Discours de M. Jacques CHIRAC à Garges-lès-Gonesse (campagne électorale pour l'élection présidentielle)

Discours de M. Jacques CHIRAC à Garges-lès-Gonesse (campagne électorale pour l'élection présidentielle)

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Garges-les-Gonesse, Val d'Oise, le mardi 19 février 2002

Madame le maire,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers compatriotes,

Le 14 juillet dernier, j’ai exprimé une fois de plus mon inquiétude devant la montée de l'insécurité.

Je l’ai fait parce que la violence est en train de changer le visage de notre République. Elle crée la peur. Elle met en cause les fondements mêmes de la vie en société.

Et la situation continue de s'aggraver.

Le rétablissement de la sécurité pour tous, et partout sur le territoire national, est aujourd'hui le préalable indispensable pour que les Français puissent vivre dans une France ouverte et généreuse, une France qui veut aller de l'avant.

C'est la première responsabilité et le premier devoir de l'Etat. Dans la période qui va s'ouvrir et pour les cinq prochaines années ce sera l'une des plus grandes exigences du Président de la République et du Gouvernement.

Je suis heureux aujourd'hui de pouvoir m'exprimer sur ce sujet essentiel dans une ville d'Ile de France, Garges-lès-Gonesse, ville-symbole du volontarisme des élus de terrain. Des élus qui, comme votre maire, mon amie Nelly Ollin, femme de caractère et de conviction, n'ont pas hésité à se lancer en première ligne dans le combat contre l'insécurité.

Vous avez su, chère Nelly, soutenir et renforcer le tissu associatif, le confortant dans ses initiatives d'accompagnement social et de prévention. Vous avez aussi utilisé tous les instruments et tous les moyens mis à la disposition des maires pour lutter à la fois contre les manifestations de l'insécurité et contre ses causes profondes. C'est la bonne méthode.

Même s'il convient aujourd'hui de mettre l'accent d'abord sur l'action de la justice et des forces de sécurité et sur leur coordination, nul ne peut espérer venir à bout de l'insécurité sans prendre en compte le phénomène dans toutes ses dimensions, y compris ses dimensions économiques, sociales et éducatives.

Pour être efficace, une politique de sécurité doit en effet s'inscrire dans un cadre global, garantir à tous l'égalité des chances et rechercher en permanence la justice. La République sera d'autant plus légitime dans son exigence de fermeté et de responsabilité qu'elle aura su donner à chacun un avenir. C'est par une approche complète et équilibrée des réalités de la vie que l'on gagnera ce combat.

La France, et nous en sommes fiers, est une démocratie ancienne et un Etat de droit. L'expression des libertés et l’égalité des citoyens devant la loi ont toujours été pour nous des évidences autant que des exigences. Ce sont les principes qui fondent notre modèle républicain.

Nous savons d’expérience que les fruits de la démocratie ne sont pas acquis une fois pour toutes. Chaque époque a été appelée à en redéfinir le sens et le contenu. Mais avec la montée de la violence, c’est la cohésion même de notre société qui est en cause, c'est notre modèle républicain qui s’affaiblit, c'est le lien social qui se distend, car la sécurité est à la racine même du pacte social. Si les hommes ont décidé de se regrouper, de s'organiser, de vivre en société, c'est en effet pour se protéger, assurer leur sécurité mutuelle, vaincre la peur.

Ce que nous constatons aujourd’hui n'est pas un simple dérèglement aux marges de la société. Plus personne en France n'est à l'abri. Plus personne ne se sent à l'abri. A la violence d'appropriation, qui ne cesse de s'étendre, s'ajoute une violence d'agression, sans bornes, dont le but est de terroriser, de blesser, d'humilier, de détruire. C’est l'idée que la colère est en elle-même source de légitimité, que tout délit est à lui-même sa propre explication et sa propre excuse.

Le sentiment d'insécurité qui se propage finit par imprimer sa marque à toute la vie en société. Et, bientôt, c'est la crainte de l'autre qui en vient à chasser le besoin de l'autre.

Il y a urgence à agir et à réagir. Les solutions sont connues. Je veux vous en parler. Elles exigeront volonté, et humanité, courage et ténacité, sans jamais renoncer devant les obstacles, qui seront nombreux.

Les Français ne jugeront pas sur des intentions, ni même sur des actes, mais sur des résultats.

Face à l'insécurité, ils attendent des pouvoirs publics qu'ils garantissent trois principes essentiels du pacte français : la liberté, l’égalité et le respect qui est au coeur même de la fraternité.

La liberté.

C'est bien la liberté qui est en cause quand la possibilité d'aller et venir n'est plus garantie à tout citoyen et quand les biens les plus modestes peuvent être atteints.

