Allocution du Président de la République à l'occasion de la présentation des voeux des Corps constitués.

Allocution de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux des Corps constitués.

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Palais de l'Elysée, le lundi 7 janvier 2002

Monsieur le Premier ministre, Madame et Messieurs les Ministres, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

J'ai été sensible, Monsieur le Président, aux voeux que vous venez de me présenter au nom des serviteurs de la République. À mon tour, je souhaite que cette année 2002 soit, pour vous, pour vous toutes et pour tous, pour ceux qui vous sont proches, une bonne et heureuse année.

Nous vivons les premières journées de l'euro. Si le passage du franc à l'euro se déroule dans de bonnes conditions, c'est bien sûr en raison de l'accueil réservé par les Français à leur nouvelle monnaie et aussi de l'engagement des commerçants et des banques. Mais c'est aussi parce que tous les services publics, à commencer par les administrations, et notamment les administrations financières, et les services chargés de la sécurité, se sont depuis longtemps mobilisés pour faire de ce grand changement une réussite. Vous comprendrez que je tienne à les en remercier, en leur demandant de rester naturellement actifs et vigilants pour conforter ce succès.

Mes voeux aujourd'hui s'adressent à toutes celles et tous ceux qui, dans notre pays, ont choisi de mettre leurs compétences au service de leurs concitoyens et d'oeuvrer pour le bien commun, en France métropolitaine, outre-mer ou à l'étranger. Leur mission est difficile. Elle s'exerce selon des modalités qui ne s'adaptent que progressivement aux temps modernes et dans un contexte général où l'autorité publique est de plus en plus souvent défiée.

Les fonctionnaires sont les premiers exposés à la transgression des règles de la vie en société, car ces règles, d'une manière ou d'une autre, ils ont à les faire vivre, ils ont à les incarner. Je veux rendre hommage aujourd'hui au dévouement dont ils font preuve, jour après jour, pour que l'intérêt général continue à prévaloir. Plus que jamais, ils doivent être les messagers de la République et les acteurs de notre cohésion nationale.

Vous avez, Monsieur le Président, évoqué l'ampleur des tâches qui nous attendent pour civiliser, réguler et humaniser la mondialisation. Vous connaissez mon engagement personnel, l'engagement aussi du Gouvernement, et notamment au sein des instances internationales dans ce domaine. Nous ne ménageons pas nos efforts pour atteindre ce but.

Vous avez eu raison de le dire, il est difficile de dessiner les perspectives de l'année qui s'ouvre sans avoir à l'esprit les crimes d'un terrorisme international, porteur de mort et de haine, qui a si durement frappé le peuple américain le 11 septembre dernier.

À l'occasion de ce drame, les Français, bouleversés et inquiets, se sont une fois de plus tournés vers leur État. Afin qu'il leur donne les clefs pour comprendre ces événements inconcevables. Afin qu'il les protège contre une menace terroriste diffuse, sans frontières ni visage. Un État qui réaffirme vigoureusement la nécessité de la cohésion nationale. Qui appelle tous les Français, de toutes origines, à donner encore et toujours, aujourd'hui plus que jamais, l'exemple du vivre ensemble et de l'unité au sein du creuset républicain. Et enfin, un État qui exprime notre fidélité aux valeurs de respect et de tolérance qui fondent l'universalité de la parole de la France.

Pourtant, à l'heure même où les Français aspirent à un État fort, sûr de lui, conforté dans l'exercice de ses missions d'intérêt général, et tout particulièrement de ses missions de sécurité et de solidarité, l'autorité de l'État est souvent mise en question dans la vie de chaque jour.

Comment accepter le quotidien des enseignants lorsqu'ils sont soumis à l'irrespect ou à la violence ? Que dire de ces gendarmes et de ces policiers pris en embuscade par des criminels parfois munis d'armes de guerre ? De ces médecins, de ces ambulanciers, de ces pompiers agressés lorsqu'ils pénètrent, pour sauver des vies, dans ces quartiers que l'on nomme "sensibles" ? De la justice atteinte dans ce qui fait le coeur, la difficulté et la noblesse de son métier, son aptitude à juger et à punir ?

L'État est contesté. Et pourtant il n'a jamais été aussi nécessaire et les Français le savent.

