Hommage funèbre du Président de la République en l'honneur du Colonel Henri ROL-TANGUY.

Hommage funèbre de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, en l'honneur du Colonel Henri ROL-TANGUY.

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Hôtel des Invalides, Paris, le jeudi 12 septembre 2002

Madame, Mesdames, Messieurs,

C'est l'émotion, le recueillement, c'est aussi l'attachement respectueux que nous portons au colonel Henri ROL-TANGUY qui nous réunissent en ce jour.

Henri ROL-TANGUY était un homme de charisme et de rayonnement. À une autorité naturelle, il joignait une humanité, une gentillesse, une générosité qui venaient du coeur. Toute sa vie, ce meneur d'hommes, qui aimait les êtres autant que les idées, devait donner l'exemple de ce que peuvent la force de caractère, le patriotisme, l'amour de la liberté et de la patrie.

C'est en Espagne que l'ouvrier métallurgiste, le militant syndicaliste, le combattant des Brigades internationales montrera son courage et sa passion pour la démocratie et pour la liberté. Du patriote ardent, la Résistance fera un héros.

Ce fils d'officier marinier, né à Morlaix, poursuit ses études, au gré des affectations de son père, à Toulon, Brest, Cherbourg. À quinze ans, Henri TANGUY est ouvrier métallurgiste à Paris. Deux ans plus tard, il entre aux usines Renault de Boulogne-Billancourt et adhère aux Jeunesses communistes. Il restera toute sa vie fidèle à l'engagement de ses dix-sept ans et sera toujours le défenseur d'un humanisme généreux, épris de justice sociale et imprégné des valeurs de la Révolution française.

Les événements de février 1934, puis la guerre d'Espagne vont faire du militant et du syndicaliste un adversaire déterminé du fascisme : dès 1936, il se porte volontaire pour les Brigades internationales.

C'est lors de son second séjour en Espagne qu'il fait l'apprentissage du feu. Commissaire politique de la 14e Brigade, la Marseillaise, il participe à l'offensive de l'Èbre, puis aux derniers combats de 1938. Blessé, Henri TANGUY tirera de cette guerre sans merci, dont a si bien parlé André MALRAUX, une expérience qui sera capitale pour ses combats futurs.

De retour en France, il reprend ses fonctions au Syndicat des métaux et épouse Cécile LE BIHAN, sa marraine de guerre, secrétaire de ce même Syndicat. Quelques mois plus tard, l'Allemagne envahit la Pologne. Henri TANGUY est mobilisé et envoyé en Lorraine sur un poste avancé de la ligne Maginot où il affronte "la drôle de guerre" et le rude hiver 1939. Il se battra jusqu'en juin 1940 puis, démobilisé en zone sud, il réussit à regagner Paris le 19 août, quatre ans jour pour jour avant le début de l'insurrection parisienne, comme il aimait à le souligner.

En ce funeste été 40, la France, qui vient de subir l'un des plus grands traumatismes de son histoire, mesure toute l'ampleur de la défaite. Dans un pays accablé, Paris, capitale de la liberté, devient "le remords du monde".

Henri TANGUY est de ceux qui ne peuvent accepter la défaite, l'humiliation, l'asservissement. De combattant, il va se faire stratège pour défendre, avec courage et talent, les valeurs de la République. Il sera, sous le pseudonyme de ROL, l'un de ceux qui, à la tête des combattants parisiens, jouèrent, avec le général LECLERC et la prestigieuse 2e D.B., un rôle absolument déterminant dans la libération de la Capitale. Plus encore, cette figure mythique de l'insurrection parisienne deviendra l'un des symboles de cette Résistance rassemblant dans l'ombre des hommes et des femmes de toutes les origines, de tous les horizons qui choisirent de se réunir par-delà leurs différences, sous l'autorité de Jean MOULIN et porté par le Chant des Partisans.

Dès son arrivée à Paris, Henri TANGUY renoue immédiatement le contact avec ses amis syndicalistes et, dès octobre 1940, il entre dans la clandestinité. Sa femme partage son engagement. Cécile TANGUY sera désormais sa collaboratrice, son agent de liaison, tapant et acheminant les tracts, reproduisant les journaux clandestins, transportant des armes, des explosifs, prenant tous les risques.

Dès août 1941, il est chargé d'organiser, en région parisienne, des groupes armés qui donneront naissance en février 1942 aux Francs-Tireurs et Partisans, les FTP, dont il prend le commandement. Mais recherché par la police, il doit quitter Paris pour l'inter-région Anjou-Poitou.

Quelques mois plus tard, en avril 1943, il est rappelé dans la Capitale qu'il ne quittera plus jusqu'à la Libération. Il réorganise les FTP affaiblis par de multiples arrestations. En octobre 1943, lorsque commence l'unification de l'ensemble des Forces Armées de la Résistance, il intègre l'État-major des Forces Françaises de l'Intérieur de la région parisienne. Le 5 juin 1944, la veille du débarquement allié, il est nommé colonel, chef des FFI d'Ile-de-France. C'est alors qu'il adopte son pseudonyme, ROL, en hommage à un camarade des Brigades internationales, Théo ROL, tué au cours des derniers combats de la 14e Brigade, à la Sierra Caballs.