Les Français ont besoin de se sentir libres. Ils ont besoin d'être assurés de leur liberté de mouvement, de leur liberté de se réunir, de s'associer, d'entreprendre, de créer. Ils ont besoin d'être confortés dans leurs initiatives. Ils ont besoin de savoir que ce qu'ils possèdent ou ce qu'ils construisent ne sera pas endommagé ou détruit.

C'est la condition du retour de la confiance, sans laquelle il n'est pas de dynamisme possible.

L’égalité.

Si l'insécurité est présente partout, elle frappe d'abord les plus vulnérables d'entre nous. Ces femmes, ces hommes, ces jeunes si nombreux, qui se demandent dans quel état ils vont retrouver leur voiture le lendemain, qui regagnent leur logement par un ascenseur ou une cage d'escalier détériorés, en évitant de regarder les groupes plus ou moins menaçants qui stationnent près de l'entrée. Ces femmes, ces hommes, ces jeunes qui ont peur d'intervenir ou de témoigner quand ils assistent à des violences, des délits ou des incivilités, par crainte de représailles. Qui se sentent abandonnés parce que les médecins, les infirmières hésitent de plus en plus à venir chez eux. Parce que les commerces sont fermés. Parce que les forces de l'ordre et les pompiers sont si souvent agressés.

Un jeune de milieu modeste, né dans des cités ou des quartiers exposés, a moins de chance de s’en sortir qu'il y a dix ou vingt ans, quand l’école, mieux protégée des turbulences extérieures, pouvait vraiment jouer son rôle d’ascenseur social.

Oui, l’égalité régresse, et c’est intolérable.

Enfin, le respect.

Si souvent invoqué, il est de moins en moins observé et pratiqué.

Respect de la collectivité, mis en cause par tant d'agressions gratuites et de jeux destructeurs, qui nourrissent un climat de peur.

Respect des femmes. De plus en plus de jeunes filles sont menacées et insultées dans leur lieu de vie comme à l’école, et subissent des agressions sexuelles qui peuvent aller jusqu’à des viols collectifs. Par crainte, beaucoup sont obligées de modifier leurs habitudes, se cachent et restreignent leur liberté, lui assignant des limites étroites, étrangères à notre culture.

Respect des enfants, à l’heure où se multiplient de sordides affaires de pédophilie. Ce phénomène ignoble témoigne d’une perte absolue de repères.

Respect fraternel de la différence des modes de vie, de pensée, d'origine, de culture, de convictions ou d'aspirations, qui permet à chacun d'exprimer dans la tolérance son identité.

Respect des autres, tout simplement. Les incivilités, les atteintes au cadre de vie, les violences verbales, surtout celles qui stigmatisent les différences, le secours qui n’est pas apporté aux plus faibles : autant de défaillances, de coups portés au respect de l’autre, à l’attention que nous devons aux autres.

Respect des autres aussi sur nos routes, car l’insécurité routière se traduit en France par un nombre de victimes deux fois plus important qu’en Grande-Bretagne. Cette situation exige à l’évidence un effort renouvelé de la part de tous. C’est la raison pour laquelle j’exclus, en ce qui me concerne, toute amnistie pour des infractions au Code de la Route ayant mis en danger la vie d’autrui.

Pour restaurer ces valeurs, sans lesquelles il n’est pas de vie normale en société, nous devons réaffirmer avec vigueur l'exigence de la responsabilité et de l'autorité.

L'Etat doit assumer la plénitude de ses missions et d’abord l’ordre républicain, la sécurité de chacun, le respect de la loi.

Les politiques menées au cours des dernières années dans la plupart des grandes démocraties en témoignent : il n’y a pas de fatalité à l’insécurité et à la transgression de la loi.

La plus grande épreuve de vérité pour le Politique, c'est de démontrer sa capacité à garantir la sûreté, la dignité et la liberté de chacun. C'est son honneur et c’est son devoir.

Il doit agir dans un esprit de responsabilité, en pleine maîtrise de lui-même, avec toute la fermeté nécessaire mais aussi avec justice, sûr de la légitimité de son action au service de tous. Car la vraie générosité n'est plus, depuis longtemps, de laisser faire ou de tolérer, c'est de défendre la liberté face à l'oppression de l'insécurité, une oppression qui touche d'abord les plus faibles.

