Discours du Président de la République lors de la présentation des voeux aux Corréziens.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la présentation des voeux aux Corréziens.

Imprimer

Tulle, Corrèze, le samedi 12 janvier 2002

Monsieur le Président du Conseil général, Monsieur le Maire de Tulle, Messieurs les Préfets, Mesdames et Messieurs les Elus, Mes chers amis,

C'est, une fois encore, le rendez-vous de l'affection, de la fidélité, des souvenirs partagés qui nous rassemble en ce début d'année 2002. Vous savez ce que représente pour moi la Corrèze. Elle est non seulement une part importante de mon histoire personnelle, mais aussi le lieu de mon apprentissage de la vie publique, des responsabilités électives, la découverte de ce lien singulier qui unit les femmes et les hommes d'une région, d'un village, d'un canton avec celui ou celle qu'ils investissent de leur confiance. Aujourd'hui, et depuis de longues années, c'est Bernadette qui est votre élue, et qui vit avec vous, sur le terrain, cette expérience si riche, placée sous le signe de l'écoute, du service, du partage des joies comme des épreuves. Aussi, c'est en son nom et en mon nom personnel, que je souhaite chaleureusement, à chacune et à chacun d'entre vous, une très bonne et très heureuse année pour vous-même et pour tous ceux qui vous sont chers.


Lors des deux années précédentes, nous entrions dans le siècle. Aujourd'hui nous y sommes avec, dans le coeur et dans la tête, des raisons d'espérance, mais aussi des interrogations, voire des inquiétudes qui appellent des réponses.

Ces jours-ci l'optimisme, l'espérance sont portés par l'euro, l'euro qui a permis à des écoliers de Bort-les-Orgues, que je félicite affectueusement, de se distinguer en imaginant la première pièce de collection française en euro, pièce qui sera diffusée à un million d'exemplaires à partir du 17 février prochain ! Bravo aux jeunes Bortois.

La monnaie unique européenne, arrivée en ce début d'année 2002, est d'abord et surtout une grande victoire pour tous les Européens. Voilà que notre continent, si souvent meurtri par les guerres et déchiré comme jamais au cours de ce dernier siècle, a fait le choix de l'unité, de l'ouverture aux autres, de l'échange, de la simultanéité. Le même jour, des Danois, des Grecs, des Allemands, des Espagnols, des Français et bien d'autres, si différents par leur histoire, leur culture, mais en même temps si proches, ont accédé à ce symbole fort de la citoyenneté française et européenne.

Bien sûr, comme tout changement, l'euro devra être apprivoisé. Pendant quelques temps, il va déplacer les repères et bouleverser les habitudes. Pour certains, en particulier pour tous ceux qui sont en contact avec le public, commerçants, artisans, fonctionnaires, il exige travail et efforts supplémentaires. Il n'empêche que l'euro est un succès et que nous pouvons en être fiers.

Quand les peuples se sont prononcés pour la monnaie unique, quand la France, il y a six ans, s'est mise en situation d'être qualifiée pour l'euro, grâce au travail et aux sacrifices de tous les Français, il ne s'agissait pas simplement de remplacer une monnaie par une autre, mais de porter et d'assumer un certain nombre de choix.

Choix de l'Europe d'abord, qui est le choix de la paix, de la coopération et de la compréhension mutuelle, le choix d'un destin qui sera de plus en plus partagé, pacifique, démocratique. Dans une Europe ouverte, sans frontières intérieures, où l'on peut désormais circuler, échanger, vendre, acheter très facilement, où, de plus en plus, l'on pourra étudier, travailler, s'installer à son gré, naît une nouvelle manière d'être Européen, de vivre harmonieusement sa nationalité et son appartenance à l'Europe. S'affirment les contours d'une citoyenneté européenne, complémentaire de notre citoyenneté nationale, riche de nouvelles libertés, de nouvelles possibilités.

L'euro, c'est aussi le choix du mouvement, de la lucidité et des réformes nécessaires. Une Europe ouverte, c'est une Europe où les comparaisons deviennent possibles, où l'on voit mieux les atouts et les faiblesses, les succès et les erreurs de chaque nation. C'est aussi un ensemble de chances qu'il faut être en situation de saisir. Je souhaite que la France, forte de toutes ses richesses, sa culture, sa diversité, sa langue, son excellent système d'éducation et de formation, sa recherche, son dynamisme économique, la qualité de ses infrastructures et des services publics, aille jusqu'au bout des choix qu'implique une économie ouverte. Je souhaite qu'elle mène à bien des réformes trop longtemps différées mais dont chacun ressent bien les mesures, la nécessité. Retraites. Fiscalité. Modernisation des structures et des méthodes de l'État. Développement de la démocratie de proximité. Adaptation de notre justice. Modernisation de notre capacité de défense. Sur tous ces sujets, il faut proposer, innover, décider pour désentraver la France et lui permettre de jouer toutes ses cartes au sein de cette Europe en devenir. L'euro, enfin, c'est le choix de l'efficacité et du succès. Une Europe forte et unie est en train de se construire peu à peu face à l'Amérique et face à l'Asie. Tout le sens de l'euro, c'est que se constitue non seulement un pôle économique et monétaire, mais aussi une puissance politique capable de porter des préoccupations éthiques et des choix de société. Dimension sociale et humaniste de l'économie. Respect de l'environnement. Lutte contre la grande criminalité ou la drogue. Combat contre le terrorisme. Défense des droits et de la dignité de la personne humaine. Dans tous ces domaines, essentiels pour les citoyens, c'est l'union au sein de l'Europe qui nous permettra d'obtenir des résultats concrets, d'avancer et de défendre nos valeurs. Tels sont les enjeux de cette aventure européenne, commencée depuis longtemps, poursuivie malgré les embûches et les traverses, symbolisée aujourd'hui par l'euro, une aventure riche d'exigences autant que de promesses pour l'avenir. * L'année écoulée a pourtant été marquée par des événements qui ont donné à ce début de siècle des allures inquiétantes.

