Discours du Président de la République à l'occasion du bicentenaire de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr.

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'occasion du bicentenaire de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr.

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École Militaire, Paris, le vendredi 25 janvier 2002

Monsieur le Ministre, Mon Général, Mesdames et Messieurs,

En ouvrant devant vous l'année du bicentenaire de l'École spéciale militaire, je veux d'abord rendre hommage aux milliers de saint-cyriens qui, au cours des deux siècles passés, ont donné leur vie pour notre patrie. Nous leur devons de vivre aujourd'hui dans une France libre, respectée, démocratique et en paix.

Mesdames, Messieurs, vous portez cet héritage. Un héritage de gloire et d'abnégation et je ne doute pas, bien sûr, que vous en soyez dignes.

J'éprouve, pour ma part, un plaisir particulier à vous rencontrer ce soir, à l'École militaire, École militaire où le jeune Bonaparte fit son apprentissage et où des générations de saint-cyriens sont venues se former aux règles de l'art militaire et au commandement des grandes unités.

Et j'ai choisi cette occasion pour vous exprimer les attentes de la Nation envers vous et vous exposer la manière dont je conçois, en tant que chef des armées, l'exercice du métier d'officier en ce début du troisième millénaire.




Saint-Cyr, dans l'imaginaire populaire des Français, c'est d'abord un style, celui du panache, du Serment de Quatorze, des officiers montant à l'assaut en casoar et en gants blancs, dans la plus pure tradition de l'héroïsme guerrier.

Mais c'est aussi une école prestigieuse, de renommée mondiale, qui a donné à la France des générations de grands chefs militaires et des responsables hors du commun, comme le général de Gaulle ou le maréchal Lyautey. Ils ont écrit quelques-unes des plus belles pages de l'histoire de notre pays.

Saint-Cyr, c'est aussi une continuité de courage et de dévouement, de la Grande armée aux opérations des Balkans, en passant par Verdun ou Bir-Hakeim. Les rues de nos villes et de nos villages sont marquées par les noms de ces batailles et les noms de ceux de vos prédécesseurs qui les ont livrées.

Mais Saint-Cyr incarne également l'esprit militaire français, sans exclusive d'école ou d'origine, celui d'une armée ouverte et fraternelle, où chaque soldat, comme le voulait l'Empereur, a dans sa giberne "son bâton de maréchal". C'est pour respecter ce principe que le général de Gaulle refusa, en 1967, la création d'un grand corps qui eut été réservé aux officiers de recrutement direct.

Il importe donc que cette année du bicentenaire de Saint-Cyr soit une occasion de rassemblement et d'unité au sein du corps des officiers de l'armée de terre et je sais que tel est bien le voeu de votre ministre et de votre chef d'état-major.

Ce bicentenaire, qui est aussi celui de l'académie de West Point, permettra de renforcer les liens militaires étroits qui existent également entre nos deux pays alliés et amis.




Cette circonstance exceptionnelle doit vous inciter à réfléchir sur le choix de carrière que vous avez fait et dont, pour ma part, je tiens bien sûr à vous féliciter.

Beaucoup de jeunes s'interrogeaient, il y a douze ans, sur l'intérêt et le sens d'une carrière militaire, alors que la chute du mur de Berlin annonçait pour certains la fin de l'Histoire et que, pour la première fois depuis des siècles, la menace s'estompait à nos frontières.

Aujourd'hui, l'armée française est engagée sur plusieurs théâtres d'opérations, comme elle ne l'a jamais été depuis la guerre d'Algérie. Nos unités participent, sur toute la surface du globe, à des opérations de rétablissement de la paix ou de lutte contre le terrorisme. Elles sont mobilisées pour la sécurité du territoire national. Elles sont, plus que jamais, indispensables au rôle que la France entend jouer en Europe et dans le monde pour préserver ses intérêts et ses valeurs.

Récemment, pourtant, quelques commentaires ont mis en exergue des difficultés, réelles ou supposées, dans le déploiement de nos forces pour en conclure bien hâtivement à l'insuffisance de notre appareil de défense.

Sans vouloir sous-estimer les progrès qui restent à accomplir et qu'une politique résolue permettra, je n'en doute pas, d'atteindre, je tiens à souligner les transformations très profondes qui ont marqué ces six dernières années.

Nos armées ont achevé avec succès une réforme radicale de leur recrutement et de leurs structures. Une réforme qui les met à même, pour la première fois depuis des décennies, de s'engager sans délai dans un cadre interarmées et multinational au-delà de nos frontières.

Cette réforme indispensable a permis de les adapter à leur nouveau contexte d'emploi. Il reste, nul ne l'ignore, à poursuivre et à accélérer la modernisation des équipements. C'est affaire de volonté et de ressources financières.

Dans le même temps, notre industrie de défense a été largement restructurée pour rester compétitive face à la concurrence internationale. Ce chantier est ouvert, mais il est bien engagé.