Trop longtemps, on aura fermé les yeux. Trop longtemps, on aura discouru, opposant prévention et répression, comme s'il fallait choisir entre les deux. Trop longtemps, on aura laissé la vague gonfler aux portes des villes, comme si elle pouvait se briser sur un mur invisible. Comme si la violence et la haine pouvaient être conjurées par le silence, l'ignorance et l'oubli. Comme s'il suffisait de stigmatiser les faubourgs pour épargner les centres. Comme si les habitants des quartiers et des banlieues les plus exposés n'avaient plus à choisir qu'entre l'indifférence, le mépris et la compassion. Comme si la tranquillité des campagnes était pour toujours assurée. Comme s'il ne s'agissait pas de tous les Français et de leurs droits, les mêmes pour tous, et en premier lieu celui de vivre en paix.

L'insécurité est un phénomène grave et complexe. Pour y répondre avec efficacité, pour avoir des résultats, il faudra une volonté politique sans faille, une autorité sans faiblesse, mais aussi beaucoup d'humanité et de force d'âme.

A travers tous les drames de l'insécurité, ces vies rongées, ces vies brisées, l'attente de chacun est celle d'un retour à la tranquillité.

On ne retrouvera pas la tranquillité sans donner un coup d'arrêt à la violence. Cela exigera d'autant plus d'autorité qu'on en aura trop longtemps manqué. La tâche sera lourde. Mais il n'est pas de responsabilité plus haute aujourd'hui.

En combinant ce coup d'arrêt à une action de longue haleine sur les causes humaines, sociales, éducatives et familiales de l'insécurité, nous atteindrons notre véritable objectif : apporter à tous les Français la protection de la sécurité, rétablir le respect de l'autre et faire en sorte que chacun trouve sa place au sein de notre société.

La République ne saurait avoir d'ambitions plus urgentes que celles-ci. Une France qui va de l'avant, c'est d'abord une France rassurée, plus juste, en harmonie avec elle-même, où chacun aura l'esprit libéré pour vivre tranquille, faire des projets, étudier, créer, travailler ou entreprendre.




Lorsqu'on évoque la sécurité, on pense bien souvent que seules la police et la justice sont en cause, mais en réalité, la sécurité est l'affaire de tous. L’affaire des familles, de l'école, des communes. Pour rendre durablement sa force à la loi, chacun de ces maillons de la chaîne de l'autorité et de la responsabilité doit être renforcé.


Le premier maillon, c’est évidemment la famille qui doit être mieux aidée à assumer sa fonction éducative. Dans un état de droit, les parents sont responsables des actes de leurs enfants. Pour beaucoup de familles, cette responsabilité est lourde. C’est pourquoi de nombreux maires ont mis en place des lieux de rencontres pour résoudre les conflits entre parents et enfants, pour conforter auprès des enfants la parole d’autorité des parents. De même les municipalités et les associations devront être encouragées à développer l'accueil des enfants avant et après l'école, pour leur donner l'aide aux devoirs et l'accès aux sports et à la culture, alors qu'ils sont trop souvent livrés à eux-mêmes en l'absence de leurs parents.

Les associations jouent un rôle irremplaçable dans l'accompagnement social des familles et la prévention de la délinquance. Sans leur main tendue, sans leur inlassable dévouement, il n'y a pas de responsabilisation possible. Leurs initiatives doivent être soutenues et encouragées par les pouvoirs publics et par les collectivités locales, comme c'est le cas ici, à Garges-lès-Gonesse.

Si le désarroi et la solitude des familles doivent être secourus, il convient en même temps de pouvoir agir sur les parents qui auraient les moyens et la capacité de s'occuper normalement de leurs enfants mais qui se désintéressent d'eux, voire les maltraitent. Qui ne répondent à aucune convocation, qu’elle émane de l’école ou de la mairie. Ou même qui profitent de la délinquance des enfants. Pour responsabiliser les parents, en les rappelant à leur obligation de surveillance, une procédure d'avertissement familial, éventuellement sanctionnée par une amende, doit être mise en place lors du jugement des délinquants.


Deuxième maillon : la commune. Vous le savez, je souhaite qu’une nouvelle architecture des pouvoirs se mette en place en France, afin que les problèmes soient traités au plus près des citoyens et que se développe une démocratie de terrain et de proximité.

Les maires ont un rôle important à jouer en matière de sécurité parce qu'ils connaissent les problèmes et les attentes de leurs concitoyens, et parce qu'ils sont responsables devant eux. La cohérence des actions de sécurité sur le territoire des communes et des agglomérations doit être renforcée, en y associant davantage les habitants. Il faut aller au-delà des contrats locaux de sécurité qui n'ont pas pleinement répondu aux attentes et créer autour du maire, ou du président de la communauté d'agglomération, des conseils locaux de sécurité. Leurs compétences seront étendues à la définition des priorités de la lutte contre l'insécurité et au suivi de leur mise en oeuvre. Ils réuniront l'ensemble des acteurs de la prévention et de la répression de la délinquance. A intervalles réguliers leur seront soumises toutes les informations concernant les plaintes reçues, les résultats obtenus par les forces de sécurité, police, gendarmerie, police municipale, ainsi que les comptes rendus d'activité des services judiciaires.