Nouveau terrorisme, bien sûr, avec la tragédie du 11 septembre à New York, qui a révélé ce que pouvait le fanatisme quand il se nourrit de la haine et du rejet radical de l'autre.

Drames et épreuves survenus en France même. Je pense notamment aux inondations de la Somme et de l'est où nombreux sont les habitants qui n'ont pas encore retrouvé une vie normale. Je pense, chez nous, en Corrèze, aux inondations de juillet dernier qui ont durement touché les régions de Tulle et de Brive, et qui ont coûté la vie à la petite Mégane. Je pense, naturellement, à l'explosion de l'usine AZF de Toulouse, qui a profondément traumatisé toute une ville et, au-delà, tous ceux qui vivent à proximité de zones industrielles à risques.

Et chacun comprendra qu'ici, en Corrèze, j'ai une pensée forte pour nos éleveurs, pour ces familles souvent désespérées qui, depuis plus d'un an, subissent une crise sans précédent.

Mais je pense aussi, dans le registre d'un triste quotidien, aux mille douloureuses blessures de l'insécurité en France. Le sentiment de plus en plus partagé, dans les villes comme dans les campagnes, que les actes les plus simples de la vie ordinaire, aller à l'école ou au collège pour les enfants, se déplacer dans la rue, tenir son commerce, exercer son métier, surtout si l'on est médecin, infirmière, pompier ou membre des forces de l'ordre, garer sa voiture devant chez soi, sont en même temps des facteurs de risques.

Bien sûr, rien de tout cela n'est nouveau. Mais quand les dysfonctionnements se multiplient et que tant d'agressions et de délits restent impunis. Quand les inégalités se creusent entre les citoyens privilégiés, ou mieux protégés, et les autres. Quand le sentiment d'insécurité devient souvent un sentiment d'abandon. Quand l'autorité de l'État subit des atteintes répétées, il est temps de réagir avec vigueur. Je souhaite que l'année 2002 soit l'année d'un sursaut national autour de deux principes en forme d'idéaux : la solidarité et le respect.

La solidarité est notre force. On l'a bien vu dans ces derniers mois, comme nous l'avions vécu lors de la tempête de décembre 1999, qui fit tant de dégâts, notamment chez nous, et dont les conséquences, matérielles et morales, sont encore visibles et sensibles : quand vient l'épreuve, rien ne compte davantage que la solidarité, la cohésion nationale, le soutien de tous. Cette solidarité n'a jamais fait défaut. À chaque drame, à chaque difficulté, un grand élan de tout le pays est venu apporter l'aide matérielle, le réconfort psychologique et moral. Toujours, face au désarroi de leurs compatriotes, les Français ont répondu présents, montrant que l'appartenance à une même communauté, à une même patrie, était d'abord une fraternité. Cette fraternité, ce lien national ne doivent pas être l'exception mais la règle, ils ne doivent pas être l'expression d'une émotion momentanée mais l'engagement de chaque jour.

Certes, l'État est le premier garant de notre cohésion nationale. Il est en charge de la solidarité, une solidarité vigilante qui ne doit laisser passer personne au travers des mailles du filet. Il est en charge de l'égalité républicaine, une égalité qui est menacée à l'heure où l'exercice de certaines libertés, la qualité des études, dépendent de l'endroit que l'on habite, du collège ou du lycée que l'on fréquente. Il est en charge enfin, l'État, de l'intérêt supérieur de la Nation. Si les problèmes doivent trouver des solutions, si les aspirations légitimes doivent être entendues, il n'est pas normal que les lois et les règles soient bafouées au nom d'intérêts particuliers.

Mais s'il revient à l'État de rappeler ces principes, de veiller à leur apprentissage et à leur transmission au sein de l'école, il revient à chacune et à chacun d'entre nous de les faire vivre. C'est à l'ensemble du corps social, à chaque catégorie de salariés, à chaque citoyen, à chaque Français, de faire preuve de civisme, de se poser la question de l'intérêt collectif, de l'intérêt de la France. C'est ainsi que nous ferons vivre notre solidarité. C'est ainsi que nous renforcerons notre cohésion nationale. C'est ainsi que nous donnerons à notre pays toutes ses chances.