Au moment où ils réclament sa présence et le rétablissement de son autorité, l'État subit de profondes atteintes. Il n'est plus unanimement considéré et respecté. Ceci n'est pas vrai que chez nous. Chacun le sait. Il attire moins de vocations. Ses agents expriment parfois un véritable mal-être. Aux yeux de nombre de nos compatriotes, son prestige est affaibli. Les Français attendent beaucoup de lui mais doutent de ce qu'ils peuvent réellement en espérer.

Voilà pourquoi nous avons besoin d'une ambition pour l'État, un État relégitimé, renforcé dans son autorité, un État gardien de l'unité et de la cohésion de la Nation, un État garant de la sécurité des Français, un État rasséréné qui puisse exercer pleinement ses missions de service public, ses missions au service du public.


Pour renforcer l'État, la France doit pouvoir continuer à compter sur des fonctionnaires de qualité.

À chaque âge de notre pays a correspondu une certaine idée de l'État. L'exceptionnelle valeur des fonctionnaires de la République, à tous les postes, dans tous les ministères, s'est révélée un atout déterminant dans notre histoire.

Personne n'oubliera jamais l'inlassable activité des instituteurs, les "hussards noirs" de la IIIe République, qui ont permis l'accès de tous les Français aux savoirs fondamentaux. Les professeurs d'aujourd'hui sont leurs héritiers. Ils sont imprégnés du même sentiment de la noblesse de leur mission, mission parfois si rude de nos jours.

À la Libération, notre administration a su se mobiliser pour reconstruire une France ravagée par la guerre. Contrainte d'agir dans l'urgence, avec des moyens réduits, elle a réussi à faire face aux graves problèmes de production, d'approvisionnement et de logement auxquels elle était confrontée. Elle a jeté les bases d'un essor industriel rapide.

Puis ce fut l'enjeu de la construction européenne qui nous conduisit progressivement à moderniser notre économie et à transformer en profondeur le rôle de notre administration.

Aujourd'hui, nous avons un autre grand défi à relever. Le renouveau de l'État est devenu pour la Nation un enjeu primordial. Indissociable de la République, l'État doit être en phase avec la Nation pour répondre à de nouvelles aspirations. Il est et restera irremplaçable car, face à la diversité des intérêts et des revendications, lui seul peut exprimer l'intérêt supérieur du pays, lui seul peut assurer la cohésion de la société. Pour l'État, le grand défi aujourd'hui, c'est donc à la fois de garantir l'ordre et la sécurité et d'être pleinement au service de tous les Français.

Pendant longtemps l'État a précédé la Nation. Il doit désormais revenir vers elle pour accompagner son avenir. Notre responsabilité, votre responsabilité, est de lui en donner le souffle, les moyens, l'autorité et la volonté.

L'égalité, la neutralité, la continuité, l'adaptabilité constituent les principes fondateurs du service public à la française. Ces principes républicains, il vous appartient de leur donner consistance, de les faire vivre pour répondre aux besoins qu'appellent les changements incessants de l'économie et de la société.

Le fonctionnaire ne choisit pas seulement un métier, et le plus souvent un métier de vocation, il décide aussi de se mettre au service de l'intérêt général, c'est-à-dire au service de tous ses compatriotes. Il choisit de se dévouer, ce qui naturellement ne dispense pas l'État de bien le traiter. Il accepte la grandeur mais aussi les sujétions liées à ses fonctions, strictement définies par son statut. Honnêteté, disponibilité, impartialité, compétence, réserve, obéissance, mobilité, sont autant d'exigences auxquelles les agents publics doivent satisfaire. Mêlées à l'esprit d'initiative, au discernement et au sens des responsabilités, ce sont les qualités des vrais serviteurs de l'État.

Après avoir longtemps mobilisé toutes les forces de l'État, nous avons eu trop tendance à le négliger sous prétexte que sa mission aurait été en partie accomplie, que son rôle ne serait plus le même, qu'il doit changer. Et il est lui-même trop souvent resté ancré sur les trajectoires du passé. Au fil des temps, ses coûts se sont alourdis, les rigidités se sont accrues, l'empêchant de se redéployer et limitant ses marges de manoeuvre pour moderniser son action et ses outils de travail.