Le rôle des maires est essentiel, qu'il s'agisse de la prévention par l'action éducative et sociale et par l'aide aux parents, qu’il s’agisse de la réglementation, de la mobilisation de moyens supplémentaires au renfort de l'Etat, des missions de surveillance confiées à la police municipale, ou qu’il s’agisse de la coordination des services publics de toute nature, nationaux et locaux, qui concourent à l'amélioration de la sécurité et du cadre de vie.

Renforcer l'implication des communes, c’est mettre en mouvement un dynamisme nouveau, et donc ajouter et non retrancher. L’Etat conservera naturellement la maîtrise des responsabilités opérationnelles qui sont les siennes, en particulier celles de la police, de la gendarmerie et de la justice.


L’école est le troisième maillon. Elle est servie par des enseignants de grande qualité, dont l’engagement n’a rien à envier à celui de leurs prédécesseurs.

Les écoles, les collèges, les lycées des quartiers exposés à la violence ont besoin d’équipes pédagogiques unies et stables, dont les efforts soient pleinement reconnus, en termes de salaire comme en termes de déroulement de carrière. Des équipes formées à la lutte contre l'échec scolaire, et qui mettent tout en oeuvre pour intéresser les jeunes à leur scolarité. Des équipes qui aient le temps de connaître les élèves, de définir un travail en commun, de développer un projet sur plusieurs années. L’égalité des chances est à ce prix.

L’école doit pouvoir accomplir sa mission de transmission des savoirs et des valeurs et sa mission d’intégration républicaine. Pour cela il faut la protéger du racket, de la violence et de la drogue. Les professeurs, les chefs d’établissements ne doivent pas être abandonnés à eux-mêmes dans les situations de crise. Des plans de sécurité doivent être mis en place. Ils associeront les membres de la communauté éducative et les parents d'élèves aux acteurs locaux de la sécurité et aux collectivités locales.

Deux priorités doivent être fixées dans le cadre de ces plans : la lutte contre l'absentéisme, premier symptôme d'un enfant à la dérive, et la pleine et entière application des règlements intérieurs. Cela implique de renforcer les équipes d'encadrement des établissements.

Mais le problème le plus difficile à traiter, c'est celui des élèves qui passent d'un établissement à l'autre, exclus pour des actes graves comme le trafic de stupéfiants, ou pour des agressions répétées sur leurs camarades, voire leurs professeurs. Actuellement, il n'existe pas de solution pour eux. Cette situation est insupportable par les risques qu'elle fait courir à la communauté scolaire. Et elle livre le jeune délinquant à lui-même, le privant des actions adaptées et personnalisées dont il aurait besoin.

L'aide sociale des départements joue un grand rôle pour la sauvegarde de l'enfance. Mais pour ces élèves renvoyés des collèges ou des lycées pour des faits graves, l'éducation nationale doit s'organiser. Il faut impérativement créer des établissements scolaires spécialisés, en partenariat avec les collectivités locales. Indépendamment des sanctions judiciaires auxquelles ils s’exposent, ces jeunes qui, après plusieurs exclusions, ne peuvent plus être maintenus dans les structures scolaires ordinaires, seront ainsi accueillis et scolarisés dans des conditions d'encadrement adaptées, autour d'un projet éducatif moderne. Il s'agit à ce stade d'assurer la scolarisation obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans, et nullement d'une mesure de placement judiciaire.




Vous verrez que si la famille est mieux aidée et responsabilisée, si la commune s'engage davantage et si l'éducation nationale se dote de nouvelles pratiques et de nouveaux moyens d'action, un contexte favorable se créera progressivement pour faire reculer l'insécurité. Mais, par delà cette implication et cette mobilisation de l'ensemble des acteurs de la société et sans attendre qu'elle ait porté ses premiers fruits, la gravité de la situation exige de faire barrage à la montée de la délinquance par des mesures fortes et efficaces qui, très vite, changeront la donne. Ce coup d'arrêt, seul l'Etat peut le donner, dans le respect de nos libertés fondamentales, en se fixant deux lignes d'action claires :

- mobiliser l'ensemble des forces de sécurité ;

- mettre fin à l'impunité.