À Paris, l'heure de la Libération approche. Les Parisiens l'attendent, l'espèrent de toutes leurs forces. La ville est exsangue, affamée et sans armes, et l'ennemi toujours là. Omniprésent. Omnipotent. Qu'importe, le peuple de Paris va prendre tous les risques.

Ce sont les cheminots qui déclenchent la grève. Puis, le 15 août 1944, est diffusé le premier ordre d'insurrection : c'est ROL qui s'adresse je le cite : "À la police parisienne, à la Garde républicaine, à la gendarmerie, aux gardes mobiles, aux GMR et aux gardes de prisons" - à toutes les formations régulières qui se trouvent à Paris".

Le 19 août 1944, de son poste de commandement qui est transféré le jour même dans les catacombes, sous le lion de la place Denfert-Rochereau, il engage les FFI dans le combat, enflamme le peuple de Paris. L'"Appel aux barricades", tapé par le lieutenant FFI Cécile ROL-TANGUY, retrouve l'audace et la vigueur d'un autre appel aux armes, celui-là lancé jadis, en 1871, par Victor HUGO : "Pas de trêve, pas de repos, pas de sommeil : le despotisme attaque la liberté. Ô francs-tireurs, allez···".

Durant toute cette semaine décisive, ROL va assurer la direction militaire de l'insurrection parisienne avec un sang-froid, un courage et une maîtrise admirables.

Aussi, lorsque le 25 août, à la gare Montparnasse, le Maréchal VON CHOLTITZ remet la capitulation des troupes allemandes de Paris au général LECLERC et au colonel ROL-TANGUY, le chef de la 2e DB peut dire avec une satisfaction immense : "La France de de GAULLE, celle qui a refusé de cesser le feu, retrouve la France de l'intérieur, celle qui a refusé de courber le front".

Un peu plus tard, à l'Hôtel de Ville, devant une foule en liesse, le général de GAULLE saluera avec force et émotion la Libération de Paris, cette action d'éclat que la Ville, je le cite aussi, a "entreprise de ses propres mains, achevée avec l'appui d'une grande unité française et consacrée par l'immense enthousiasme d'un peuple unanime".

Paris libéré, Henri ROL-TANGUY s'engage dans la Première Armée française et, sous le commandement du général de LATTRE, il participe à la campagne d'Allemagne qui le mène du Rhin jusqu'au Danube. Il sera nommé commandant militaire de Coblence et, en octobre 1945, il entrera définitivement dans l'armée.

Pour sa participation éminente, s'il en fût, à la Libération de Paris, le général de GAULLE l'élèvera, le 18 juin 1945, à la dignité de Compagnon de la Libération.

Croix de guerre, médaillé de la Résistance, Grand'Croix de la Légion d'honneur, Henri ROL-TANGUY aura été l'âme de l'insurrection. Sur son courage, sa volonté, son autorité ont reposé la préparation, puis l'accomplissement de la Libération de Paris, avec la 2e DB et les Armées alliées dans leur marche victorieuse vers le Rhin. Acteur et témoin d'événements inoubliables, il restera pour tous un exemple de ce que peuvent réaliser, lorsqu'ils sont portés à leur plus haut degré, le patriotisme, l'amour de la liberté, de la République, de la France.

Henri ROL-TANGUY restera aussi l'exemple de ce que peuvent accomplir les efforts conjugués de tout un peuple qui retrouve par lui-même, grâce à ses combattants de l'ombre et à son armée, sa grandeur et sa dignité ; un peuple enfin réuni qui redonne à la France, avec sa cohésion, son rang et sa place au sein des nations. Et je veux rendre hommage, ici, aux Invalides, à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui, dans les maquis, dans les prisons, dans les camps ou sur les champs de bataille, ont accepté de sacrifier leur vie à leur idéal, pour la liberté, la dignité de l'homme et la grandeur de la France.


Henri ROL-TANGUY va reposer à Monteaux, dans ce village du Loir-et-Cher où il s'était retiré. À son épouse, à toute sa famille et à ses proches, j'adresse, en mon nom personnel et au nom de tous les Français, mes très sincères et très tristes condoléances.

Madame, j'ai rencontré votre mari, souvent. À maintes reprises, nous avons évoqué ces pages tragiques et glorieuses de notre histoire dont il fut un grand témoin. J'avais pour cet homme d'exception une profonde admiration. Je ne l'oublierai pas. Et parmi toutes les images que le nom d'Henri ROL-TANGUY fait surgir dans mon esprit et dans ma mémoire, je garderai toujours, comme tant de Français, celle de ce colonel FFI au visage énergique accueillant avec fierté, aux côtés du général LECLERC, le général de GAULLE, le chef de la France Libre. C'était le 25 août 1944.





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