Discours du Président de la République à l'occasion de la présentation des voeux aux Forces vives.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion de la présentation des voeux aux Forces vives.

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Palais de l'Élysée, le mardi 8 janvier 2002

Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous recevoir à l'Élysée pour cet hommage traditionnel aux forces vives de la Nation. Cette cérémonie, dont chacun sait qu'elle était chère au coeur du général de GAULLE, s'est pleinement imposée dans notre calendrier républicain. Réunir, au début de chaque année, les représentants des organisations syndicales, des entreprises, du milieu associatif est un geste essentiel pour une démocratie moderne, fondée sur le dialogue social et sur le respect de ceux qui l'animent.

Alors je forme pour vous toutes et tous, pour vos proches les voeux les plus chaleureux pour l'année 2002.

Vous contribuez, chacun le sait, de manière essentielle à la représentation des Français, vous portez leurs espoirs et leurs revendications, vous défendez leurs intérêts.

Au sein de votre entreprise, de votre profession, de votre organisation syndicale, de votre association, vous agissez aussi pour que la France réponde toujours mieux aux défis du présent et aux défis de l'avenir et pour qu'elle soit toujours plus solidaire. Tous, à votre manière, vous contribuez à la richesse et au progrès de notre pays.

Au monde associatif, qui vient de célébrer le centième anniversaire de la loi de 1901, je voudrais particulièrement exprimer la reconnaissance des Français pour son inlassable action notamment dans le domaine social et humanitaire. Sa fonction, le rôle du bénévolat, sont devenus aujourd'hui indispensables à la préservation et à la qualité du lien social.

On entend souvent dire que les Français ont besoin de grands objectifs pour donner le meilleur d'eux-mêmes. Notre époque, me semble-t-il, leur en propose au moins deux.

Sur le plan économique : faire la course en tête d'une nouvelle croissance.

Sur le plan social : faire du dialogue le moteur de la modernisation de notre société.




C'est d'abord en nous-mêmes que nous devrons trouver la source de notre vitalité économique. Nous avons fait le choix courageux de l'euro. Il va nous y aider.

Depuis quelques jours, les nouvelles pièces et les nouveaux billets modifient profondément notre vie quotidienne. C'est une réforme considérable, c'est un moment historique.

Certes, toutes et tous, nous avons des efforts à accomplir pour connaître les prix et trouver de nouveaux repères. Pour beaucoup, l'adaptation sera rapide et facile. Pour d'autres, elle sera plus difficile. C'est à ces Françaises et à ces Français de tous âges que nous devons d'abord penser. Nous devons être à leur écoute et, si besoin, être capables de modifier et d'amplifier nos actions rapidement pour tenir compte de leurs difficultés. Nous devons aussi veiller à la sagesse des prix. C'est capital. Le Gouvernement y est très attentif. La transition du franc à l'euro ne sera complètement réussie que lorsque tous nos concitoyens seront à l'aise avec leur nouvelle monnaie.

Mais je voudrais d'ores et déjà remercier toutes celles et tous ceux qui ont préparé l'arrivée de l'euro, qui ont participé aux opérations de conception, de fabrication, de sécurité, de diffusion, mais également de formation et d'information de nos concitoyens. Leur travail a été un bon travail et leur disponibilité a été un élément essentiel du succès.

Je voudrais saluer particulièrement tous les commerçants sur qui repose une part très importante de l'effort qu'impose le passage à l'euro.

Avec l'euro, ce n'est pas seulement l'Europe économique que nous construisons, c'est aussi l'Europe des citoyens qui sont désormais réunis par un bien commun : leur monnaie.

L'euro est porteur de croissance, d'emploi, de pouvoir d'achat pour la France et pour l'Europe. Il ne nous prémunit certes pas contre les aléas de la conjoncture. Mais à coup sûr, il signifie un meilleur niveau de vie, moins de chômage, plus d'investissements, plus de liberté et de stabilité pour organiser la croissance à long terme de notre pays.

L'euro clôt de manière définitive le cycle des dévaluations sauvages en Europe. Les entreprises françaises sont désormais partout chez elles. Elles ne courent plus le risque de voir leurs commandes s'effondrer parce qu'un pays voisin modifie son taux de change.