Pour traduire cette ambition politique dans la réalité de l'action, il faut adapter nos processus de décision et renforcer la coordination entre les principaux acteurs de la sécurité, particulièrement la justice et les forces de l'ordre. Dans le passé, les pouvoirs publics ont expérimenté de multiples formes d'organisation sans réussir à assurer cette coordination dans de bonnes conditions. C'est l'une des principales causes des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui.

Dès son entrée en fonction, le Président de la République devra mettre en place un Conseil de Sécurité Intérieure, sur le modèle de ce qui existe déjà pour la Défense, l'Europe ou les Affaires étrangères. Placé sous la présidence du Chef de l'Etat, il réunira régulièrement le Premier ministre, les ministres concernés et les plus hauts responsables des administrations de l'Etat en charge de la sécurité : justice, police, gendarmerie, douanes et impôts, et, en tant que de besoin, toute autre administration concernée. Il lui reviendra de donner l'impulsion politique nécessaire à l'efficacité.

Un Secrétariat général permanent de la sécurité intérieure, placé auprès d'un ministre spécifiquement chargé de la sécurité intérieure, sera immédiatement mis en place pour coordonner les politiques de lutte contre l'insécurité et préparer les décisions du Conseil de sécurité intérieure. Il sera doté d'un comité d'évaluation.

Sur tout le territoire, des groupements opérationnels d'intervention et de soutien seront constitués, à des échelons géographiques à définir en fonction de la localisation de la délinquance majeure et des principaux trafics. Ils associeront magistrats, policiers, gendarmes, douaniers, fonctionnaires des impôts, et éventuellement de l'inspection du travail et des services de la répression des fraudes. Ils interviendront dans le cadre fixé par le Conseil de Sécurité Intérieure, le cas échéant à la demande des autorités publiques locales, en renfort des services normalement compétents.

Dès son entrée en fonction, le prochain gouvernement devra mettre en place ce dispositif et prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la sécurité.

Pour déployer les moyens indispensables, deux grandes lois de programmation devront être votées, l'une pour les forces de sécurité, l'autre pour la justice. Je n'ignore pas que la mobilisation des crédits nécessaires sur plusieurs années ne sera pas facile compte tenu de la situation de nos finances publiques. Des arbitrages devront être faits, des économies réalisées, mais la priorité politique donnée à la lutte contre l'insécurité doit recevoir la traduction financière sans laquelle elle resterait lettre morte.


Remotiver les forces de police et de gendarmerie est une urgence. Elles traversent sans doute la crise la plus grave de l’après-guerre. Il faut leur redonner confiance, à tous les niveaux de la hiérarchie. Il faut revaloriser leur situation et leur permettre de faire face aux risques nouveaux auxquels elles sont confrontées, en leur donnant les équipements, les locaux, et les personnels nécessaires. Leurs missions doivent être clarifiées, leurs actions coordonnées.

S'il est clair que les gendarmes doivent conserver leur statut militaire et garder leur lien spécifique avec le ministère de la défense, leur coordination avec les forces de police sera assurée par le ministère en charge de la sécurité intérieure. Il importe aussi de mieux assurer la cohérence des interventions de l'Etat avec celles des polices municipales et des entreprises spécialisées, notamment les convoyeurs de fonds.

La douane et les services fiscaux devront eux aussi être mis à contribution. Bien souvent, c'est la mise en évidence d'un train de vie qu'aucune activité légale ne justifie ou la découverte de trafics illicites qui permettra d'empêcher de nuire des individus dangereux qui mettent en coupe réglée des quartiers entiers mais qu'aucun flagrant délit ne permet d'arrêter.

Des objectifs clairs et précis de réduction de la délinquance doivent être assignés par l'Etat aux préfets et aux responsables de la sécurité publique. Il est indispensable que les forces de l’ordre soient plus rationnellement réparties et employées sur tout le territoire, et qu'elles soient présentes dans les lieux où la délinquance s’est le plus développée au cours des dernières années, et aux moments, notamment la nuit et le week-end, où elle sévit avec le plus de violence.

Le danger terroriste vient encore ajouter à la charge qui pèse sur ceux qui doivent assurer la sécurité de tous.

Les attentats du 11 septembre dernier ont montré l'ampleur de la menace qui pèse sur nos démocraties. Un système de vigilance permanente doit être organisé au plan national. Il s'appuiera sur un renforcement des services civils et militaires responsables de la lutte anti-terroriste et sur une coopération internationale renforcée.

Par ailleurs, pour faire face à la situation en période de tension grave, que ce soit pour assurer la sécurité quotidienne ou la protection des points sensibles, mais également pour porter aide aux populations sinistrées en cas de catastrophe naturelle ou technologique de grande ampleur, les moyens existants seront accrus par renforcement de la réserve des armées, de la gendarmerie et de la sécurité civile.

