Allocution du Président de la République à l'occasion de la cérémonie de remise de décoration à Mme Miriam MAKEBA.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la cérémonie de remise de la Légion d'honneur à Mme Miriam MAKEBA.

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Johannesburg, Afrique du Sud, le jeudi 12 septembre 2002

Mesdames, Messieurs, Chère, très très chère Miriam MAKEBA,

Je me réjouis de vous retrouver ce soir entourée de votre famille, et notamment des plus jeunes, et aussi de tous vos proches, que je salue cordialement et chaleureusement.

Je garde un souvenir très vif de notre dernière rencontre : c'était il y a quatre ans, lors de ma visite d'État en Afrique du sud. Un déjeuner, vous vous en souvenez, j'en suis sûr, qui réunissait, autour de Monseigneur Desmond TUTU, notre ami Desmond TUTU, des personnalités du monde culturel. Et on nous avait placés, c'était un grand privilège pour moi, l'un à côté de l'autre et j'avais pu apprécier, tout autant que votre élégance, votre intelligence, mais aussi votre force de caractère et votre charisme. Je m'étais alors promis, si l'occasion m'en était donnée, de vous témoigner concrètement, au nom de la France, l'admiration, le respect et l'amitié que je vous porte, et que vous portent la France et les Français.

Cette occasion m'est offerte aujourd'hui. Au moment où l'Humanité tout entière se retrouve à Johannesburg pour décider de son avenir, je suis profondément heureux de rendre l'hommage qu'elle mérite à une femme exceptionnelle qui contribue de tout son talent, de toute sa passion, de toute sa générosité, à écrire l'histoire du monde.

Dans votre livre de mémoires, "Makeba my story", vous expliquez : "On m'a refusé mon foyer, on nous a refusé une terre. J'ai vu ma famille tuée par des soldats. J'ai été exilée à l'extérieur et mon peuple a été exilé à l'intérieur··· Ma vie, ma carrière, ajoutez-vous, chaque titre que je chante et chaque concert sont liés au destin de mon peuple."

Votre carrière et vos engagements politiques, chère Miriam, vous les avez toujours menés de front. Et ce choix difficile que vous avez pleinement assumé a fait de la chanteuse sud-africaine connue dans le monde entier un symbole et un modèle de courage et de coeur pour l'ensemble d'un continent, pour l'ensemble de l'humanité.

Votre carrière est à son plus haut lorsque se produit en Afrique du Sud le massacre de Sharpeville où deux de vos oncles sont tués. Peu après, survient la mort de votre mère. Votre visa vous est refusé, ainsi que le droit de lui dire un ultime adieu.

Commence alors un exil de plus de trente ans, tandis que vous découvrez aux États-Unis la ségrégation et la force du "Civil Rights Movement". La très grande chanteuse noire qui est une femme de culture attachée à son identité, à ses racines, à son pays, et qui a toujours combattu l'apartheid, va aller désormais jusqu'au bout de son engagement. Vous devenez "Mama Africa" le modèle de tout un continent.

1991 marque la fin de trente et un ans d'exil et, grâce à un passeport français, nous en sommes fiers, car vous avez toujours entretenu un lien étroit, un lien de coeur avec la France, votre retour dans votre pays où, malgré l'interdiction de vente qui frappait tous vos disques, vous êtes une légende vivante pour tous les Sud-africains.

L'immense artiste qui reçoit un accueil triomphal profite de son aura pour appeler une nouvelle fois à l'arrêt des violences. Vous qui avez reçu dans le monde entier de nombreuses distinctions en reconnaissance de votre lutte en faveur des opprimés, vous allez, aux côtés de Nelson MANDELA et de Monseigneur Desmond TUTU, vous consacrer à votre pays et à l'avenir de ses enfants. Vous créez alors la Fondation pour les enfants d'Afrique et vous organisez, pour recueillir des fonds, un concert à Lagos, qui remporte un fantastique, un formidable succès et dont sera tiré un film, "The Children of Africa". Votre énergie est extraordinaire : vous, dont le Président Thabo MBEKI a fait son ambassadeur de bonne volonté à travers le monde, vous venez encore d'inaugurer, pour les jeunes filles, un centre de réhabilitation qui porte votre nom, un nom que vous avez donné également l'an passé à l'école française de Pretoria.

Tout cela, vous l'avez accompli avec une seule arme, vos chansons, ces "petits riens", comme vous le dites, ces petits riens sublimes qui chantent le quotidien, mais dont chaque mot fait entendre l'écho de milliers de personnes atteintes dans leur dignité. Toute votre vie, vous vous êtes battue contre l'exploitation des hommes et des femmes. Pour tous les opprimés, comme pour les générations nouvelles qui vous découvrent et remixent avec bonheur votre répertoire, vous êtes celle qui redonne espoir en invitant chacun à se tourner vers l'avenir, "Eyes on tomorrow" comme le dit l'un de vos albums.

En vous remettant, chère Miriam, cette cravate de la Légion d'honneur, aujourd'hui, à Johannesburg où se tient le Sommet de la Terre, je veux moi aussi me tourner vers l'avenir. Au moment où j'ai la joie de distinguer une très très grande dame qui a mis son talent incomparable et toute la force de sa passion au service de son engagement, je forme un voeu : je souhaite que votre exemple, l'un des plus beaux exemples de courage et de générosité qui soient, reste un modèle pour tous les citoyens du monde.

Miriam MAKEBA, Au nom de la République française, Nous vous faisons Commandeur de la Légion d'honneur.





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