Intervention du Président de la République lors de la réunion-débat dans le cadre des États généraux de l'insertion.

Intervention de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de la réunion-débat dans le cadre des États généraux de l'insertion.

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Auxerre, Yonne le jeudi 17 janvier 2002

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Avant de conclure, je voudrais faire une observation. Ces états généraux dont je vais reparler dans un instant ont été bien préparés, ont permis une réflexion approfondie, ont évoqué les vrais problèmes et ont suggéré un certain nombre de réponses dont chacun a pu apprécier qu'elles étaient précises, qu'elles étaient concrètes, qu'elles répondaient à de vrais problèmes et ce parce qu'elles étaient apportées par des gens suffisamment proches du terrain et de ces problèmes pour en avoir une véritable conscience.

Elles pouvaient être apportées au total et on l'a bien ressenti au niveau du département qui est certainement sur ces questions comme sur d'autres un niveau parfaitement adapté. Parce que les problèmes sont directement appréciés par les responsables qu'ils soient élus, professionnels, associatifs ou autres.

C'est très important dans une période où on a tendance parfois à dire que la France se caractérise par trop d'échelons, il y a l'Europe, il y a la Nation, il y a la région, il y a le département, il y a la commune, les groupements de communes. D'abord, je voudrais noter qu'il y en a autant chez nos partenaires.

Vous venez d'apporter, aujourd'hui, une démonstration tout à fait pertinente de l'utilité et de l'adéquation du département pour des problèmes essentiels qui sont ceux de l'insertion dans la vie, de la lutte contre l'exclusion, de la lutte contre le chômage. C'est bien à ce niveau que les responsabilités peuvent et doivent être prises.

Vos travaux sont le fruit de l'engagement, du coeur et de toutes les compétences de votre département. Ils ont un caractère, sans aucun doute, exemplaire et je voudrais simplement vous livrer deux ou trois réflexions que m'inspire cette réunion, Monsieur le Président.

D'abord, elle m'a conforté dans une conviction profonde. Notre société n'est pas, comme on le dit trop souvent, l'addition des égoïsmes et des intérêts catégoriels. Elle sait réagir aux problèmes que j'évoquais en introduction et qui touchent au développement spontané et naturel que la vie moderne incite et qui concerne l'égoïsme. Mais notre société résiste et réagit. Les Français, c'est vrai, sont toujours prêts à se retrouver pour plus de justice sociale et plus de solidarité, pour peu que l'on les y incite et cela est un des rôles fondamentaux, Monsieur le Maire, des maires sans aucun doute. Faire reculer l'exclusion, aider les plus vulnérables à s'insérer dans le monde du travail et dans la société c'est évidemment une exigence d'humanité, c'est un des grands points faibles de notre société moderne. C'est donner tout son sens aussi au principe d'égalité des chances sans lequel il n'y a pas de société démocratique, telle que nous les concevons. C'est permettre à chacun d'apporter ce qu'il a de meilleur à la collectivité, à son entourage, à ce qu'il connaît, à ce qu'il aime. Les sociétés les plus solidaires, et cela n'est pas une constatation d'aujourd'hui c'est une constatation qui vient de toute l'histoire de l'humanité, sont toujours les sociétés les plus fortes.

Ce qui m'a impressionné, Monsieur le Président, et touché dans vos débats, c'est que finalement avec des mots différents, chacun ayant les siens, travailleurs sociaux, élus, entrepreneurs, associations, celles et ceux qui se sont exprimés, ont porté tous ce message d'humanité qui est au coeur de notre cohésion nationale. Cela est ma première observation.

Ma deuxième conviction c'est que, pour agir efficacement pour l'insertion, il faut du réalisme, de l'humilité, beaucoup d'humilité et la mobilisation de tous. Et c'est bien l'impression que j'ai en écoutant vos débats.

Aucune, vous l'avez souligné Monsieur le Président et on n'y reviendra jamais assez, aucune difficulté d'insertion ne ressemble à une autre. Il n'y a pas de profil type de l'allocataire du RMI mais autant d'histoires personnelles, autant d'enchaînements d'événements et d'accidents de la vie que de personnes aidées. La croissance crée, c'est vrai naturellement, un cadre favorable pour limiter les accidents de la vie, pour éviter le chômage, pour éviter l'exclusion, mais elle ne suffit pas, beaucoup, beaucoup s'en faut, à elle seule, à faire reculer la pauvreté et l'exclusion, nous le voyons bien aujourd'hui. Car si certains sont en situation de revenir très vite vers l'emploi, c'est vrai, d'autres doivent d'abord surmonter des handicaps de toutes sortes, et acquérir des savoirs ou des compétences, des comportements, des réactions qu'ils n'ont pas.

