Réunion de travail sur le thème Initiative locale et création d'entreprise: conclusions du Président de la République .

Conclusion de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, à l'issue de la réunion de travail sur le thème Initiative locale et création d'entreprise.

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Avignon, Vaucluse, le lundi 11 février 2002

Je voudrais, après avoir remercié le maire d'Avignon, lui dire que j'ai écouté avec attention, naturellement, ce qu'elle a dit et j'y souscris sans réserve, et, en particulier, sur la communauté d'aglomération du Grand Avignon.

C'est vrai que l'un des intérêts de l'intercommunalité est de dépasser la réalité des bassins de vie, notamment sur le plan économique. L'agglomération devient un cadre naturel notamment pour le soutien des initiatives de toute nature.

J'avais d'ailleurs déjà eu l'occasion, je pense que Marie-Josée ROIG s'en souvient peut-être, lors d'un précédent voyage, de réunir les maires du Comtat Venaissin pour leur parler d'intercommunalité. C'est une idée qui rendre maintenant bien dans les esprits. Je crois que c'est un progrès.

Vous me demandez de conclure, Monsieur le Président, je crois que la conclusion, c'est qu'il est nécessaire, aujourd'hui, d'agir pour accompagner le dynamisme dont vous portez le témoignage, mais que l'on retrouve un peu partout dans notre pays.

Agir pour l'emploi. Agir pour la croissance. Agir pour développer la création de richesses. Il y a bien sûr plusieurs manières de le faire. Mais, je crois que les pistes les plus prometteuses sont celles qui conduisent à encourager les initiatives, à libérer les énergies dont les Français sont pleins actuellement, et par voie de conséquence, de récompenser le goût d'entreprendre et donc de favoriser l'entreprise, et notamment la création de l'entreprise et respecter l'entreprise qui n'est pas un lieu de travail forcé depuis bien longtemps.

Je voudrais faire quatre brèves remarques.

La première, c'est qu'il y a chez les Françaises et les Français, on l'a vu par les chiffres, on l'a vu par vos témoignages, un formidable désir, un formidable goût d'entreprendre. C'est une grande chance pour notre pays. Il ne faut pas brimer cette pulsion. Ce n'est pas le manque d'initiative, le manque de créativité qui est à craindre, mais c'est le fait que trop souvent ces énergies sont entravées, ces initiatives sont cadenassées par l'extérieur de façon excessive, et souvent inadaptées.

La seconde réflexion, c'est que l'esprit d'entreprise touche bien tous les Français, et pas seulement une catégorie de Français qui auraient eu le privilège soit d'avoir des qualités extraordinaires, soit d'être dans un milieu privilégié. Il y a autant de femmes que d'hommes, à peu près, qui veulent se lancer. Si on trouve des diplômés de grandes écoles, on le disait tout à l'heure, on trouve aussi beaucoup de chômeurs, de personnes qui sont au RMI et qui tentent l'aventure de l'entreprise ou qui voudraient tenter l'aventure de l'entreprise individuelle. Cela, c'est un formidable espoir. Il faut se mobiliser pour leur réussite, pour la réussite de chacun d'entre eux. C'est cela l'emploi.

La France, ce n'est pas seulement des grandes entreprises. Nous sommes fiers de nos grandes entreprises, naturellement. Nous sommes fiers de leur rayonnement international. Nous sommes heureux de ce qu'elles apportent en richesse, en emploi dans notre pays. Mais, notre vocation, c'est d'avoir le plus grand nombre possible de gens qui travaillent, qui produisent, qui créent et qui donc, font la richesse et du bonheur.

Ma troisième remarque, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir des volontaires pour créer des entreprises. Il faut naturellement un marché. Il faut satisfaire des besoins. Or, les besoins sont immenses, notamment dans tout le domaine, au sens très large du terme, des services à la personne ou des services à l'entreprise. C'est un atout formidable. C'est un élément de croissance que nous n'exploitons pas suffisamment.

Ma quatrième remarque, c'est que, hélas, créer et entreprendre, c'est, aujourd'hui dans notre pays, encore difficile. Très difficile. Il faut rompre avec nos habitudes centralisées qui viennent de loin dans notre histoire, qui ont été parfaitement justifiées pour permettre à la France de se créer en tant qu'État uni, fort, mais qui, aujourd'hui, ne correspondent plus du tout à la réalité du monde.