En contrepartie, la concurrence pour attirer les investissements sera plus rude. Pour que les emplois nouveaux se développent sur notre sol, nous devrons être plus ambitieux que jamais pour la France. Il faudra être attractifs et compétitifs, sur tous les plans, notamment fiscal. C'est ainsi que la France attirera les capitaux et donc l'activité. C'est ainsi qu'elle luttera efficacement contre les délocalisations et le départ de ses cadres. C'est ainsi qu'elle assurera son avenir et ses emplois.

La création de l'euro n'aura pas été une tâche facile. Les débats ont été longs, car la monnaie est intimement liée à l'histoire même d'un peuple.

Grâce à l'euro, nous avons créé une zone de stabilité monétaire à la mesure de notre puissance commerciale. Grâce à l'euro, nous sommes plus forts. Autrefois, nous étions seuls, en dernier ressort, pour défendre le franc, au prix parfois de très lourds sacrifices. L'Europe sera désormais entièrement solidaire pour garantir la valeur de notre monnaie commune. L'euro nous rend des capacités d'action que nous avions perdues. Loin d'affaiblir notre indépendance, il la renforce.

Parce que l'euro était une nécessité économique et politique, parce que je suis persuadé qu'il est une chance pour la France, sa réalisation a été au coeur de mon action comme de celle de tous les gouvernements successifs. Il y a six ans, des décisions difficiles ont dû être prises pour remettre de l'ordre dans nos finances publiques. Des efforts considérables ont été consentis par les Français pour assurer notre qualification. Ils ont porté leurs fruits. Aujourd'hui, les Français peuvent être fiers des résultats obtenus. Le succès de l'euro, c'est d'abord leur succès.


Au-delà de ses effets immédiats, l'euro est le signe que nous pouvons nous rendre maîtres de notre destin. Il nous invite à regarder avec confiance l'avenir économique de la France et de ses partenaires, au-delà même du ralentissement prononcé que, hélas, nous traversons actuellement.

Depuis le printemps dernier, notre croissance s'est réduite fortement et le chômage a malheureusement repris sa progression. L'environnement international est évidemment difficile et responsable de cette situation. De grandes puissances économiques comme les États-Unis ou le Japon, de façon différente, connaissent des situations peu favorables.

Je ne sous-estime pas, bien sûr, ces difficultés, mais je crois possible de regarder l'avenir avec confiance.

D'abord parce que de nombreux éléments sont réunis pour que les difficultés présentes ne soient que temporaires. La France et l'Europe ont des atouts pour renouer rapidement avec une croissance soutenue. L'Europe ne connaît pas de déséquilibres majeurs, comme cela a pu être le cas au début des années 90. Le rythme du progrès technologique reste élevé. Nos systèmes financiers sont mieux armés que par le passé pour faire face aux turbulences. La politique monétaire mise en oeuvre par notre Banque centrale européenne est adaptée.

Nous pouvons également être optimistes parce que nous avons les moyens de renforcer les bases sur lesquelles repose notre économie.

Les cycles économiques sont une réalité, mais ils ne nous condamnent pas à l'impuissance. Il dépend de nous que les variations d'activité soient plus ou moins amples, avec des conséquences plus ou moins négatives sur la vie de nos concitoyens et sur l'emploi. Il dépend de nous de savoir dépasser l'horizon immédiat de la conjoncture en prenant les bonnes décisions, dans les entreprises comme au niveau des politiques publiques.

Nous ne devons pas attendre le retour d'une croissance qui ne serait que la conséquence du redémarrage de l'activité aux États-Unis. Nous devons être les premiers acteurs de notre croissance. Pour cela, parions sur notre dynamisme propre, ayons confiance en nous-mêmes.

Il est vital d'investir massivement dans notre avenir. De faire de la recherche et de l'innovation une véritable priorité nationale et européenne. L'investissement public doit retrouver une place éminente en contrepartie des économies qui sont possibles dans le fonctionnement de l'État.

La place des entreprises doit être mieux reconnue, parce que, chez nous comme ailleurs, elles sont le lieu où se crée la richesse nationale.

Je suis fier de nos entreprises. Petites, moyennes ou grandes, artisanales, commerciales, industrielles ou agricoles, elles ont, depuis l'ouverture du Marché commun, fait preuve d'une très grande vitalité. La qualité de leurs produits et de leurs services les placent aux premiers rangs dans le monde.