Pour eux, il faut faire en quelque sorte -quelqu'un l'a dit, je crois tout à l'heure- du "sur-mesure". C'est l'ambition de départ d'ailleurs du RMI que d'associer une prestation légale et un contrat individuel d'insertion. L'enjeu d'aujourd'hui n'est pas naturellement de changer les fondements de cette loi mais de l'appliquer vraiment, ce qui suppose la mobilisation de tous les acteurs. Ce que vous avez fait ici. Dans chacun de mes déplacements, notamment dans toutes les provinces et régions de France je le constate, quand il y a une volonté politique qui fédère les compétences et les énergies, quand il y a la volonté d'expérimenter des solutions nouvelles, quand l'allocataire du RMI est considéré comme porteur d'une richesse potentielle pour la société, pour la collectivité et non comme une charge, alors ça marche dans le cas contraire ça ne marche pas.

L'engagement des forces vives de votre département, Monsieur le Président, dans le cadre des États généraux de l'insertion, les mesures très pertinentes et opérationnelles que vous avez préparées, annoncées aujourd'hui à juste titre, ces actions communes que vous lancerez demain avec la région, et vous les avez évoquées, la région ayant aussi un rôle d'appui important, bien entendu, on ne l'a pas cité mais cela va de soi, en matière de formation me paraissent tout à fait exemplaires.

Le rôle de l'État, quant à lui, est de favoriser, d'accompagner de telles démarches. Pour cela, il doit bien sûr s'efforcer de créer les conditions d'une croissance qui soit, dans toute la mesure du possible, aussi forte et aussi durable que possible. Mais il doit également encourager des mesures pour l'emploi. Des mesures, telles que le contrat de qualification adulte. C'est un bon instrument, beaucoup trop peu utilisé, alors qu'il offre aux adultes, qui sont peu ou pas qualifiés, la possibilité d'entrer sur le marché du travail. Je pense aussi au C.I.E. qui s'adresse tout spécialement aux chômeurs de longue durée et aux jeunes sans qualification.

Il faut également permettre aux entreprises d'insertion et aux associations intermédiaires d'avoir accès à des financements stables, c'est capital et ce n'est aujourd'hui pas le cas. Enfin, l'État doit encourager et participer, notamment à travers le service public de l'emploi, à ce droit à l'expérimentation locale qui est un droit dans ce domaine comme dans tous les autres de la gestion des hommes un droit essentiel à la modernisation ou une tactique essentielle pour la modernisation de notre pays.

Ma dernière réflexion, Monsieur le Président, porte sur la situation des jeunes, nous en avons souvent parlé notamment à Paris, situation qui est un des principaux défis que notre société va devoir relever car elle ne s'améliore pas.

Si on regarde les faits : pour un nombre grandissant de jeunes, il est beaucoup plus difficile de réussir et de construire sa vie aujourd'hui que dans les générations antérieures, beaucoup plus difficile. L'INSEE a récemment publié des statistiques, il y a quelques mois, qui montraient que 17% des jeunes de 20 à 25 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ces statistiques de l'INSEE montraient également que 20%, 1 sur 5, des couples de moins de 25 ans vivent également en dessous du seuil de pauvreté, et ces statistiques montraient enfin que ces chiffres étaient quatre fois plus grave que ceux que l'on observait dans les années 1970, c'est-à-dire il y a une génération. C'est dire à quel point il y a une dérive préoccupante pour ce qui concerne la jeunesse dans notre pays. Ce n'est d'ailleurs probablement pas propre à notre pays mais c'est naturellement celui qui nous intéresse le plus. Avec un taux de plus de 17%, les jeunes sans emploi sont évidemment les principales victimes du chômage et pour dire la vérité si l'on reprend les statistiques que j'évoquais tout à l'heure on observait qu'il n'y a dans l'Union européenne que trois pays qui connaissent une situation plus mauvaise que la nôtre. Ce qui n'est pas normal.

Ce sont les jeunes sans qualification qui sont évidemment les plus touchés, par définition.

Alors face à ce problème, il faut essayer de ne pas se tromper de diagnostic. N'opposons pas artificiellement la famille et le désir légitime d'autonomie des jeunes. Ne confondons pas leur aspiration à construire leur propre parcours pour réussir leur vie avec une demande d'assistance. Les jeunes savent ce qu'ils veulent. Beaucoup tracent leur chemin par eux-mêmes et ne veulent pas d'une société dans laquelle chacun serait, à un titre ou à un autre, soit un préposé soit un obligé de l'État. L'objectif n'est pas d'enserrer les jeunes dans un statut uniforme mais d'aider ceux qui en ont besoin à passer un cap, à mener à bien leur projet.