Aujourd'hui, il faut faire confiance aux initiatives locales. Il ne faut pas toujours vouloir les encadrer, les brimer, surtout parce qu'en réalité, on n'en connaît pas les ressources, on n'en connaît pas les motivations. Quand on est trop loin, on ne sait pas ce qui se passe sur le terrain. Donc, il faut rassembler les acteurs au niveau local. De ce point de vue, les associations, comme celle de "GRAIN", sont tout à fait exemplaires et montrent l'avenir.

C'est en vérité, ces initiatives que vous défendez, un formidable réservoir d'emploi, d'activité, de création de richesses, qui sont un élément important de la croissance de demain. La croissance de demain, ce n'est pas seulement les grandes entreprises.

Si l'on veut donner à ces initiatives leur chance, je crois qu'il faut deux ou trois conditions. Il faut d'abord assurer l'égalité des chances dans notre pays, c'est-à-dire que chacun doit pouvoir accéder au travail et réussir sa vie d'où qu'il vienne, quelle que soit sa formation, quel que soit le lieu où il est né.

Le travail, c'est une liberté et une valeur fondamentale. On n'en a pas suffisamment conscience. C'est une source d'accomplissement personnel. C'est une source d'intégration sociale. C'est une source de réussite et de bonheur. Mais, c'est aussi une valeur collective. Ce n'est pas seulement une valeur individuelle. Les pays qui ont le plus d'hommes et de femmes au travail sont ceux qui s'en tirent le mieux en terme de croissance et de chômage, aujourd'hui. Et, si la France n'est pas en bonne position par rapport, par exemple à nos principaux partenaires, et notamment nos partenaires européens, c'est probablement parce qu'elle n'a pas cette culture suffisamment développée.

Assurer l'égalité des chances, c'est en particulier porter une attention particulière, soutenue aux jeunes et aux plus vulnérables de nos concitoyens qui sont souvent d'ailleurs les mêmes. Les jeunes Français savent ce qu'ils veulent. Ils sont capables de réussir par eux-mêmes. Et ce que nous disait, tout à l'heure, M. Belkasem KACI, après d'ailleurs, M. Bensalem SLIMAN, est tout à fait caractéristique.

Cette volonté, quelles que soient les difficultés qu'on a pu connaître dans le passé, de s'investir, de s'exprimer et de montrer l'exemple et, à partir de là, de faire partager son exemple et donc de donner l'espoir à d'autres, c'est un peu, si je comprends bien, l'ambition de l'association des "Grands frères". C'est un ferment considérable, extraordinairement positif. M. KACI l'a évoqué avec un peu de passion, mais cela correspond à une réalité profonde. On ne peut que lui en porter témoignage. C'est vrai. C'est cela la réalité des choses.

Ce qu'il faut en effet, c'est aider les jeunes à réussir leur projet, notamment ceux qui veulent créer des entreprises, créer de l'emploi. Il faut aider ceux qui ont besoin de franchir un cap, ceux qui veulent s'insérer dans la vie économique et sociale et qui en ont les moyens intellectuels, mais, hélas, en général, pas les moyens matériels, ceux qui veulent construire, en quelque sorte, un projet professionnel.

L'aide de la collectivité qui s'impose et qui n'est pas, c'est vrai, aujourd'hui donné comme elle devrait l'être. La preuve est qu'on est obligé de passer par des initiatives privées pour l'encourager, encore que les initiatives privées sont toujours positives. Mais, l'aide de la collectivité, c'est vrai, ne doit pas non plus être sans contrepartie. Il faut passer un contrat avec ceux qui veulent créer. Un contrat qui comporte, naturellement, des droits et des devoirs. C'est la responsabilité.

Il faut, également, au-delà des jeunes, penser aux plus vulnérables de nos concitoyens. Les politiques d'aides aux plus démunis en France, au titre d'une protection sociale exemplaire par ailleurs, se ramènent trop souvent à l'assistance, et uniquement à l'assistance. L'assistance, elle, est nécessaire, bien entendu. Mais, ce n'est pas une expression très respectueuse des gens, des hommes et des femmes.

L'objectif, en réalité, n'est pas de permettre aux plus fragiles d'entre nous de survivre en restant indéfiniment aux marges de la société, en satisfaisant ainsi, d'ailleurs, notre bonne conscience. L'objectif, c'est de les aider à s'en sortir, pour leur permettre d'apporter leur richesse à notre collectivité et, tout d'abord, en trouvant du travail naturellement, ou en créant quelque chose.

