics sociaux. Je souhaite, à ce sujet, souligner le rôle joué par l'Agence française de développement, dont l'action sera poursuivie en faveur de vos grands chantiers de modernisation. Je voudrais également évoquer notre nouvelle initiative conjointe pour lutter contre le cancer. Elle constituera, je le pense, l'un des plus beaux exemples de cette rénovation et de l'inventivité de notre coopération.

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Mais ce qui nous rassemble aussi, et nous mobilise aujourd'hui, c'est notre destin méditerranéen commun.

Le processus engagé à Barcelone, il y a huit ans, a fait naître de grandes espérances. Nos pays étaient animés de la plus belle des ambitions : rapprocher les pays du pourtour de la Méditerranée, les faire travailler ensemble, mêler toujours plus intimement leurs vies, économique, sociale, culturelle, politique, imbriquer toujours plus étroitement leur histoire et leur avenir. Bref, établir dans cette région du monde, qui est à la fois le berceau de notre civilisation et le lieu aussi de tant d'affrontements, un vaste espace de paix et d'échanges, susciter ainsi une dynamique de croissance et de prospérité au profit de tous.

Huit ans ont passé, et nous devons constater que le processus de Barcelone est loin d'avoir tenu toutes ses promesses. C'est un fait.

Certes, il y a eu la reprise de la violence au Proche-Orient. Le blocage du processus de paix et l'impasse actuelle, tout cela est un frein terrible au dialogue, a fortiori au rapprochement de tout le bassin méditerranéen.

Raison supplémentaire pour les Européens et pour les pays du Maghreb de s'engager davantage dans la recherche d'une solution. Et raison de plus pour doter l'Union européenne d'une véritable politique extérieure commune, lui permettant de jouer tout son rôle dans la région et de répondre à cette demande d'Europe qui monte indiscutablement de la rive Sud de la Méditerranée.

Certes, on peut aussi invoquer les maladresses des uns et des autres ; l'euphorie des premiers temps, qui a masqué, au Sud, l'ampleur des mesures internes à prendre pour tirer pleinement parti de notre partenariat ; l'usage ardu, la lourdeur, la complexité des instruments mis en place par l'Europe. C'est vrai. Paralysé dans son volet politique, le processus de Barcelone n'a plus été perçu dans sa globalité et s'est trop souvent trouvé réduit à sa dimension économique et financière. L'ambition, la volonté n'étaient plus au rendez-vous ! C'est cela, la réalité.

Aujourd'hui, à vous qui représentez les forces vives tunisiennes, à vous qui incarnez l'énergie formidable de ce pays entreprenant et industrieux, sa vocation à l'ouverture et au succès, sa volonté farouche de s'ancrer à l'Europe, je dis : retrouvons notre élan fondateur ! Ne refaisons pas les mêmes erreurs qui ont pu ralentir la construction de notre destin méditerranéen ! Ne nous laissons pas non plus arrêter, submerger par les difficultés de toute nature qui nous attendent inévitablement !

Au contraire, les obstacles, les situations de crise, les contentieux, la persistance de la violence, les menaces que font planer sur nos sociétés la tentation du repli et les crispations identitaires, confirment l'intuition qui a présidé naguère à notre rapprochement, la justesse de notre vision. Ils nous crient l'urgence d'une relance du processus de Barcelone. Ils soulignent notre ardente obligation d'aller de l'avant.

Cette conviction, cette volonté, la Tunisie les porte avec vigueur. Elle qui fut l'un des pionniers du partenariat euro-méditerranéen et en demeure l'un des champions. Elle qui a pris l'initiative forte, par la voix de son Président, de ce Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du dialogue 5+5 qui s'ouvrira, ici-même, demain, à Tunis, précisément pour mener toujours plus loin notre aventure commune.

Très tôt, votre pays en a perçu toutes les promesses, toutes les richesses, comme il a compris que l'intégration régionale au sud de la Méditerranée, en particulier au Maghreb, était une condition essentielle de notre partenariat et de son efficacité pour l'intérêt de tous.

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Qui ne mesure en effet l'importance du projet d'unité maghrébine dans la dynamique de notre rapprochement ?

