Discours du Président de la République devant le Parlement libanais à Beyrouth.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République devant le Parlement libanais.

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Beyrouth, Liban, le jeudi 17 octobre 2002.

Monsieur le Président de la Chambre des Députés,
Monsieur le Président du Conseil des Ministres,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Rien, je crois, ne ressemble à la relation franco-libanaise. Que Libanais et Français se retrouvent et c'est le coeur qui parle. Aujourd'hui, vous m'avez invité à faire entendre dans cet hémicycle la voix de la France. Comme en 1996, vous allez entendre tout simplement la voix de l'amitié et de la fraternité. Rien dans le destin, parfois tragique, souvent magnifique, de votre pays n'est indifférent à la France.

Que les Libanais se déchirent, que souffre le Liban, et, vous le savez, votre peine est aussi la nôtre. Alors, nous n'avons de cesse de vous apporter notre soutien, pour trouver avec vous et avec toutes les parties concernées les voies d'un apaisement et d'un règlement. Que le Liban se réconcilie, se reconstruise, relève la tête, alors nous, Français, nous partageons son espérance et sa joie !

Il y a quatre ans, la Résidence des Pins redevenait la maison de la France au Liban, la maison de notre fraternité. J'avais parcouru votre capitale et déjà les stigmates de la tragédie commençaient à s'effacer. Beyrouth renaissait. La ville martyre, qui avait si longtemps résonné des explosions et des cris de souffrance et de peur, reprenait goût à la paix et à la vie. Elle redevenait ce qu'elle fut dans l'histoire : la cité de l'accueil. Et ce furent pour moi des moments d'intense émotion. Votre bonheur était aussi le nôtre.

Aujourd'hui, Beyrouth reçoit le Sommet de la Francophonie. Beyrouth renoue le fil du temps. Six mois après avoir accueilli le Sommet arabe, un sommet particulièrement important, elle retrouve sa place éminente sur la scène internationale. La ville carrefour redevient la ville du dialogue. En rassemblant dans ses murs toutes les sensibilités, tous les génies, toutes les langues de la Francophonie. En faisant se rencontrer le monde francophone et le monde arabophone, illustration exemplaire du dialogue des civilisations et des cultures, un dialogue aujourd'hui si nécessaire. * Faire parler le coeur, c'est rendre hommage dans cette enceinte aux Libanais, devant celles et ceux qui les représentent. C'est saluer le courage et l'ardeur d'un peuple. Oui, le Liban est remonté de l'abîme.

Si d'un mot, l'on devait résumer le talent de votre peuple, c'est celui d'ouverture qu'il faudrait choisir.

L'ouverture comme trait de caractère, c'est-à-dire la sensibilité aux influences, le goût de mêler et conjuguer les traditions. Et cet esprit de conquête pacifique dont toute la Méditerranée porte l'empreinte millénaire. Votre empreinte.

L'ouverture d'un peuple riche de ses nombreux enfants établis de par le monde et au sort desquels, c'est vrai Monsieur le Président, la France a toujours été attentive, comme elle l'est aujourd'hui en Côte d'Ivoire. À l'heure de la reconstruction, le Liban peut compter, je le sais sur leur force et leur talent, la force et le talent de tous ses enfants hors du pays.

Cet esprit d'ouverture, chevillé à l'âme libanaise, cette tolérance qui vous fait poursuivre sans cesse l'oeuvre de réconciliation, la consolidation de l'unité nationale dans le respect des différences. Votre souci de rassembler et faire vivre en un peuple tant de communautés.

Mesdames et Messieurs les Députés, vous incarnez ici l'unité nationale retrouvée. Vous êtes les gardiens de ces valeurs -la tolérance, la démocratie, les droits de l'Homme et les libertés de l'Homme qui doivent être toujours assurés et respectés- sans lesquelles le Liban ne serait pas lui-même. Ces valeurs sont fragiles. C'est à vous qu'il appartient de les défendre contre tout ce qui peut les affaiblir. C'est à vous de veiller à ce que toutes les sensibilités, politiques, sociales, soient représentées dans votre enceinte et que chacun, chacune, puisse s'exprimer pleinement et librement dans tout le pays. Vous portez sur vos épaules une part essentielle du destin du Liban.

Voici plus de dix ans, votre pays s'est engagé dans la voie difficile de la réconciliation nationale et de la restauration de sa souveraineté. Les accords de Taëf servent de cadre à cette volonté. Il faut poursuivre et achever leur mise en oeuvre. Restaurer l'État dans toutes ses prérogatives. Un État dans lequel se reconnaissent tous les Libanais, un État impartial, un État au service de tous. Un état de droit qui suscite la confiance des citoyens, dissipe leur crainte de l'avenir. Un État pleinement souverain et indépendant, capable de se faire entendre et de se faire respecter.