Nos entreprises, ce sont nos emplois. Elles sont aussi un lieu privilégié d'accomplissement personnel. Elles ne peuvent se développer que si elles fonctionnent bien, non seulement sous l'angle économique mais aussi sous l'angle social et humain. C'est largement d'elles que dépendent notre prospérité et notre cohésion sociale.

C'est pourquoi je suis préoccupé par le fossé qui tend à se creuser entre l'entreprise et la sphère publique.

L'État et l'entreprise ne doivent pas être opposés. Les énergies de tous doivent tendre vers le même but : plus d'activité et plus d'emploi.

L'État a bien sûr des responsabilités particulières.

Pour ne citer qu'un exemple, s'agissant des prélèvements, il n'est pas indifférent pour l'avenir de l'emploi qu'une entreprise, pour procurer 100 euros de plus après impôts à un chercheur ou à un cadre très qualifié, doive en débourser 300 dans notre pays contre l'équivalent de 170 en Grande-Bretagne.

Par ailleurs, on ne peut sans risque changer si souvent nos règles administratives ou le droit du travail, régler uniformément tant de détails de la vie de l'entreprise, maintenir tant d'incertitudes et d'insécurités. Les entreprises ont besoin de règles claires et stables. Ce qu'elles redoutent le plus, c'est l'aléa juridique qui, depuis très longtemps en France, vieille manie chez nous, rend trop souvent les règles imprévisibles et donc fragilise l'activité des entreprises.

Naturellement, les entreprises ont, elles aussi, des responsabilités à l'égard de la collectivité. La société est en droit d'être exigeante vis-à-vis d'elles, qu'il s'agisse de la sauvegarde de notre environnement, de la défense de l'emploi ou de l'insertion des jeunes. Notre cohésion nationale est à ce prix.




Parmi les atouts de notre pays, avec nos entreprises, il y a, n'en doutons pas, la force de notre modèle social.

Dans le monde d'aujourd'hui, développement économique et haut niveau de protection sociale vont de pair. C'est ce qui fait la force de notre modèle économique et social et plus généralement du modèle européen.

Deux évidences s'imposent. La première, c'est que la Sécurité sociale n'évoluera dans la bonne direction que si nous restons fidèles à ses principes. La seconde, c'est qu'il faut désormais donner toute sa chance au dialogue social.

La Sécurité sociale s'est construite dans l'enthousiasme de la Libération. Elle a permis de faire reculer l'angoisse du lendemain. En offrant à tous les Français l'accès aux soins, elle a concrétisé, dans un domaine essentiel, le principe d'égalité qui est au coeur de notre pacte républicain. En cinquante ans d'existence, elle a été le ciment de la solidarité entre les Français et elle a su résister aux longues années de crise que nous avons traversées.

Bien sûr, notre Sécurité sociale est perfectible et il lui faut se moderniser, comme toutes les institutions humaines. Elle doit s'adapter aux défis démographiques auquel est confrontée la retraite par répartition. Il lui faut évoluer pour garantir à tous les Français l'accès aux meilleurs soins et donner aux professionnels de santé des conditions d'exercice dignes de leur dévouement au service de nos concitoyens. Elle doit mieux prendre en compte l'importance de la famille dans notre société et l'évolution du rôle et des aspirations des femmes.

Les principes et l'architecture de notre Sécurité sociale sont justes. Discutons-en, modernisons-la, rendons-la plus équitable et plus efficace encore pour répondre aux besoins nouveaux de nos concitoyens, mais ne mettons pas en cause le principe de solidarité. Les Français y sont légitimement attachés. C'est un acquis fondamental, dont je suis d'ailleurs le garant.


Seconde évidence : il est grand temps d'agir pour que le dialogue social prenne toute sa place dans le processus de modernisation de notre pays.

Nous ne manquons ni d'une tradition de négociation collective ni de partenaires sociaux décidés à jouer pleinement leur rôle. Depuis la création de l'assurance-chômage en 1959, notre histoire est jalonnée de progrès sociaux nés de grands accords collectifs. Ces deux dernières années, les partenaires sociaux ont montré qu'ils pouvaient conduire ensemble des négociations dans des domaines essentiels, parvenir à des accords importants, ouvrir des voies nouvelles et fécondes pour l'avenir.

Entendre leur aspiration à davantage d'engagement et de responsabilité, éviter d'imposer unilatéralement des règles qui méconnaissent la liberté, prendre en compte dans leur diversité les multiples besoins de nos concitoyens et de nos entreprises, c'est donner à la France de nouvelles chances de progrès.