Mieux adapter les équipes aux besoins locaux. Mieux former les jeunes adjoints de sécurité, les policiers municipaux, les agents de sécurité privée. Recruter et affecter des gardiens de la paix dans leur région d’origine, qu’ils connaissent et à laquelle ils sont attachés. Confier à d’autres agents publics les tâches indûment assumées par la police et la gendarmerie au détriment de leur mission de sécurité publique. Autant de directions à suivre pour donner toute leur efficacité à nos forces de l’ordre.

S'agissant de nos forces de l'ordre, je tiens à saluer leur dévouement, leur courage et leur travail admirables, dans des conditions souvent difficiles. Elles ont droit à l'estime de nos concitoyens et à la reconnaissance de la nation.

Les agents des forces de l’ordre veulent être respectés, ne pas voir leur travail, souvent accompli au risque de leur vie, entravé par mille obstacles, ou réduit à néant quand ils rencontrent le lendemain dans la rue les délinquants qu’ils ont arrêtés la veille.

Pour les serviteurs de la loi, comme pour tous les citoyens, l’impunité de ceux qui bafouent la loi est aussi décourageante qu’insupportable.

Aucune infraction, si légère soit-elle, ne doit plus être laissée sans réponse, une réponse adaptée, proportionnée à la faute, juste, mais certaine, immédiate et dissuasive. C'est l'"impunité zéro".


Cela suppose que nous donnions à la justice les moyens de mieux juger.

Engorgée, fragilisée, critiquée, notre justice n’est plus aujourd’hui en mesure de remplir sereinement ses missions. Il n’est pas admissible que le classement sans suite des plaintes soit si souvent la règle et que 30% des peines de prison ferme de moins d'un an restent inexécutées. Ce phénomène a pris une telle ampleur qu’il constitue, à l’échelle de la nation, un véritable déni de justice.

Donnons aux magistrats, qui sont confrontés chaque jour aux problèmes majeurs de notre époque, les moyens matériels leur permettant d’assumer les exigences de leur métier.

Renforçons l'efficacité de la justice: qu'elle soit mise en capacité de juger, de juger vite et que les peines qu'elle prononce soient immédiatement et pleinement appliquées. Systématisons le traitement des plaintes en temps réel. Encadrons dans des délais réalistes la durée des procédures judiciaires. C'est ainsi que nous ferons reculer le sentiment d'impunité, car ce sentiment vient souvent du temps interminable qui s'écoule entre le moment où la plainte est déposée et le moment où elle est finalement jugée.

Organisons une justice de proximité, capable de traiter les petits délits, et chargée de prononcer, sous le contrôle des magistrats, des peines de réparation immédiates et effectives, des travaux d’intérêt général, des contraventions.

Inspirée des anciennes justices de paix, elle permettra de lutter contre le taux excessif de procédures classées sans suite alors même que l’auteur de l’infraction est identifié. Ainsi, les petits délits, qui sont très souvent l'antichambre de la délinquance, ne seront plus laissés sans réponse.

La carte judiciaire n'est plus adaptée à la nouvelle géographie de la délinquance. Certains tribunaux, particulièrement exposés, doivent supporter des charges de travail disproportionnées. Il est nécessaire de leur affecter en priorité moyens humains et financiers.

Dans la fidélité à nos principes républicains les mieux établis, le Ministère de la Justice doit pour sa part assumer ses responsabilités de protection de la société en définissant une véritable politique pénale et en s'assurant de son application par les procureurs sur tout le territoire national.

La justice doit être la même pour tous partout en France.

Face à la délinquance, nous devons aussi renforcer notre dispositif judiciaire de prévention, d'éducation et de sanction.

Il ne s'agit pas seulement de détecter les comportements violents et les conduites à risque dès l'école.

Il s'agit, pour les cas les plus graves, d'élargir la gamme des établissements de placement des délinquants, pour ne plus traiter de la même manière le problème des adolescents qui commettent leur premier délit et celui des multirécidivistes endurcis.

Nous avons affaire à un phénomène complexe et multiforme auquel on ne peut apporter de solution unique.

Aucun jeune, quelles que soient les fautes qu'il a commises, ne doit jamais être considéré comme perdu. On ne peut aborder la question si grave de la délinquance sans vouloir que toutes les chances soient offertes aux jeunes à la dérive, plusieurs fois s'il le faut. L'ordonnance de 1945 doit être adaptée dans cet esprit.