Une fois encore, vous pouvez compter sur le soutien de la France. Soutien que nous n'avons jamais cessé de réaffirmer, notamment aux heures les plus noires, au prix parfois de la vie de nos représentants et de nos soldats. En rappelant, dès 1978, notre attachement à l'intégrité territoriale, à l'indépendance, à la souveraineté du Liban. En condamnant fermement l'occupation par Israël du sud-Liban. En rappelant inlassablement les termes de la résolution 425, tout en apportant notre contribution directe à la FINUL. Nous avons, les premiers, condamné la tragédie de Cana, avant d'obtenir qu'un groupe de surveillance, mis en place en avril 1996, veille à circonscrire le conflit et à épargner les populations civiles.

Aussi, avons-nous partagé le sentiment de libération qu'ont ressenti tous les Libanais lors du retrait israélien en mai 2000.

Depuis lors, les autorités libanaises travaillent à rétablir la présence de l'État dans ces territoires libérés. Mais, que ce soit dans le domaine de la sécurité, ou dans celui de l'administration et des services publics, il faut aller plus loin.

La restauration de l'autorité de l'État dans toute cette région constituera un soulagement et un réconfort pour une population soumise à plus de vingt ans d'occupation. Elle permettra aussi à la France et à la communauté internationale de se mobiliser massivement, activement en faveur du développement de cette partie du territoire libanais.

Mais il faut rester vigilant. Les risques d'escalade demeurent. Évitons les provocations de part et d'autre. Nous appelons toutes les parties à respecter, comme elles s'y sont engagées, la "ligne bleue" fixée par les Nations Unies, toutes les parties à faire preuve en toute occasion de la plus grande retenue. C'est l'intérêt du Liban et de tous les Libanais. C'est aussi par le respect du droit international que les différends concernant les ressources en eau doivent être résolus. La France est prête, si le Liban bien entendu le souhaite, à apporter sa contribution au règlement de ces difficultés. * La solidarité de la France avec le Liban est également économique. Vous savez la part que nous avons prise, dès le lendemain de la guerre, à la reconstruction du pays. C'est désormais à son développement que nous nous attachons. Dans cet esprit, nous avons décidé d'inscrire le Liban dans le premier cercle des partenaires de notre coopération.

Mais la poursuite de votre développement dépend aujourd'hui des succès de la restructuration financière de votre économie. Il faut maintenant que le Liban maîtrise et réduise son déficit budgétaire, qu'il allège le poids de sa dette. L'enjeu dépasse les seules considérations économiques et sociales. Il touche à la stabilité même du pays et donc à celle de la région dans son ensemble.

C'est pour aider le Liban dans cette tâche qu'en accord avec le Président du Conseil des ministres, j'ai demandé à une éminente personnalité du monde financier international, Michel CAMDESSUS, Gouverneur honoraire de la Banque de France et ancien Directeur général du Fonds monétaire international, de plaider la cause du Liban auprès des membres du G8, de nos partenaires européens et de nos partenaires arabes mais aussi des organisations financières internationales. Tout est mis en oeuvre pour qu'une réunion internationale se tienne dans les prochaines semaines et prenne les mesures qui aideront le Liban à faire face à ses difficultés. C'est l'intérêt du Liban, c'est l'intérêt de la région. C'est en vérité l'intérêt du monde. À travers les efforts courageux et intelligents engagés par votre Gouvernement, votre pays accomplit sa part de chemin. Je ne doute pas que votre Assemblée lui apportera tout son soutien dans la mise en oeuvre de cette politique courageuse et indispensable.

Je sais, Monsieur le Président de la Chambre des députés, Mesdames et Messieurs les députés, la part importante que vous prenez comme législateurs à ce grand chantier de réformes. Le Liban a su rapidement se mettre en conformité avec les exigences actuelles de la lutte contre le blanchiment d'argent, consolidant ainsi le rôle de place financière internationale de Beyrouth. Déjà, des résultats tangibles ont été enregistrés. Ils sont un encouragement à continuer à assainir la situation financière, à moderniser l'appareil de l'État et à permettre à l'économie libanaise de revenir dans la compétition internationale et d'y revenir au premier plan. Ce qui est sa vocation, sa tradition, compte tenu de l'intelligence et de l'expérience des hommes et des femmes de ce pays.

Le récent accord d'association entre le Liban et l'Union européenne, qui va prochainement vous être soumis, donnera une puissante impulsion aux réformes et à leur mise en oeuvre. Cet accord amarre le Liban à l'Europe et souligne notre communauté d'intérêt et de destin. Il favorise aussi le développement des liens avec vos voisins arabes méditerranéens. La construction de ce nouvel ensemble euro-méditerranéen et l'avènement d'une paix juste et globale, que nous appelons tous de nos voeux, permettront au Liban de renforcer à la fois son indépendance et sa coopération avec les pays de la région. * Une région où planent encore de lourdes menaces. À vos portes, l'impasse tragique dans laquelle s'éternise le conflit israélo-arabe inquiète la France autant que le Liban. Quel paradoxe alors que les convergences internationales sur les éléments d'une solution n'ont jamais été aussi grandes ! Et quelle injustice pour tous ces peuples qui se côtoient sans pouvoir mêler leurs destins dans la paix et la sécurité ! La France ne s'y résigne pas et continuera à travailler à un règlement équitable de ce conflit, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Équitable pour les Palestiniens qui, en tant que peuple, ont le droit de vivre dans un État souverain. Nous ne nous sommes jamais résolus à une occupation contraire au droit, une occupation qui humilie, qui appauvrit et qui nourrit, de génération en génération, la haine et le ressentiment.