Dynamique économique. Plus large est le marché, plus il attire investisseurs et entreprises. Le flux d'investissements sera d'autant plus important vers les pays du Maghreb qu'ils auront intensifié leurs échanges, entre eux et avec les autres pays du sud, et qu'ils auront su faire jouer pleinement leurs complémentarités.

Dynamique sociale. Nous rêvons de bâtir en Méditerranée un vaste espace de progrès, où les hommes circuleront et s'installeront plus librement, un espace d'équité qui offre à tous leur chance, où chacun trouve sa place. Cette dimension sociale est au coeur de notre ambition euro-méditerranéenne. Pour cela aussi, il est essentiel que le Maghreb poursuive et réussisse son intégration. Pour lever chez vous les ultimes barrières au mouvement naturel des hommes. Pour harmoniser les niveaux de vie entre populations voisines. Pour promouvoir, à travers les programmes d'aménagements et d'infrastructures, un développement équilibré des territoires.

Dynamique politique, enfin, car cette société ouverte, cette société de l'échange que nous voulons bâtir tout autour de la Méditerranée, doit s'accorder sur l'essentiel : la démocratie, les libertés, l'état de droit, ces principes universels auxquels l'Europe est profondément attachée. Ceux-ci s'épanouiront et s'enracineront d'autant mieux que le commerce, les affaires, les hommes, les idées trouveront des horizons élargis. L'adhésion commune des pays maghrébins à ces choix de société, dans le respect de leur culture, favorisera tout à la fois leur propre rapprochement, et leur partenariat avec l'Europe.

Enfin, à ceux qui expriment des doutes ou des craintes pour l'avenir de notre destinée commune, à la veille de l'élargissement de l'Europe, je veux dire solennellement ceci : l'Union européenne, réalisant à l'Est son union historique, ne se détournera pas de sa rive Sud. Elle honorera ses engagements. Notre rapprochement euro-méditerranéen portera, je le sais, tous ses fruits !

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A Naples, devant la conférence euro-méditerranéenne, la France a avancé des idées novatrices, il y a quelques jours. Nous proposons de renforcer le dialogue politique et de sécurité, d'aborder la question des droits de l'Homme de manière plus incitative, de mieux appuyer les réformes économiques, et de réfléchir, via un comité de personnalités de haut niveau, à l'avenir du processus de Barcelone et aux exigences du dialogue des cultures.

Nous nous sommes réjouis de l'initiative "nouveaux voisins", lancée par Romano Prodi, Président de la Commission européenne. Elle ouvre la voie à une association encore plus étroite avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée. C'est le sens des "coopérations renforcées" entre le Maghreb et l'Union européenne, proposées par la France afin de stimuler l'intégration économique maghrébine dans le cadre du processus de Barcelone.

Je sais pouvoir compter sur la Tunisie pour favoriser cette nécessaire relance. Et la Tunisie peut compter sur la France pour être à ses côtés.

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Voilà quelques-unes des questions que nous aborderons demain, lors du Sommet du dialogue 5+5, réunissant les pays du pourtour de la Méditerranée occidentale, qui ont une vocation naturelle à parler et à travailler ensemble, à agir comme force de proposition et comme véritable moteur du processus euro-méditerranéen.

A la veille de cette rencontre qui devra imprimer un nouvel élan, explorer de nouvelles voies, j'invite nos pays à être audacieux et volontaires. Réaffirmons ensemble cette priorité euro-maghrébine ! Retrouvons cette énergie de paix ! Renouons avec la dynamique du rapprochement et de la coopération ! Sachons puiser au génie de la Méditerranée, à ses valeurs millénaires d'échange, de partage, de tolérance ! Reprenons résolument notre marche vers un destin méditerranéen commun ! Ainsi, nous ferons triompher l'esprit d'ouverture et l'esprit de progrès.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs,

A travers vous, c'est la Tunisie moderne, entreprenante et humaniste, cette Tunisie qui montre l'exemple, la Tunisie solidaire de l'Europe, que je veux saluer, une fois encore, au nom de la France solidaire et amie du Maghreb.

Je vous remercie.





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