C'est donc une véritable politique d'insertion qu'il faut conduire. Nous n'en avons pas pris suffisamment conscience. Le RMI en est un exemple. Le RMI est une excellente réforme, naturellement, qui s'imposait, mais qui n'a pas donné son sens au "i" qui signifiait l'insertion. Pour cela, il faut avoir conscience d'une réalité, d'un principe qui est fondamental, c'est qu'il doit toujours être plus favorable, et donc je dirai plus rentable, de travailler que d'être inactif.

On doit être très attentif à cela. Il faut qu'il y ait toujours un "plus" substantiel quand on travaille par rapport aux revenus inactifs. Je le disais, tout à l'heure, ce qui ne veut pas dire qu'il faut diminuer naturellement les revenus garantis mais qu'il faut prendre des dispositions de toute nature, notamment d'ordre fiscal, pour permettre à celui qui travaille d'y trouver un encouragement, une incitation.

La seconde condition, je crois, c'est que nous devons faire plus confiance aux entreprises. Ce sont elles, au total, qui créent naturellement la richesse, l'emploi. Nous devons être attentifs aux conditions de travail, mais il faut être plus confiant dans les entreprises, notamment dans les plus petites d'entre elles, qui ne sont pas du tout dans nos préoccupations, qui se créent, je dirai, plutôt malgré tout, qu'en étant réellement encouragées. Il reste beaucoup à faire pour créer un environnement favorable au développement de ces toutes petites entreprises.

Un certain nombre de problèmes a été évoqué ce matin, et à juste titre. Nos lois, nos règlements sont, en réalité, conçus pour les grandes entreprises, je ne dis pas qu'ils sont obligatoirement adaptés aux problèmes des grandes entreprises, mais ils sont conçus pour elles. Ils sont trop complexes. Cela ne marche pas pour les toutes petites entreprises.

Le travail radical, cela a été dit tout à l'heure, de simplification s'impose sans aucun doute. Il faut réfléchir à une méthode nouvelle car dans ce domaine, les résultats que nous obtenons, par rapport à nos grands partenaires, sont médiocres et c'est une faiblesse sérieuse.

Je prends un simple exemple. Nous devons garantir pour la petite entreprise le principe qu'il ne doit y avoir ni taxe, ni charge sociale avant de générer un chiffre d'affaires, sinon c'est un frein, qui s'oppose en réalité, au développement.

La troisième condition nécessaire pour que nos concitoyens expriment leur talent et réussissent leur projet, c'est de leur donner de nouvelles sécurités. La garantie aujourd'hui, pour les salariés comme pour les créateurs d'entreprise, n'est pas la multiplication des réglementations avec tout ce que cela comporte, et notamment d'injustice que j'évoquais tout à l'heure et qui conduisent aux effets inverses à ceux recherchés. La sécurité, c'est de garantir à chacun la capacité d'occuper un bon emploi. C'est cela la sécurité.

La vie professionnelle est, de plus en plus souvent, faite de changement. On ne reste plus, aujourd'hui, dans une certaine immobilité professionnelle comme ce fut le cas dans le passé, changement de statut, changement d'activité, changement de métier. Et pour cela, assurer à chacun une formation tout le long de la vie, notamment au moment où les technologies évoluent si rapidement, c'est essentiel. C'est l'essentiel pour permettre l'adaptation au monde du travail et aux mutations permanentes.

La sécurité, bien sûr, c'est aussi de garantir, je tiens à le souligner pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, notre système de protection sociale. Un système dont nous sommes fiers. Un système qui doit être naturellement garanti. C'est un point fondamental sur lequel on ne peut pas transiger. La sécurité, enfin, c'est de garantir dans notre système social -je le dis par parenthèse, car ce n'est pas l'objet de notre réunion d'aujourd'hui, mais c'est important-, nos retraites. Et, de ce point de vue, il y a lieu d'être inquiet et de regretter que, depuis déjà longtemps, nous n'ayons pas pris les mesures nécessaires pour que ces retraites dans l'avenir soient garanties, ce qui est un problème.

Voilà, Monsieur le Président, le modèle français est fondé sur la conviction que le progrès économique et la justice sociale vont de pair. C'est une grande ambition. Ce modèle, il faut le défendre et il faut le renforcer. Il doit s'appuyer sur des principes simples, ils ont été évoqués tout autour de cette table, et je ne puis qu'y souscrire. Chacun doit être récompensé de son dynamisme et de sa capacité d'entreprise. Chacun doit se voir garantir une certaine sécurité, mais au-delà, chacun doit être réellement récompensé de son dynamisme et de sa capacité d'initiative. Autrement dit, chacun doit être récompensé pour son travail. Et, comme le disait, tout à l'heure, je crois, M. HUGUES, il faut réhabiliter la valeur que représente le travail.





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