Enfin, la France et le Royaume-Uni ont établi les bases d'une Europe de la défense qui sera l'un des éléments-clefs de la construction européenne. Nos armées y joueront un rôle essentiel qui donnera à la France toute sa place dans le monde multipolaire qui caractérisera, n'en doutons pas, le monde de demain.

J'ajoute que les armées ont aujourd'hui, dans l'opinion publique, l'image la plus favorable qu'elles aient eue depuis très longtemps. Les Français reconnaissent la compétence et le dévouement qu'elles manifestent quotidiennement sur le territoire national, comme en opérations.

En choisissant le métier des armes, vous avez décidé de rejoindre une armée moderne, respectée, adaptée aux exigences de notre sécurité et qui vous permettra de servir dignement votre pays, en cohérence avec l'idéal qui vous anime.




Pourtant, vous le savez, vous n'avez pas choisi la facilité.

Le métier militaire est original et exigeant. Le service de l'État et de la Nation a ses contraintes. Elles sont lourdes. Mais la spécificité du métier d'officier, et particulièrement celui de l'armée de terre, naît d'un rapport singulier avec la vie et la mort. La sienne, mais aussi celle de ses subordonnés et celle de l'adversaire.

Ce rapport lui crée des devoirs particuliers à l'égard de la société. C'est pourquoi le statut militaire lui impose des règles et des restrictions, inconnues dans le monde civil. Elles se résument en trois mots : discipline, disponibilité, neutralité. Elles se fondent sur une stricte observation des lois et des règlements.

Le statut général des militaires, tel qu'il a été voté par le législateur il y a trente ans, mérite bien sûr d'être adapté à l'évolution à l'évolution des esprits et de notre société, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression, les modes de concertation. Mais les principes fondamentaux qui le définissent ne peuvent pas être remis en cause.

L'efficacité d'une armée repose avant tout sur la discipline et la disponibilité de ses membres. La première de ces vertus s'accommode souvent difficilement de l'impétuosité de la jeunesse. Mais conçue intelligemment et vécue sans passivité, la discipline est le premier rempart contre les risques assumés au combat. Vos instructeurs, je le sais, s'emploient à vous en donner les bases, dans l'esprit d'une adhésion active qui exclut tous les arbitraires.

La disponibilité, qui implique d'être prêt à partir à tout moment pour une mission impromptue qui peut durer des jours voire des mois, est un élan naturel chez les jeunes de votre âge. Sachez la cultiver par la suite quand le poids des ans et des charges familiales la rendra moins naturelle.

Ces exigences de la condition militaire sont à la base de votre métier. Mais, comme je l'ai dit à maintes reprises, elles doivent être reconnues par les pouvoirs publics et justement compensées. Je sais le désintéressement qui vous anime. On ne choisit pas ce métier pour faire fortune. Mais il est important que l'État traite équitablement ses serviteurs et qu'il accorde à chacun la considération qu'il mérite.




Mais au-delà du statut militaire et de ce qu'il implique, je vous invite à réfléchir au contexte dans lequel vous êtes appelés à exercer des commandements.

Vous avez choisi de servir la France, jusqu'au sacrifice suprême s'il vous est demandé. C'est la raison d'être et c'est l'honneur du métier d'officier. Mais vous devrez être, et ce n'est pas contradictoire, les artisans de l'Europe de la défense. Car, ce faisant, vous servirez au mieux les intérêts nationaux qui seront défendus plus efficacement par une Europe capable de se faire entendre et respecter ses choix et au sein de laquelle ses capacités militaires donneront à notre pays un poids conforme à ses ambitions.

Vous servirez dans une armée professionnelle, en étroite symbiose avec la Nation. La fin du service national a modifié la nature des relations entre les Français et leur armée mais elle n'a pas affaibli le lien qui les unit. Le service militaire, qui répondait à des exigences d'engagement massif aux frontières, a nourri, ne l'oublions pas, un fort courant antimilitariste qui récusait la contrainte imposée et les inégalités devant l'appel. La France se reconnaît aujourd'hui dans son armée professionnelle, dans une société où domine la spécialisation. Elle n'ignore pas l'importante fonction d'intégration qu'elle exerce vis-à-vis des jeunes engagés, notamment de ceux qui sont issus de milieux défavorisés. Elle sait qu'elle peut compter sur ses armées dans les situations d'urgence sur le territoire national. Elle respecte les risques consentis pour sa sécurité et pour le rétablissement du droit et de la paix là où c'est nécessaire dans le monde.