Le premier moyen de lutter contre le chômage des jeunes, me semble-t-il, est de continuer, je l'évoquais tout à l'heure en réponse au Président des artisans et au Président de la CGPME, à baisser les charges qui pèsent sur les entreprises et notamment sur le travail peu qualifié. Comme l'ont montré toutes les études récentes, les baisses de charges ont créé 400 000 emplois et elles sont le meilleur instrument et pour tout dire le seul qui soit compatible avec le dynamisme de la société pour faire reculer le chômage. Cette politique, nous devons la poursuivre et l'amplifier en la ciblant notamment sur l'embauche des jeunes.

Il faut aussi permettre aux jeunes de passer de véritables contrats de réussite avec la société. Qu'il s'agisse des missions locales, on évoquait cela tout à l'heure, d'un référent ou d'un tuteur, on en a parlé au sein de l'entreprise, ils ont besoin, ces jeunes, d'un interlocuteur proche d'eux qui les aide à finaliser leur projet d'insertion et qui les accompagne dans leurs démarches.

Pour mettre en place ces contrats de réussite, nous ne partons pas de zéro, beaucoup s'en faut. Des fonds d'aide aux jeunes jusqu'au programme TRACE, en passant par des aides au logement d'autres encore, les jeunes ont des droits. Mais pour être pleinement efficaces, ils doivent être complétés, ces droits, pour répondre à de nouveaux besoins. Je pense notamment à deux ou trois situations, à trois d'entre elles en particulier :

D'abord, tout jeune sorti prématurément du système scolaire doit avoir une seconde chance durant sa vie professionnelle. Il faut prendre en compte cette nécessité dans le cadre de la création d'un compte individuel de formation professionnelle, on en a beaucoup parlé, il est temps maintenant de les réaliser. J'estime pour cela que l'État devrait abonder les comptes de ces jeunes pour faciliter, durant leur carrière, l'engagement dans une démarche de qualification ou dans une démarche de promotion professionnelle ;

Ensuite, un jeune, avec des ressources faibles, et qui déciderait de s'engager dans une action d'insertion, de formation ou de se consacrer à temps plein à un engagement associatif volontaire, doit pouvoir mobiliser des ressources suffisantes pour pouvoir vivre durant cette période. Cette aide pourrait prendre la forme d'un "chèque-projet jeune"; je ne sais pas si le mot est le meilleur, peu importe, c'est l'idée naturellement qui doit être examinée voire retenue.

Enfin, c'est le dernier point, il faut ouvrir largement, au profit de tous les jeunes, et notamment des étudiants, naturellement, l'accès à des prêts de longue durée, remboursables après l'entrée dans la vie professionnelle ou l'accès à des cautionnements de façon à ce qu'ils puissent construire leur projet de vie autonome.

Tous les jeunes doivent avoir leur chance. Leur premier droit, en réalité dans une démocratie, telle que nous la concevons, telle que nous la vivons, c'est l'égalité des chances. Pour cela notre société doit se mobiliser en faisant toute sa place à l'initiative locale. J'en ai toujours été convaincu.


Mais je dois dire que la participation aux travaux d'aujourd'hui avec toutes celles et tous ceux qui sont ici rassemblés ne fait que me le confirmer davantage. Ce que je retiens, en effet, Monsieur le Président, de vos travaux, enfin de ce à quoi j'ai assisté de vos travaux, mais vous m'en avez souvent parlé donc je sais encore un peu plus que la simple observation de la matinée, c'est l'extraordinaire capacité des forces vives de notre société à inventer, à trouver les justes équilibres à partir des réalités du terrain ce qui dans mon esprit ne fait que renforcer encore ma conviction qu'aujourd'hui le problème de la décentralisation au sens le plus général du terme c'est-à-dire des transferts de compétences s'imposent à l'évidence si nous voulons relever les défis sociaux ou économiques du monde moderne.

Alors comme vous, Monsieur le Président, je suis persuadé que, dans le domaine de l'insertion, nous en avons souvent parlé, comme d'ailleurs dans beaucoup d'autres domaines, il faut donner pleinement sa chance à cette dynamique.

C'est par la libération des initiatives locales, en donnant, bien sûr toute sa place au dialogue social et là nous avons c'est vrai encore beaucoup de progrès à réaliser en faisant confiance à l'esprit de responsabilité de nos concitoyens que notre pays, la France, retrouvera le sens du mouvement, le sens de l'ambition économique, sociale, démocratique qui doit être la sienne, elle sera à nouveau fière comme elle doit l'être de sa République.

Je vous remercie.





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