La décrue des vocations se manifeste alors que les départs, liés à la retraite des générations du "baby-boom", s'amplifient. Les recrutements de jeunes fonctionnaires se révèlent parfois difficiles. Il n'y a plus toujours assez de candidats, particulièrement pour les fonctions les plus exposées. Infirmières, adjoints de sécurité ou enseignants, confrontés quotidiennement à mille difficultés, manquent de volontaires. Le même phénomène se constate pour certains postes de responsabilité. Il se traduit par des départs de plus en plus précoces de hauts fonctionnaires issus de l'École de l'administration ou des corps techniques vers le secteur privé. Les départs anticipés à la retraite s'accroissent, aggravant le déséquilibre de la pyramide des âges. Les administrations centrales et les services extérieurs placés au contact des collectivités locales en souffrent déjà dans l'efficacité de leur action.

La perte de motivation s'exprime dans la rue, dans la presse, sur l'internet. Pour certains, c'est la difficulté de la tâche, pour d'autres le cloisonnement des métiers ; les faibles perspectives de carrière ; des rémunérations qui ne sont pas en rapport avec la manière de servir ; la pénibilité d'un métier, la dureté d'une affectation. Et c'est parfois aussi la démobilisation née de la concentration des décisions à Paris, du faible espace d'initiative laissé aux agents et de la dilution des missions de l'État.

Les difficultés sont réelles. Elles viennent de loin. Devant une charge de travail en croissance rapide, l'État n'a pas toujours su planifier son effort pour relancer le service public, pour améliorer l'équipement et les locaux des administrations et pour rénover l'organisation, les méthodes et l'outil de travail des fonctionnaires. Vieux défaut français.


Les enjeux de l'avenir sont d'importance : il s'agit de se donner des moyens nouveaux pour conforter l'état de droit, garantir le respect de la loi et des libertés, faire reculer l'insécurité. Pour préserver notre protection sociale, l'avenir de nos retraites, rétablir la confiance des Français dans leur école, améliorer l'efficacité de nos hôpitaux. Et aussi pour assurer la cohésion de la Nation, donner un nouvel élan à la politique d'intégration, lutter contre la marginalisation des plus fragiles d'entre les Français.

Pour y parvenir, il importe que nous réussissions le changement de génération qui est en cours, mais sans rien perdre des traditions qui ont fait la force de notre modèle d'administration.

Notre fonction publique va être considérablement rajeunie. Dans les dix ans qui viennent, la moitié de ses effectifs partira à la retraite. Ces jeunes que nous recrutons aujourd'hui sont le visage de l'État de demain, un visage qui doit être dynamique, inventif, énergique et moderne.

Pour transmettre à cette nouvelle génération le sentiment de l'honneur qu'il y a à servir l'État, il faut commencer par redonner tout leur sens aux missions de souveraineté, d'éducation et de solidarité.

C'est par le service d'un État renforcé, à la fois plus légitime et plus efficace, que ses agents ressentiront l'enthousiasme et la fierté qui sont le propre de tout engagement au service des autres. Car les premières victimes de la routine, de la bureaucratie et de l'ennui, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes quand ils n'ont plus la certitude d'être utiles à leurs compatriotes, quand ils perdent le sentiment d'être nécessaires à la grandeur de leur pays, et quand ils ne savent plus comment défendre efficacement les valeurs de la République.

Pour réaliser cette ambition, il faudra faire prévaloir les logiques de responsabilité et de contrat sur les démarches réglementaires. Convier chacun à l'engagement, à l'imagination et à l'action. Assigner aux services publics des obligations de résultat. Faire une place plus grande à l'accord des volontés dans la mise en oeuvre de l'action publique. Fortifier le lien entre les fonctionnaires et les autres citoyens. Répartir différemment les responsabilités publiques entre l'État, les régions et l'ensemble des collectivités territoriales, en s'inspirant du principe de subsidiarité. Accepter de déléguer certaines compétences pour mieux exercer les autres. Simplifier les structures et les procédures administratives. Garantir l'impartialité de l'État en ne prenant en considération, dans les nominations, que les talents et les compétences. Et aussi bien sûr, renouveler l'organisation et renforcer les moyens de travail des fonctionnaires pour qu'ils rendent un meilleur service public, pour qu'ils soient toujours au service du public, ce qui est l'essence même de leur mission.