Dans les missions extérieures, vous devrez affronter des situations confuses et évolutives dans un cadre interarmées et international. Paradoxalement, au moment même où la révolution des technologies de l'information efface distances et délais, la volatilité des situations et les possibles implications politiques des actions militaires conduites jusqu'aux plus bas échelons font peser sur le lieutenant des responsabilités nouvelles. Un jeune officier en opération doit aujourd'hui, plus encore qu'autrefois, savoir apprécier une situation, décider d'agir ou de négocier, contrôler ses hommes et dominer les moyens techniques dont il dispose. C'est cette maîtrise du milieu et de la force qui vaut à notre armée de terre sa réputation de troupe fiable, efficace et solide, comme j'ai pu le constater en Afrique ou dans les Balkans et comme chacun le voit aujourd'hui, en Afghanistan.

Cette maîtrise s'acquiert et se cultive. Elle repose sur une bonne connaissance des rapports internationaux, une intelligence des enjeux politiques, une parfaite compétence technique et, surtout sur un exercice judicieux du commandement.

Sur cet exercice du commandement qui est au coeur de votre formation à Saint-Cyr, je m'en tiendrai à quelques principes simples mais fondamentaux.

N'ayez pas peur de commander. La faiblesse de caractère, à tout âge et quel que soit le grade du chef responsable, est à la source de toutes les défaites de notre histoire militaire. Je vous invite à méditer ces défaites. On apprend toujours davantage en étudiant ses échecs plutôt que ses succès.

Commandez par l'exemple. C'est une recette inusable qui ne vaut pas seulement pour les armées. Laissez-moi vous dire d'expérience que, dans les moments de crise aiguë, le seul ordre qui vaille est aussi le plus simple : "suivez-moi". C'est celui qui résonnait dans les tranchées, c'est l'ordre qu'a donné le général de Gaulle au pire moment pour la France, c'est l'ordre qu'a donné l'un de vos anciens en mai 95 au pont de Verbanha.

Respectez vos subordonnés. Les sous-officiers et les engagés qui vous seront confiés ont choisi le même métier que vous. Ils sont comme vous des jeunes de leur âge, avec le même enthousiasme, la même générosité. Ils ont besoin des repères que la société ne leur donne pas toujours. Appuyez-vous sur les traditions pour créer avec eux une communauté fière et soudée, sans exclusivité et surtout sans jamais de mépris pour les autres.

Gardez-vous de vous singulariser à l'excès, de créer votre propre système de valeurs. Votre légitimité se fonde sur le respect des valeurs communes de la nation. Vous la représentez et vous la défendez dans toute sa diversité. On ne risque pas sa vie et celle des autres pour une idée abstraite, mais pour une communauté charnelle d'êtres vivants, pour un pays qui s'est construit au fil des siècles autour des principes de liberté, de démocratie, de respect des droits de l'Homme. Les vertus que vous cultivez, l'amour de la patrie, le courage, la discipline, la disponibilité ne sont pas l'apanage des seuls militaires.

Soyez légitimement fiers de les pratiquer, mais restez ouverts à la société civile. Sans déroger à la neutralité politique et religieuse qui vous est imposée dans vos fonctions, participez à la vie de la cité, restez attentifs à ses évolutions. Hommes et femmes d'action, décideurs et meneurs d'homme, sachez tout au long de votre carrière, vous cultiver pour vous préparer aux plus hautes responsabilités de la fonction militaire.

Enfin, soyez compétents. Ne cédez jamais à la routine. Votre légitimité vis-à-vis des responsables politiques de la nation repose d'abord sur votre parfaite maîtrise des techniques et des procédures militaires.




Mesdames, Messieurs,

Le métier que vous avez choisi est sans aucun doute un des plus nobles que l'on puisse exercer, tant par les risques acceptés que par l'engagement désintéressé qu'il suppose.

Ayez la fierté de votre uniforme et respectez l'image que s'en font tous les Français.

Il n'y a pas, je vous l'ai dit, de valeurs qui soient l'apanage exclusif des armées. Mais l'usage de la force qui vous est confié suppose une éthique particulière qu'on appelle le sens de l'honneur.

Vous serez demain dépositaires de l'honneur de notre armée. De votre courage, de votre droiture, de votre compétence mais aussi de votre humanisme dépendra le maintien de ce legs confié par Bonaparte, le 1er Mai 1802, à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr et que vos anciens ont transmis de génération en génération, bien souvent au péril de leur vie. Je compte sur vous pour que cette tradition, la plus essentielle, soit toujours respectée.

Dans quelques années, quand vous prendrez le commandement d'une unité, vous serez, selon la formule consacrée, reconnus comme chefs "pour le bien du service, l'exécution des réglements militaires, l'observation des lois et le succès des armes de la France".

Je sais pouvoir compter sur vous, sur vous toutes et vous tous, pour assumer pleinement l'héritage de cette glorieuse lignée de saint-cyriens qui ont porté si fièrement pendant deux siècles les couleurs de la France, là où le devoir les appelait.

Et au nom de tous nos compatriotes, je vous exprime ma confiance et mon estime.

Je vous remercie.





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