Équitable aussi pour Israël, qui a un droit absolu à vivre dans des frontières sûres et reconnues, et équitable pour les Israéliens, qui ont droit à la sécurité. Et, je le rappelle, la France condamne sans réserve la violence terroriste d'où qu'elle vienne et quelles que soient les formes qu'elle prenne.

Mais d'abord, le dialogue doit reprendre, comme l'exige le Conseil de sécurité. Chacune des parties doit prouver sa bonne volonté. L'Autorité palestinienne en se réformant. Et Israël en se retirant des territoires palestiniens. Nous ne devons pas nous décourager. Nous poursuivrons inlassablement nos efforts pour relancer, dans le cadre d'une conférence internationale aujourd'hui nécessaire, la recherche d'une solution qui ne peut être que politique. Ces efforts s'appuieront sur les recommandations du Quartet, mais aussi sur cette chance historique que représente le plan arabe de paix adopté lors du Sommet de Beyrouth, en mars dernier.

Bien entendu, la paix ne sera globale, juste et durable que si elle inclut le Liban et la Syrie, et si elle apporte une solution équitable, je dis bien équitable, à la question des réfugiés palestiniens, une solution qui tienne compte naturellement des intérêts du Liban, des intérêts légitimes du Liban. C'est la position constante de la France.

Dans le même temps, l'évolution vers cette paix tant souhaitée permettra au Liban et à la Syrie d'harmoniser leurs relations et de mener à terme le retrait complet des forces syriennes de votre pays, conformément aux accords de Taëf.

Une autre crise, la crise iraquienne, menace la région. La France met tout en oeuvre pour que la légalité internationale soit respectée, et la moralité aussi. Le désarmement iraquien est impératif indiscutable. Toutes les résolutions doivent être appliquées. Nous ne pouvons tolérer que l'Iraq fasse fi de ses obligations et constitue une menace pour la paix et pour la stabilité. Toutes les résolutions, mais rien que les résolutions. Nous voulons agir collectivement, dans le cadre des Nations Unies, un cadre qui seul assure la légitimité de toute action. C'est une nécessité à la fois morale et politique. C'est une garantie d'efficacité. C'est aussi l'avenir des relations internationales qui est en jeu. L'option militaire, ultime recours, n'est pas une fatalité. Faisons d'abord le pari de la responsabilité et de la sécurité dans la paix. * Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés,

Le Liban n'est pas seul. Nous sommes à ses côtés et nous continuerons à mobiliser la communauté internationale en sa faveur pour l'aider à retrouver toute sa place, une place éminente, parmi les nations. Les Libanaises et les Libanais l'ont démontré au moment de se réconcilier et de reconstruire ensemble leur pays : ils débordent de talent, de courage et de ressources.

Mesdames et Messieurs les députés, à travers vous c'est à toutes les Libanaises et à tous les Libanais que je m'adresse. Libanais du Liban ou Libanais de l'étranger : soyez confiants en l'avenir de votre pays ! Il le mérite. C'est juste et légitime. Mobilisez vous ! Votre pays a besoin de l'énergie et de la volonté de tous et de tous ses enfants. Là aussi, il le mérite. Agissez ensemble, sans laisser place aux querelles fratricides et absurdes, sans laisser aucun d'entre vous au bord du chemin. C'est ainsi que votre pays, vieille terre de tradition et de culture, réussira et répondra aux aspirations d'une jeunesse libanaise, qui fondamentalement est la raison de tous vos efforts aujourd'hui. Une jeunesse libanaise que je vois souvent ici ou à l'étranger, ardente, généreuse, tournée vers l'avenir, loin des querelles du passé que bien souvent elle ne comprend plus.

Voilà le message de la France que je souhaitais vous porter aujourd'hui. Voilà le message du coeur : la France aime le Liban et sera toujours avec lui, pour travailler à la paix, à la coopération et à la prospérité dans une région qui n'en peut plus des déchirements et des guerres.

Merci, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés de l'Assemblée nationale libanaise, de m'avoir accueilli dans cette enceinte où s'incarnent la démocratie et l'unité libanaises. Merci, au nom de la France, de votre accueil chaleureux et fraternel auquel je suis particulièrement sensible.

Vive la France !
Vive le Liban !





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