C'est ainsi, en donnant aux serviteurs de l'État une direction claire, des objectifs, et les moyens de les réaliser, que nous mobiliserons leurs compétences et leur énergie au service de la République.

Tout reposera ensuite sur la confiance. En son sein, l'État doit apprendre à mieux partager son pouvoir, déléguer les tâches, laisser davantage d'espaces de liberté à ses services déconcentrés et à ses agents. Il doit permettre aux fonctionnaires, dans le respect des principes de la République, d'exercer leur capacité d'initiative, de jouer un rôle d'impulsion, de conduire des projets. Il doit enrichir leurs tâches quotidiennes et les soutenir en cas de difficultés.

Cette confiance s'accompagne d'une exigence : que soient pleinement respectés à tous les échelons de la fonction publique et dans tous les secteurs, les principes républicains de neutralité, d'efficacité, de continuité et d'égalité des citoyens devant le service public.

Les règles de la fonction publique sont souvent critiquées. Il est juste qu'elles évoluent. Mais n'oublions pas tout ce que notre service public doit à l'existence de ces règles. L'égal accès de tous les Français aux emplois publics, sans autre distinction que celle de leurs talents, par la voie du concours. L'impartialité et l'absence de favoritisme dans l'État. Des principes qui permettent de prendre en compte la manière de servir et le mérite individuel dans les rémunérations et les promotions. Et aussi l'exigence de la continuité du service public, même si toutes les conséquences n'en sont pas suffisamment tirées.

Je souhaite que ces règles soient pleinement appliquées. Pour les adapter à notre temps, toute leur place doit être faite aux pratiques contractuelles. Je sais que le Gouvernement en a conscience. Il y travaille. Il n'est pas concevable que la négociation collective au sein de l'État reste à ce point en retrait par rapport à la place qu'elle occupe dans les branches professionnelles et les entreprises.

Dans le respect du principe constitutionnel du droit de grève, j'estime par exemple qu'un dialogue social responsable doit permettre de définir un "service garanti" en cas de conflit. C'est un exemple.

Les fonctionnaires ont également besoin de pouvoir mener dans l'administration plusieurs carrières. Ils aspirent à davantage de variété et à des possibilités professionnelles plus grandes qui seraient autant de nouvelles sources d'épanouissement. Les jeunes du XXIe siècle seront de plus en plus réticents à s'engager dans un parcours fléché qui conduirait sans surprise et en droite ligne jusqu'à l'âge de la retraite. Ils ne perçoivent pas la raison d'être de ces frontières étanches qui séparent trop souvent la sphère publique de la sphère privée, les administrations nationales des administrations territoriales ou européennes. Sachons leur offrir une fonction publique plus ouverte au reste de la société, à l'Europe, et au reste du monde.

Enfin, vient la reconnaissance. Elle peut s'exprimer de manière collective mais aussi individuelle. Il est urgent de revoir en profondeur les procédures d'évaluation des services publics et de leurs agents. Pour bâtir un État plus économe des deniers publics, mais aussi pour mieux récompenser ses équipes et ses agents en fonction des résultats qu'ils ont obtenus. Quant aux compléments de rémunération accordés aux personnels les plus exposés, il faudra bien les réévaluer si l'on veut prendre réellement en compte l'exigence de reconquête de l'État de droit pour rétablir les principes républicains partout où ils sont mis en cause. Les réalités sont là : il y a en France de nouvelles terres de mission pour le service public.

Sens, confiance, reconnaissance. Sachons mettre en oeuvre ces principes, dans un État rénové, impartial et responsable, et les Français retrouveront le désir et le goût du service public.

À chacun, je demande de mettre son talent et son dynamisme au service de cette grande ambition. Seul votre engagement personnel peut permettre de la réaliser.

Tels sont, Monsieur le Président, les voeux que je forme à l'aube de cette année nouvelle, et je vous renouvelle, pour vous-même, pour toutes celles et tous ceux dont vous avez été l'interprète et pour tous les vôtres bien sûr, mes souhaits de bonne et heureuse année.

Je vous remercie.





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