Nous avons à traiter trois problèmes très différents :

- premier problème : la scolarisation des élèves exclus de plusieurs établissements pour des actes graves : c'est la création par l'éducation nationale d'"établissements scolaires spécialisés", je l'ai évoquée il y a quelques instants ;

- deuxième problème : le placement provisoire sur mesure judiciaire, de délinquants en instance de jugement, pour ne pas les laisser libres sur les lieux de leurs agressions : c'est la création par la justice de "centres préventifs fermés" ;

- troisième problème : le placement des mineurs délinquants multi-récidivistes, en "établissement éducatif fermé", sur condamnation du tribunal, et pour une durée qu'il décide.

Ces deux dernières propositions sont essentielles. Tant que nous ne les aurons pas mises en oeuvre, l'impunité continuera à l'emporter sur la sanction. Je voudrais vous les expliquer.


Eloigner de leur lieu de vie par des mesures immédiates les caïds, les chefs de bande et les délinquants les plus violents pris en flagrant délit est un impératif absolu. Ils ne doivent plus être laissés libres dans l'attente de leur jugement. Actuellement, ils fuguent des foyers ou des centres de placement immédiat où on les envoie, pour revenir perturber la vie de leur cité. Pour les prendre en charge, il n'y a pas de meilleure solution que de créer les "centres préventifs fermés" que je viens d'évoquer. C'est le seul moyen de rassurer témoins et victimes et de protéger celles-ci des représailles quand elles portent plainte. Et c'est aussi le seul moyen d'empêcher ces délinquants de défier les habitants de leur quartier et les forces de l'ordre après avoir commis des agressions graves. Dorénavant, ils attendront donc leur jugement, qui devra être rapide, dans ces établissements, qui seront dotés d’équipes éducatives spécialisées pour faire en sorte que ce temps de passage leur soit utile.

Nous avons besoin d'une alternative entre la solution éducative plus ou moins encadrée et la prison. Il manque en effet des lieux ayant la double vocation d'éducation et de sanction. Les "établissements éducatifs fermés" que nous devons créer recevront, après condamnation définitive, des délinquants multirécidivistes. Il est clair que leurs difficultés ne peuvent plus être prises en charge uniquement par des structures sociales ou par des éducateurs en milieu ouvert dont on ne dira jamais assez le dévouement et la compétence, mais qui se heurtent parfois à des problèmes insurmontables. La spirale qui peut conduire ces délinquants du délit récidivant à la criminalité doit être cassée. C'est la seule chance de pouvoir leur donner une véritable possibilité de réinsertion.

Quant aux mineurs condamnés pour crime, des instituts pénitentiaires spécialisés doivent être créés pour que la France réponde enfin aux exigences de la convention internationale sur les droits de l'enfant. Ils permettront de soustraire ces mineurs criminels à l'atmosphère délétère des prisons pour adultes où ils restent actuellement détenus. C'est une exigence humaine incontournable.

Au-delà, pour assurer le respect de la dignité de la personne humaine, la France devra lancer un programme de construction de prisons modernes, différenciées selon la nature des infractions commises, les politiques de réinsertion envisagées et l'âge des détenus.

Je souhaite aussi qu'une attention toute particulière soit portée au soutien des victimes, souvent durablement fragilisées et démunies pour obtenir réparation du dommage qu'elles ont subi. En améliorant leur accueil, en assurant leur accompagnement psychologique, particulièrement en cas de violences, en allégeant les procédures d'indemnisation, en impliquant les services de l'Etat ou d'auxiliaires assermentés dans l'exécution des peines de réparations prononcées en leur faveur. Un service d'appel pour l'aide aux victimes, ouvert 24 heures sur 24, doit leur être consacré.

Il est également temps de moderniser et de renforcer notre dispositif d'aide juridictionnelle pour permettre à tous les citoyens d'avoir accès à un avocat, quelles que soient leurs ressources.




Parce que nous aurons su donner un coup d'arrêt à la montée de l'insécurité, nous pourrons traiter plus efficacement ses causes profondes.

La solidarité est au coeur de notre rêve français, de notre message, de notre ambition collective. Restaurer la sécurité est une urgence. Mais retrouver le sens de la fraternité est également indispensable. C'est pourquoi ces efforts devront être menés de front.

Pour que la France soit plus fraternelle, il faut rétablir l’égalité des chances. " Ce qui constitue la vraie démocratie ", disait Gambetta, " ce n’est pas de reconnaître des égaux, c’est d’en faire ". Tel doit être notre projet.

Un projet pour l'école, bien sûr. Nous devons être particulièrement attentifs aux situations d'échec scolaire. La France ne peut accepter de conserver un taux d'illettrisme de près de 10 % au siècle de l'internet. Elle ne peut accepter que le quart des enfants entrant en sixième ne maîtrisent pas la lecture, l’écriture et le calcul. Elle ne peut accepter que 60.000 jeunes quittent chaque année à 16 ans le système scolaire sans aucune qualification reconnue.