L'État est le premier défenseur des valeurs qui fondent la vie en société. Il est le garant des règles sociales fondamentales. Il lui appartient de fixer un cadre clair au développement de la pratique contractuelle. Mais un cadre qui ne soit pas seulement résiduel et qui ne limite pas a priori le champ de la négociation collective.

Qu'il s'agisse, par exemple, de l'aménagement ou de la réduction du temps de travail, de la prévention des licenciements ou de l'égalité entre les hommes et les femmes au travail, les partenaires sociaux sont à même de faire émerger un droit adapté aux réalités du terrain. Décourager cette aspiration fondamentale, ne pas comprendre que c'est aussi une chance de renouveau pour l'action de l'État, ne serait pas juste au regard de l'intérêt national et des défis auxquels nous sommes confrontés.

A l'instar de beaucoup de nos voisins européens, nous devons créer les conditions qui permettront la conclusion, dans notre pays, de véritables pactes de progrès. C'est une bonne méthode pour conduire des réformes aussi pressantes et essentielles que la sauvegarde des retraites, la formation tout au long de la vie ou l'accès des jeunes à l'emploi.

Mais pour cela, il faut changer de logique et construire une nouvelle architecture des responsabilités fondée sur le respect du rôle de chacun et la recherche d'un nouvel équilibre dans les relations entre l'État et les partenaires sociaux.

Lorsqu'un besoin se fait jour dans le domaine des relations et de l'organisation du travail, les partenaires sociaux devraient d'abord être saisis afin qu'ils puissent trouver eux-mêmes les solutions de progrès et les points d'équilibre permettant de concilier les intérêts et de faire converger les énergies. Bien sûr, le législateur doit conserver le dernier mot, soit pour agir faute d'accord au terme d'une période donnée, soit pour conférer force de loi aux résultats de la négociation, soit le cas échéant pour faire un autre choix, mais alors en toute connaissance de cause.

L'Union européenne a retenu ces principes et les a mis au coeur de ses procédures de décision en matière sociale.

Ne craignons pas, nous aussi, de nous engager dans ce mouvement et de l'inscrire dans notre pratique et dans notre droit.


Mesdames, Messieurs,

L'année 2002 coïncide avec une réforme monétaire qui modifie profondément notre économie et la vie de nos concitoyens.

La France a fait le choix historique de l'ouverture. Ouverture sur l'Europe. Ouverture sur le monde. Elle a fait ce choix pour augmenter ses chances. Dans un univers marqué par la mondialisation, fermeture et repli sur soi nous auraient rangés au nombre des perdants. La France ne l'a pas voulu. Elle a les ressources d'intelligence, de connaissance et d'ardeur, elle a les forces vives, elle a l'impatience et l'audace qui lui permettront d'assumer son choix et de réussir.

Il lui faudra de l'ambition. Il lui faudra de la persévérance et même de l'opiniâtreté. Il lui faudra aussi une capacité nouvelle d'unir les volontés, de fédérer les énergies, de rassembler les talents, de faire converger les intérêts, alors qu'ils ont si souvent l'occasion de s'opposer, de surenchérir, de se combattre, de neutraliser leurs forces par des mouvements contraires.

Chacun sait pourtant qu'aucun progrès durable ne peut se construire sans esprit d'ouverture et de dialogue. Mais chacun sait aussi qu'aucune catégorie ne peut construire son bonheur en dehors de la réussite de tous. L'intérêt général qu'incarne la Nation ne saurait être l'addition, chacun le sait, d'intérêts particuliers.

Voilà pourquoi aujourd'hui je fais le voeu de forces vives plus que jamais rassemblées pour faire avancer la France, la rendre plus forte, plus rayonnante mais aussi plus juste et plus solidaire.

A chacune et chacun d'entre vous, je souhaite donc de tout coeur une très bonne et très heureuse année 2002.

Enfin, dans la perspective des Jeux de Salt Lake City et du Mondial, mes voeux, vous le comprendrez, s'adressent, bien entendu, cette année, notamment et particulièrement au monde sportif, si bien représenté d'ailleurs parmi nous. Il est animé, comme jamais, d'un esprit de conquête et de victoire, et il nous donnera, j'en suis sûr, de nouvelles raisons d'être fiers de la France.

Je vous remercie.





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