Le deuxième principe, c'est le respect.

Inséparable de la solidarité, il est d'abord respect des préoccupations des Français. Ainsi, l'environnement est aujourd'hui une source et un souci essentiels pour tous nos compatriotes. L'air que l'on respire. L'eau que l'on boit. Les aliments que l'on donne à nos enfants. L'héritage naturel que nous leur transmettrons. La volonté de ne pas être à la merci, dans son métier, sa qualité de vie, sa survie, d'un accident industriel ou d'une catastrophe maritime. Autant d'exigences fondamentales sur lesquelles il ne peut être question de transiger. Des solutions doivent être trouvées, des décisions doivent être prises qui auront un coût pour la collectivité nationale, mais qui ne peuvent être évitées ou différées. Nier ce souci d'un environnement sain, de même que nier le besoin de sécurité qui s'exprime partout, ce serait ne pas respecter nos compatriotes, et ne pas comprendre leurs priorités, leurs soucis.

Le respect, c'est ensuite le respect de la loi et des règles, sans lequel il n'y a pas de respect de l'autre. La loi est l'expression de la démocratie, c'est-à-dire de la volonté du peuple. Elle s'impose à tous, et sur tout notre territoire sans exception. Veiller à son observance, empêcher que se développent des zones de passe-droit, voire de non-droit, est l'une des premières missions de l'État. Cette mission doit être mieux assumée. Chaque Français veut tout simplement que ses enfants étudient en sécurité et se trouvent dans les conditions de réussir. Il veut pouvoir se déplacer en toute liberté, et voir ses biens protégés. Il veut que les règles les plus élémentaires, indispensables à la vie en société, soient suivies par tous. Il veut que les délits soient réprimés et les délinquants justement condamnés.

Répondre à ces exigences si légitimes, c'est tout simplement assurer la santé civique de la nation, qui dépend de la liberté et de la sûreté dont jouissent les citoyens. C'est à l'État de faire preuve d'autorité, de manifester une vraie volonté politique, et de donner à la justice les moyens de son efficacité. C'est au législateur de légiférer pour que force reste à la loi. C'est à chaque Français de la respecter et d'apprendre ce respect à ses enfants.

Respect de nos valeurs et de nos traditions. Nous avons, en France, depuis des siècles, une longue tradition d'accueil et d'ouverture aux autres. Pour bien des opprimés de par le monde, la France a toujours été terre d'asile et terre d'espérance, et elle doit le rester. Cet accueil a pour corollaire notre tradition d'intégration. Par l'école, par le partage de notre langue et de notre culture, l'idéal français a été de permettre à des femmes et à des hommes venus de partout de vivre harmonieusement ensemble, et pour beaucoup d'entre eux, de devenir Français, souvent avec plus de coeur ou de passion que s'ils étaient nés sur notre sol. Cet idéal, aujourd'hui menacé et malmené, repose sur quelques principes : l'écoute, la tolérance, le respect de l'autre, de son histoire, de son identité, mais aussi le refus des communautarismes et de tout ce qui peut mettre en péril l'unité nationale, l'adhésion pleine et entière à un ensemble de valeurs, à une éthique, à un humanisme.

Ces valeurs, nous devons les défendre, et refuser de les voir bafouées. Pour respecter l'autre, il faut d'abord se respecter soi-même, avoir des convictions fortes. Les principes qui fondent notre République et qui sont au coeur de l'identité française, l'attachement à la patrie, le respect de toutes les libertés, la dignité de chaque personne, la protection des enfants, l'égalité des femmes et des hommes, la laïcité, tout cela ne va pas de soi, et ne sont pas des acquis pour l'éternité. Ils ont besoin de l'engagement, de la vigilance, de la passion de chacun d'entre nous. Sachons être fiers de nos valeurs. Sachons les incarner, les promouvoir. Ce ne sont pas les intérêts mais les idéaux partagés qui font la force des peuples et qui les rassemblent.


Voilà, mes chers amis, les voeux que je forme à l'aube de cette année nouvelle. Sachons aller de l'avant, saisir nos chances, jouer avec talent et dynamisme la partition française au sein de l'Europe. Sachons surtout être unis, solidaires, et ne jamais oublier que par-delà les intérêts particuliers, les attentes et les aspirations légitimes de chacun, il y a l'intérêt général, l'intérêt de la Nation, l'avenir de la France.

À chacune et à chacun d'entre vous, je redis les voeux très amicaux, très sincères, très chaleureux de bonne et heureuse année que Bernadette et moi formons de tout coeur à votre intention.

Je vous remercie.





.
dépêches AFPD3 rss bottomD4 | Dernière version de cette page : 2005-03-12 | Ecrire au webmestre | Informations légales et éditoriales | Accessibilité