Chaque élève doit acquérir un socle commun de connaissances. Il faut créer le collège pour tous, en personnalisant autant que possible les parcours scolaires. J’aurai l’occasion d’en reparler aux Français.

Mais aussi un projet pour la ville.

Nous devons mettre un terme à la ségrégation géographique qui défigure notre République et, pour cela, il faut faire rentrer l’activité économique dans les quartiers qui souffrent le plus de l'insécurité, en prenant en compte leurs difficultés spécifiques. La croissance à elle seule ne suffit pas. L’expérience des dernières années le montre : l’embellie du marché de l’emploi n’a pas eu d’effet sensible sur le taux de chômage des cités. Les politiques sociales conçues sur un modèle général et uniforme ne suffisent pas non plus.

La création de zones franches avait suscité un grand espoir. Elles ont fait la preuve de leur efficacité, comme ici à Garges-lès-Gonesse. Cette politique doit être relancée.

Une nouvelle politique du logement doit également être mise en oeuvre, privilégiant un urbanisme moins concentré et mieux intégré à la ville.

Au moment où ils ont été construits, les grands ensembles répondaient à une demande sociale. Mais au fil du temps, ces zones d’habitation, coupées du reste de la ville, se sont dégradées.

Beaucoup d'habitants restent malgré tout attachés à des lieux de vie où ils ont grandi ou vu grandir leur famille. C'est en dialoguant avec eux qu'il faut accélérer le remplacement de ces grands ensembles par de nouveaux logements, sans doute plus d’un million à construire dans les vingt années à venir. Donnons-nous les moyens de cette ambition en associant les régions à la politique du logement, en encourageant la construction de logements sociaux par des aides fiscales, en favorisant aussi la remise sur le marché des logements vacants qui sont trop nombreux dans notre pays.

Les organismes d'H.L.M. doivent devenir les garants d’une meilleure qualité de vie, notamment en recrutant des gardiens d’immeuble en nombre suffisant pour assurer l’entretien des parties communes.

L’accès à la propriété doit également être encouragé, en offrant aux occupants des mensualités du même ordre de grandeur qu’un loyer : il est évidemment très différent, pour celui qui a de faibles revenus, de posséder une habitation à soi plutôt que d’occuper un espace qui lui reste étranger.

Il convient enfin de favoriser le retour des services publics dans tous les quartiers, notamment grâce à des maisons de services publics où se regrouperaient des services municipaux et sociaux, ainsi que des guichets comme ceux de la Poste, d'EDF, de France Telecom.

Il y a en France de véritables terres de mission pour le service public. Donnons-lui les moyens de la réussite en récompensant fortement les agents qui accepteront de relever ce défi.

Voilà quelques uns des chemins qui peuvent être empruntés pour mieux vivre ensemble dans une France plus sûre et plus unie.




Mesdames, Messieurs,

La Nation est d’abord l’ambition de partager un destin collectif. C’est cette volonté de vivre ensemble, cette confiance commune dans les mêmes valeurs, qui fait la force des grandes démocraties. C’est aussi ce qui leur permet de se défendre lorsque leurs idéaux sont attaqués ou contestés.

Notre modèle républicain reste plus que jamais d’actualité, parce qu’il est la meilleure voie possible pour assurer la cohésion d’une société qui doit absorber les chocs de plus en plus nombreux de la modernité. Il est le meilleur garant de notre cohésion nationale. La Nation, la République, l’attachement à la patrie ne sont pas des valeurs surannées. Ce sont autant de façons de dire " nous ", d’être fidèles à notre histoire et à nos idéaux, d’affirmer un destin collectif et solidaire, de faire entendre notre message.

Ensemble, nous devons refuser et combattre tout ce qui divise les Français. L'absence de respect à l'égard des autres. Les zones de non-droit, qui excluent. Le communautarisme, qui sépare. Les discriminations qui privent les citoyens du plein exercice de leurs droits. Et l'insécurité qui est devenue la première des inégalités.

Contre elle, ce ne sont pas seulement les pouvoirs publics mais tous les Français qui doivent se mobiliser. Car ce n'est pas seulement la protection de chacun contre la violence qui est en cause. C'est l'existence même du contrat collectif sur lequel notre nation s'est construite. Si l'Etat n'est plus en mesure de remplir sa part du contrat, demain c'est notre cohésion nationale qui sera en danger.

Ensemble, nous devons refonder le pacte français. C'est la grande urgence des années à venir.

Vive la République, vive la France !





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